Chapitre 2
Avec précaution, je me rendis à la salle de bain pour boire et me brosser les dents. Mes habits étaient imbibés de l'émanation nidoreuse qui ne risquait pas de libérer le lieu d'aisance. Je m'en délestai mais refusai de me regarder nue.
La douche me tendait les bras mais mon harassement était tel que je ne pouvais penser qu'à me coucher.
À pas de loup, en veillant à ne pas me faire remarquer, je regagnai ma chambre et m'y calfeutrai.
Mon téléphone vibra à en faire trembler les murs. Au bout du septième appel, il était peut-être temps que je réponde à ma cousine. Le verre fendu me faisait trembler. Il avait survécu à la chute, fonctionnait toujours, mais en gardait un souvenir tranchant.
— Kalie ! Tu vas bien ?! Tu ne peux pas me balancer un tel missile et ne pas décrocher !
Je l'avais informée brièvement, en passant les détails sordides.
— Myriam... Je n'ai pas la force d'en parler à voix haute... Et ma mère pourrait nous entendre...
— Quoi ?! Elle n'est pas au courant ?!
— Mais que va-t-elle penser de moi... ?
— Kalie ! Tu n'es en rien responsable... Écoute, je viens chez toi, ne bouge pas.
— Où veux-tu que j'aille, de toute manière ? bougonnai-je. J'ai la trouille de sortir de ma piaule, alors sortir de chez moi...
L'attente ne fut pas particulièrement longue : ma cousine habitait à quelques rues de chez moi et s'avérait toujours très sportive lorsqu'il s'agissait de me soutenir. Son brin de voix résonna dans tout l'appartement, alors qu'elle y rentrait comme dans sa propre maison. Ma mère étant tout juste partie faire les courses, Myriam traversa les pièces et ouvrit la porte de mon antre sans ménagement.
— Tu es là !
En tailleur sur mon lit, pas coiffée, pas démaquillée, je respirai un grand coup. La tornade Myriam venait d'arriver. Ses épaisses et indisciplinées boucles brunes dévalaient ses épaules, lui attribuant un air sauvage et féroce. Même ainsi, vêtue d'un jean simple et d'un débardeur gris, aussi loin que possible du modèle élégant et soigné de ma tante, elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à sa mère. La découvrir ainsi, essoufflée, ancrée dans l'embrasure de la porte, me fit déglutir nerveusement. Un peu plus et je retournais en enfance, foudroyée par le regard intransigeant de la sœur de ma mère, après avoir commis une bêtise.
— Toi tu t'es pas regardée dans un miroir, grimaça Myriam. T'as une sale tête ma pauvre... Et tu... pues !
Ce n'était pas le genre de remarque dont je devais la remercier, je lui adressai donc une moue sarcastique.
À la Mary Poppins, elle sortit de son sac un déodorant. Elle vaporisa l'entièreté de l'air autour de moi, sans se soucier de m'asphyxier.
Ensuite, elle partit à la salle de bain chercher le nécessaire et revint avec une compresse froide et des pansements découpés. Elle étudia en se pinçant les lèvres toutes les marques que j'arborai : sur le visage, le cou, les jambes, le ventre. Elle me força à regarder dans la vitre le résultat de ma rencontre fortuite. Je me remis à grelotter en voyant mes bras contusionnés et les traces violacées, éparpillées sur mon corps. Mon teint livide, contrastant avec les poches sombres sous mes yeux bouffis, me donnait l'air d'un cadavre sorti de la morgue. Le mascara avait coulé et striait mon faciès de part et d'autre de mon nez rougi.
— Tout va bien, me rassura-t-elle. Du fond de teint et ce sera ni vu, ni connu !
Son ton outrageusement jovial sonnait faux. Ces cicatrices éphémères la terrifiaient autant que moi. Sauf qu'elle faisait l'effort de prétexter le contraire. Elle me brossa délicatement les cheveux, comme elle le faisait lorsque nous étions gamines, puis les roula en un chignon négligé.
— Il avait l'air de vouloir un truc... déclarai-je après le blanc.
— Tu veux dire autre chose que te baiser ? hasarda-t-elle en me nettoyant les yeux avec un gant de toilette.
— Merci, Myriam... Franchement, ça m'aide...
— Excuse-moi. Tu disais ?
— Je ne me rappelle pas bien de tout, mais je sais qu'il était énervé, et fébrile. Il n'essayait pas de me violer, il m'analysait. Comme... Oh je ne sais pas. il en avait spécifiquement après moi, j'ai l'impression.
— Ce n'est pas réellement plus rassurant.
Myriam n'avait pas évoqué la possibilité que je dépose plainte, pourtant envisager recroiser cet individu m'atterrait. Après le départ de ma cousine et de longues heures de tergiversations, je composai le numéro et patientai.
La sonnerie du répondeur faisait écho dans mes tympans : inexorable, émérite. Je passai la langue sur mes lèvres et secouai ma main gauche par bévue et tension. Et trop tôt à mon goût, une voix rompue et indisposée sortit du combiné :
— Vous êtes bien sur la ligne de la police, veuillez décliner votre problème.
Dans ma chambre ouatée ne me parvinrent alors plus que la cacophonie de mon cœur battant la chamade et de mon souffle erratique. Je raccrochai d'un geste précipité.
À quoi bon ? Même si je portais plainte, ça ne mènerait à rien. Ils ne le trouveraient jamais, et l'affaire ne serait donc pas portée en justice. Je n'étais pas capable de dresser son portrait, j'ignorais comment définir ou décrire son visage. Certes il était imprimé dans mon esprit, mais je ne savais mettre de mot sur sa morphologie. Tout ce qui restait clair dans ma tête était sa tenue atypique, son vêtement blanc.
Plus que mon agresseur, c'est moi qu'ils auraient pris pour un fou évadé.
Je passai la journée à m'efforcer de sourire à ma mère, couverte de blush et d'anticerne, un foulard noué autour du cou, pendant que je l'aidais à préparer la table pour le grand repas de famille qui nous attendait le soir même. J'avais oublié la date mais ce qui était certain, c'est que le moment était mal choisi. D'autant plus que je présentais officiellement mon nouveau petit-ami à la famille... Après mes mésaventures, je me voyais mal faire bonne figure, devant Gabriel comme devant mes tantes, mes oncles et mes grands-parents maternels. Mais ma mère tenait à ce repas, plus qu'à celui de Noël je dirais.
La nuit tombée, Gabriel arriva en premier, une bouteille de champagne en main. Il m'embrassa et me mira, admiratif.
— Tu es splendide.
Je le remerciai, le contemplai. Il n'y avait pas plus beau et avenant que lui sur terre, mais le contact de sa main sur mon épaule, à peine effleurée, me ramena pourtant quelques heures dans le passé.
— Tout va bien ? demanda-t-il aussitôt.
— Oui, oui, mentis-je. Ma mère est dans la cuisine. Tu peux y aller.
Il acquiesça, peu convaincu, et suivit le couloir. Je m'occupai de fermer la porte et de contenir mon angoisse. Je tirai sur les pans de ma robe, pour m'assurer qu'elle recouvre bien mes genoux mutilés. Rien ne soignait les soubresauts de mes mains ; elles trahissaient inlassablement ma fièvre succincte.
Je ne m'en faisais pas pour Gabriel, il allait plaire à tout le monde.Son charme s'avérait irrésistiblement infaillible.
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