La perte
[Présence de thèmes comme la mort, sang, massacre (avec plus ou moins de détail ) etc ]
Bien différent que ce que j'ai l'habitude d'écrire, ici les thèmes abordés seront beaucoup plus sombres (il y aura tout de même des moments plus légers et marrants, fort heureusement!)
J'espère qu'il n'y a plus de fautes... j'ai relu 3 fois mais la fatigue et la longueur rendent les choses un peu compliquées
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L'hiver venait de s'installer dans le nord - c'était pour sûr. Le vent glacial transportant les gros flocons de neige venait mordre chaque millimètre de peau qui n'avait été bien recouvert. Et même à travers les épaisses couches de fourrures, ce dernier n'en avait que faire, et arrivait quand même à se faire sentir.
La forêt était à présent entièrement revêtue de son manteau blanc, et seules les épines des hauts sapins venaient faire un contraste parmi tout ce paysage nivéen.
Le calme régnait dans la forêt, la neige absorbant tout, seul le cri de quelques animaux pouvait se faire entendre - et parfois, on pouvait percevoir le bruit soudain de la neige agglomérée sur les branches tomber au sol d'un grand fracas.
C'est dans cette scène que se trouvait accroupi, un genoux posé au sol, une jeune fille à la chevelure aussi noire que le charbon, réunie en une grande tresse tombant dans son dos. Emmitouflée dans tant de fourrure, elle faisait une grande tâche dans ce décor blanc.
Cachée dans le peu de végétation qui pouvait bien exister, ses petits yeux bridés scrutaient avec vivacité le petit lapin qui vagabondait innocemment. Il se relevait sur ces deux pattes, humait l'air.
Cela la surprenait toujours, cet instinct animal. Peut importe à quel point vous pouvez bien être caché, ils arrivent toujours à sentir la mort.
Manaba resserra la prise qu'elle avait sur son arc majestueux. Il était temps, il fallait qu'elle tire avant que sa proie ne décampe pour de bon. Aussitôt que les pattes du lapin touchèrent à nouveau le sol, l'arc était déjà bandé - la flèche tirée, et plantée, traversant la pauvre bête de part en part, la clouant au sol.
La jeune fille se releva et avec satisfaction prit la proie fraîchement battue, son sang ayant teint la neige de rouge. Il fallait faire vite avant que d'autres bêtes n'arrivent et ne cherchent à départager le butin avec elle.
Elle se mit alors en route. Malgré le tissu placé devant son visage, l'air était si froid que chaque expiration créait un petit nuage de fumée sortant de ses narines ou de sa bouche. Elle observa les sapins, leur couleur naturelle s'étant cachée sous les tonnes de neige qui recouvraient leurs branches. L'hiver allait être rude, pensa-t-elle, elle le réalisait bien. Le vent lui glaçait les os et elle se hâta de rentrer.
Revenir aux alentours du village était toujours agréable. La forêt, beaucoup trop calme, avait une allure de mort. Ici, la vie retentissait.
Elle voyait la fumée s'échapper des petites maisons de bois et entreprendre leur voyage vers le ciel gris, elle pouvait entendre les ricanements des enfants , les voix vives s'entremêler pour ne former qu'un vague brouhaha.
Elle aimait la vie qui se dégageait de ce tout petit village dans lequel elle y avait prit son premier souffle - et où elle espérait y rendre son dernier.
Alors qu'elle arrivait près du foyer principal, les enfants s'agrippaient déjà à son épais manteau - riant, lui posant milles questions sur son périple qui semblait si fascinant dans leur têtes innocentes.
Manaba fut contaminée elle aussi, par leur vivacité et leur joie, et un grand sourire se forma sur son visage tandis qu'elle tentait tant bien que mal d'avancer parmi toutes ses petites formes postées autour de ses jambes.
Les petits diablotins cessèrent de la tourmenter quand une voix grave se fit entendre - elle était tellement imposante qu'elle résonna entre les arbres, et un petit groupe d'oiseaux prit son envolée.
"Si tu les laisse, ils finiront par te suivre jusque dans les bois, la même voix dit-elle, plus doucement cette fois-ci.
- Alors ils me suivront, et ils auront si peur qu'il ne voudront plus jamais y retourner." Répondit-elle avec malice, sachant parfaitement à qui la voix appartenait.
Elle se retourna, et vit une stature imposante, cachée parmi diverses fourrures épaisses d'un gris argenté. Sa peau hâlée et et ses yeux bleu ciel faisaient un tel contraste parmi les couleurs froides, qu'il avait l'air d'un soleil.
