17. Dans les fleurs d'octobre

Elle se convainquait qu'elle pouvait y arriver, que toutes ses mauvaises notes n'étaient pas réelles. Non, avec tout le travail qu'elle fournissait, elle ne pouvait pas échouer. Elle les avait laissés lui couper les ailes pour ça, elle avait sacrifié tout ce qui faisait d'elle Marina pour avoir une chance d'y arriver. Alors elle se murmurait qu'elle réussirait.

C'est ce qu'elle a écrit dans le carnet qu'elle m'a donné. Mais, nous n'y sommes pas encore.

— Il faut d'abord cueillir les fleurs d'octobre, récupérer une larme de fée, arracher un linceul de la mort et remplir un flacon de peur, énonce Marina en remettant son manteau noir.

— D'accord, je réponds en prenant mes clés.

J'éteins les lumières, ignorant alors que je rentrerai seul demain matin et que je n'irai pas en cours. Je ferme la porte à clefs sans un regard derrière moi. Les escaliers sont rapidement descendus, la porte d'entrée de l'immeuble vite ouverte et refermée, comme si seul un courant d'air avait eu le temps de se faufiler au-dehors.

Je frissonne. On a beau être au printemps, la froidure de la nuit ne me paraît pas accueillante.

— On va où ? demandé-je, en glissant ma main dans la sienne.

— Au jardin botanique, répond-elle en serrant ma main encore plus fort que je ne presse la sienne.

L'obscurité jette des ombres sur son visage, soulignant les contours fantomatiques de ses traits. La ville est étrangement silencieuse, comme si elle retenait son souffle.

Aucun de nous ne parle alors qu'on traverse la cité abandonnée par la vie. Il faut dire que nos voix résonneraient comme dans une église et seraient peut-être perçue comme un péché aux yeux de la nuit elle-même, ou pire, un appel à l'aide et au pacte.

Arrivés devant les grilles du jardin botanique, nous nous hissons dessus pour les escalader. L'adrénaline court dans mes veines, je n'ai plus peur de rien.

— Bon, soufflé-je une fois mes pieds sur le sol, comment est-ce qu'on trouve des fleurs d'octobre en plein mois de mars ?

En guise de réponse, Marina me tire dans le parc après m'avoir jeté un regard railleur.

— On est toujours aussi rationnel, à ce que je vois, commente-t-elle.

Dans la pénombre, les plantes ressemblent à de gigantesques vagues venues nous engloutir. Je frémis et bats des cils, ne laissant pas mon esprit trop divaguer. Marina lâche ma main et s'avance dans le plan d'eau du jardin.

— Tu plaisantes ? m'exclamé-je ne la voyant patauger dans la mare jusqu'aux genoux.

Elle se tourne vers moi, un poing sur la hanche.

— Tu veux m'aider oui ou non ?

— Bien-sûr !

— Alors enlève tes œillères et rejoins-moi, rétorque-t-elle en se détournant.

Je jure et m'avance à mon tour vers l'eau marécageuse. C'est comme ça que je me retrouve à patauger dans l'eau des canards et d'autres bestioles du même genre, comme des oies par exemple. L'eau glaciale me saisit et me donne envie de m'enfuir prendre un bain brûlant, mais je résiste et rejoins Marina, qui ne semble pas être sensible au froid.

Elle me tend la main, comme pour m'emmener dans un endroit secret, et avec elle, je m'enfonce dans l'eau. Je sens encore mes pieds s'enterrer dans la vase visqueuse, et l'odeur infâme des marécages me consumer le gosier, un mélange de terre mouillée, de poissons pas frais et de grenouilles ayant gobé trop de mouches.

Et puis, au milieu de cet amas d'effluves désagréables, je distingue le clair de Lune se refléter sur l'eau noire, tel un puits de lumière fendant la nuit ténébreuse. Le cercle au contour flou semble flotter et scintiller étrangement, comme un miroir reflétant un monde inaccessible, qu'il suffirait pourtant de toucher pour rendre réel. C'est vers là qu'elle se dirige.

A l'intérieur du cercle, le tableau d'une petite forêt fleurie oscille. De là, me parvient une odeur de mousse fraîche, de hyacinthes délicates et de bois humide. Il semble y faire grand jour. Émerveillé, j'effleure la surface de l'eau. La peinture réaliste ondule sous les vibrations de l'eau.

