CHAPITRE 1

Ce garçon qui m'intriguait tant depuis que je l'avais vu était reparti en direction de ses camarades, tandis que j'étais repartie la tête basse, sans avoir pu atteindre mon objectif fixé. À ce moment là, j'étais totalement brisée. J'avais dans la conviction que mes oeuvres soient prises pour être vendues, dans le but de pouvoir nourrir ma mère, et tous ces beaux rêves étaient perdus, simplement parce que je n'étais physiquement pas disposée à vendre. Vous n'imaginez pas à quel point ça peut être démoralisant dans la tête d'une jeune fille, que de savoir que le physique prime sur le talent. Vous n'imaginez pas toutes les nuits où je m'imaginais vivre une vie simple, c'est-à-dire, ne pas prier chaque fois que le tonnerre se présentait, de peur que notre toit s'effondre, de la nourriture à chaque repas, être au chaud en saison hivernale, et avoir quelques amis.

L'Homme ne se rend pas compte de la chance qu'il a. Il est constamment jaloux de l'autre. Il désire ce qu'il n'a pas, et désire autre chose quand il l'a. Toutes les fois où je me suis vue heureuse sur cette Terre, grâce à tout ce qu'elle peut nous offrir était inconcevable. En cette période, j'avais tout de même atteint une partie de mon rêve que je pensais irréalisable, car j'ai eu la chance d'avoir un ami.

Enfin de compte, en y repensant, notre rencontre a été assez hilarante. Je savais qui il était, alors que personne ne le considérait. Je pensais que tout le monde le connaissait, alors qu'il pensait être un parfait inconnu aux yeux de tous. Et c'est seulement quand on en a reparlé plus tard qu'on a enfin pu comprendre de quoi il était question. J'avais une réalité différente de la sienne, une réalité différente du monde entier dans sa globalité.

        Après cette histoire, je l'ai revu pour la deuxième fois quelques jours après notre rencontre. Pendant qu'il marchait dans les rues de Gary pour retourner chez lui, sac sur son dos, revenant probablement de son établissement, il m'a aperçue et m'a dévisagée, se rappelant petit à petit de qui j'étais. Puis, il s'est approché avec le plus beau sourire que vous ne pourrez jamais imaginer. Il était indifférent envers mon accoutrement. Tout ça l'importait guerre, parce qu'il ne voyait pas avec ses yeux, il allait plus loin que ça, il lisait dans les coeurs. Ce garçon était tout simplement magique.

« Je suis en école d'art. Tu devrais en faire de même, tu es très talentueuse »

Cette conversation a eu lieu dans un bar où il m'avait invitée pour boire un verre. Il était en train de siroter son cocktail, en posant des yeux insistants sur moi. Aussi bien que je me souvienne, il m'a ensuite proposé d'entrer dans sa fac en m'affirmant que je pourrais avoir la bourse, compte tenu de ma volonté et de mon talent. Mais j'ai refusé, je ne pouvais pas faire des études alors que je devais chercher du travail pour faire vivre ma pauvre mère. Puis, il n'a pas arrêté de tenter de me convaincre à longueur de temps, mais ça n'a jamais marché. Parce que oui, ce n'était pas la deuxième et dernière fois qu'on avait conversé, on est devenus très vite de très bons amis.

« Je ne peux pas, tu le sais bien... »

Il m'a regardée d'un air étonné, à en faire de gros yeux. Il savait que je n'avais aucun logement, alors je ne comprenais pas son air choqué. D'ailleurs, il n'a posé aucune question sur la façon dont je vivais ou comment je faisais pour survivre face à cette différence. Il s'est fermé à toute sorte de curiosité qui aurait pu me mettre mal à l'aise, préférant me traiter comme une personne normale.

« Mais je te dis que tu es très talentueuse, tu n'as qu'à tenter, et on verra bien »

Le talent n'avais rien à voir avec cette histoire, je ne pouvais pas être présentable lors de l'entretien, et je n'avais aucun passé, aucune histoire à raconter, aucun diplôme, aucun avenir. Quand je lui ai avoué tout ça, il a fait mine de s'évanouir, touchant son coeur dans une fausse douleur comme si mes mots l'avaient poignardé. C'était la première fois que nous avons parlé l'un avec l'autre, et l'entente était déjà présente. À ce stade là, on pouvait même parler de complicité.

