Chapitre 32 - Celui qui donne de lui-même
Le trajet jusqu'au manoir est silencieux, presque aussi lourd que l'air où flotte comme un parfum de reproches. C'est la première fois depuis qu'il en a la charge que les gosses font quelque chose qui nécessiterait une vraie punition. Or, bien qu'il soit toujours furieux contre eux, Venacio n'a jamais eu à faire ça, et n'a aucune idée de ce qui est attendu de sa part en pareille circonstance.
Comme il se fait tard, il a refusé de laisser partir seuls les trois Reed et le gamin Tremblay, mais a profité d'un détour de cinq minutes à peine pour déposer Marlow Murray chez lui. La maison plongée dans le noir lui a évité d'avoir à prévenir ses parents sur le champ, mais Venacio se demande s'il devra le faire le lendemain ou non. En réalité, les gamins ne sont pas vraiment saouls, et à l'exception de Caleb, il n'en a surpris aucun en train de fricoter avec un type bien trop âgé. Alors, une sanction est-elle bien nécessaire ? Et en même temps, aucun d'eux n'avait quoi que ce soit à foutre dans un bar. Si au moins ils s'étaient contenté de boire une bière assis dans un parc, comme il le faisait, lui-même, à leur âge.
À peine le seuil du manoir franchi, il les envoie se coucher, leur promettant une discussion, dont lui-même ignore tout du contenu, dès le lendemain. D'ici là, il aura bien trouvé comment les faire s'amender. En-tout-cas, il l'espère.
Les gamins se dispatchent alors dans les chambres disponibles. Drew s'accapare le côté droit du lit double d'Anthéa, les jumeaux déroulent deux matelas de secours chez Darcy et Hadrien se retrouve à partager la chambre de Caleb, un autre matelas disposé pour lui devant la porte-fenêtre. Zia et Simran, ayant choisi de rentrer après la séance de cinéma initialement prévue, n'accueillent personne puisqu'elles dorment déjà.
Fatigué par toute cette animation, mais pas assez pour aller se coucher à son tour, Venacio redescend s'enfermer à la bibliothèque. Il n'y est pas depuis cinq minutes que la porte s'entrouvre sur le visage chiffonné d'Anthéa.
N'importe qui d'autre lui aurait demandé l'autorisation d'entrer, mais pas elle. L'homme soupire quand il la voit refermer le battant derrière. Il ferme les yeux, espérant naïvement, qu'elle comprendra le message, mais quand il sent le divan s'affaisser à ses côtés, il les rouvre, agacé.
— Désolée, souffle-t-elle. Je crois que la soirée m'a un peu échappé.
L'homme répond par un grognement, mais elle n'y prend pas garde et continue.
— Il était encore tôt quand le film s'est terminé. Tout le monde s'amusait bien, je voulais juste profiter un peu plus longtemps de mes amis. J'avais jamais fêté un anniversaire comme ça, tu sais ? Faut dire que j'ai jamais eu autant d'amis d'un coup puisqu'on déménageait tout le temps.
Son ton n'est pas plaintif, en même temps, ce n'est pas dans son caractère de chouiner pour un rien, et Venacio la respecte pour ça. Sa vie jusqu'à aujourd'hui a été géniale sur bien des points et Anthéa le sait. Elle ne se permettrait pas de se plaindre pour les quelques désagréments mineurs que ce mode de vie a occasionné.
En fait, Venacio a l'impression d'un peu comprendre. Elle est habituée à tout tester, à créer des occasions et à ne jamais refuser une nouvelle expérience. Sachant cela, il était à prévoir qu'elle dirait oui à toute proposition nouvelle émanant de ses amis.
— Vous n'avez pas l'âge pour boire, la réprimande-t-il quand même.
Elle hausse les épaules.
— C'était qu'une bière. Et personne était bourré.
Qu'une bière ? Pour quelqu'un qui veut tout tester, elle prend ça bien à la légère.
— Ce n'était pas ta première ?
Ce n'est qu'à moitié une question. Il commence à suffisamment bien la connaître.
— Non.
Il le savait.
Alors qu'il se laisse aller contre le dossier du canapé, Venacio ferme les yeux à nouveau et laisse échapper une longue expiration.
— Tes parents sont trop laxistes.
La remarque la fait sourire, ce qu'il entend dans sa voix quand elle répond.
— C'est sûr.
Pendant quelques minutes, aucun d'eux n'ajoute rien et ils se laissent juste bercer par leurs propres respirations jusqu'à un état proche du sommeil. Ainsi, quand la voix de l'homme brise le silence, Anthéa se retourne vers lui, l'air un peu surpris.