— Prêt ? questionne-t-elle.

J'hoche la tête. Et elle saute à pieds joints, m'entraînant dans sa chute. Je suis happé par l'eau boueuse, attiré par le fond comme si j'étais l'ancre d'un bateau. Avant même d'avoir le temps de paniquer et de respirer de l'eau, une lumière vive, aveuglante, m'éblouit jusqu'à faire apparaître des taches blanches sous mes paupières. Je me dis qu'avec un peu de chance toute cette clarté vivifiante va rabougrir les ténèbres qui y chatoient usuellement.

Mes pieds sont sur un tapis moelleux d'herbe tendre et grasse, une forte odeur de plantes coupées me monte aussitôt aux narines. Je rouvre les yeux, m'attendant à être encore irradié de lumière, mais il n'en est rien, mes paupières ont retrouvé leur tracas habituel.

Il ne fait pas jour, mais il ne fait pas nuit non plus. En fait, d'un côté le Soleil inonde les fleurs d'un océan de lumière blanche, et de l'autre la Lune les noie d'une mer d'étincelles tachées de bleu roi. Au loin, la forêt s'enfonce dans une brume mystique nitescente de cristaux rouge rubis, vert émeraude, bleu saphir, jaune citrine et blanc diamant.

A mes pieds, s'étend un tapis de fleurs multicolores, toutes plus belles les unes que les autres. Malheureusement pour moi, je n'y connais pas grand chose en matière d'espèce de fleurs, alors je vais me contenter d'affirmer qu'aucune n'a le même nombre de pétales ni tout à fait la même nuance. L'air est chargé de légèreté, de libellules, de papillons et de graines transparentes de pissenlit voltigeant dans tous les sens.

Marina sourit et écarte les bras, inhalant à pleins poumons l'arôme féerique du lieu. C'est alors qu'au cœur de mon palais, je distingue un goût sucré de barbe à papa, comme celles qu'on trouve dans les fêtes foraines. Elle ouvre ses grands yeux et je me rapproche.

J'approche mes lèvres des siennes et savoure la sensation de l'éphémère oubli de ma condition de mortel. L'instant me paraît hors du temps, comme une étoile suspendue au-dessus d'un berceau. Elle se blottit contre moi, et je respire son odeur de fleurs des montagnes, de printemps, je me rends compte. Elle sent l'espoir à plein nez.

On arpente le parterre de fleurs à la recherche des fleurs d'octobre. J'imagine qu'on recherche des plantes au tons automnaux, mais entre les boutons d'or et toutes ces espèces dont j'ignore le nom, j'ai la sensation de chercher une aiguille dans une botte de foin, et puisqu'elle ne m'en dit pas plus, j'imagine qu'elle n'est pas beaucoup plus avancée.

Elle s'arrête devant des écumes de pétales orangés. Elles ont cinq pétales, dont la base est jaunâtre et l'extrémité rougie.

— C'est ça, murmure-t-elle en caressant les gerbes fleuries du bout des doigts.

Les fleurs d'octobre, c'étaient tout simplement des capucines. Ce ne fut pas la partie la plus compliquée. Elle en cueille une poignée et les glisse dans un flacon, une sorte d'erlenmeyer avec un bouchon. Et puis, elle se laisse tomber au milieu des plantes.

Je tisse des bracelets de fleurs et les lui accroche sur les poignets tandis qu'elle rit aux éclats sous le clair de Lune et l'ombre du Soleil. Elle glisse des pâquerettes dans mes cheveux, s'amusant des pétales qui tombent sur mes pommettes, comme des taches de rousseur. Elle m'embrasse et me laisse sur les lèvres un goût de pollen.

Elle attrape aussi d'autre fleurs et feuilles qu'elle dispose entre les pages de son carnet, celui qu'elle a toujours avec elle et qu'elle me remettra, mais ça, je ne le sais pas encore. On aimerait avoir le temps de profiter plus longtemps de cette étape, mais le temps presse, alors on se relève et on se met en marche vers la forêt.

🪶🪶🪶

Merci d'avoir lu ce chapitre ! J'espère qu'il vous a plu. N'hésitez pas à voter et à me laisser un commentaire, ça fait toujours plaisir ! 🖤

On se retrouve samedi 26 août pour le chapitre suivant !

Prenez soin de vous 🖤

(PS : les fleurs sur la photo en début de chapitre sont des capucines :) )

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