Chapitre 26 - Celui qui expérimente

Enfin, ces vacances interminables sont terminées.
Sur le chemin qui le conduit à Harland, Ilias traîne la patte. Le simple fait de prendre le métro l'a empli de terreur. Et si ça se produisait à nouveau ? Et si une nouvelle chose prenait feu autour de lui ?

Après ce qui s'est passé avec son père – et surtout avec sa porte – il n'a plus osé sortir de chez lui. Quinze jours durant, il s'est terré dans sa chambre, prétextant un gros travail scolaire pour qu'on le laisse en paix. Il aurait dû très vite se lasser de cet état de fait, de cet enfermement, mais la crainte de voir se reproduire une telle chose a été la plus forte.

Cacher l'incident à ses parents n'a pas été très compliqué. En effet, aussitôt l'enterrement terminé, sa mère a repris l'avion, direction Los Angeles, où se déroule l'action de son prochain film. Quant à son père, quand Ilias s'est réveillé, le jour suivant leur altercation, il était déjà parti. Le garçon n'a alors eu qu'à contacter un menuisier, lui promettre un dessous-de-table conséquent s'il le faisait passer en priorité, et le payer avec une infime portion de ce que représente, déjà, sa fortune personnelle. Heureusement qu'il est parvenu à faire plier sa mère quand celle-ci a voulu attendre ses seize ans avant de lui donner les accès au compte qu'elle alimente pour lui depuis sa naissance.

Le ventre noué, il attend avec un groupe d'élèves qu'il ne connaît que de vue que le feu passe au vert. Être dehors lui fait du bien. Le vent dans ses cheveux, sur ses joues pâles. L'air chargé de particules fines, celui-là même qu'il respire depuis sa plus tendre enfance, circulant dans ses poumons. Et ce froid qui commence à se faire sentir et a traverser le tissu épais de son blazer hors de prix. Tout ça lui avait manqué. Retrouver l'école, les cours, ses amis, la normalité en somme, lui procure si pas du plaisir, au moins une certaine forme de confort. Pourtant, être ici, au milieu de tout ces gens, le terrifie également. Il ne sait pas pourquoi ça a eu lieu. Il n'est même pas sûr d'y être pour quelque chose. Mais si ça se reproduisait ?

Il remarque à peine qu'il passe le portail, qu'il traverse l'aile administrative, qu'il entre dans la cour. Personne ne l'a encore intercepté. Où sont ses amis quand il en a besoin ?

Cherchant à s'isoler, et ce, pour la première fois de sa vie, il contourne le grand espace bondé d'enfants et d'adolescents interchangeables. Il va se glisser dans un recoin peu peuplé, quand une fille se met à crier à deux mètres à peine de lui.

— Mais qu'est-ce que... Aah ! Mais c'est dégueu ! Reed, bordel !

— Désolé, crie une autre voix sur sa gauche. C'est pas toi que je visais.

Des rires fusent alors que la substance visqueuse lancée par l'abruti s'écoule de l'épaule de sa camarade et que celle-ci recommence à crier en découvrant les dégâts occasionnés à son blazer par la blague potache. Tout en courant pour éviter la sanction que la fille semble vouloir lui administrer, l'adolescent réitère son exploit et Ilias le vois alors très clairement expulser un jet de matière blanche de son poignet, à la manière de Spider-Man.

Cette fois, encore, le filin s'abat à quelques mètres à peine d'où il se trouve et Ilias comprend que c'est lui qui est visé. Ulcéré par cette mesquinerie tout autant que par le débile dont elle émane, il pivote sur ses talons et fonce droit sur son attaquant. Celui-ci semble déjà recharger son gadget stupide, mais avant qu'aucun d'eux n'ait eu le temps d'agir, cette emmerdeuse d'Anthéa s'en mêle. Elle saute sur le jumeau – Tic ou Tac, comment pourrait-il faire la différence ? – et lui agrippe le bras avec force.

— Crétin ! l'entend-il grogner alors qu'elle lutte avec le garçon quelques secondes.

Quelle arrogante petite conne. S'il y a une chose qu'Ilias déteste plus encore que de se faire emmerder, c'est que sa pire ennemie prenne sa défense. Elle l'a pris pour un chaton abandonné ou elle essaie juste de prouver une fois de plus qu'elle est meilleure que tout le monde ? Changeant de cible, Ilias la retient d'une voix agressive alors qu'elle s'en retourne déjà auprès de sa camionneuse moche et de son gros lâche stupide.