"Alors c'est ça, ta prise? Son expression indiquait, aussi bien que son ton, qu'il cherchait gentiment à taquiner. Tu es partie si longtemps, pour ramener quelque chose de si petit?
- Soit heureux, mon frère. Lorsque l'hiver frappera dur, au moins tu auras à manger.
- A manger?! Il s'exclama si fort qu'il s'étouffa presque avec sa salive. Il y a plus de peau que de viande sur la bête! "
Elle gonfla ses joues, réalisant parfaitement que son frère n'avait pas tort. Elle le regarda, mordant l'intérieur de sa joue, vaincue, avant que tous les deux ne se mettent à rire vivement.
"Allons-y sœurette, il est l'heure de manger et Tania nous fera une scène si nous arrivons une fois le repas refroidi."
Elle gloussa légèrement tandis que Kuruk, son frère, plaçait son bras autour de son épaule et continuait ses plaisanteries.
Assis à l'intérieur de la grande hutte, Manaba dévorait tous les plats servis sur la longue et basse table qui traversait l'unique pièce en deux. l'atmosphère était si chaleureuse - les voix résonnaient et venaient se fracasser sur les immenses poutres de bois gravés de signes chamaniques - le feu central dégageait une chaleur qui venait s'ajouter à celle créée par l'animosité de la célébration.
Ogul, sa nièce, fêtait son septième anniversaire. Elle se trouvait au milieu de l'immense tablée, entre sa mère et son père. Manaba, elle, se trouvait en face et admirait la scène.
La petite avait, pour le grand malheur de son père, prit absolument tout le physique de sa génitrice. Ses petits yeux bridés verts et ses cheveux noirs corbeaux faisaient d'elle le portrait miniature de sa mère. Mais si elle n'avait pas hérité de l'apparence de son paternel, elle avait bien prit tout le caractère. Malicieuse, observatrice et charismatique, il suffisait d'un sourire, d'un regard pour que la petite vous ait dans la poche.
Aussi, Manaba avait à peine quitté des yeux la fillette qu'elle sentit quelque chose lui chatouiller les jambes. Lorsqu'elle regarda en dessous de la table, une pair d'yeux émeraude l'observait avec espièglerie, ses lèvres tellement courbées en un tel sourire qu'on ne voyait presque que cela.
Alors que la petite chuchotait, sa petite voix fut recouverte par une autre bien plus imposante. La tablée s'était mise à s'esclaffer pour une raison inconnue. Une fois le niveau sonore retombée, Manaba voulu baisser sa tête pour retrouver sa nièce, en vain. La vieille chamane du village, que la jeune femme ne pouvait supporter, venait de prendre place à ses côtés, entourée de plusieurs autres jeunes hommes probablement un peu plus vieux que Manaba
"Il serait temps de lui trouver un fiancé à ta soeur, Kuruk" Affirma-t-elle de sa voix chevrotante qui résonnait d'une manière désagréable.
Elle l'avait vu venir, elle avait espérer que cela ne soit pas remis sur le tapis - c'est pour cela qu'elle ne pouvait encadrer la vieille femme. Cette dernière avait au moins plus de quatre-vingt-dix ans, et ne réalisait pas que de ses vingt-trois ans, Manaba n'avait que faire de se trouver un mari - préférant de loin vadrouiller et chasser dans la forêt.
Kuruk pouffa de rire, les bras croisés, il jeta sa tête en arrière. Tania sa femme, le secoua aussi fort qu'elle le put, mais manquant largement de force pour agiter ce gigantesque corps, il ne bougea pas d'un pouce. Manaba remercia les dieux de lui avoir donné un tel frère lorsqu'elle vit l'expression qu'affichait le visage de la vieille femme toute ridée.
"C'est pas mes affaires, ça, dit-il calmement avec son grand sourire narquois. Elle est assez grande pour se trouver un mari toute seule si cela lui chante - et si vous avez, par le plus grand des hasard, trouvé des prétendants, je suis sûre qu'elle serait ravie que vous les lui présentiez."
Elle avait béni les dieux d'avoir un tel frère pendant quelques secondes, puis regretta aussitôt sa pensée. Il adorait la mettre dans des situations embarrassantes.
Non, elle n'en serait pas ravie.
Elle voulait juste déguster les mets dont l'odeur lui chatouillait les narines, passer du temps avec sa nièce qui vraisemblablement se trouvait toujours sous la table - et surtout, elle voulait qu'on la laisse vivre sa vie comme elle l'entendait. Pas besoin d'une vieille folle pour trouver un mari ou lui dire quand se marier.
