Chapitre 45 Celui qui ne s'attendait pas à ça ✓
De retour entre les murs protecteurs du manoir, tous les invités se retrouvent dans la salle d'étude pour se réchauffer. Au pied du sapin de nombreux cadeaux attendent leur heure, qui ne saurait plus tarder maintenant. Ilias sait qu'il n'y en a aucun pour lui, mais s'en fiche. Car d'une certaine façon, son cadeau il l'a reçu un peu plus tôt, de la part de Darcy.
Caleb est gay. Caleb est gay. Caleb et GAY, putain de merde ! Pourquoi cette tarte de Darcy ne le lui a-t-iel pas dit plus tôt ? Pas que ça change quelque chose en soi, surtout pour lui, mais c'est une information importante, non ?
Et d'ailleurs, pourquoi considérer cette information comme un cadeau ? C'est juste un renseignement comme un autre. Et son euphorie depuis une heure n'a strictement aucun rapport avec ça. Elle n'est due qu'à la couche de neige stupide qui recouvre tout en ville et au feu d'artifice idiot lancé par un vieil oncle bourré. La magie de Noël, en somme. La même que chaque année, ou presque.
Tout à ses questionnements, Ilias n'oublie pourtant pas de lorgner du côté des résidents chelous et de leurs amis. Ces abrutis s'échangent une montagne de paquets colorés plus ou moins lourds et plus ou moins volumineux. Il voit Caleb embrasser l'emmerdeuse après avoir déballé le livre tout ce qu'il y a de plus ordinaire qu'elle vient de lui offrir. Il prend aussi la vieille peau dans ses bras quand elle lui tend ce qui ressemble à une bande dessinée de mauvais goût, mais il se contente de sourire quand le type qui leur sert de prof tout aussi chelou lui offre une sorte de hand spinner ridicule. Le mec n'a pas l'air si vieux que ça et pourtant il semble bien vivre dans le passé. Ou juste très mal connaître les passe-temps des jeunes.
Assis seul dans son fauteuil, il observe encore Caleb offrir ses propres cadeaux. Généralement petits et pas très chers – peut-être même métamorphosés grâce à la magie – ils font tous mouche s'il en croit les visages ravis qui les accueillent. Et le pincement au cœur qu'il ressent quand le garçon passe devant lui sans même un regard n'a rien à voir avec le fait qu'il aurait aimé en recevoir un aussi. Qu'est-ce qu'il lui aurait offert, de toute façon ? Une paire de chaussettes ? Un bouquin trouvé d'occasion ? Une babiole quelconque ? Merci bien, mais ça n'aurait pu que dénoter dans sa chambre luxueuse.
Conscient que même ses parents ultra-occupés vont trouver étrange de ne pas recevoir ses vœux à un moment ou un autre, il ne s'autorise pas à attendre plus longtemps, affalé dans les coussins. Aucun de ces demeurés n'a anticipé sa venue en lui achetant quelque chose, de toute façon, alors autant quitter les lieux avant qu'un adulte ne remarque qu'il n'a rien à y faire.
Au-dehors, la tempête n'a pas encore repris, c'est une chance car il n'a pas été en mesure de retrouver son écharpe dans le tas de vêtements empilés sur la table de la salle à manger. La neige tombe toujours et les flocons virevoltent autour de ses bottes, mais tout est bien plus calme que quand il est arrivé. Sur le trottoir d'en face, il avise trois ivrognes qui titubent et qui seront retrouvés morts congelés au printemps si jamais l'un d'eux trébuche et les fait tous tomber. En dehors de ça, la ville est calme. C'est nouveau pour lui. Ça lui donne presque envie de faire le mur lors des prochains réveillons insipides auxquels il sera traîné de force par son père. En partant du principe que son absence n'ait pas été remarquée jusque-là surtout, sinon il risque de se payer un chaperon la prochaine fois, et toutes celles qui suivront. Jusqu'à ses dix-huit ans au moins.
Il a presque dépassé Kelpie Park quand une voix essoufflée le fait se retourner. Son prénom crié par la seule voix qu'il ait envie d'entendre en cet instant. La seule voix qu'il ait envie d'entendre la plupart du temps, en fait.
Emmitouflé dans une veste un peu trop petite pour lui, un bonnet enfoncé jusqu'aux sourcils et une écharpe enroulée bien au-dessus du nez, Caleb le rejoint en trottinant, un sac entre les mains.
— Qu'est-ce que tu me veux ? grogne Ilias, sa voix à moitié emportée par une rafale de vent.
Le garçon qui l'a suivi s'arrête face à lui, pantelant. Exténué autant par la course que les nombreuses couches de vêtements qu'il porte et qui ralentissent ses mouvements, il met quelques secondes à lui répondre.
