Où es-tu ?

Vue de Jinshi

  Sans elle, la vie ne valait pas le coup d'être vécue, mais j'avais des obligations, des devoirs, un rang élevé, qui me forçaient à rester à la cour impériale, sous l'emprise de cet horrible être qui m'avait arraché à mon amour sans aucune raison, et l'empereur refusait catégoriquement de me donner des explications quant à l'exclusion de Mao Mao de la cour impériale.

  Elle me manquait terriblement, tout en elle me manquait terriblement et m'empêchait de vivre. Avant elle, je n'étais pas vraiment moi, je l'ai découverte et je me suis découvert le jour où elle a commencé à travailler pour Dame Gyokuyo il y a deux ans, le jour où elle est devenue goûteuse pour la grande concubine aux cheveux roses. Le jour où elle est entrée dans ma vie, mon coeur a raté un battement la première fois que je l'ai vue, même si ce n'était que quelques secondes. Sa beauté, l'intelligence qui émanait d'elle, tout, tout m'a frappé en elle, sa voix, ses gestes, sa façon de marcher, tout, absolument tout. La vérité c'est que je suis fou d'elle, complètement fou de cette petite apothicaire aux cheveux verts, je suis complètement obsédé par cette fille dès l'instant où nos regards se sont croisés.

  Et maintenant qu'elle est partie sans me laisser d'explications, elle me manque tellement, elle me manque trop. Son absence a immédiatement créé un vide en moi, c'est comme si je venais de perdre ma moitié, la moitié de ma personne, cette moitié qui me maintenait en vie, qui me donnait l'envie de vivre, parce que chaque matin où je me levais, c'était juste pour la voir elle, même si à chaque fois elle me regarde comme si j'étais un SDF répugnant qui lui voulait de l'argent.

  Maintenant la vie n'a plus de goût, n'a plus de saveur, n'a plus de sens à mes yeux. Je me levais maintenant parce que seul mon devoir m'appelait, parce que j'étais obligé de continuer à sourire et d'ignorer toutes ces femmes qui se transformaient sur mon passage en monstres affamés alors que la seule femme que je voulais, c'était elle, Mao Mao.


  Alors qui suivaient ces jours de ce quotidien morbide et monotone, un matin, la donne a complété changé à la cour impériale. C'était le drame, l'annonce d'une nouvelle ère, en quelques sortes, quand nous avons retrouvé le corps sans vie d'une des concubines de plus haut rang : Lolan. Elle était morte, quand sa dame de compagnie l'a retrouvée inerte dans son lit, son corps était déjà froid, des cloques rouges étaient apparus sur son visage et sur tout son corps, gâchant son indémodable beauté éternelle.

  Les analyses ont suivies : elle avait été empoisonnée. Mais ce ne fut pas ça qui fut le plus éprouvant, mais bien devoir aller en personne l'annoncer à son père, ce si haut fonctionnaire d'un camp ennemi, Lolan était censée être le fruit d'une alliance concluante entre nos deux partis politiques, et quelqu'un venait de la tuer, sans raison pertinente à mes yeux.

-Que me vaut cette visite à une heure pareille ? a soupiré le père de Lolan, qui venait visiblement de se réveiller par sa mine encore ensommeillée.

  Il a vite saisi à ma tête d'enterrement et au silence de mort qui a suivi sa question que quelque chose n'allait pas. Il s'est alors redressé d'un coup, les yeux écarquillés.

-Cela a-t-il un rapport avec ma fille ?! s'est-il récrié, de plus en plus inquiet.

  Je me suis tourné un instant vers Gaoshun qui m'accompagnait, comme à son habitude, avant de me tourner de nouveau vers le père de Lolan pour lui faire face, le confrontant déjà du regard.

-Je vais devoir être direct, et veuillez m'en excuser... ai-je marmonné d'un air penaud, la tête baissée. Lolan est morte empoisonnée hier matin, nous nous activons à trouver le coupable mais nous n'avons aucune piste pour l'instant... Je suis sincèrement désolé, toutes mes condoléances...

  Le père de la défunte n'a pas parlé, il était bouche bée, comme s'il n'arrivait pas à réaliser, ce que je pouvais complètement comprendre. Comme si son cerveau n'arrivait pas à assimiler cette terrible nouvelle, puis une haine, une flamme de haine mêlée à la tristesse, de cette profonde tristesse que ressentait un être en deuil à qui on venait d'annoncer la terrible nouvelle, a animé ses yeux qui étaient jusque-là de ce même bleu imperturbable.

  Mais il y avait un autre message derrière : ce meurtre que nous n'avions pas contrôlé, c'était une déclaration de guerre. L'annonce que je n'aurais plus jamais la conscience tranquille tant que le coupable n'aura pas été retrouvé.














Vue de Mao Mao

Un mois plus tard...

Les morts sur les champs de bataille ne cessaient de s'accumuler, les dames qui pleuraient toutes les larmes de leur corps sur les cadavres de leur défunt mari vaillamment mort au combat, se demandant quel avenir leur réservait la vie maintenant qu'elles se retrouvaient veuves, tout ça était presque devenu un spectacle quotidien.