— Caleb...
Il comptait lui reprocher le comportement du garçon, mais ce serait injuste. Elle n'a aucune obligation de le surveiller. Ça, c'est son boulot, à lui.
— Je l'aurais pas laissé quitter le bar avec ce type, confie-t-elle. Mais je suis pas sa mère, je peux pas lui dire comment gérer sa vie.
Ainsi, elle gardait quand même un œil sur lui. Ça ne l'étonne pas et Venacio se sent honteux d'avoir voulu lui reprocher cela.
— Je doute qu'elle lui aurait interdit quoi que ce soit, laisse-t-il échapper.
La gamine fronce alors les sourcils, une ride prononcée lui barre le front et elle repousse ses cheveux fous derrière ses oreilles, en attente évidente d'une suite.
Aussitôt, Venacio comprend son erreur. Il s'éclaircit la gorge et parcourt la pièce du regard à la recherche d'un sujet, qu'importe lequel, qu'il lui suffira d'agiter sous son nez pour la distraire.
— Je pensais qu'on ferait une fête pour toi ici, au manoir, lâche-t-il, au final, peu sûr de lui.
Dubitative, elle l'observe quelques secondes avant d'ouvrir la bouche pour protester, mais change d'avis au dernier moment.
— C'est ce qui était prévu, mais on a eu envie de sortir... Je suis désolée, j'aurais dû t'inviter.
D'un mouvement du poignet, il balaie ses excuses, les jugeant inutiles.
— J'ai le double de votre âge. Je n'ai rien à faire dans vos sorties.
— Tu es mon ami, corrige-t-elle.
— J'aurais surtout été votre chaperon.
Elle hausse les épaules et il comprend à son sourire qu'elle va le moucher.
— Ça aurait pu être sympa quand même. Et on ne serait jamais entré dans ce bar.
La peste.
— J'ai un cadeau pour toi, avoue-t-il, désireux de l'éloigner également de ce sujet. Mais il est passé minuit, ce n'est plus ton anniversaire.
Anthéa bondit sur place, une réelle lueur d'intérêt allumée dans le regard.
— Donne-le-moi !
Au final, ce sont souvent les solutions les plus simples qui fonctionnent le mieux et Venacio savoure sa victoire, aussi infime soit-elle.
— Non, c'est trop tard. Tu devras attendre l'année prochaine.
— Alleeeeez ! supplie-t-elle, aussi agitée qu'une truite hors de l'eau.
Elle veut lui secouer l'épaule, mais se retient avant de le toucher. Les doigts enfoncés dans le dossier du canapé, elle s'agite de plus en plus à mesure qu'elle perd patience. Il pourrait la torturer encore un peu, mais ça n'aurait pas grand intérêt. Au contraire, elle risquerait de se lasser de ce jeu pour revenir sur l'un des deux autres sujets.
— Bon... abdique-t-il alors, en glissant la main dans sa poche de pantalon.
Dans sa paume, un minuscule cadeau emballé dans du papier holographique étincelle. D'un regard, Anthéa s'assure qu'elle a bien le droit de le prendre, et un instant plus tard, elle sort de la petite boite un bracelet à priori assez ordinaire. Composé d'une chaînette en métal noir, il est décoré d'un anneau translucide au centre duquel flotte un minuscule cube sombre.
À l'exception du collier magique qui ne la quitte que rarement, l'adolescente n'est pas très portée bijou, mais le simple fait que l'homme ait pensé à lui offrir un cadeau semble la rendre heureuse. Souriante, elle le glisse à son poignet.
— Merci.
— Tu n'as aucune idée de ce que c'est, l'accuse Venacio.
— Un bracelet ?
Il ignore si elle se moque de lui ou s'il s'agit juste d'un trait d'humour, alors il passe sur sa réponse impertinente. De l'index, il désigne le donut de pierre blanchâtre.
— Le tore est taillé dans le diamant, et je t'arrête tout de suite, les diamants ne sont en aucune façon rares sur Terre. De toute façon, celui-ci a été façonné en labo, donc même si les autres l'étaient, ce ne serait pas le cas de celui-ci. Le cube en son centre, en revanche, est la seule occurrence d'hydrogène métallique présente sur cette planète.
Dubitative, autant par la tirade inattendue que par l'information qu'elle a révélée, Anthéa approche le bijou de son visage et l'analyse avec attention. Il ne paie pas de mine, vraiment. Tout au plus, le fait que le cube semble être en apesanteur au centre du disque peut-il soulever quelques questions, mais en dehors de ça...
