Chapitre 49 - Celle qui sait toujours tout ✓
C'est le matin le plus clément de cette nouvelle année. Ni bourrasque, ni pluie, ni neige tardive. Presque une journée de printemps, en fait. Une journée idéale pour recevoir de la visite.
Quand un poing s'abat par trois fois sur la porte d'entrée, on jurerait que la maison s'ébroue après ces trop longs mois d'hiver. Ses murs vibrent, ses fenêtres s'agitent, son papier peint ondule sous l'onde de choc qui se répand.
— J'y vais ! crie une voix dans l'escalier.
Un bruit de course comme un roulement de tambour, puis la clef qui tourne dans la serrure et le craquement du bois. La brise s'invite aussitôt. Elle caresse les pavés gelés et encore humides par endroit du passage des adolescents de retour de leur jogging matinal. Elle pénètre la salle à manger, serpente entre les pieds des chaises, s'immisce dans les vieux os de la dame assise devant une grille de mots croisés.
— Mr Wand, Mr Milne ? fait la voix d'Anthéa où l'on sent poindre comme le début d'une critique. Ma grand-mère est...
— Ce n'est pas elle que nous venons voir, l'interrompt Jarrod sans même prendre la peine de la saluer. Pourrais-tu aller chercher Caleb ?
Anthéa fronce les sourcils. Elle sent à peine la tête de l'énorme chienne noire glisser sous sa main, en recherche de caresses. La tension dans l'air, en revanche, elle ne la manque pas. Et comme elle s'est immobilisée sur le seuil, en pleine réflexion, Terrence Milne se glisse devant son compagnon et s'avance dans la pièce. Un sourire qui semble honnête au coin des lèvres, il la force à reculer pour leur laisser le passage.
— S'il te plaît, insiste-t-il d'un ton doucereux.
La main toujours fermement agrippée à la poignée de porte, Anthéa reprend pied.
— Qu'est-ce que vous lui voulez ? grince-t-elle, hargneuse.
Jarrod soupire. Un soupir bref qui témoigne de son état déjà fébrile. Ce type est plus souvent sur les nerfs que Darcy, a-t-elle le temps de songer avant qu'il ne la bouscule pour entrer à son tour.
— Va juste le chercher. Mais... qu'est-ce que...
Son écharpe à demi retirée, l'homme suspend son mouvementent, les yeux rivés sur l'escalier. Anthéa voit ses taches de rousseur s'enflammer et ses cheveux roux parfaitement peignés se dresser sur son crâne. Inquiétée par cette réaction, elle se retourne et découvre avec horreur que le pendentif l'a suivie et attend son retour, en vol stationnaire au-dessus des dernières marches. Sans réfléchir, elle bondit vers lui, les bras tendus.
— C'est rien ! Juste un drone miniaturisé, il...
Elle improvise, tétanisée à l'idée de ne pas être capable de faire pousser une hélice sous le collier avant que les hommes ne s'en approchent davantage. D'ailleurs, sera-t-elle seulement capable d'apporter une quelconque modification à l'artefact, sachant qu'il possède probablement plus de magie que tous les résidents réunis ? Mais elle a à peine fait la moitié du chemin que le pendentif se remet en marche. Sous ses yeux paniqués, il fonce droit sur les nouveaux venus.
— Non ! crie-t-elle, la main levée pour l'inviter à la rejoindre.
Par chance, le pendentif répond à l'appel qu'elle formule avec toute la puissance magique dont elle dispose et il décrit un arc de cercle serré pour revenir dans sa direction.
— Où as-tu appris cela ? gronde Jarrod Wand.
Ses yeux ne sont plus que deux fines fentes d'où se déversent les flammes de l'Enfer. Son être tout entier semble sur le point de s'embraser, et pourtant, c'est la voix de Terrence qui lui fait lever les yeux dans leur direction.
— Qui t'a enseigné la magie ?
À ce moment, seulement, Anthéa remarque la main tendue de Wand, dans la même position que la sienne. Il n'y imprime qu'un infime mouvement et le pendentif, qui était presque revenu jusqu'à elle, vire à nouveau. Il fond vers eux, sera bientôt prisonnier des doigts pâles de l'homme roux.
Repoussant la sidération qui s'est emparée d'elle, Anthéa redouble d'insistance. Il est hors de question que cet horrible type fasse main basse sur le pendentif. Tous ses pouvoirs concentrés dans un point au centre de sa paume, elle lutte pour rapprocher l'artefact. Des gouttes de sueur perlent sur son front, sur ses bras, et s'accumulent entre ses omoplates avant de ruisseler le long de sa colonne vertébrale, mais rien n'y fait. Elle n'y parviendra pas. L'homme est trop fort. Sa magie supérieure à la sienne. En désespoir de cause, un cri s'échappe de ses poumons. Malgré son instabilité, la méthode karaté est la seule qu'il lui reste.
