Chapitre 8 - Celui qui s'attache trop vite ✓

Ilias n'est pas spécialement grand pour son âge. Il a, en revanche, de longues jambes sveltes qui lui permettent de marcher plus vite que nombre de ses camarades. Et c'est grâce à elles qu'il atteint l'immense portail en fer forgé en quelques secondes à peine.

Il scrute la foule, met à profit les trente secondes que son avance lui offre avant l'arrivée en masse des élèves sortis en même temps que lui du bus. Nulle part, dans la courette de l'entrée, il ne repère ses amis. Soit ils sont déjà rentrés dans la cour intérieure, soit pas encore arrivés. Les connaissant, Ilias juge la seconde option plus probable, mais par précaution, il vérifie une fois encore les nombreuses têtes qui se pressent dans l'entrée. Celle-ci s'ouvre sur un couloir large et baigné de lumière, semblable à beaucoup d'autres à Harland. Quand, dans la foule, il avise un visage qu'il ne connaît pas, mais qu'il a remarqué une poignée de minutes plus tôt.

La fille aux cheveux hirsutes tire sur sa jupe alors qu'elle étudie le plan géant mis à disposition des nouveaux arrivants. Il l'a repérée quand elle a enlacé le garçon aux cheveux bouclés. Celui aux magnifiques yeux couleur ambre qu'il a fait exprès de bousculer.

Ils ne vont pas du tout ensemble, renifle-t-il sans cesser de la détailler. Elle est mal dégrossie, sans aucune grâce et ses jambes ne tiennent pas en place même quand elle est à l'arrêt. Le garçon qu'elle a embrassé, bien qu'il porte des habits quelconques, est un milliard de fois plus classe qu'elle. Quel dommage qu'il ne soit pas élève ici. Ilias est certain qu'ils seraient devenus bons amis en un rien de temps.

**

Assise à la place que son titulaire, un homme bouffi et chauve qui doit avoir au moins deux cent cinquante ans, lui a imposée, Anthéa se dandine. Ce n'est pas qu'elle souhaite particulièrement se faire remarquer, mais ça fait déjà deux heures qu'elle est assise sur cette horrible chaise en bois. Deux heures de pure torture. Et elle craint que si la situation se prolonge encore un moment, elle ne soit obligée de vivre jusqu'à la fin de ses jours avec la forme du siège imprimée sur les fesses.

Elle a bien remarqué que les autres étudiants ne bronchent pas, qu'ils restent assis le dos droit comme si cette situation était tout à fait normale, mais c'est trop difficile pour elle qui n'a jamais dû rester assise aussi longtemps. À bien y réfléchir, cela a dû lui arriver quelques fois, à l'intérieur d'une salle de cinéma ou d'un théâtre, par exemple. Mais même là, elle a toujours pu gigoter un minimum. Alors, en plein milieu de son troisième cours, celui de Mrs Ulfsson, et alors que celle-ci termine de noter au tableau le programme du premier semestre, Anthéa se lève. Elle contourne sa chaise, étend ses jambes, contracte ses muscles fessiers endoloris et s'étire.

Interrompue au milieu d'une phrase, Mrs Ulfsson fronce ses fins sourcils sur ses yeux outrageusement maquillés et la regarde faire, incrédule.

— Un problème, Miss ? lui demande-t-elle, alors qu'Anthéa fléchit les jambes et se masse sans honte aucune le bas des reins.

— J'ai mal aux fesses, Mrs, explique l'adolescente. Rester assis si longtemps sans bouger, c'est de la torture.

Si la moitié des élèves se tend face à autant d'impertinence, l'autre éclate de rire. À ses côtés, le gros garçon blond, avec qui elle n'a échangé qu'une poignée de mots semble sur le point de s'évanouir. Hadrien Tremblay est élève à Harland depuis ses onze ans et jamais il n'a vu quelqu'un répondre ainsi à un professeur.

Si Mrs Ulfsson parait dans un premier temps soufflée par l'impertinence de la jeune fille, elle se reprend aussitôt. Elle découvre ses dents blanchies au point d'en devenir quasi phosphorescentes dans un sourire mauvais et essuie ses doigts maculés de poussière de craies avec un petit mouchoir en papier.

— Si vous avez des problèmes d'hémorroïdes, Miss, c'est à un docteur qu'il faut en parler, pas à vos professeurs. Et encore moins à vos condisciples. Maintenant, rasseyez-vous et cessez de déranger le cours.