— Si on te pose des questions, tu expliqueras qu'il tient en place grâce à une forte force magnétique. Ça existe pour la déco, pourquoi pas pour les bijoux ?
Alors qu'elle ouvre la bouche pour demander plus d'explications, il l'interrompt. Il s'attendait à des questions et son speech est prêt.
— Cet état de la matière n'existe pas sur Terre, mais on pense depuis plusieurs années que ça pourrait être le cas sur Jupiter. Sans labo et sans financement, je n'avais aucune chance de bosser sur ça un jour, mais après les quelques... anomalies qui se sont passées il y a deux mois, j'ai tenté une ou deux expérimentations.
Il marque une pause. Plongé dans des souvenirs par si lointains, il secoue la tête de gauche à droite alors qu'il se mordille l'intérieur des lèvres.
— Elles ont abouti à cette découverte que je ne peux partager avec personne, avoue-t-il la mine triste, car sans magie j'aurais été bien incapable de la faire.
Plus qu'une ou deux expériences, c'est en réalité quinze jours qu'il a passé, quasiment sans dormir, pour réunir les conditions nécessaires à l'apparition du phénomène. Et trois semaines supplémentaires pour parvenir à le stabiliser.
— Il est possible qu'un matin tu découvres que le cube s'est volatilisé, s'excuse-t-il. Je ne sais pas s'il peut vraiment durer ici. Dans tous les cas, sa sublimation, si elle doit avoir lieu, ne représentera aucun danger pour toi. Le métal redeviendra simplement gazeux.
Pendant qu'il parlait, Anthéa s'est approchée de lui et il croit un instant qu'elle va le prendre dans ses bras pour le remercier, mais au dernier moment, elle s'abstient. Au lieu de ça, elle lui sourit et recule jusqu'à l'accoudoir du canapé, où elle grimpe avant de l'enjamber. Alors elle se lève, le contourne et va s'asseoir au piano.
— C'est un cadeau d'une valeur inestimable, si je comprends bien. Dans ce cas, laisse-moi te remercier d'une façon un peu... audacieuse ? Tu peux m'accompagner, si tu veux.
D'un mouvement de la tête, elle lui désigne la guitare, sur laquelle une fine couche de poussière s'est déposée, preuve que personne au manoir n'y touche jamais. Dubitatif, Venacio lève un sourcil et croise les bras sur son torse en se renfonçant dans son siège.
— Je ne sais pas jouer, lui apprend-il.
— Mais bien sûr.
Plus suspicieux encore, il va l'interroger sur la signification de tout ceci, mais déjà, les doigts de la jeune fille ont commencé à faire vibrer les cordes reliées aux touches d'ivoire.
Son cœur se serre avant que le souffle ne vienne à lui manquer et que l'information soit traitée par son cerveau. Il faut dire que le souvenir qui y est associé remonte du fond des âges. Ou presque.
En un bond, Venacio est sur ses pieds. Deux pas, seulement, et il se trouve à côté d'elle. Quand ses genoux flanchent, il se retient d'une main sur le haut du piano. Et cette musique qu'elle continue à jouer et qui emplit ses oreilles jusqu'à la nausée.
— Comment...
Il ne peut poser la question en entier. Et elle ne peut avoir une réponse satisfaisante à lui apporter. Sa main libre se crispe sur le couvercle et il l'abaisse, obligeant la gamine à retirer ses doigts si elle veut pouvoir continuer à s'en servir dans un avenir proche.
La musique s'arrête, et le regard qu'elle lui décoche est perplexe.
— Je pensais que ça te ferait plaisir, s'excuse-t-elle presque.
— Comment ? répète-t-il plus fort.
**
Hey les gens !
Petit retard, comme vous avez pu le remarquer (mais j'ai prévenu sur Insta et dans l'onglet conversations) parce que j'ai chopé... le covid -_- Yes !
Après trois ans à passer au travers fallait bien que ça finisse pas m'arriver, je suppose ^^"
J'ai été pas bien pendant deux jours, mais là ça va mieux, ça ressemble à une fin de gros rhume (sauf pour la semi perte de goût, ça fait pas ça, un rhume...)
Enfin, ça m'a fait perdre du temps, cette connerie. Faut vraiment que je retrouve le rythme d'un chapitre par jour, histoire de terminer le premier jet ce mois-ci. Je veux vraiment y arriver ^^
Allez, des bisous, les gens !
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