Je savais qu'il y était, qu'il était là-bas, en train de se battre. Je ne mourrais que d'une envie : aller soigner les malades qui espéraient un jour retrouver leur famille en étant tout entiers, ou encore retourner à la cour impériale pour découvrir le mystérieux tueur de la concubine Lolan, car l'incompétent qu'ils avaient engagé à ma place n'avait toujours pas de pistes un mois après l'annonce de cette tragédie. Je ne dis pas que je suis meilleure que lui, ce ne serait pas mon genre d'aller me vanter de mes nombreuses compétences, mais je voulais avidement avoir le fin mot de cette histoire complètement absurde. Car à cause d'un autre connard sans nom, des centaines d'hommes, d'innocents, mouraient chaque jour pour un meurtre, certes grave car d'une personne de haute importance, mais qui était plus étrange que tout. Comment Lolan aurait-elle pu se faire empoisonner ? Elle doit pourtant avoir une goûteuse ! Et ce devrait donc être cette fameuse goûteuse qui serait morte à sa place. J'ignore encore à quel point le poison utilisé était puissant, j'ignore même si c'est réellement un poison qu'on a utilisé pour la tuer... Était-ce seulement volontaire ? J'aurais toutes mes réponses si seulement on me laissait rentrer à la cour impériale...

Au lieu de cela, je m'enchaînais des hommes qui se ressemblaient tous, qui m'utilisaient tous à mon avantage et qui n'attendaient que que je leur donne du plaisir, ce pour quoi ils avaient payé. Ma réputation au sein du Palais Vert-de-Gris a vite été au centre des sujets de conversation de la vie de tous les jours, comme quoi une nouvelle prostituée faisait ses preuves au Palais tenu par la vieille folle. Je devrais prendre ça comme un compliment, que je devais plutôt être douée au lit, mais je n'aimais pas vraiment que les seules éloges qu'on me fasse soit en rapport avec mes services de pute alors que je pourrais offrir bien plus au monde si on m'autorisait ne serait-ce qu'une fois à retoucher un jour à des plantes médicinales...

La journée, je m'assurais que mon apparence était toujours parfaite et que je rentre dans les stéréotypes pour ne pas déplaire à mes clients. Je m'épilais à la cire deux fois par semaine, n'autorisant aucun poil de ne serait-ce un millimètre. Je prenais un long bain chaud avant chaque soir où j'étais demandée pour enlever toutes les impuretés et pour réduire à néant toutes ces petites imperfections qui me rendaient complètement folle. Je m'enduisais de ces crèmes aux parfums fruités qui plaisaient apparemment aux hommes, je m'habillais d'une robe différente à chaque fois, je m'efforçais de m'habituer aux odeurs de thés immondes que nous servait la vieille, je me maquillais, je me coiffais, je discutais avec mes nouvelles collègues, je soupirais en pensant à Luomen au ciel qui devait sûrement avoir honte de quoi j'étais devenue, je pleurais en secret tout le malheur que je contenais, je dansais, je chantais, je donnais mon corps, je jouissais, je gémissais pour leurs plus grands plaisirs, et je prenais cette immonde substance qui m'empêchait de tomber enceinte à chaque rapport. Je vérifiais chaque jour qu'un connard de client ne m'ait pas refilé une putain de maladie sexuellement transmissible, et la vieille nous faisait souvent passer des tests pour vérifier si nous étions en bonne santé.

Le seul avantage de travailler au Palais Vert-de-Gris, c'est que j'avais un toit où dormir (ou pour coucher avec des hommes, cela dépendait des nuits), et également que nous étions nourries et très bien traitées, nous ne manquions de rien. Contrairement à d'autres maisons où plus d'une femme souffrait de maladies vénériennes.

Mais dans ce quotidien lassant malgré mes nuits folles, mes pensées étaient accaparées à jamais et pour toujours par Jinshi. Il me manquait terriblement, pas une seconde passait sans que je craigne qu'il meure à la guerre, à cause de ce putain de meurtre de la concubine Lolan qui n'avait aucun putain de sens à mes yeux d'après ce qu'on racontait.

J'avais besoin d'être sur place pour me forger mon propre avis. Mais jamais je ne pourrais retourner sur place, jamais, sauf si on m'en offrait l'occasion, et cette occasion vint quelques jours plus tard.

Lihaku, mon héros, avait amassé assez d'argent pour acheter le grand amour de sa vie. C'était vraiment cruel de dire ça comme ça, mais c'était la triste réalité. Du moins, Pailin était désormais libre, et je ne pouvais qu'être heureuse pour celle que j'avais toujours considérée comme ma grande soeur.

-Mao Mao ?!

C'est la première chose qu'il a crié quand il m'a vu. Il n'en croyait pas ses yeux, visiblement.

-Qu'est-ce que tu fais ici ?! s'est récrié mon ami. Je me disais bien que ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vue à la cour impériale mais...

-Je travaille ici maintenant, l'ai-je coupé sèchement. Lihaku, je vais y aller directement là où je veux en arriver, mais... est-ce que tu pourrais me rendre un service, s'il-te-plaît ?

-Bien sûr ! s'est-il exclamé avec sa joie de vivre habituelle. Qu'est-ce que tu veux ?

-Que tu m'aides à rentrer dans l'enceinte de la cour impériale.

Il y a eu un petit silence où il a semblé réfléchir profondément au sens de la vie avant de hocher la tête.

-Si tu veux ! Mais... Pourquoi t'as été virée de la cour impériale ? a-t-il fini par demander.

J'ai réprimé un soupir.

-Une longue histoire... ai-je marmonné d'une voix où perçait une pointe de haine mêlée au désespoir qui me faisait toucher le fond.

Mais je dois y aller... Je dois faire quelque chose avant que tout le pays soit massacré... ai-je pensé alors que Lihaku hochait la tête. Oublions un instant que je suis virée... Que je suis loin de toi...

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