Chapitre 19 - Celui qui a tout gâché

L'enterrement a été... éprouvant.
Entre sa mère dans le rôle de la belle-fille éplorée, mais pas trop, en robe Chanel. Son père, qui a passé la journée à trinquer et rire avec ses invités. Et les invités, justement, dont une toute petite portion seulement était là pour rendre un dernier hommage à son grand-père et non s'assurer les bonnes grâces de son paternel.

Ilias s'est éclipsé dès que l'occasion lui en a été donnée et il a passé le plus gros de l'après-midi dans le parc pour enfant à l'arrière du bâtiment. Par chance, le temps venteux à tenu a l'écart les familles qui auraient été tentées d'en profiter avec des bambins bruyants et répugnants.

Dans son costume sur mesure, il s'est assis dans la cabane sous le toboggan pour s'abriter du crachin. Avec ses cheveux pris dans une toile d'araignée et ses mocassins vernis tout crottés, il s'est senti misérable. Pourtant, il n'a pas quitté sa cachette. Voir ses parents parader lui aurait donné envie de vomir. Et de toute façon, il avait déjà salué les rares personnes venues pour dire au revoir à son grand-père.

La mère célibataire qui habite l'appartement au-dessus du sien. Elle faisait la plupart de ses courses en échange d'un café et d'une discussion plus passionnante que le debriefing complet du dernier épisode de Pat Patrouille ou de Misterious Ladybug. La vendeuse du magasin de thé, aussi Adorable, comme à son habitude, mais si sensible que ses yeux étaient sur le point de déborder. Elle a serré Ilias dans ses bras, et il a trouvé ça si doux qu'il a failli se remettre à pleurer à son tour. Est venu ensuite un homme qu'Ilias n'avait jamais vu avant. Il a prétendu être venu faire la lecture au vieil homme chaque semaine depuis un an et demi, mais l'adolescent ne l'a pas cru. Son grand-père lui en aurait parlé si ce type passait presque aussi souvent que lui.

D'ailleurs, il ne savait même pas que son grand-père avait des difficultés à lire. Sinon, il la lui aurait faite, lui, la lecture.

Allongé dans son lit, ce jeudi matin, il patiente en repensant à la veille. Encore dix minutes et son réveil sonnera. Dix minutes et il devra se préparer pour l'école. Pour la première fois de sa vie, il n'a aucune envie d'y aller. Entre les curieux qui vont lui demander la raison de son absence et l'autre débile qui va vouloir récupérer son collier. Quelle journée de merde en perspective. Et ce, sans même prendre en compte les regards compatissants de ses professeurs.

Pourvu qu'Ulfsson n'en fasse pas des caisses. Cette vieille harpie l'a à la bonne parce qu'il excelle dans son cours, mais elle s'imagine un peu trop que la réciproque est vraie. Or, si Ilias ne supporte pas qu'on manque de respect envers les profs, ou qu'on remette leurs méthodes et leur expertise en question, il doit reconnaître que les seuls moments où il ressent une microparticule de sympathie vis-à-vis d'Anthéa, c'est quand elle remet Ulfsson à sa place. Si elle pouvait se contenter de le faire avec elle, au lieu de se sentir obligée de se rendre intéressante dans tous les cours, il la détesterait probablement beaucoup moins.

Et dire qu'il va devoir l'affronter dès son arrivée à Harland. Quelle idée débile aussi, de lui piquer ce collier idiot. À quoi pensait-il ?

Sans bouger plus que nécessaire, Ilias baisse les yeux vers son torse nu sur lequel repose toujours le bijou holographique. Il a essayé de l'activer la veille, mais n'est parvenu à trouver aucun bouton, aucun mécanisme. C'est dommage, il aurait aimé revoir les sortes de plumes et comprendre comment l'objet faisait pour donner l'impression de voleter dans les airs. Tant pis. Au pire, il fera une petite recherche Google ce soir et s'en achètera un avec le mode d'emploi.

