8- "Eux au moins, ils s'arrêtaient au réveil. "
Tic
Vendredi,
Tac
6h 12.
J'avais l'impression de me noyer. Je ne pouvais plus respirer et tout autour de moi était noir. Plus je m'enfonçais, plus l'air me manquait. Puis je la voyais. Elle était là, bien vivante, à la surface. Et malgré mes efforts pour la rejoindre, je m'enfonçais toujours plus. La plupart du temps, à ce moment j'abandonnais, comprenant que c'était inutile. Alors j'assistais impuissante à sa mort que je revivais à chaque instant. Je voyais la voiture la percuter, son corps rouler pour finalement ne pas se relever. Et je m'enfonçai, toujours plus... Inlassablement, je finissais par me réveiller.
À vrai dire, je ne voyais plus une grande différence entre mes rêves et le réel. Je me noyais dans les deux et parfois, mes cauchemars me semblaient presque plus agréables que la réalité. Eux au moins, ils s'arrêtaient au réveil.
Il m'arrivait parfois en pleine journée de me mettre à agir comme si tout allait bien, comme si rien n'était arrivé. Je haïssais mon cerveau pour me faire vivre ces désillusions constantes. A chaque fois que la réalité me rattrapait, je m'effondrais au sol en me tenant la tête tant ce retour au présent me faisait mal, sous le regard inquiet de Tikki.
Malgré tous les efforts de cette dernière, je ne parvenais pas à remonter à la surface de l'océan déchaîné qu'était devenu ma vie. Je n'arrivais pas à passer à autre chose. Pourtant je me devais d'être courageuse ! J'étais Ladybug bon sang !
Je n'avais pas eu à revêtir mon costume rouge et noir depuis l'accident. Il arrivait parfois à Tikki de disparaître pendant quelques heures mais je n'en savais pas plus. Je m'étais coupée du monde. Parce que voir qu'il continuait de tourner alors qu'elle était partie, me faisait mal. J'aurais voulu que tout s'arrête et que tous s'arrêtent. Mais évidemment, ça n'arrivait pas. Et chaque jour, la ville s'agitait comme pour me narguer. Le bruit du quotidien était sourd et bruyant à la fois. Parfois il glissait sur moi mais d'autres fois, il me submergeait et je me noyais toujours plus profondément. Il m'arrivait d'entendre un coup d'éclat dans cette mélodie monotone, comme une cymbale dans une berceuse. Mais jamais je n'intervenais. Parce que je n'avais pas réussi à la sauver alors je ne voyais pas pourquoi j'aurai dû continuer à me battre. J'étais vaincue.
Et puis de toute façon, c'était peut-être mieux comme ça. Je n'étais pas faite pour être Ladybug, je l'avais su dès le premier instant. Sinon, j'aurai réussi à la sauver. Ladybug était une entité idéalisée. Une entité crée de toutes pièces. La vérité était là. Une pauvre fille, pâle, les yeux cernés et les joues striées de marques que les larmes avaient laissées en roulant.
Tic
Dimanche,
Tac
23h 57.
Alya avait tenté de me parler ce matin. Ou en tout cas, je crois, il me semblait l'avoir vu, l'avoir entendu. Mais je n'y avais pas prêté attention. A vrai dire, je n'avais pas prêté attention à grand-chose. Il y avait eu comme un voile de la même couleur que mes habits et de ceux des gens m'entourant, devant mes yeux. Parce que revenir à la réalité signifiait être obligé de voir l'évidence, or, je n'étais pas prête à ouvrir les yeux. Le faire m'aurait donné l'impression de tenter de l'oublier, de vouloir vivre alors qu'elle ne le pouvait plus. Et j'aurais eu l'impression de l'insulter.
Alors j'avais à peine écouté. Je ne m'étais même pas levé pour parler. Parler à une personne qui ne pouvait pas nous entendre était déjà étrange. Mais alors parler à cette personne devant pleins d'autres l'était encore plus. Et puis de toute façon, qu'est-ce qu'ils en avaient à faire tous ces gens de ce que je voulais lui dire ? C'était la démonstration d'une curiosité malsaine et dérangeante. En vérité, tous ces préparatifs me semblaient dérangeants et me mettaient mal à l'aise. Des gens que je ne connaissais même pas étaient venus me présenter leurs condoléances et me répéter combien elle était fantastique. Je le savais déjà, merci ! Je n'avais pas besoin que des inconnus viennent me parler pour me rappeler que je ne pourrais jamais plus la voir.
Pourtant, j'avais accepté et souri sans sourciller. Parce que je savais que toute cette mise en scène ne rimant à rien, faisait pourtant du bien à mon père. Et alors que j'étais incapable de le soutenir, je pouvais au moins faire ça pour lui. On s'était peu parlé depuis l'accident. Chacun avait besoin de se retrouver avec lui-même pour se reconstruire. Lui s'était oublié dans la préparation de la « mascarade noire » comme je l'appelais. Comme un dernier hommage, il avait tout planifié. Et moi... Je m'étais renfermée au point d'en oublier tout repère temporel. Je m'étais perdue dans la couture comme si c'était une drogue me permettant de m'échapper. J'avais cousu à en perdre de l'esprit. Mais mon esprit ne s'était-il pas déjà perdu ? Mes pensées dérivaient et la seule accroche qu'il me restait était la couture. Mes doigts étaient écorchés et en sang mais je m'en fichais. J'avais besoin de travailler, besoin de me concentrer sur cette création. J'y avais mis ma joie, ma tristesse, mes peurs, mon âme. Parce qu'elle représentait le renouveau.
Je ne voulais pas mourir. Contre toute attente, l'accident ne m'avait pas poussé dans ces retranchements. Je m'en voudrais à vie, mais je ne m'en voulais certainement pas à mort. Si je ne voulais pas vivre je le devais. Parce que malgré ma perte de contrôle totale sur mes pensées, je savais que jamais elle ne voudrait que je meure avant l'heure inévitable.
C'était avec ses pensées que j'avançais dans la latence interminable que ma vie était devenue. Je ne savais plus quand était le jour ni quand était la nuit. J'avais égaré en cours de route le bonheur et tout sens de la réalité. Mais j'étais au moins sûre d'une chose.
J'étais en vie.
S. L 🖤
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