Chapitre 13
Je déversai son contenu sur le sol. L'odeur de vieux étrenna mes boyaux ; je bloquai l'ouverture de mes lèvres de ma main, me bouchant le nez au passage. Je bondis ouvrir la vitre et aspirer une bouffée d'air pur.
En me retournant, je considérai les photographies éparpillées sur le plancher. Des petites filles aux cheveux foncés. Elles se ressemblaient, mais les clichés dataient d'époques espacées : l'une ou l'autre en noir et blanc, d'autres sépias et d'autres encore bien plus récentes, tirées sur un papier glacé blanc comme la neige. J'en retournai l'un ou l'autre, et décryptai Kalie.
— Kalie, répétai-je.
Absolument toutes étaient annotées pareil.
— Qu'est-ce que...
J'examinai minutieusement les visages, et fus frappée de leurs similitudes avec moi, et en parallèle leurs similitudes avec l'homme dessiné sur le papyrus. Peut-être avait-il récupéré tous les images des femmes de la famille... Peut-être que mon prénom, Kalie, était un héritage familial...
Ou peut-être mon père faisait-il une fixette sur les petites filles... Ou les filles portant ce prénom... Un pédophile ? Cela collait avec sa réputation de criminel...
J'étais curieuse de savoir ce que Gabriel en penserait. Notre trêve continuait-elle au profit de l'enquête, toujours irrésolue ? Que le froid perdure entre nous m'ennuyait : il était le seul à qui je pouvais causer de cette dinguerie, le seul avec qui je pouvais faire une fixette sur mon père sans paraître dérangée, le seul qui ne jugeait pas mon comportement et qui ne m'en tenait pas rigueur.
Je baillai, signe d'un harassement immuable.
Je devais me débarrasser de la caisse. J'en gardai le contenu intéressant et sortis le reste dans le couloir. Le dépôt dans les bennes pouvait attendre le lendemain. Il était temps d'épurer le passé, et sauvegarder certains bibelots à valeur sentimentale ne nous astreignait pas à le faire dans un coffre ébréché abritant sans doute la peste et le choléra entre ses lattes.
J'auscultai mon lit, prête à exterminer la moindre bête qui s'y cacherait, puis m'insérai dans les draps et éteignis la lumière.
Les yeux rivés au plafond, indétectable dans le noir ambiant, je fis le tri dans mes calculs et mes soupçons. Je ne pouvais éluder l'excitation mutine qui m'avait visitée à l'examen de la malle, ni le typhon qui m'avait dévastée ; l'écœurement, l'inquiétude, le doute, l'incompréhension, la fureur, l'asthénie, le découragement et la détermination s'étaient voué une lutte sans merci, pour ne laisser en moi d'un vide, un colossal trou noir qui aspirait la moindre goutte de mon énergie. Néanmoins, le moindre indice méritait mon attention et lentement, je me rapprochais de la vérité.
J'ouvris un œil, la bouche pâteuse, à un son familier, fort, qui venait de ma fenêtre, laissée ouverte la veille. Je me relevai un peu, lorgnai par dessus le rebord et me lassai retomber mollement dans un énième coup de klaxon. J'attrapai un coussin pour me le plaquer sur le visage et me mis à maudire ma cousine.
— J'arrive ! m'égosillai-je ensuite du haut de mon immeuble.
— D'accord ! me répondit-elle jovialement, encerclée de voisins irascibles.
Myriam débarquait toujours sans prévenir, au lieu de simplement fixer au préalable une heure de rendez-vous, puis elle s'annonçait bruyamment, pour donner à l'action la plus banale des airs de spectacle. Elle n'était pas comédienne pour rien. Son habitude, bien que critiquée par les riverains et par moi-même, ne risquait pas de rejoindre les oubliettes. Elle tenait à sa mise en scène et adorait me surprendre. Certains matins, moi, j'adorais moins.
— Bien dormi ?
— Mouais, grommelai-je.
Je m'affalai sur le siège en cuir. Joyeusement, elle mit le contact et nous partîmes pour une autre aventure.
— Vous tournez des scènes dès aujourd'hui ? m'intéressai-je.
— Oui, une, ce soir. Mais avant, l'équipe doit assister aux réunions, apprendre à se connaître...
— Puisque tu es là, ça signifie que ta mère a digéré la nouvelle ?
— On peut dire ça... Mon père a pris ma défense, pour une fois.
— Étonnant, mais bien venu.
— Il s'avère qu'il a déjà lu le livre, et a apprécié l'intrigue.
— C'est quoi le scénario, rappelle-moi... ?
— Mais enfin, j'ai répété mon dialogue dix-neuf fois avec toi...
— Et tu as répété bien cent trente dialogues avec moi, alors sois gentille et rafraîchis ma mémoire endolorie.