Dans l'escalier, d'autres martèlements de pas pressés retentissent. Alertés par les cris, les adolescents se précipitent au rez-de-chaussée. Débraillés, armés qui d'un crayon, qui d'un paquet de cartes à jouer, ils ont été dérangés, mais ont tous répondu présent.
Devant la porte restée entrouverte, Wand émet un grognement.
— Anthéa ! Anthéa, arrête !
Caleb saute les dernières marches et se précipite sur la jeune fille. Il lui agrippe les épaules, mais est repoussé aussitôt quand il tente de diffuser sa magie calmante à travers son corps.
Les murs se mettent à trembler et tout autour d'eux le papier peint commence à se détacher des murs. Il s'enroule sur lui-même, gondole d'une façon ridicule avant de s'écraser à leurs pieds dans un soupir étouffé par les cris.
— Anthéa... supplie le garçon, sonné par la violence de son rejet.
Dans le couloir, de plus en plus d'adolescents terrifiés s'entassent, leurs propres magies hérissées par la catastrophe en devenir. Caleb n'a pas l'occasion de retenter sa chance car une main se pose sur sa propre épaule et il se retrouve projeté en arrière. Il atterrit durement contre le torse de Darcy et couine, mais cellui-ci le remarque à peine. Une main posée à plat contre le mur, iel a fermé les yeux. Toute sa magie concentrée dans cet unique point de contact, iel tente de ne plus faire qu'un avec la maison. Ça n'a rien d'évident car c'est une magie qu'aucun d'eux ne maîtrise, mais c'est le seul moyen qu'iel a trouvé pour empêcher les murs de s'effondrer sous la crise de rage d'Anthéa qui les met tous en danger.
D'un mouvement brusque, Venacio – car c'est lui qui a repoussé Caleb – attrape Anthéa par les épaules. Les muscles de son dos se crispent à ce contact, mais il ne la lâche pas. Au contraire, il la force à se retourner et à couper le lien visuel qui la maintient au pendentif qui volette toujours entre elle et Wand. L'objet, tiraillé d'un côté comme de l'autre au point que certaines de ses plumes colorées ont commencé à s'effilocher, se laisse alors dériver jusqu'à la main de l'homme qui, aussitôt, l'enferme dans son poing.
— Non... pleurniche la jeune fille.
Elle se débat, tente de se soustraire de son emprise. Mais alors qu'il s'attendait à la voir fondre en larmes, Venacio surprend un éclat de haine pure passer dans son regard. Il n'a pas le temps de réagir, qu'elle a déjà posé une main sur son poignet. Si son premier réflexe est de reculer sous ce contact qu'il ne contrôle plus, elle l'en empêche. Son regard est fou, sa peau brûlante, et soudain il la sent s'infiltrer en lui. C'est bien plus rapide et diffus que la première fois et elle ne cherche pas à atteindre un endroit particulier. Au contraire, elle ratisse aussi large que possible. Et ça a beau être une première pour l'un comme pour l'autre, l'homme comprend sans peine qu'elle cherche à capter la magie qui l'habite. Pire, il la sent déjà se faire aspirer et lentement quitter son corps.
La panique qui s'empare de lui fige aussi bien ses membres que son esprit, mais mieux que ça, elle bloque l'action d'Anthéa. Pendant quelques secondes, aucun d'eux ne bouge. Ni les adolescents pétrifiés, ni le couple Wand, ni Venacio ou Anthéa. Jusqu'à ce qu'il croise son regard, tout du moins, et qu'il ne reconnaisse pas la flamme qu'il y lit. Aussitôt, la ponction reprend et un frisson le traverse tout entier.
— Je te l'interdis, menace-t-il alors. Tu vaux mieux que ça, Anthéa. Arrête tout de suite !
Lutter est quasi impossible, tant elle est pugnace, mais quand elle lève les yeux sur lui – son vrai regard, cette fois, pas les flammes de lave pure – il la voit hésiter. Elle se mord la joue, vacille et pendant un bref instant il perçoit sa magie reculer dans ses veines.
— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Est-ce que vous tous, vous...
Hélas, il suffit à Wand d'ouvrir la bouche une seule fois pour qu'elle reparte, plus énervée que jamais. Et il ne peut même pas lui en vouloir, à lui aussi, la voix de ce trou du cul fait le même effet.
