Assis sur le rebord de mon lit, le regard plongé dans le vide, je boutonnais ma chemise blanche et je réfléchissais à la vie, ou plutôt à la mort. Pourquoi sommes-nous toujours surpris lorsqu'elle survient et nous touche de près ? Je n'avais pas vraiment de réponse à cette question, mais j'avais toujours espéré que mon grand-père mourrait avant ma grand-mère. Une pensée bien glauque, mais je mets au défi quiconque voudrait vivre avec cet être si austère et froid.

J'ai toujours vécu avec mes grands-parents au 13 rue Rosa Bonheur, à Fontainebleau. Je n'avais jamais connu mes parents, à chaque fois que je lançais le sujet, je me faisais sans cesse rembarrer. Alors à l'âge de six ans, mon grand-père m'annonçait que mes parents étaient morts brûlés vifs dans leur ancienne maison, parce qu'ils n'en faisaient qu'à leur tête. Depuis, j'évitais le sujet le plus possible avec lui, car je n'étais pas assez courageux pour l'affronter. Avec mamie Ada, c'était différent, elle avait toujours les mots justes pour me consoler ou pour m'expliquer la disparition de mes parents. Elle n'aimait pas vraiment aborder le passé non plus, mais elle me racontait une tout autre histoire que celle de grand-père. Selon sa version, lorsque j'avais à peine quelques mois, ils eurent le besoin de se retrouver et d'aller passer un week-end de juin au bord de la mer, malheureusement ils ne revinrent jamais de leur voyage. Pourtant cette histoire me paraissait de plus en plus fausse à chaque fois que ma grand-mère me la racontait, chaque fois le récit changeait, une fois ils souhaitaient se retrouver à la montagne, une autre fois c'était en plein été, puis en plein hiver.

En grandissant mes questions devenaient de plus en plus pertinentes mais surtout pesantes pour mamie Ada.

– Pourquoi vous n'avez pas la moindre photo de mes parents ? ai-je voulu savoir un soir, à l'âge de dix ans, alors qu'elle nous préparait le repas.

– Tout a brûlé dans notre ancienne maison, malheureusement nous n'avons plus rien mon petit.

– Est-ce que vous me prenez pour un idiot papi et toi ?

Elle laissa tomber sa cuillère en bois dans la casserole et essuya ses mains sur son tablier.

– Bien sûr que non Maxime, j'aimerais pouvoir te raconter toute la... Les paroles de mamie Ada venaient d'être interrompues par mon grand-père.

– Nous aimerions te raconter des choses qui chatouilleraient tes oreilles, mais c'est impossible. Tu es un jeune garçon intelligent ? Alors, intègre bien ce que je vais te dire : cesse de nous importuner avec tes questions sur tes parents ! Ils sont morts, et nous avons pris le relais de ton éducation. C'est tout ce que tu dois savoir !

Mon souffle se bloqua, comme si je venais de prendre un coup à l'estomac, chaque fois qu'intervenait cet homme, mon cœur se remplissait d'une colère profonde à son égard. Je serrai fortement mes poings et je montai m'enfermer dans ma chambre, comme à mon habitude. Dans ces moments-là, seuls mes mangas me permettaient de reprendre mon calme. J'avais toujours espéré avoir le genre de grands-parents qui vous montre des photos et pleins de souvenirs de vos parents. Depuis ce jour, je me résolus à interroger mes tuteurs et je préférerai enfermer mes émotions dans mes lectures thérapeutiques.

Mais la veille de mes quinze ans, trois jours seulement avant sa mort, j'allais rejoindre mamie Ada dans sa serre qu'elle chérissait tant et pour la première fois depuis si longtemps j'osais lui exprimer mon désir d'en savoir davantage sur mes parents. Au fond de moi, j'étais à me demander si mes grands-parents me cachaient des choses graves ? Mamie Ada resta un moment songeuse face à ses jolies plantes obscures, puis elle se retourna et plongea son regard dans le mien, je sentis tout de suite que quelque chose n'allait pas.

– Maxime, il ne me reste que très peu de temps et je n'aimerais pas m'en aller avec des regrets, me répondit mamie d'un air grave.

A ce moment, je crus, qu'enfin, je découvrirais la vérité sur mes parents. Et, à la fois, je craignai qu'ils m'aient bien menti tout ce temps. Je savais que toutes leurs histoires, autour de mes parents, n'étaient que des inventions.

– Est-ce qu'ils sont encore en vie, mes parents ?