— Vivienne a pas aimé que tu partes sans rien dire.
Ilias hausse un sourcil, ce qui accentue son air hautain et prétentieux sans qu'il n'en ait conscience.
— La vieille ? Mais on se connaît même pas.
Caleb hausse les épaules, assez peu intéressé par ses états d'âme.
— Oui, bah, elle tenait quand même à te remercier d'être passé. Tiens.
Il tend le sac en papier devant lui, mais Ilias ne fait aucun mouvement pour s'en emparer.
— C'est des biscuits fait par Harriet Reed, précise l'adolescent.
— Harriet ?
— La mère de Drew.
La grimace d'Ilias ne lui échappe pas et s'il retient un soupir exaspéré devant tant de méfiance, il ne peut s'empêcher de rouler des yeux.
— Ils étaient pour nous, à la base. Ils sont pas empoisonnés, si c'est ce qui te fait peur.
— J'ai pas peur ! s'offusque le garçon, vexé. Et pourquoi elle me refile un truc qu'on vient de lui offrir ? Ils sont si mauvais ?
Mais quelle tête de con ! C'était bien la peine d'espérer pouvoir lui parler sans les autres connards dans le coin si c'était pour l'envoyer sur les roses à chaque fois qu'il ouvre la bouche. Agacé par son propre comportement, Ilias se renferme sur lui, la mine boudeuse.
— Merde, ce que t'es chiant ! Elle en a apporté assez pour qu'on puisse ne plus se nourrir que de ça jusqu'en juin et Vivienne veut juste être gentille. Peut-être qu'elle a vu qu'Anthéa te plaît et c'est sa façon à elle de te soutenir. Maintenant prends-les, je me les caille, je veux rentrer.
Comme Ilias reste figé un moment à ne pas savoir quoi répondre, Caleb glisse de lui-même la poignée du sac dans sa main gantée. Au même instant, une bourrasque neigeuse un peu plus violente que les autres vient les bousculer et ils reculent de deux pas sous l'assaut.
— Bon, je vais y aller, hein, s'excuse Caleb, poussé par le vent glacé en direction du manoir. Rentre bien.
Le froid qui lui pique les joues aide Ilias à se réveiller. Ses doigts se ferment sur l'anse du sac et il crie à son tour.
— A... Attends ! Je... Je sais pas où t'as été cherché ça, mais Anthéa m'intéresse pas du tout !
— Bien sûr, rigole Caleb que le vent pousse toujours plus à s'éloigner de lui.
— Mais c'est vrai !
Ses yeux rieurs ont beau être craquants, ils infligent à Ilias une peine qu'il ne comprend pas. Il ne le croit pas. Il est persuadé qu'il éprouve quelque chose pour Anthéa. Quelque chose de positif. Comme si c'était possible.
— Si tu veux. Euh... C'est loin, l'endroit où tu vas ?
L'adolescent lutte contre les bourrasques, une main posée sur son bonnet, l'autre serrée contre son cœur. Encore quelques minutes et il sera gelé des pieds à la tête.
— Trois-quatre pâtés de maisons, pourquoi ?
En quelques mouvements rendus compliqué par la météo qui se déchaîne à nouveau, Caleb retire son écharpe qui révèle le sourire qu'elle dissimulait. Avec difficulté, il se rapproche alors d'Ilias et la fait glisser deux fois autour de son cou.
— T'en auras plus besoin que moi, alors.
Par inadvertance, sa main glacée frôle la joue du jeune homme qui se pétrifie. Mais déjà, il se retourne et s'éloigne sans conscience aucune de l'émoi qu'il vient d'éveiller.
— Attends ! hurle Ilias quand il retrouve l'usage de la parole. Comment je te la rend ?
— T'auras qu'à la donner à Anthéa à la rentrée. Ça te fera une raison pour lui parler.
— Je te dis qu'elle ne m'intéresse pas !
— Oui, oui. Allez, bonne nuit. Et joyeux Noël !
Dans la nuit faiblement éclairée, la silhouette de Caleb disparaît dans le blizzard et il faut une minute entière à Ilias avant de se retourner et d'en faire de même. L'odeur du garçon plein le nez, il souffre à peine de l'orage qui se déchaîne, porté sur un petit nuage duveteux, et rejoint la demeure des vieux juges bien trop vite à son goût.
Dans la salle de bal, il retrouve ses parents, les filles qu'il a fuies quelques heures plus tôt ainsi que les autres invités. Personne ne semble avoir remarqué son absence, aussi s'installe-t-il devant la cheminée ouverte. Pressé de découvrir le goût de cet extraordinaire Noël, il déballe son cadeau et s'empiffre jusqu'à la fin de la soirée.
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