Chapitre 34 - Celui qui arrondit les angles
Les semaines qui suivent voient Venacio éviter Anthéa comme la peste. Il s'arrange pour ne jamais être disponible lors des entraînements et prétexte du travail urgent dès qu'elle pose un orteil dans la bibliothèque. Caleb sait que la situation pèse à la jeune fille et il compatit à sa peine, mais elle lui offre aussi l'occasion qu'il attendait depuis fort longtemps pour se rapprocher du référent. Car Anthéa a beau être la personne la plus fantastique qu'il connaisse, elle est si exubérante et sans retenue qu'il est difficile – pour ne pas dire impossible – de sortir du lot quand elle se trouve à vos côtés.
Ainsi, en attendant que leur petite querelle s'essouffle, Caleb passe-t-il tous ses après-midi en sa compagnie. Sous prétexte de récupérer auprès de l'homme ses astuces de scientifiques dans le but d'apprivoiser leurs magies, il lui pose mille questions et absorbe toutes les connaissances qui sont mises à sa disposition. Lui qui n'a jamais été attentif en cours de science se révèle au final plutôt bon élève.
Il ne le harcèle pas non plus, attention. Bien que ça ait fonctionné pour Anthéa lors de son arrivée, Venacio l'impressionne toujours bien trop pour qu'il s'y essaie lui-même. Souvent, il se contente de s'entraîner dans le labo ou de profiter de sa présence dans la bibliothèque. Comme ce soir, par exemple, alors que son amie, collée une nouvelle fois, ne rentrera pas avant deux bonnes heures.
Assis à même le sol, devant la table basse, Caleb se concentre. Il veut que la veste rouge du garde royal en bois qu'il tient dans les mains vire au bleu, mais transformer la forme ou la couleur des choses reste une discipline compliquée pour lui. Il a beau tenter de son mieux d'associer ses maigres connaissances en physique à ses envies, il ne parvient que rarement à avoir un impact sur le monde et les objets qui le composent.
Ce n'est pas qu'il est nul – en-tout-cas, il l'espère – juste que sa magie ne semble pas aller dans cette direction d'elle-même. Il voit chaque jour que les autres résidents bloquent aussi sur certains aspects de la magie, et ça le rassure un peu. Néanmoins, ce soir, la situation le fait soupirer et il abandonne la figurine pour jeter un coup d'œil à la ronde.
Venacio est plongé dans l'un des classiques de la SF qui garnissent les étagères de la bibliothèque et que Caleb a déjà dévoré il y a plusieurs semaines de ça. Zia et Hadrien sont agenouillés devant un pot de fleurs d'où sortent trois grosses tiges nues. Ils se sont rapprochés en découvrant qu'ils partageaient la même affinité avec le jardinage. Les talents naturels d'Hadrien couplés à la volonté tenace de Zia font que la serre n'a jamais donné de plus beaux et gros légumes qu'aujourd'hui. Les fleurs sur la table de la salle à manger ont aussi arrêté de faner depuis que le garçon les complimente à chacune de ses venues, ce qui ne semble étonner ni Charlie, ni Vivienne. Du moins, pas encore.
Depuis quelques jours, maintenant, les deux botanistes en herbe se sont donnés pour objectifs de créer une toute nouvelle sorte de plante en croisant celles qu'ils sont déjà parvenus à faire pousser, mais le design et l'utilité de celle-ci est encore sujet à débat entre eux.
Leur amitié nouvelle déplaît à Darcy qui craint qu'Hadrien ne blesse Zia si leur relation évolue vers autre chose. Ses accès de colère exacerbent sa magie, aussi Caleb le garde-t-il à l'œil depuis quelques jours. C'est que les objets cassés commencent à s'accumuler autour d'ellui, et si ça change de ceux qu'il casse, lui, avec sa maladresse, laisser Darcy perdre le contrôle c'est risquer de voir quelqu'un découvrir ce qu'ils cachent tous.
C'est pour ça qu'il se relève quand Hadrien pose sa main sur celle de Zia tandis qu'il lui montre une quatrième jeune pousse qui vient juste de percer la surface. L'air de rien, Caleb contourne le fauteuil où Darcy a arrêté de pianoter sur son ordinateur portable. Il s'accroupit et fait mine de chercher un livre dans la bibliothèque, puis pose son avant-bras sur l'accoudoir pour se relever avec un ouvrage quelconque. Le côté de la main en contact avec le poignet de Darcy, il ferme les yeux un très court instant, juste assez pour lea délester de sa rage et la remplacer par une sensation proche de celle ressentie après une bonne séance de méditation.
Le faux cuir du fauteuil grince et Caleb rouvre les yeux. À côté de lui, Darcy a aussi fermé les yeux, ses muscles se sont relâchés et un soupir apaisé s'échappe de ses lèvres à demi ouvertes.