Pour l'instant, elle aimait sa vie solitaire, sans enfants, sans époux.
Alors que la chamane répondit à Kuruk, Manaba sentit de nouveau qu'on lui tirait le pantalon.
Sa nièce laissa dépasser un petit bout de sa tête et elle put enfin entendre.
"Viens, on va jouer dehors."
Manaba observa le chahut qui venait tout juste d'être crée puis posa de nouveau ses yeux ambrés sur la petite fille avant d'approuver d'un signe de la tête.
Tandis qu'elle se levait, ses prunelles croisèrent celles de son frère qui, ayant à peine entr'aperçu la chevelure de sa fille, lui fit un grand sourire. Il les connaissait très bien, et en un seul coup d'œil avait déjà tout compris.
Il se tut, puis reprit part à la conversation. Une fois que les deux filles se trouvaient dans l'embrasure de la porte, prêtes à sortir, il tourna son regard vers elles - un regard doux, plein d'amour.
Le froid les frappa instantanément, leur coupant presque le souffle. La nuit était tombée depuis quelques temps déjà, et on pouvait entendre au loin les loups hurler à la pleine lune dont les doux rayons qui arrivaient à passer à travers la végétation venaient gentiment frapper le visage des deux jeunes filles.
La petite se mise à courir, riant innocemment, tandis que Manaba trainassait derrière - la priant de ne pas s'éloigner trop d'elle. Même si le brasier central illuminait la grande place et éloignait les bêtes, il fallait rester sur ses gardes. Les grandes forêts blanches de l'ouest était réputées pour leur hostilité et leur climat rude: Si trop d'imprudence ne vous faisait finir dévoré par une des innombrables bêtes qu'abritent les bois - vous pouviez être sûr que vous finiriez par mourir de froid. Aussi Manaba restait attentive à tout son environnement. Passant la quasi totalité de son temps hors du village, la jeune femme avait aiguisé ses sens, et savait parfaitement reconnaitre un bruit ou un mouvement suspect.
Ogul s'était accroupie dans la neige, celle-ci fondant et trempant ses peaux. C'était pour sûr, une fois rentrées, Tania réprimanderait les deux pour n'avoir fait preuve d'aucun bon sens - mais aussi Kuruk, pour les avoir laissé vadrouiller lorsque le froid était le plus mordant.
Manaba vint rejoindre sa nièce et se mit à sa hauteur. La petite déposait une série de petite pierres noires à même le sol, de manière à former un dessin.
Replaçant quelques mèches de ses cheveux noirs derrière ses oreilles, Manaba inspecta la forme qui se construisait.
"Une panthère?" demanda-t-elle non sans hésitation et Ogul sourit aussitôt à pleines dents.
- Elles sont si belles! Papa m'en à montré une il y a quelques temps. Tu savais qu'avant elles nous suivaient partout? Il m'a même dit qu'on arrivait à les dresser et qu'elles nous aidaient à chasser. Je voudrais tellement en avoir une!"
"De belles histoires qu'on raconte aux enfants" pensa Manaba. Les panthères des neiges avaient presque toutes disparues depuis bien longtemps déjà. Seules quelques unes passaient par-ci par-là près du village, venant vérifier si elles ne pouvaient pas trouver de quoi se nourrir. Les panthères, compagnons des hommes, n'étaient qu'une histoire racontée lors du coucher des bambins - Manaba n'y fit pas exception, lorsqu'elle fut encore en vie, sa mère avait pour habitude de la lui raconter tous les soirs. Elle aussi y avait cru - mais elle grandit, et comprit que tout cela n'était que légende et cessa ses rêveries. Mais Ogul était une enfant, et elle avait le droit de rêver. Alors elle ne releva pas et laissa la petite continuer.
La luminosité baissa soudainement, lorsque d'épais nuages virent se poster devant la lune. Si le brasier ne flamboyait pas, elles pouvaient être certaines qu'elles n'y verraient pratiquement plus rien. Aussi Manaba décida qu'il était probablement temps de rentrer. La nuit avait bien prit place, et plus le temps passait, plus la neige tombait à gros flocons et le vent glacial gelait leur petites formes.
"Il est temps de rentrer, Ogul." affirma-t-elle tout en se relevant, une épaisse fumée s'échappant d'entre ses lèvres.
"Attends! objecta la petite. Avant je dois aller aux toilettes." Finit-elle, se dirigeant déjà vers le petit cabanon de bois qui se trouvait plutôt à l'écart du village.
