Bodybuilder

  Patrick n’avait qu’une idée en tête.

  Devenir fort.

  Alors il s’entraînait tous les jours, chez lui, où il avait aménagé un coin salle de sport.

  Il soulevait des poids, faisait des pompes, enchaînait les squats et les tractions.

  Tout ça pour devenir fort.

  Pour devenir un homme, aurait dit son père.

  Souvent, Patrick eut envie de jeter l’éponge. De rester cloîtré chez lui, roulé en boule, et de se laisser mourir de faim.

  Mais il finissait toujours par continuer son rituel. Il devint l’homme le plus musclé de sa ville natale. Il passa des concours de culturisme. Il fut élu Bodybuilder de l’année. Il était enfin heureux, enfin libéré du tourment qui le tracassait depuis son adolescence.

  Il ne parlait pas, et il y avait bien une raison.

  Un jour, malheureusement, il fut obligé de parler. Un présentateur de l’émission de bodybuilding à laquelle Patrick participait donna le nom du gagnant. Ce fut lui, ce grand brun maladroit, aux muscles et aux veines bien dessinés — trop bien dessinés. Patrick écarquilla ses yeux noisette quand il fallut qu’il dise un mot devant la caméra. Devant un public qui l’acclamait. Devant des millions de personnes, cachées derrière leur écran de télé, qui guettaient l’instant où il allait enfin ouvrir la bouche.

  Ce que le trentenaire fit. Mais les mots lui restèrent en travers de la gorge. Il ne voulait pas parler. Il ne pouvait pas parler. Son propre silence, qui l'accompagnait maintenant depuis quatorze ans, était devenu habituel. Un ami qu’il ne quitterait pour rien au monde.

  Le présentateur, tendant toujours le micro vers Patrick, haussa un sourcil. Lui et les spectateurs commençaient à s’impatienter.

  — Je…

  Le son était aigu, étranglé et éraillé. Cela faisait tellement longtemps qu’il n'avait pas pris la parole qu’il se surprit lui-même.

  Les autres ne pouvaient pas savoir que ce timbre, qu’ils avaient si rapidement entendu, était sa véritable voix.

  Et, quand ils auraient compris, ils riraient.

  Ils riraient pour se moquer de lui.

  C’était comme ça depuis que les garçons de son entourage avaient commencé à muer. Alors il avait trop honte de parler maintenant.

  — Je…

  Ses cheveux bruns brillaient de sueur, tandis que ses yeux s’emplirent de larmes.

  — Je suis honoré.

  La foule retenait son souffle. Tous avaient entendu sa voix de souris, qu’il essayait de cacher depuis bien des années.

  Puis tout le monde éclata de rire. Les gloussements atteignirent les oreilles de Patrick et une larme roula sur sa joue. Les moqueries de ses anciens camarades emplirent son esprit et lui poignardèrent lentement le cœur, lame par lame.

  — Vous êtes un comique, Patrick.

  Ils n'avaient toujours pas compris.

  — Non. Je… je n’ai jamais eu un penchant pour l’humour.

  Le présentateur eut l'air choqué. Le public rit de plus belle, montrant le gagnant du doigt.

  Patrick partit sans se retourner.

  On le retrouva dans un bar, sur un canapé miteux. Il était ivre mort.

  Non, il était mort ivre.

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