« Comment t'appelles-tu ? Chadna Indali Radha, je me trompe ? »

Je ne me souviens plus de comment il a su ça, j'ai sûrement du lui dire quelques heures avant. J'ai donc hoché la tête, réticente de ce qu'il allait ajouter.

« Chadna Indali Radha... Si j'en crois mes souvenirs, Radha veut dire réussite en indien, non ? »

J'ai posé ma tête sur mes mains, battue, tandis qu'il levait ses sourcils à maintes reprises comme pour me narguer. C'était le garçon le plus insistant que je n'ai jamais connu jusqu'ici, et je crois bien qu'il peut gagner ce prix à l'échelle mondiale.

« Et Indali signifie puissante, et Chadna, amour, je crois.
- Hmm, une femme puissante pleine d'amour et de persévérance, j'adore ! »

Il avait ce ton moqueur qui me faisait sourire. Il a mordu sa lèvre inférieure pour éviter de rigoler, cherchant à garder son air sérieux. Il aimait me taquiner, et ça, depuis le début. Et moi, j'aimais quand il me taquinait, parce que ça montrait à quel point on s'aimait. Ce n'était pas dans le sens du désir, mais dans un contexte plus profond, et plus particulier. Il a fini par changer de sujet, un sujet qui aujourd'hui me pousse à écrire.

« Tu sais ce qui est incroyable ? C'est que le portrait que tu as dessiné, eh bien,              bizarrement, depuis, j'ai eu ces mêmes flashs qui me viennent... Ce même visage est sans arrêt dans mon esprit... »

Il s'était brusquement arrêté, d'une attitude à repenser à ses plus grosses souffrances. À première vue, il paraissait ne pas connaitre Michael Jackson, et pourtant, c'était un grand artiste connu. De plus, il lui ressemblait tellement...
À cette période, je n'avais rien qui pouvait me connecter au monde entier, à l'actualité, et au passe-temps le plus populaire de notre époque : Internet.

Je lui ai répondu que je dessinais ce que je voyais, et que cet homme était en moi au moment où j'ai peint. Il a acquiescé lentement comme pour me dire qu'il comprenait ce que je disais, mais d'un autre côté, son visage montrait une déception, cherchant probablement une explication plus juste à ses questionnements. Mais je ne pouvais lui dire que cet homme était normalement connu dans mes plus lointains souvenirs. Ça aurait été bête et complètement fou. Alors, j'ai préféré le laisser sur un blanc, rendant l'atmosphère pesante et gênante. J'ai donc pris l'initiative de boire, dirigeant mon regard sur le côté, pour éviter de croiser le sien qui se faisait indiscret. Ce silence aurait pu s'éterniser s'il n'avait pas tenté de le rompre en posant une question qui n'avait pas lieu d'être.

« Tu as d'autres amis ? »

Cette interrogation me paraissait stupide. Comment une fille comme moi aurait pu avoir des amis ? Je ne fréquentais personne, parce qu'aucune personne sensée m'aurait approchée, ou m'aurait parlé comme Michael le faisait. Mais il avait l'air de ne pas s'en soucier, ou de ne pas le remarquer.

« Je n'en ai pas non plus... Je ne comprends personne. J'ai parfois l'impression d'être né dans le mauvais siècle »

Il paraissait plaisanter, mais je ressentais en lui qu'il était sincère, et d'ailleurs, je le pensais aussi. Michael n'avait rien à faire au vingt-et-unième siècle, c'était clair et net. Quand je lui ai demandé dans quelle période il aurait préféré vivre, il m'a donné une réponse loin d'être étonnante. Son air rêveur laissait paraitre sa naïveté du monde, et sa grande beauté intérieure.