Il soupire si fort que le bijou oscille sur sa peau pâle. Il n'en fera rien, il le sait. Si le collier l'intéresse, ce n'est pas à cause de ses couleurs et de ses plumes, mais bien parce que...

Alors qu'il était sur le point de s'avouer une chose qui ne manquerait pas de le déranger au moins pour toute la semaine à venir, Ilias cesse de respirer. Alors qu'il est en train de l'observer, le menton reposant à la base de son cou, le collier sort ses plumes. Il s'ébroue – il s'ébroue ? Un collier ? Mais dans quel monde ? – et se décolle de sa peau. D'abord d'un petit centimètre, à peine. Puis de deux. Et sans effort, il continue à s'élever.

Incroyable. Ilias est comme hypnotisé par l'objet. Fasciné.
Il l'a pourtant retourné dans tous les sens, mais n'a trouvé aucune partie susceptible de l'activer. Peut-être qu'il fonctionne avec un minuteur. Qu'il suffit de le configurer par Bluetooth. Mais quand même, il est super tôt. Pour quelle raison cette débile d'Anthéa l'aurait programmé pour s'envoler à une heure pareille ? Et en même temps, elle ne fait que des choses absurdes depuis qu'il la connait. Une de plus ou de moins.

Pendant une minute entière, Ilias profite du spectacle rassurant de cette boule de fausses plumes faisant du surplace au-dessus de son torse. Il est plutôt calé en nouvelle technologie, mais n'a jamais entendu parler d'un truc ressemblant à celui-ci. Il faut vraiment qu'il se renseigne. C'est trop bien. Son grand-père adorerait certainement en avoir un. Il adore les choses poétiques qui ne servent à rien.

Le moment où il prend conscience de l'inutilité de sa pensée, correspond à celui où le collier choisit de se reposer contre sa peau dénudée. Ilias le regarde faire avec les yeux humides. Non, à bien y réfléchir, il ne veut pas d'un objet pareil. Si c'est pour avoir des regrets à chaque fois qu'il pose les yeux dessus, il se portera mieux sans.

Passant les mains dans son cou, il détache le fermoir et retire le collier. Il ne veut pas de cette confrontation stupide avec Anthéa. Il a vraiment un million d'autres choses à penser. Inutile d'encombrer ses pensées avec cette emmerdeuse et ses problèmes absurdes.

Il sait ce qu'il va faire. Mais pour en avoir le temps, il faut qu'il se lève tout de suite et qu'il déjeune en route. Un coup d'œil à son téléphone. 6 h 58. Parfait. Il ne croisera ni son père, déjà parti travailler, ni sa mère, qui ne se lèvera pas avant 9 h.

En quinze minutes, Ilias rush sa douche, s'habille et emporte deux des quatre croissants qu'il trouve accrochés à la poignée de la porte par leur livreur habituel.
Dix minutes plus tard, il a avalé les viennoiseries et pousse le tourniquet de l'entrée du métro. Heureusement que les cours ne commencent qu'à 9 h.


Une demi-heure. Il a dû marcher une demi-heure avant d'arriver en vue du manoir décrépit dans lequel vit cette fille insupportable. Non, mais quelle idée de débile d'aller s'installer à plus de trente minutes de marche de la première station de métro. Ce n'est pas comme si la ville était mal desservie, en plus. Non, vraiment, c'est la preuve que ces gens sont complètement à l'ouest. Qui, aujourd'hui, est prêt à marcher trente foutues minutes pour avoir l'insigne honneur de passer encore plus de temps sous terre avant d'enfin atteindre son objectif ?

Un rapide coup d'œil à son téléphone lui fait grincer des dents. Il lui reste 28 minutes pour arriver au lycée. Gé-nial. Le pompon serait qu'il tombe sur la débile sur le chemin. L'angoisse. Heureusement qu'elle a pris l'habitude d'arriver en retard.

En deux enjambées de plus, Ilias se retrouve devant le petit escalier menant à la lourde porte sinistre du manoir. Il plonge la main dans sa poche, hésite un instant en regardant la fente de la boite aux lettres, puis décide de ne pas s'approcher davantage. Avec un dernier regard triste pour l'objet qu'il regrette déjà de ne plus sentir contre son cœur, il glisse sa chaîne dans l'arabesque formée par la rampe en fer forgé.

