Chapitre 10

— Je l'ai haï d'être parti, commençai-je, et tu le sais très bien puisque c'est toi qui a alimenté mon aversion à son égard. J'ai désiré sa mort dans les plus atroces souffrances, j'ai imploré le ciel pour qu'il revienne à genou et qu'on se venge en le renvoyant comme un mal propre. Je lui ai souhaité de croupir dans les égouts, de se faire dévorer par les rats.

Sa lèvre inférieure vibrait, pantelante. J'assénai le coup final, fatal, avec une animosité déconcertante :

— Et tout ça, c'est à toi que j'aurais du le souhaiter.

Puis je fuis. Je fuis parce que voir les larmes inonder les traits de ma mère renforçait mon acrimonie et ma culpabilité. Je fuis parce que j'étais trop timorée pour affronter les conséquences de mes actes, de mes pamphlets.

Je n'avais fait qu'employer la parole mais j'avais tapé là où ça faisait mal. Mon emportement bridait mon analyse et je me sentis fière, fière d'avoir enfin parlé, exprimé ce qui bouillait au fond de moi, et d'une certaine manière fière de l'avoir atteinte avec une phrase. Ce n'était qu'un juste retour des choses : elle m'avait menti des années durant, elle méritait bien que je me venge à coups de piques bien pensés. L'anéantissement par les aveux, c'était chacune son tour et je me jurai, dans ma folie vengeresse, de passer mon tour à l'avenir.

Les jours défilèrent : je menais mon enquête de mon côté en attendant péniblement des nouvelles de Gabriel, qui se faisaient rares. Myriam n'en savait rien ; il me fallait avoir du solide avant de lui raconter mes aventures. Chez moi, nous nous évitions, sans nous adresser la parole. Elle ravalait des sanglots en m'apercevant dans le couloir et s'arrangeait pour rentrer tard. Fautive et odieuse s'accordaient pour définir ma personne, à juste titre.

Un klaxon carillonna cinq fois en ce dimanche matin au pas de mon immeuble. Myriam me poussa, par son irrespect notoire, à sortir à peine vêtue, les cheveux noués maladroitement.

— Mais qu'est-ce que tu fous là ?! Tu aurais pu prévenir ! Tu as réveillé tout le quartier, moi y compris ! C'est pas une heure pour débarquer le jour du seigneur !

— En parlant du seigneur ! fanfaronna-t-elle.

— Quoi ? ronchonnai-je.

— Monte, on a le bon Dieu à remercier.

— Pardon ?

— Monte ! bachota-t-elle.

— Vas-tu me dire ce qu'il se passe, bon sang ?

— J'ai été prise !

— Prise à ?

La mémoire me revint et un cri de surprise m'échappa :

— Ton audition ! Oui bien sûr ! Mais c'est génial !

Mon humeur morose se dissipa dans les volutes de liesse que créa notre danse de la joie – enfin danse... disons plutôt terme utilisé pour le rendu brouillon d'une valse mixée à de la salsa et à une ronde populaire écossaise. Myriam m'embarqua pour fêter ça. Un immense sourire fendait son joli minois. La voir ainsi aux anges m'apporta à moi aussi une considérable dose de bonheur.

— Qu'en dit ta mère ?

— J'ai hâte de lui annoncer ce soir, en face, pour voir sa tête ! Elle n'était pas réveillée ce matin quand j'ai ouvert le message vocal...

— Et tu n'as pas braillé à en ressusciter les morts ? m'étonnai-je.

— Si, mais dans mon coussin. Je suis tout de même civilisée.

— Hein hein, ris-je. Ce n'est pas ce que pensent mes voisins !

Elle se gara en face d'une bâtisse gigantesque et luxueuse.

— Bienvenue dans notre hôtel spa, piscine et détente pour la journée !

— Que... Wow... Mais je n'ai pas de maillot !

— Qui t'a dit que nous aurions besoin de maillots ? me lança-t-elle avec un clin d'œil.

Les grooms nous conduisirent jusqu'aux locaux réservés à notre nom. Nos affaires, téléphones y compris, furent placés sous scellé.

— Première étape : le massage, déclara Myriam.

Nous fûmes conduites jusqu'à une antichambre insipide et épurée où flottaient des notes de musique relaxante. Majestueusement, elle fit glisser les bretelles de sa fine robe et se délesta de ses habits sans pudeur. Hébétée, je joignis mes bras, tel un bouclier contre la nudité.