Satisfait, Caleb termine de se remettre debout. Il fait un pas pour retourner à sa place quand il croise les yeux de Venacio. Une ride prononcée lui barre le front et l'adolescent voit ses lèvres se pincer avant que l'homme ne déplie les jambes et referme son livre sans même noter la page où il s'est arrêté.
Il se lève et détourne les yeux, l'air contrarié. Pourtant, au moment de sortir, il marque un arrêt.
— Caleb, je peux te parler un moment ?
Dans le laboratoire, Venacio le fait asseoir sur l'un des tabourets hauts et prend place face à lui.
Mal à l'aise, Caleb triture la couture sur le côté de sa cuisse. Il n'a pourtant rien fait de mal, il ne devrait pas craindre de se faire réprimander, mais c'est plus fort que lui.
Pas plus à l'aise que lui, bien qu'il le cache mieux, Venacio soupire et se gratte le crâne, libérant au passage quelques mèches de cheveux mal attachées.
— Tu ne peux pas continuer à faire ça, lâche-t-il.
— Je ne vois...
— Ce que tu as fait à Darcy, le coupe l'homme. Ce que tu m'as fait, à moi, quand vous m'avez appris l'existence de la magie.
L'attaque à ongles armés sur la couture de son jean s'intensifie, mais Caleb ne confirme ni n'infirme rien. Quel mal y a-t-il à calmer les gens s'il en a la possibilité ?
— Ce que tu as fait au gamin Adderley et dont tu portes toujours les marques sur les mains, insiste Venacio.
Caleb relève la tête, outré.
— Ce n'est pas ma magie qui a fait ça ! C'est celle d'Ilias.
— Donc, tu vois.
Grimace, tête qui se baisse, yeux qui fuient le regard bleu inquisiteur. Caleb s'est vendu.
— Je fais rien de mal, se défend-il d'une voix boudeuse.
— Tu l'empêches d'apprendre à se contrôler.
— Mais iel ne maîtrise pas sa magie, ni ses excès de colère...
Venacio soupire, il a l'air embêté. En pleine réflexion, il se lève, fait quelques pas et revient s'asseoir à demi sur une des tables de travail. D'une voix calme, il s'explique alors.
— Aucun de nous ne maîtrise sa magie, Caleb. Et le fait de l'apaiser à chaque contrariété ne va pas l'aider, au contraire. Est-ce que tu imagines les dégâts qu'iel pourrait faire en cas de colère intense s'iel n'a même pas pu apprendre à contrôler ses pouvoirs lors de petits désagréments ? Je suis sûr que tu n'as pas envie de lea voir foutre le feu à une école primaire le jour où iel surprendra Zia en train d'embrasser quelqu'un.
Les yeux exorbités, Caleb le dévisage un moment avant de déglutir bruyamment.
— J'avais pas pensé à ça...
Venacio hoche la tête, compréhensif.
— Ça te fera du bien aussi de lâcher prise. J'ai vu que tu ne faisais pas ça qu'avec Darcy, ajoute-t-il en voyant l'air circonspect du garçon. Tu n'aides personne en remplaçant tous les sentiments négatifs par un shot de zen.
Perché sur son tabouret, Caleb se renfrogne. Lui qui pensait avoir été discret s'est au final fait griller par celui qu'il pensait le moins investi dans la vie du manoir.
— Je suis pas d'accord, marmonne-t-il. Simran passe plus de temps avec nous depuis que je le fais. Elle est moins sur le qui-vive. Et Hadrien aussi s'ouvre plus.
Les jumeaux, Marlow, et bien sûr Anthéa n'ont pas besoin de ça pour être bien dans leur peau et extravagants. Venacio, il n'ose juste pas le toucher. Quant à Drew, vu la façon dont elle continue à le regarder, il n'a jamais vraiment essayé de s'en approcher.
Pensif, le référent met quelques secondes à lui répondre. Il a le même air que celui qu'il aborde quand l'un des résidents lui pose une question sur un domaine qu'il ne maîtrise pas assez bien à son goût. Dans ses yeux, Caleb croit voir passer une pointe de panique, puis l'homme se ressaisit et relève la tête vers lui.
— Je ne dis pas que tu ne dois plus te servir de tes pouvoirs pour apaiser tes amis, mais la moindre des choses serait de leur demander leur consentement avant de le faire, tu ne crois pas ?
Ouch ! Caleb n'a jamais vu les choses sous cet angle-là, mais il est vrai que s'il a tenté d'être discret jusque-là, c'était pour éviter que les autres ne refusent son aide ou ne prennent peur. Sauf que dit comme ça, avec ses termes-là, il se donne l'impression d'être un abuseur.