D'après ce qu'il sait de ses habitudes, Anthéa devrait quitter la maison d'ici dix minutes tout au plus. Pas que le sujet l'intéresse, mais il est bien obligé de remarquer quand elle arrive en classe en dérangeant tout le monde. Ce n'est quand même pas de sa faute à lui si elle refuse obstinément de passer inaperçu. En tout cas, personne ne devrait avoir remarqué le collier d'ici là. Il peut donc quitter le coin sans plus se sentir responsable.

Pressant le pas, il quitte alors le manoir, dépasse Kelpie Parc et s'engage sur Pineapple Street. Direction Harland.

Assise sur un banc dans la cours avec Drew et Hadrien, Anthéa, surexcitée, comme à son habitude, leur raconte comment s'est passée sa retenue. Le mur décrépi, les blagues avec les jumeaux, sa maladresse. Elle n'omet rien. Ou presque.

Parce qu'après avoir renversé le pot de peinture, il s'est passé une chose dont elle ne peut leur parler. Pas entièrement.

Balançant ses jambes sous son siège, elle revoit les garçons la féliciter pour sa vision artistique extraordinaire. Tous deux enthousiastes, ils ne parviennent pourtant pas à se mettre d'accord sur l'animal qu'elle a tenté de reproduire sur le sol. D'après Tobias, il s'agit sans l'ombre d'un doute d'un dromadaire. Zachary, en revanche, persiste dans l'idée que ça ne peut être qu'une otarie.

Leurs voix commencent à s'élever alors qu'ils laissent leur blague les emmener trop loin, comme bien souvent. Leur simulacre de dispute emplit la cours. Leurs exclamations outrées se réverbèrent contre les murs de l'édifice. Anthéa sourit de leurs bêtises, mais alors qu'un autre jour, elle se serait jointe à leur débat sans queue ni tête, elle reste cette fois en retrait. Obsédée par une pensée un peu absurde, mais qui fait tout doucement son chemin.

L'odeur de la peinture renversée lui monte au nez. Si forte, qu'elle lui en irrite la gorge. Les cris des jumeaux saturent dans ses oreilles, lui donnent presque mal à la tête. Et sous ses yeux, la peinture continue de s'écouler. Transformant peu à peu la forme vaguement animale du départ de la tâche, en quelque chose d'abstrait et d'indéfinissable.

Pourtant, si la nature première de son otarie-dromadaire a échappé aux garçons, elle s'est imprimée très clairement dans les rétines d'Anthéa.

Une silhouette. Sa silhouette. Parce qu'elle a cru – vraiment cru – qu'elle allait tomber dedans.

Dans son esprit encore préoccupé par l'accident qui a été évité par magie, par la table qu'elle a fendue sans force, et aussi, un peu, par cette abrutie d'Ulfsson qui s'est retrouvée aphone, une idée a commencé à germer.

Il faut qu'elle essaie. Qu'elle teste son hypothèse. Mais pour ça, elle doit se débarrasser des garçons.

Un coup d'œil sur la droite. Non, rien à espérer de ce côté. Sur la gauche, alors ? Peut-être que... Oh ! C'est encore mieux que ce dont elle pouvait rêver. À deux mètres d'eux, à peine, se trouve le concierge. Les mains sur les hanches, sa casquette délavée sur le crâne, elle ne l'a jamais vu si consterné.

— Mr Mustgo, s'exclame-t-elle suffisamment fort pour interrompre les garçons. Il y a eu un... euhm, petit accident...

L'homme grommelle dans sa barbe inexistante. Il les dévisage tour à tour. Son visage buriné est plus fermé que jamais. Et alors que les trois amis commencent à penser qu'il va juste tourner les talons et les laisser se débrouiller, il lâche :

— Trois heures de colle en plus. Chacun.