Quelques ricanements s'élèvent à travers la classe et satisfaite de ce qui s'apparente pour elle à une bonne remise en place, la femme se retourne vers le tableau. Elle commence à en effacer le contenu – et tant pis pour ceux qui n'ont pas été assez rapides pour tout recopier – quand la voix d'Anthéa retentit à nouveau. Elle n'en a pas fini avec elle.

— Je n'ai aucun problème d'hémorroïdes, Mrs. Ce sont juste vos chaises qui ne sont pas conçues pour qu'on s'y assoie. Et je peux parfaitement suivre le cours tout en étant debout. La position de mes jambes influe très peu sur ma capacité à comprendre ce qu'on me dit.

Sa mâchoire se crispe face à l'élève récalcitrante et Mrs Ulfsson se retourne une fois de plus vers la classe.
Âgée d'une quarantaine d'années, la professeure d'anglais enseigne depuis huit ans, maintenant, à Harland. Elle apprécie que la plupart des gamins viennent de familles aisées et que, bien qu'ils soient parfois hautains ou sarcastiques, jamais l'un d'eux ne se permettrait de déranger les cours de la sorte. Même les quelques élèves boursiers qu'accueille l'école chaque année se tiennent à carreau. Conscients de la chance qu'il leur est donnée de pouvoir étudier dans un tel environnement, ils se font le plus souvent discrets et bûchent dur pour se maintenir à niveau.

Ainsi, il est aisé de comprendre en quoi une élève qui refuse de s'asseoir parce qu'elle a mal aux fesses peut lui sembler mal élevée et le fait qu'elle ose lui répondre incongru.

Habitué des écoles publiques, elle sait qu'un seul élément perturbateur peut faire vriller une classe studieuse en quelques semaines. Avec difficulté, elle contient alors l'exaspération que lui inspire l'adolescente. Elle fait claquer ses talons jusqu'à elle, sa bouche aussi fine que ses sourcils pincée si fort que, même recouverte d'un demi-tube de rouge à lèvres carmin, elle pâlit sous les regards perplexes de ses élèves.

— Votre nom, grince-t-elle une fois arrivée devant le pupitre occupé par Anthéa et le garçon blond au regard fuyant.

— Anthéa Jenkins

— Miss Jenkins, ceci est le premier, et le dernier, avertissement que vous recevrez de ma part. S'il devait y en avoir un second, vous auriez le temps de réfléchir à l'inutilité de votre petite rébellion en retenue.

Anthéa fronce les sourcils, abasourdie par cette menace que la professeure n'a même pas jugé utile de déguiser. Pourtant, elle n'a rien fait de mal. Ce n'est quand même pas sa faute s'il est impossible de rester assis des heures durant sur ces chaises, si ?

— Je ne...

Alors qu'elle ne souhaite que défendre sa cause, la voix stridente de Mrs Ulfsson l'interrompt froidement.

— Faites... bien... attention... à ce que vous dites.

Elle appuie de sa voix stridente plus que nécessaire sur chaque syllabe, son regard froid et accusateur planté dans les yeux frustrés d'Anthéa. Ainsi, bien qu'à contrecœur, l'adolescente accepte de déposer les armes. Au moins pour aujourd'hui. Juste parce que ça ne le fait pas de revenir de son tout premier jour d'école avec une retenue.

Elle n'ajoute rien et se rassied. Sans quitter Mrs Ulfsson des yeux, cependant, elle fait glisser sa chaise dans un grincement insupportable jusqu'à se retrouver à nouveau face à son bureau. Le visage de la femme est traversé par toute une série de tics nerveux alors que les pieds de la chaise raclent le sol carrelé. Déstabilisée, elle n'ajoute pourtant rien et se retourne, une moue de dégoût figée sur les traits, pour rejoindre sa place, devant le tableau.


— T'es dingue ! s'exclame son voisin de table à la fin de l'heure, une fois Mrs Ulfsson avalée par les couloirs tortueux de l'établissement. Te faire remarquer dès le premier jour. Par Ulfsson, en plus ! Elle va te rendre la vie impossible.

Anthéa, qui s'est remise debout pour étirer ses muscles endoloris hausse les épaules.

— Elle a tant de pouvoirs que ça ?