Il se sent faiblir, incapable de résister face aux vagues distillées par Anthéa, quand une voix forte et agacée vient mettre un terme à la tornade sur le point de tout ravager.
— Arrête ça tout de suite, Anthéa, cette pauvre maison est bien trop vieille pour supporter une crise de nerfs magiques. Quant à toi, Jarrod, tu vas me faire le plaisir de me rendre ceci.
Dans le couloir désormais plus calme qu'une mer d'huile, tous se sont écartés pour regarder passer la vieille dame d'ordinaire si souriante. Ainsi personne ne manque-t-il l'envol du pendentif et sa course effrénée jusqu'à sa main ouverte.
— Impossible, souffle Terrence.
— Depuis quand ? s'énerve Jarrod, le visage rouge et les muscles bandés.
Même Anthéa en reste bouche bée. Le lien entre elle et Venacio se coupe sans qu'elle ne le décide consciemment et sa colère retombe, remplacée par une sidération nouvelle.
— Vous saviez...
Libéré de son emprise, Venacio relâche enfin l'adolescente avec un soupir apaisé. Comme tous, il ne peut s'arracher à la contemplation de la vieille dame à l'air si stricte. Au contraire de Jarrod, Vivienne n'a pas refermé la main sur la petite créature qui s'y trouve et la caresse du pouce. L'artefact s'y ébroue, semble même lisser ses plumes qu'il réarrange avec patience.
— Bien sûr que je savais. Penses-tu vraiment que vous ayez été si discrets ?
Il aimerait la voir arborer ce rictus qu'elle a toujours quand elle les mène par le bout du nez, mais son visage reste sérieux. Au fond du couloir, Wand s'étouffe de rage. Il fulmine tandis que les mots lui manquent. Même Terrence lui caresse l'épaule dans un mouvement automatique, stupéfié par cette découverte. Son air incrédule et l'absence de sourire sur son visage mal rasé le transforme en un tout autre homme que celui qu'ils ont rencontré à Noël. Un homme que même Venacio ne connaît pas.
Celui qui brise le silence, comme bien souvent, est toujours le même rouquin excité. Après avoir maugrée tout son saoul et maudit toutes les créatures vivantes en ce monde, Wand s'éclaircit la gorge. Il se force une contenance, mais sa voix déraille tout de même alors qu'il se contient pour ne pas crier.
— Comment ça, vous ? Qui possède la magie, ici ?
Quelques sourcils se haussent parmi les adolescents, et un regard discret échangé avec Venacio apporte à Terrence la confirmation de ce qu'il soupçonne depuis plusieurs minutes, maintenant.
— Ils l'ont tous. Ils ont tous la magie.
Fin tome 1
**
Les gens !
C'est la fin.
Déjà.
Et enfin.
Un an après la publication de la partie 1, nous voici arrivés au dernier chapitre de ce premier tome.
Mais qu'est-ce qui nous attend, maintenant ?
Le synopsis du tome 2 est, grosso modo écrit, mais j'ai besoin de changer des choses dans celui-ci avant de pouvoir m'y attaquer sereinement.
Cette semaine, je vais tout imprimer, relire ce qui a été fait et annoter ce qui doit être corrigé.
Je compte proposer Manoir Wand aux Wattys, donc je vais devoir m'occuper des plus gros points avant la fin de la période d'inscription (Mi-juillet ? Un truc comme ça). Je compte me concentrer essentiellement sur les chapitres à ajouter (au moins deux qui parlent d'Ilias, pour le reste je ne sais pas encore). Mais j'ai aussi l'intention de supprimer un personnage (pas un des principaux, on ne s'inquiète pas). Ce qui fait que je vais devoir réécrire les passages où il apparaît, même si, à priori, il ne devrait pas y en avoir tant que ça.
Ça me brise le cœur, mais il n'a pas su trouver sa place et si je force pour lui en faire une, ça va se sentir et ça ne fera pas naturel.
Une fois que ce sera fait, je m'assurerais une dernière fois que le synopsis me convient toujours et j'entamerais enfin l'écriture du tome 2. Si je respecte mon planning, ça devrait être aux alentours de début août, ce qui coïnciderait avec le Nano Camp d'été. Celui que je foire systématiquement. Peut-être que cette année sera différente puisque j'ai un projet concret sur lequel travailler ?
Dans tous les cas, j'espère vous retrouver d'ici la rentrée avec les premiers chapitres du tome 2.
En attendant, travaillez bien s'il vous reste des examens à passer, et profitez bien de vos vacances :)
Des bisous, les gens !
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