C'est la première fois qu'Anthéa l'entend prononcer une phrase entière. Elle s'attendait à ce que sa voix soit teintée d'un accent prononcé ou à ce que l'homme parle mal la langue, mais il n'en est rien. Son timbre est clair, presque chantant. Et la satisfaction de savoir enfin à quoi elle ressemble prend le pas sur l'agacement que cette nouvelle sanction injuste devrait provoquer.

Les jumeaux, en revanche, ne l'entendent pas de cette oreille. Et ils se précipitent dans le sillage du concierge, qui déjà s'en retourne vers son bureau. Leurs protestations fusent. Bien rodées, malgré le fait qu'elles n'aient pas été répétées. Mais loin de les accompagner, Anthéa saisit la chance inespérée qui lui est offerte.

Si elle en croit ce qui s'est passé ces dernières quarante-huit heures, ce sont ses émotions qui ont provoqué les événements extraordinaires auxquels elle a été confrontées. L'énervement face à Ulfsson. La peur pour l'accident évité et le pot de peinture. Elle ne peut avoir peur sur commande. Même en repensant aux deux sœurs et au chiot, elle sait qu'elle sera incapable de se remettre dans le même état. Lui reste alors la colère. Ce n'est pas un sentiment qu'elle côtoie si souvent, et encore moins qu'elle recherche. Pourtant, il lui semble qu'en se concentrant un peu, elle sera capable de le créer artificiellement.

Face à la tache de peinture qui atteint désormais presque ses pieds, Anthéa se concentre. Ulfsson et ses punitions insensées. Les regards que les autres profs lui lancent quand elle tente de les orienter vers des méthodes d'apprentissages un peu plus modernes. Les remarques incessantes de Chloé et d'Ilias. À son encontre, mais aussi et surtout envers Drew et Hadrien.

Au fond de son ventre, elle sent monter une pointe d'agacement. Peut-être même plus que ça. Mais ce n'est pas encore suffisant. Elle doit chercher après des choses plus dures, plus insupportables.

Les histoires qu'elle a entendu ses amis raconter au manoir. Les parents de Darcy qui lui ont claqué la porte au nez quand iel leur a tenu tête et a porté une jupe lors de l'anniversaire de sa tante. Ceux de Simran qui ont simplement arrêté de s'intéresser à elle quand elle leur a expliqué être une fille. Les angoisses de Caleb lors des premiers jours. Cette peur qui ne les quittait jamais tout à fait, qui se réactivait à chaque fois qu'une porte s'ouvrait. Qu'elle a réveillé en entrant dans sa chambre, l'autre nuit pour lui parler du collier... Le collier. Et ce connard d'Ilias qui le lui a volé. Ce dégénéré d'Ilias qui ne revient toujours pas en classe. Ce petit trou du cul pour qui elle devrait avoir de la peine, parce qu'il est forcément en train de vivre une chose affreuse, sinon il serait déjà de retour. Mais qu'elle ne peut s'empêcher de mépriser. Parce qu'il a volé le collier. Parce qu'il prive, peut-être pour toujours, ses amis de magie. Parce qu'elle-même n'est toujours pas sûre d'en avoir et que si c'est le cas, elle n'a aucune foutue idée de comment la faire fonctionner.

La boule a grossi. A envahi son ventre en entier, est en train de remonter par son œsophage.
Elle doit la faire sortir, s'en débarrasser. Elle se déteste quand elle est comme ça. Cette personne n'a rien en commun avec celle qu'elle est d'ordinaire. Comment peut-il exister tant de gens qui vivent avec ça en eux à chaque instant ? Comment font-ils pour ne pas suffoquer ?

Elle ne les a pas senties monter. Elles sont probablement arrivées en même temps que la boule qui obstrue sa gorge et l'empêche de respirer. Aux coins de ses yeux, deux larmes de rage sont posées. En équilibre précaire sur ses cils noirs qui tremblotent.

Sans savoir si ce qu'elle fait est bien ou non, Anthéa dirige toute cette colère, ces sentiments négatifs, cette boule qui lui pèse, sur la tache de peinture qui luit sur le sol irrégulier fait de pavés.