Le garçon cligne des yeux plusieurs fois, fronce ses épais sourcils broussailleux. Il veut répondre, mais une fille assez quelconque, grande et voûtée, s'assied à demi sur leur bureau et l'en empêche en tendant une main franche en direction d'Anthéa.

— Très impressionnant, la flatte-t-elle avec un sourire complice. Ça fait des années que je rêve de voir quelqu'un lui fermer son clapet à cette vieille emmerdeuse. Si tu décides de te révolter contre son petit complexe d'autorité, tu peux me compter dans tes rangs. Bon, mes parents en feront une syncope si je me paie une retenue, mais mes frangins seront fiers de moi. Ce sera toujours ça de pris, je suppose. Au fait, moi, c'est Drew Reed.

Anthéa sert la main qu'elle lui tend et en un instant, elle oublie Hadrien, toujours en train de grincer des dents, inquiet à l'idée qu'elle se fasse aussi remarquer au cours suivant.

En plus d'être grande, Drew est très carrée. Pas le genre de personne à qui on vient chercher des noises à la récrée. Ou peut-être que si, à cause de cette différence justement. Mais nettement moins quand on découvre qu'elle sait utiliser ses larges poings grâce à la boxe qu'elle pratique en club depuis ses huit ans. Ses cheveux brun terne coupés aux épaules tombent en deux rideaux mouvants autour de son visage taillé à la serpe. Dans ce physique quelconque, seuls ses iris du même bleu-turquoise que les plus belles mers d'Océanie dénotent. Anomalie aussi notable qu'hypnotisante, elle ne parvient pourtant pas à détourner Anthéa d'une autre chose bien plus extraordinaire.

— Mais tu portes un pantalon ! Comment t'as fait ? Y en avait pas dans mes affaires. Je déteste cette jupe ! J'en veux un, moi aussi !

Le rictus de Drew la conforte dans l'idée que sa nouvelle connaissance est plutôt d'accord. Qu'elle aussi est assez satisfaite de rencontrer quelqu'un avec les mêmes idées.

— C'est un vieux pantalon de mon frère, lui apprend-elle. Je vais encore me prendre des remarques de la moitié des profs, comme chaque année. Mais tant que ce n'est pas spécifiquement noté dans le règlement, ils ne peuvent pas me l'interdire.

Les yeux d'Anthéa s'illuminent.

— Ça veut dire que je peux en avoir un aussi ?

— Non, la contredit pourtant Drew. Enfin, si un élève plus âgé t'en donne un, alors oui, mais sans ça, ils refuseront de t'en vendre. Parce qu'ils sont contre l'égalité.

La bouche d'Anthéa se tord en une grimace outrée et le rouge lui monte aux joues alors qu'elle se retient de piquer un scandale.

— C'est injuste, s'énerve-t-elle quand même. C'est sexiste !

— Et peut-être même illégal, confirme la fille aux cheveux bruns. Mais c'est le règlement.

Sur ce, Drew se lève pour rejoindre sa place tandis que les pas du professeur suivant résonnent dans le couloir désert.

— Je le ferai changer, grogne Anthéa au moment où l'homme fait son entrée.

— Bonne chance, lui glisse Hadrien d'une petite voix, à la fois impressionné par sa volonté et inquiet à l'idée qu'un prof ne s'imagine qu'en tant que voisin immédiat, il puisse être lié de près ou de loin à ses manigances.


Quand la pause de midi sonne enfin, Anthéa découvre avec une certaine satisfaction que Drew l'attend à la porte de leur classe. C'est donc ensemble qu'elles se rendent à la cafeteria. Leurs sandwichs « trop cher pour ce que c'est » sous le bras, elles quittent la coursive pour s'installer dans un coin de l'immense cour intérieure.

Il y a tellement d'élèves de partout. Tous habillés de la même façon à l'exception de petits détails brodés aux manches de leurs vestons et au bas de leurs pantalons et témoins de leur année. Jamais Anthéa n'a vu autant de gens se ressembler autant sans que cela ne les dérange.

Tout est trop dans cette école, réalise-t-elle. Trop grand. Trop lumineux. Trop cher. Trop ressemblant. Ça ne lui ressemble pas, tout ça. Et si elle n'était pas capable de s'intégrer, de se fondre dans la masse comme les autres ? Mal à l'aise, elle déballe son sandwich et profite de la distraction que lui apporte Drew pour tenter d'oublier son moment de spleen. C'est probablement normal de ressentir ça quand on débarque dans un nouvel environnement.