— Je peux régler mes problèmes tout seul, Anthéa ! Je t'ai rien demandé, alors t'avises plus de t'interposer comme ça.

Pendant une fraction de seconde, il jurerait l'avoir vue décontenancée, un peu comme si elle remarquait seulement sa présence. Un bref coup d'œil anxieux du côté des jumeaux, qui ont été rejoints par leurs amis à qui ils font une nouvelle démonstration de leur bracelet stupide digne des plus cheap Happy Meal, et elle repose un regard bien plus acéré sur lui. Instantanément, il regrette de ne pouvoir lui faire ravaler son sourire suffisant sans risquer l'exclusion.

— Tu peux juste dire merci, aussi.

— Y a vraiment pas de raison. Arrête de te croire indispensable. Je gérais très bien tout seul.

Elle ricane et est très vite rejointe par sa bande de demeurés. Il va la frapper. Ou, mieux, la carboniser. S'il y a ne serait qu'une seule petite chance sur dix mille pour qu'il soit bel et bien à l'origine de l'incident de la porte, c'est le moment de récidiver.

Elle va prendre feu sous ses yeux. S'il se concentre suffisamment, s'il la déteste avec assez d'intensité, il parviendra à accomplir ce miracle. Le sol autour d'elle commence déjà à fumer. Probablement la pluie de cette nuit qui entre en ébullition. Et personne ne remarque rien.

Ses intestins se tordent et se rebiffent. Il aura bientôt l'impression qu'il va vomir. Oui, c'est comme la dernière fois et il va y parvenir, il va se prouver qu'il est bien responsable de cette absurdité physique. Il va la réduire en cendres, cette conne. La vaporiser. Pour ce qu'elle lui a fait. Son arrogance. Ses remarques insupportables. Son aisance.

Dans son esprit, ça a déjà eu lieu. Elle s'est enflammée, s'est consumée, a été réduite à un petit tas de cendre que le vent aura tôt fait de disperser. Sous ses yeux, pourtant, les choses vont moins vite. La flaque d'eau de pluie sous ses pieds a terminé de s'évaporer et l'air autour de ses épaules a pris quinze ou vingt degrés, mais elle est toujours debout. Elle sourit encore. Elle se moque de lui.

Les mains agrippées à ses flancs, sur le point de perdre connaissance une fois de plus, Ilias sent le monde tourner autour de lui et son ventre se tordre plus fort encore. Il la déteste. Il la déteste vraiment. Mais de là à la tuer ? Il en a eu envie, c'est indéniable, seulement, il ne parvient pas à aller plus loin. Tout son corps se tend, la moindre des molécules qui compose son être se rebelle contre ce projet grotesque.

Dans le lointain, il a conscience de murmures, de voix qui se moquent, d'autres qui s'inquiètent. Son nom est crié par une voix. Puis deux. Puis trois.

Ça fait un moment qu'il ne voit plus Anthéa. Ni ses sbires. Ni rien.
S'est-il endormi ? Évanoui ? Dans quel état sont ses ennemis ? Est-il jamais sorti de sa chambre ou n'est-ce là qu'un cauchemar de plus ? Il en fait beaucoup depuis quinze jours. Depuis trois semaines, en fait. Depuis la mort de son grand-père. Est-ce que ce don, cette capacité extraordinaire viendrait de là ? Est-ce une sorte d'héritage familial ? Est-ce que la puissance de son père vient aussi de là ? Est-ce que ça veut dire qu'un jour, il lui ressemblera ?

Ses pensées s'arrêtent net, terrassées par un choc à la tête qu'il n'a pas vu venir.

Dans la cour, plusieurs personnes se sont agenouillées auprès de son corps agité de tremblements. Un garçon et une fille, avec qui il est ami. Le toutou des jumeaux, ce Marlow Machinchose. Et puis cette connasse d'Anthéa. Elle l'a attrapé par les épaules et l'a fait pivoter sur le côté. Elle semble même inquiète. C'est bien fait. C'est sa faute, tout ça, après tout.

**

Hey les gens !

J'ai une journée de retard. Vous y croyez si je vous dis qu'hier je pensais qu'on était dimanche ?
Le boulet que je suis...


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