Manaba aurait bien préféré rentrer au plus vite, avant que leur absence ne se fasse remarquer, mais que pouvait-elle y faire?
Elle l'attendait, adossé à la petite hutte, croisant les bras.
"Qu'est-ce que je ferais pas pour elle" chuchota la jeune femme. Cela faisait quelques minutes déjà qu'elle l'attendait, et elle commençait à se demander si tout allait bien.
Alors qu'elle s'apprêtait à interpeller l'enfant, quelque chose se trouvant dans la périphérie de son champ de vision attira son attention. Elle resta silencieuse, s'accroupissant soudainement et se cachant derrière la petite bâtisse en bois.
Les premiers sapins de l'immense forêt se dressait devant elle, à l'autre bout de la grande place. Parmi les arbres, elle cru vaguement distinguer de grandes lueurs orangées. Elle en vit passer rapidement une, puis deux...
trois...
Une série de lueurs se fit entr'apercevoir dans la végétation et elle se trouva figée sur place. Son instinct lui criait qu'un grand danger était proche - et ses yeux le lui confirmèrent lorsqu'elle put enfin distinguer de vagues silhouettes.
Ogul ouvrit la porte des toilettes, enfin soulagée, et elle eut à peine le temps d'ouvrir la bouche que sa tante l'avait déjà attrapée, recouvrant ses lèvres de sa main gantée pour l'empêcher de produire tout bruit.
Son cœur s'était accéléré, lui donnant l'impression qu'il allait à tout moment sortir de sa poitrine, mais son visage resta d'une pâleur extrême. Elle entendit à présent le bruit sourd de bottes rencontrant la neige - donnant l'impression que la terre grondait à chaque pas.
"Ne fais aucun bruit, Ogul. Aucun."
La petite acquiesça vivement de sa petite tête à la chevelure noire tandis que Manaba retira lentement sa main qui empêchait presque l'enfant de respirer.
Que faire? Il semblait y avoir un nombre considérable d'hommes, et au vu de leur comportement, ils n'étaient pas là pour rechercher de l'aide.
Manaba inspira un bon coup. Il ne fallait pas se laisser submerger par la peur s'ordonna-t-elle. Alors, elle fit le tour du cabanon, lui donnant une vue sur l'immense hutte qui abritait à ce moment là, la quasi totalité du village.
Les nuages cachant toujours la lune - et la lumière du brasier se heurtant à plusieurs habitations ne lui permettaient pas de voir correctement la scène. La seule chose qu'elle pouvait distinguer fut les silhouette sombres qui se rapprochaient dangereusement de la hutte.
Sa respiration était de plus en plus saccadée et son cœur battait de plus en plus vite - malgré le froid intense, elle pouvait sentir ses mains devenir moites, la sueur se propageant sous ses gants.
Ogul était venue la rejoindre, s'étant posée à même le sol neigeux, à ses côtés et s'agrippant à sa cuisse. La situation lui semblait incompréhensible pour sa logique d'enfant, mais au vu de l'expression qu'affichait sa tante, elle perçu de suite qu'il n'y avait rien de bon.
Les grands orbes dorés de Manaba étaient toujours collés à la hutte. Elle espérait se tromper, que cela ne fut que quelques voyageurs en quêtes d'un refuge - mais lorsque le ciel fut enfin dégagé et les rayons de la pleine lune purent enfin atteindre la village - son sang ne fit qu'un tour.
Chaque seconde qui passait semblait en faire mille - le temps semblait presque s'être figé tandis qu'elle voyait très clairement la scène en face d'elle, presque au ralenti. Aucun détail ne lui échappa.
Premièrement, le nombre incommensurable d'hommes présents autour de la grande bâtisse.
Deuxièmement, les armes qu'ils empoignaient fermement - et plus particulièrement les gigantesques lances qui les dépassaient d'une voire deux têtes.
Puis enfin, elle vit les flammes.
Une flèche orangée, presque rougeâtre passa brièvement, tel un éclair enflammé - et vint finir sa course sur le mur en bois de la hutte, qui prit feu aussi rapidement que la flèche était arrivée.
Un cri retentit, un cri aiguë, presque bestial résonna fortement dans le silence hivernal qui avait pu régner jusqu'à présent. Et comme une meute de loup, un cri en entraina un autre et bientôt- on n'entendit plus que ça tandis que bien d'autres flèches virent se planter dans le bois de la hutte.