Assis seul sur un banc de pierre, son déjeuner sur les genoux, Hadrien mange sans se préoccuper du vent qui tourbillonne dans le couloir étroit où il s'est installé. Ses cheveux blond foncé virevoltent sur son crâne alors qu'il avale son repas sans lever les yeux. Tant qu'il se tient à carreaux les autres l'oublient, alors il se glisse dans le costume fait sur mesure pour lui. Le seul dans lequel il entre encore. Celui du gros garçon solitaire qui se cache pour manger, pour réfléchir, pour respirer. Il termine juste de manger quand son nom, crié depuis les tables de pique-nique à dix mètres de lui, résonne dans la galerie où il traîne seul. Anthéa, penchée à travers l'une des arches, l'invite à les rejoindre elle et Drew. Il ne veut pas attirer l'attention si bien qu'il refuse. Parce qu'en Anthéa est l'antithèse de la discrétion. Mais elle insiste tant et si bien qu'il ne faut qu'une poignée de minutes pour qu'une trentaine de têtes se soient tournées dans leur direction. Continuer à refuse entachera sa transparence plus encore que de s'afficher en sa compagnie, alors Hadrien rend les armes. Il quitte son coin tranquille et quoiqu'à reculons, s'installe à leurs côtés. Parce que ce qu'Anthéa veut, Anthéa l'obtient.

Ainsi, bien trop vite à son goût, il se retrouve embarqué dans une discussion sur les règles absurdes de l'école à faire changer. Projet auquel il ne s'opposerait pas, si on lui demandait son avis, mais dans lequel il n'a aucune envie de se lancer corps et âme. Tenir tête à l'un de ses camarades n'est déjà pas une activité à laquelle il s'adonne de bon grès. Alors imaginer qu'il pourrait en faire de même avec les professeurs, voire avec la direction, est tout bonnement absurde. Il reste pourtant à écouter ces deux révolutionnaires en herbes, happé, malgré lui, par leur volonté et l'énergie qu'elles dépensent dans ce projet perdu d'avance.

— Je vais devoir me taper tout le règlement pour être sûre, décide Anthéa. C'est la version complète qu'on nous a distribuée ce matin ?

Drew approuve d'un hochement de tête et d'une grimace.

— Je l'ai déjà fait et c'était pas une partie de plaisir. J'en ai eu besoin pour m'assurer que rien ne m'interdisait de porter un pantalon. C'est la lecture la plus chiante que j'ai faite de ma vie...

— C'est pas grave. Si ça me confirme que je peux faire quelque chose de cette jupe stupide, ça en vaut la peine.

Toute à sa réflexion, Anthéa ne remarque le petit groupe d'élèves qui les à rejoints que quand l'un d'entre eux fait mine de s'éclaircir la gorge. Sans difficulté, elle reconnaît une partie de sa classe. Des garçons et des filles aux regards arrogants et aux sourires torves. Celles et ceux qui n'ont pas ri à ses blagues, ni aux taquineries qu'elle a envoyées aux profs.

Un blond hautain s'avance alors d'un pas dans leur direction, son sourire est plus mauvais encore que ceux de son petit harem personnel.

— On voulait te souhaiter la bienvenue, minaude-t-il, insupportable. Mais il semblerait que tu ais choisi de faire partie du club des losers avant même qu'on ne te refuse l'accès à l'élite.

Dans son dos, plusieurs rires s'élèvent et Drew bondit sur ses pieds. Une jambe de chaque côté du banc en bois, elle fait craquer ses phalanges dans ses poings fermés.

— Et si t'allais chercher quelqu'un d'autre à emmerder, Ilias ?

Le garçon glousse, mis en confiance par la meute de hyènes dans son dos. Il repousse d'un geste léger ses cheveux ondulés et accorde à peine un regard à Drew.

— Je vois que tu t'es déjà trouvé un chien de garde, la nouvelle. Tu devrais tenir cette sauvage en laisse avant qu'elle ne morde quelqu'un.

Il laisse courir son regard sur Anthéa, la jauge en silence, et s'arrête avec une moue moqueuse sur ses chaussettes colorées.

— Vraiment Andréa, je sais que tu es habituée à être seule, mais tes standards ont beaucoup baissé.

— Je t'ai dit de te casser, connard, grogne Drew.