— Ne fais pas ta timide, me réprimanda-t-elle. Nous prenions des bains ensemble depuis toutes petites.

— Nous oui... Mais il n'y avait pas deux masseurs pour nous regarder.

Elle adressa aux deux blonds surgis derrière elle un rictus charmeur. Leurs mâchoires menacèrent de se décrocher et de toucher le sol alors qu'ils la reluquaient avec désir. Je me surpris à déglutir moi aussi, envieuse de sa poitrine généreuse, de sa peau couleur pêche et de ses hanches bien dessinées.

J'abdiquai enfin, et dévoilai mon intimité aux deux soit disant professionnels qui devaient nous masser. Je tentai maladroitement d'en cacher certaines parties, ce qui était inutile puisqu'ils n'avaient d'yeux que pour celle qui m'accompagnait. Je me détendis, et appréciai simplement de pouvoir me balader en tenue d'Eve.

Myriam et moi nous allongeâmes sur deux tables et fûmes recouvertes de la taille aux jambes par de soyeuses serviettes ivoire. La discrétion des bestiaux en rut me fit comprendre qu'ils se disputaient comme des bambins pour déterminer qui d'eux aurait l'honneur de masser ma cousine. Je soupirai, d'amusement et de jalousie.

Des paluches huileuses tâtèrent mon dos, ma nuque. Je fermais les yeux fermement, luttant contre l'horreur acre au coin de ma bouche. Myriam n'avait pas pensé à mal en organisant une telle journée, elle ne pouvait imaginer qu'un contact masculin se montrerait davantage paralysant qu'aphrodisiaque. Quant à moi, je refusais de gâcher son enthousiasme avec mon traumatisme.

Des flashs me revenaient. Je sentais le vent cingler ma poitrine nue, mes genoux me démanger. Ma tête tournait en souvenir du choc, de la manière sourde dont elle s'était écrasée au sol, des gouttes qui avaient giclé sur mon visage et mes cheveux... Mes nerfs se détendaient sous les mains expertes de l'homme qui me massait mais mon esprit, lui, se tendait. Ma respiration s'accéléra, et je tentai d'ignorer la vague d'épouvante qui se déferlait sur moi. Je balbutiai pour répondre à Myriam, qui bavardait gaiement, tandis qu'une larme perlait sur ma droite.

L'heure passa lentement mais je me relevai de cette table décontractée, la serviette plaquée de mon buste à mon entrejambe. Je les remerciai, les saluai, et m'éloignai fesses face au mur, une marque de pudeur dont Myriam ne fit absolument pas preuve : elle me rejoignit en leur accordant une splendide vue sur son postérieur bombé.

— Allons nous baigner, alloua-t-elle.

— Je n'ai toujours pas de maillot de bain...

— Moi non plus ! Mais il n'y aura personne à cette heure-là.

Elle donna des pieds et des mains pour me convaincre et je capitulai, comme toujours face à ce même adversaire coriace.

Nues comme des vers, nous nous faufilâmes dans le local destiné à la baignade. Le bassin bleu, à l'eau claire, nous tendait les bras. Entendre le clapotis des vaguelettes réveilla mon envie de plonger. Je n'avais pas nagé depuis une éternité, et jamais sans maillot. Myriam courut et piqua une tête. Je ne tardai pas à l'imiter. Je pénétrai l'étendue fraîche d'un coup, et fus immergée dans le liquide qui léchait le moindre repli de ma morphologie. Je me délectai de cette caresse vivifiante, et revins à la surface pour reprendre mon souffle. La malice dans les pupilles, Myriam riait.

Quelques brasses me conduisirent à l'extrémité de la piscine. Je fis battre mes jambes, ne touchant pas le fond. Nous fîmes une dizaine de longueurs, savourant une complicité coquine. Sous le rideau hyalin, mon corps m'apparaissait différemment : comme neuf, comme propre. Opalescent, j'arrivais presque à le trouver beau, voire gracieux. Il dansait, libre, laissait s'insinuer les nappes chlorées dans les tréfonds de ses cavités.

Je m'extirpai de mon bain en grimpant les marches, et marchai le long du bassin :

— Que fais-tu ?

— Je vais plonger ! m'extasiai-je.

— Attends, tourne-toi

Je fronçai un sourcil.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu as...

Elle se rapprocha en deux temps trois mouvements, et scruta mon fessier. Bien que cocasse, la situation ne me gênait pas : je voulais juste savoir ce qu'elle voyait, ou croyait voir.

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