Lève-toi et retourne dans ton pot, ordonne-t-elle en silence à la masse qui continue de s'étendre. Dans ton pot, j'ai dit ! DANS. TON. FOUTU POT.

Alors qu'elle espérait voir la peinture se soulever comme une espèce de slime couleur moche et couler jusqu'au seau pratiquement vide, Anthéa voit de minuscules bulles se former à sa surface. Le phénomène est surprenant. Ce n'est pas ce à quoi elle s'attendait. Mais cette réaction, aussi étrange soit-elle, vaut mieux que pas de réaction, alors elle se concentre plus fort.

Retourne dans le pot, insiste-t-elle alors que sous ses yeux, la peinture semble s'être mise à bouillir. Des centaines de bulles apparaissent sans discontinuer dans l'épaisse couche de couleur et viennent éclater à la surface. Jamais la jeune fille n'a vu une chose pareille. Jamais elle n'a été à l'origine d'un tel phénomène.

Le plus incroyable, se rend-elle compte au bout de quelques secondes, c'est que son énervement s'est totalement envolé. Remplacée par de l'excitation pure, la colère s'est dissoute dans les bulles qui se fracassent à ses pieds. Des bulles qu'elle fait exploser par la simple force de sa pensée !

Comment pourrait-elle garder la tête froide en prenant conscience d'une chose aussi phénoménale ? Elle qui ne peut déjà pas se contrôler quand elle apprend juste une bonne nouvelle de la bouche d'une personne qui lui est chère. Elle, avec sa personnalité tranchée, sa joie de vivre, son enthousiasme démesuré.

Elle a à peine le temps de se dire que si la peur et la colère peuvent créer de pareilles perturbations dans la toile de la réalité, l'influence de pensées plus positives doit être capable de tout défoncer.

Et l'explosion a lieu.

Ce qu'elle voulait, c'était que la peinture retourne dans son pot. Qu'en mettant son idée à l'épreuve, elle face d'une pierre deux coups. Effacer les traces de sa maladresse et prouver qu'elle possédait désormais bel et bien des pouvoirs magiques.

Concernant ce dernier point, elle n'a plus vraiment de doute. Les histoires de peinture explosives ne courent, à sa connaissance, pas tellement les rues. Or, les milliers de gouttelettes répandues, autant sur elle-même que partout autour, témoignent de la réalité du phénomène qui vient de se dérouler sous ses yeux.

Pour ce qui est du premier point, en revanche...

En y repensant, Anthéa sourit. Ce n'était qu'une première expérience et il est probablement normal qu'elle ne se soit pas déroulée comme prévu. Mais qu'est-ce qu'elle a été grisante. Pendant une fraction de seconde, elle a senti que les molécules de peintures acceptaient de se lier avec celles constituant son propre corps. Très vite, sans qu'elle ne puisse le contrôler, tout s'est mélangé, et pendant un instant, elle a été la peinture. Puis tout s'est disloqué et les événements lui ont échappé.

Bien sûr, le concierge était furieux. Et les jumeaux n'ont pas pu la couvrir ce coup-ci, alors qu'ils couraient en fait après l'homme pour le persuader qu'ils étaient les seuls responsables de ce désastre peinturier. Anthéa a déjà bien assez d'heures à se coltiner, et ils pensaient pouvoir alléger son fardeau en prenant celles-ci pour eux.

Raté.

Ils ont bien écopé de trois heures de colle, comme prévu, mais Anthéa aussi. Trois heures auxquelles elle a pu en ajouter deux nouvelles dans l'instant. Car Mr Mustgo a refusé de la croire quand elle a prétendu avoir laissé tomber son rouleau dans la flaque.

En même temps, elle a bien dû admettre qu'il est plutôt rare de faire des taches à plus de six mètres de l'endroit où l'on fait tomber son rouleau.

En revanche, maintenant qu'elle sait que ses pouvoirs sont bien réels, il faut qu'elle retrouve le collier. Déjà parce qu'être la seule à en avoir, ça n'est pas aussi drôle. Mais aussi parce qu'il est peut-être indispensable à un bon apprentissage de la magie.