— Soit, conçut-elle. Comme dit, c'est une adaptation d'un roman célèbre : une disparition inquiétante qui bouleverse la ville.
— Ah oui ! Et tu postulais justement pour le rôle de la disparue.
— Exact !
— Mais tu apparaîtras ?
— Dans les flashs back, au début et à la fin. Oups ! Je t'ai spoilé...
— Myriam. Tu m'emmènes avec toi sur le tournage. Les rebondissements de ce navet –pardonne-moi mais l'histoire est surfaite- ne seront d'aucune surprise pour moi.
— Tu serais étonnée. Les péripéties cassent l'idée qu'on pourrait se faire d'un film niais déjà-vu.
— N'essaie pas. Tu n'arriveras pas à me convaincre.
— De toute manière, tu assisteras à l'avant-première avec moi.
— Pitié, gémis-je.
— Tu veux retourner à l'église, plutôt ?
Je me renfrognai et m'enfonçai dans la couche moelleuse du fauteuil. Tout sauf ça.
— Bienvenue chez moi ! s'écria-t-elle.
J'écarquillai les yeux face au nombre déraisonnable de loges alignées de part et d'autre de l'allée piétonne réservée au personnel. Myriam occupa sa place attitrée, verrouilla les portes de loin et passa son bras sous le mien pour m'immerger dans son nouvel univers. Elle accora son badge à son haut et nous fit entrer.
Le staff se retourna sur notre passage. Leur attention courait le long des jambes élancées et bronzées de Myriam.
Je m'attardai seulement à cet instant sur le physique accompli de ma cousine. Elle avait opté pour un short ample blanc à dentelle qui soulignait son teint d'abricot mûr et un débardeur vert émeraude qui s'accordait avec ses yeux. Ses cheveux dansant au vent et le visage exempt de maquillage, elle était tout bonnement somptueuse au naturel.
Dans ma robe raide et avec mon bronzage défraîchi, je n'étais pas particulièrement à mon avantage. Exceptionnellement cependant, j'avais lacé mes cheveux en tresse et m'étais étonnée qu'une telle coiffure ne me rajeunisse pas considérablement.
L'aisance de Myriam dénotait au milieu de l'agitation : elle paraissait être une habituée des lieux. Elle avançait, sereine, vers un but dont je ne connaissais pas l'existence. Le flux de personnes me donnait le tournis tandis qu'elle slalomait entre les groupes et les régisseurs.
— C'est ici, m'annonça-t-elle devant un bloc gris ressemblant davantage à un conteneur qu'à un studio.
Elle s'y engouffra d'un pas déterminé. L'intérieur, relativement sombre mais plus aux normes du cinéma que l'extérieur, était encombré d'appareils et de caméras en tous genres. Des câbles jonchaient le sol en abondance et je devais y regarder à deux fois pour éviter de m'enchevêtrer dedans. Un peu partout étaient disposés des fonds verts et des employés allaient et venaient avec dynamisme pour habiller les décors de myriades d'accessoires. Les spots lumineux, présents sur chaque poutre métallique au-dessus de nos têtes, étaient éteints.
Le studio se réveillait à peine.
Au bout du local s'était réuni un considérable groupe de personnes, autour d'un petit déjeuner. Je devinai qu'il s'agissait là du casting du film. Une femme d'âge mûr reconnut Myriam et la salua gaiement, puis la présenta officiellement à ses collègues. D'emblée, je trouvais l'équipe gentille, très ouverte et accueillante car ses membres acceptaient sans soucis que je suive Myriam partout. Je fis mine de retenir les prénoms, mais il y avait trop de nouvelles têtes pour que mon cerveau embrumé les assimile correctement.
Je souris en remarquant les œillades qu'un grand rouquin lançait à Myriam. Il avait été un des premiers à me saluer, mais son patronyme m'échappait. Je me rappelais uniquement qu'il faisait partie des acteurs et détenait un charme surprenant. Élancé, à la musculature fine mais méticuleusement dessinée, il allait lui plaire à coup sûr. Des taches de rousseur conféraient à son visage ovale une innocence coquette doublée d'une espièglerie certaine. Ma cousine ne tarda pas à s'en apercevoir et s'adonna immédiatement à un puissant jeu de séduction.
— T'es cuit, mon gars, pensai-je.
Ils s'isolèrent légèrement et discutèrent à côté de sa place. Sur le dos de la chaise, je pus lire en lettres blanches Simon M. Je n'étais guère cinéphile mais je crus reconnaître son profil et l'associer à deux ou trois films que j'avais vus.
Myriam devait être toute excitée d'avoir son assise d'actrice, avec son nom sur le bandereau noir. Ses efforts payaient enfin.
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