« Dans les années soixante, sans hésitation ! Le style, les chanteurs et les gens étaient fabuleux ! »

Il avait alors commencé à chanter une chanson des Beatles. Cette voix, je la connaissais, et pourtant, je n'avais pas à la connaitre. C'était étrange, et tout ça me rendait bizarre, alors, je me suis levée de ma place pour partir, ne voulant pas qu'il me pose des questions concernant mon changement d'humeur soudain.

        Je vous avouerais que je serais bien restée, parce que son chant était hors du commun, c'était magnifique. Ça n'avait rien à voir avec les chanteurs d'aujourd'hui. Il y avait de grandes émotions sincères à travers les paroles. Il avait seulement chanter deux phrases que j'en avais déjà des frissons qui parcouraient tout mon corps. Mais je savais que cela était du aussi au fait que je ne pouvais m'arrêter de me dire que cette voix, je l'avais déjà entendue. Que cette voix appartenait à Michael Jackson.

« Ne me dis pas que ma voix t'effraie autant »

J'ai quitté le bar, me hâtant vers la sortie après lui avoir expliqué que je devais le laisser, car on m'attendait chez moi. Il m'a proposé de me ramener en voiture, mais j'ai refusé, étant honteuse de l'endroit où j'habitais.

À présent, je sais que mon attitude était stupide. J'avais peur de dire la vérité sur moi, j'avais peur du jugement, de la critique et tout ce qui rapporte à ces synonymes, mais j'ai fini par comprendre que Michael, mon ami, ne connaissait pas ces termes. Il n'était pas comme ça, j'avais peur qu'il me juge, ou qu'il ne voudrait tout simplement plus me revoir, mais avec le temps, j'ai appris que notre amitié était bien plus forte que ça. Le jour où il a su mon adresse, il m'a simplement regardée, et m'a souri. Il a tenu ma main, et s'est dirigé vers mon habitation, puis, il m'a saluée et est retourné chez lui. Il a toujours été très gentil avec moi, il s'est toujours comporté comme un meilleur ami se comporterait, si ce n'est plus.

Plus tard, j'étais enfin prête à le conduire jusqu'à chez moi. Il était content de pouvoir voir mon habitation, ou dirais-je, les débris comme guise de maison. Elle se trouvait au fin fond de la ville, du côté de la foret. Aucune personne en dehors de notre civilisation retirée n'aurait mis les pieds ici. C'était poussiéreux, sale, et moche. Rien de ce qui peut faire rêver une personne convenable. Une fois que nous y étions, on s'est avancés vers le bidonville qui était dans la ville même de Gary. Ce n'était pas très grand, mais assez pour qu'un inconnu puisse s'y perdre. Je me souviens encore qu'il disait bonjour à tous les passants qui n'étaient autres que des amis de mes parents, et eux lui souriaient en retour. Il avait l'air de s'être intégré en un rien de temps. Ma mère l'aimait beaucoup, même si elle ne parlait pas assez l'anglais pour comprendre tout ce qu'il disait. Il m'a ordonné de lui apprendre la langue indienne, il était ouvert à toute culture, et je me disais sans cesse qu'il fallait plus de personnes comme lui dans ce bas monde. C'était fou à quel point il savait bien se fondre dans la masse.

Bien qu'il soit très ouvert, quand il discutait avec moi, on pouvait ressentir ou voir dans ses yeux qu'il n'aimait pas fréquenter le monde, qu'il n'aimait pas parler ou se livrer. Néanmoins, c'est ce qu'il n'arrêtait pas de faire avec moi, après qu'on se soit promis de rester toujours amis. Il me parlait de lui et de son école, il se confiait, et je me souviendrai toujours de cette phrase qui m'a fait sentir toute chose, c'était pour moi mon seul ami, et pour lui, j'étais sa vraie seule amie sur qui il pouvait compter.

« Quand je te parle, je me sens vraiment bien. Tu es à l'écoute, et peu importe ce que peuvent dire les autres. Même si tu n'es pas "conforme" à la société, moi je t'aime comme tu es. J'ai l'impression que tu me connais mieux que quiconque, alors qu'on est amis depuis peu. Tu es juste différente »

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