La mine patibulaire, elle enjambe le banc et avance vers Ilias d'un air prêt à en découdre. Craignant que la situation ne dégénère, Anthéa se lève à son tour. Dans son ombre, Hadrien s'est fait aussi petit qu'il en est capable. Chose rendue compliquée par sa corpulence.

— Mon nom est Anthéa, avec un T. Et je n'ai vraiment pas l'habitude d'être seule. Je ne sais pas où tu as été chercher ça.

Au regard que lui lance Ilias, Anthéa comprend qu'elle s'est trompée, qu'elle a gaffé, mais c'est trop tard pour essayer de rattraper le coup. L'adolescent s'est déjà mis à rire, aussitôt imité par ses insupportables faire-valoirs. De son côté, Drew s'est tendue, comme prête à leur sauter à la gorge, et, dans un réflexe, Anthéa lui attrape le poignet. Ce qu'elle regrette aussitôt.

— Trop drôle, s'esclaffe Ilias. Elle ne connaît même pas ton nom. Et voilà qu'elle te retient réellement. Même ta maîtresse n'a pas confiance en toi, elle craint que tu ne saches plus te contrôler.

Le visage convulsé, Drew retire sa main d'un coup sec, mais Ilias, satisfait, s'éloigne déjà, suivi par sa cour, ricanante.

— Je suis désolée, s'excuse Anthéa. J'ai voulu te retenir parce que j'avais peur qu'il te provoque jusqu'à parvenir à te faire faire un truc qui t'aurait fait exclure. Et... je savais pas que Drew était un diminutif. Désolée...

Au soupir que pousse sa nouvelle connaissance, elle craint qu'elle ne la plante là, mais Drew hausse les épaules et se laisse retomber à sa place. Elle échange un regard avec Hadrien, semble presque lui demander conseil. Mais le garçon reste silencieux.

— Il est toujours comme ça, finit-elle pas lâcher. La Reine des Pouffes en personne. Je l'aurais pas frappé, t'as pas à t'inquiéter pour ça. J'en ai vu d'autres avec lui et ses putes. Je voulais juste le faire dégager, qu'on puisse manger en paix. C'est sympa de déjeuner à plusieurs.

Fait rarissime, Anthéa ne sait pas quoi ajouter. Il est clair qu'elle arrive au milieu d'une histoire déjà bien entamée. Et si, en temps normal, elle conseillerait à Drew d'ignorer Ilias et ses attaques, elle a conscience que si celles-ci durent depuis plusieurs années, ça ne sera pas aussi facile à faire.

Elle fouille dans sa mémoire à la recherche d'une situation vaguement similaire qu'elle aurait déjà eue à gérer, mais peine à y parvenir. Quand un son inattendu sur sa droite lui fait tourner la tête.

Drew aussi a relevé la sienne et détaille avec curiosité le garçon dont les épaules tressautent alors qu'il tente de contenir un fou-rire.

— Hadrien... Tout va bien ?

D'un geste de la main, l'adolescent lui fait signe que tout roule. Puis, d'un mouvement rapide, il cache son visage dans ses bras croisés sur la table.

— T'es sûr, insiste-t-elle en interrogeant cette fois Anthéa du regard.

Liant son pouce à son majeur, il lui répond d'un OK imagé sans cesser de se bidonner.
Au bout d'une longue minute où les filles le regardent faire, incrédules, n'osant rien ajouter, ne comprenant pas ce qu'il se passe, Hadrien relève la tête de ses bras. Il y a des larmes accrochées à ses cils, et d'autres ont coulés sur ses joues rougies, mais sa bouche affiche un large sourire, ses yeux sont plus rieurs que jamais.

— La... La Reine des Pouffes, articule-t-il avec difficulté. Ça lui va trop bien. C'est Ilias tout craché.

— C'est tout ? s'étonne Drew. T'es mort de rire juste pour... ça ? La Reine des Pouffes ?

Quand elle prononce ces derniers mots, elle voit dans ses yeux verts qu'elle aurait dû s'abstenir, et un quart de seconde plus tard, il est reparti. Mais cette fois, il parvient à les contaminer et l'instant d'après ce sont trois crétins, au lieu d'un seul, qui rient à s'en faire pleurer. Un rire nerveux, pour sûr, mais aussi un de ceux qu'il est bon de partager à plusieurs.

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