Le soir précédent, elle a passé plusieurs heures à traduire les premières pages du grimoire, mais n'a pour l'instant rien appris d'incroyable. Aucun sort, aucune astuce. Rien que du blabla. Comme si la magie ne devait pas être apprise dans un livre, mais enseignée par une vraie personne.

Alors qu'elle ressasse une fois de plus les mêmes pensées, Anthéa est sortie de ses rêveries par une exclamation de surprise lancée par Hadrien. Une exclamation suivie par la phrase qu'elle attend depuis trois jours, maintenant.

— Il est de retour.

Elle n'a aucun besoin de demander de qui il parle, et en un bond, Anthéa est sur ses pieds. Quelques enjambées de plus, et elle lui fait face.
Le regard mauvais, le dos droit, une étincelle de fureur dans les yeux, elle l'alpague avant qu'il n'ait atteint son groupe d'amis.

— Tu l'as avec toi ?

Quelle misère. Dans les yeux d'Ilias, pléthore de réactions se disputent la place. Lassitude. Agacement. Dépit. Mépris. Et même, de la peur ? Est-ce vraiment ça qu'elle voit danser dans ses yeux gris inexpressifs ?

— De quoi tu parles ?

Sa voix est comme d'habitude. Hautaine, vulgaire, détestable. Mais il ne trompe pas la jeune fille qui le dépasse de quelques centimètres. Elle a tremblé.

— Tu sais de quoi je parle, tête de gland. Le collier. Mon collier.

Une grimace se peint sur ses traits, juste le temps pour Anthéa de s'imaginer le pire. Ce connard l'a jeté. Il s'en est débarrassé dès qu'il a quitté l'école.

Mais quand il reprend la parole, c'est avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

— Tu l'as pas trouvé ?

— Comment ça pas trouvé ? T'es parti avec, je te rappelle.

— Je l'ai laissé chez toi, soupire Ilias avec un regard pour ses amis qui s'approche d'eux de plus en plus vite.

— Chez moi ? Mais quand ? Où ?

Du côté d'Anthéa, aussi, ses amis se sont mis en marche et seront bientôt sur eux. Aucun d'eux ne souhaite pourtant que cette discussion devienne publique. Et personne ne comprendrait qu'ils s'éloignent ensemble pour la continuer. Il faut en venir au fait. Vite et bien.

— Mais chez toi, grogne-t-il tout bas. Ce matin, il y a une demi-heure environ. Je l'ai accroché à la barrière des escaliers.

Anthéa n'en revient pas. Elle cligne plusieurs fois des yeux, tentant de comprendre ce que ce crétin congénital est en train de lui raconter.

— La barr... La barrière ? Tu l'a accroché à la barrière... T'as conscience qu'on habite en pleine ville ? Il y a des centaines de gens qui passent devant cette barrière tous les jours !

— Mais je croyais que t'étais pas encore partie ! T'es toujours en retard, s'énerve-t-il.

Et ce n'est pas faux. Sauf que ces trois derniers jours, Anthéa s'est arrangée pour être à l'heure, justement dans le but de choper ce crétin de blond stupide.

— T'es vraiment le dernier des cons, rétorque-t-elle en se retournant vers Drew et Hadrien et en sortant son téléphone de sa poche

Prévenir Caleb. Vite. Sauf que celui-ci laisse en général son téléphone dans sa chambre. Pressée tant par le stress que par la première sonnerie qui vient de retentir, Anthéa envoie deux messages presque en simultané. Un à son meilleur ami et l'autre à Darcy pour lui demander de dire à Caleb de vérifier ses messages sur le champ. Pourvu qu'iel soit de bonne humeur, aujourd'hui.

Au moment de rentrer en classe, la réponse se signale à elle par une vibration contre sa cuisse. Mais quand elle la lit, Anthéa se laisse tomber sur sa chaise, désespérée. Le teint plus pâle encore que celui de l'abruti qui est à l'origine de son désarroi.

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