Les larmes au bord des yeux, il crispe ses mains sur ses cuisses et pince le tissu si fort entre ses doigts que ses articulations en blanchissent.
— J'avais aucune mauvaise intention en le faisant, geint-il.
— Je sais.
Le silence qui s'installe entre eux n'est pas de ceux qu'on peut laisser durer sans en ressentir un malaise, si bien que Venacio fini par le relancer.
— Qu'essayais-tu de faire avec ton casse-noisettes ?
— Oh, euh, juste en changer la couleur...
L'homme semble surpris.
— Tu as toujours du mal avec ça ?
Penaud, Caleb approuve.
— OK, je crois qu'il est grand temps que je vous donne un cours sur les longueurs d'onde. Va voir si d'autres en ont besoin, tu veux ?
Cinq minutes plus tard, sans grande surprise, tous les gosses sont réunis dans les fauteuils de la bibliothèque à écouter la théorie devant leur permettre de transformer n'importe quelle couleur en une autre en jouant sur sa longueur d'onde.
Leur terrain de jeu du jour ? Une caisse descendue du grenier par Caleb et Anthéa et remplie à ras bord de décoration de Noël datant du siècle dernier. Gardes royaux, rennes et Pères Noël en bois profitent de l'exercice pour retrouver un semblant de jeunesse entre les mains malhabiles des apprentis ensorceleurs.
Quand, deux heures plus tard, les fenêtres de la bibliothèque vibrent pour annoncer le retour d'Anthéa, Venacio les prie de l'excuser. Maintenant qu'ils ont compris la théorie, ils seront parfaitement à même de pratiquer seuls, de toute façon.
Caleb n'a pas le temps de l'intercepter que l'homme a déjà décampé, alors il le suit dans le laboratoire où celui-ci vit reclus dès que l'adolescente est à la maison. En silence il pousse la porte et l'épie alors qu'il s'affaire autour de ses diverses expériences en cours. Du rez-de-chaussée, lui parvient la voix d'Anthéa en grande discussion avec sa grand-mère. Aucune raison de se presser, donc.
Il patiente dans l'entrebâillement de la porte, et contemple la silhouette de l'homme qui s'active, ignorant tout de la fascination qu'il éveille en lui. Ainsi, quand Venacio se retourne, il est surpris de le trouver là.
— Caleb ? Tu as autre chose à me demander ?
L'adolescent hésite, mais la voix d'Anthéa qui se fait plus forte, signe qu'elle s'est déplacée dans l'entrée et ne tardera plus à monter, le pousse à entrer et à refermer la porte derrière lui. Il bafouille, contourne une table, s'assied sur un tabouret puis soupire, ses pieds ballottant dans le vide. Au prix d'un effort surhumain, il en redescend et retourne vers la porte. Avant de la franchir, il soupire une fois encore et se retourne enfin alors que l'homme le regarde, circonspect.
— Cette situation... il faut y mettre un terme.
Venacio fronce les sourcils, mais n'a pas le temps de lui demander plus d'informations car Caleb reprend.
— Avec Anthéa. Elle m'a dit ce qui s'est passé. Ses intentions n'étaient pas plus mauvaises que les miennes, alors réconciliez-vous.
**
Les gens !
J'ai l'immense plaisir de vous annoncer que j'ai terminé d'écrire le premier jet !
Il fait 48 chapitres, et bien que je doive encore repasser dessus pour le corriger une première fois avant de vous poster la suite, il a le mérite d'exister en entier.
Je vais profiter du mois de mars pour écrire et programmer un peu de contenu pour mes réseaux (parce qu'ils ont été laissé à l'abandon depuis le début de l'année et que c'est une très mauvaise stratégie), mais aussi pour préparer mon synopsis de travail du tome 2.
Pendant le Nanocamp d'avril, je vais très probablement travailler sur un tout autre sujet (un one-shot court), parce que j'ai besoin de sortir un peu de cet univers, mais aussi pour pouvoir laisser reposer un peu mon plan dans l'optique de l'améliorer. Mais dès qu'il sera terminé (le Nano), je m'attaquerais au tome 2.
Je vais juste éviter de faire les mêmes erreurs qu'avec le 1er, c'est-à-dire m'épuiser mentalement en speed-runnant les 50 000 premiers mots ou en m'illusionnant sur le fait qu'il pourrait n'en faire que 70 000 en tout (la version actuelle du 1 en fait dans les 130 000).
J'ai déjà commencé aussi à réunir toutes les notes que j'ai prises, que ce soit dans mes fichiers de travail sur le tome 1 ou dans divers carnets (j'ai aucun ordre, oskour !)
Bon, et aussi il ne devrait plus y avoir d'interruption dans la publication. On est parti pour quelques semaines où tout devrait rouler.
Des bisous les gens !
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