Une épaisse fumée commençait déjà à apparaitre quand un homme sorti avec hâte de la bâtisse. Il ouvrit la porte d'un grand fracas, son visage affichant incompréhension et peur.
L'homme n'eut pas le temps de poser ne serait-ce qu'un pied sur le sol blanc. Tout allait si vite. Il avait à peine montré le bout de son nez que sa tête avait été coupée, d'un seul trait, par l'une des gigantesques lance que possédaient les attaquants.
Ogul lâcha un petit cri.
Elle l'avait oublié - la scène se déroulant devant elle ayant drainé toute son attention. Manaba attrapa fermement le bras fin de l'enfant, lui ferma la bouche et posa sa main sur ses petits yeux où des larmes coulaient déjà.
Les cris se firent entendre aussitôt - le bruit du fer heurtant diverses matières, peut-être de la peau également.
Le bois craquait sous le grand feu qui s'était maintenant propagé de maison en maison. On y voyait très clairement à présent. La blancheur de la neige reflétait la lueur des flammes - et cela s'accentuait d'autant plus que le sang absorbé par la neige venait rajouter une teinte encore plus écarlate à la scène macabre.
Manaba se retourna, tenant toujours fermement sa nièce qui gémissait entre ses bras. Elle jeta un coup d'œil, cherchait son frère ou Tania rapidement, mais en vain.
Les assaillants semblaient s'être dispersés. On pouvait entendre des cris stridents venant de l'autre bout du village, remarqua la jeune femme. Il fallait fuir, rapidement, avant qu'elles ne soient trouvées. Pas le temps de s'attarder à chercher les autres.
Elle se releva alors avec précipitation, aidant la petite également à se tenir sur ses deux jambes, affaiblies par les émotions.
"Écoute-moi bien, Ogul. On va devoir partir très vite. Tu te tais et fais ce que je te dis de faire, ou on se fera tuer. Compris?"
Pas le temps de mâcher ses mots, ni même de nier la réalité qui apparaitrait bien assez tôt sous les yeux de la fillette.
Elle prit fermement sa main toute fragile et tremblotante, et se prépara mentalement à partir avec le plus de discrétion possible. Les cris semblaient quelque peu éloignés d'elles - alors Manaba décida qu'il était temps de fuir. C'était maintenant ou jamais.
Elle fit un gigantesque pas, s'apprêtant à prendre de l'élan lorsqu'elle fut stoppée net par un corps se fracassant au sol. Les yeux de la femme au crâne ensanglanté gisant au sol étaient encore ouverts, comme si la mort l'avait emprisonnée éternellement dans sa dernière expression de détresse, d'agonie. Manaba imita la même face que celle du corps étalé sur le sol et ses yeux se posèrent sur le scélérat qui venait d'abattre l'innocente.
Dagues rougeâtres dans chacune de ses mains, l'assassin plongea ses yeux dans ceux écarquillés de Manaba alors pétrifiée. Une des premières choses qu'elle s'étonna de remarquer fut qu'il ne ressemblait aucunement à un homme du nord. Il était petit, trapu, avait des cheveux courts et châtains, tâchés de sang probablement encore chaud.
Il s'approcha lentement d'elles, son visage n'affichant aucune expression et empoigna plus fermement ses dagues aiguisés.
Manaba n'entendait plus rien - comme si une bulle s'était créée autour d'elle, absorbant tout son. Elle se maudissait, se haïssait. Elle se croyait si forte, elle, à savoir survivre seule dans la forêt. Elle pensait qu'elle avait l'âme d'une guerrière, qu'elle saurait se défendre lorsqu'il le faudrait.
Mais maintenant que le danger, le véritable danger, s'offrait à elle - rien. Tout le courage qu'elle s'était imaginé avoir, toute la force et la robustesse qu'elle pensait posséder avait disparu pour faire place à une seule chose.
La peur.
Elle pensait à tous ces gens qui se faisaient massacrer, son chez-soi qui était en train d'être réduit en cendre, à son frère qui se battait probablement. Elle pensait à tout ce qu'elle était en train de perdre.
Le cri de sa nièce la ramena à la réalité.
La bulle venait d'éclater.
Oui, sa vie était en train de partir en cendre, en fumée. Oui, des gens mourraient. Oui, elle perdait ce qu'elle avait de plus cher.
Mais il y avait, en cet instant présent, quelqu'un pour qui elle devait se battre. Quelqu'un pour qui elle devait résister, et ce, afin de ne pas la perdre.
L'instinct de survie s'empara de tout son être. Ses pupilles se rétractèrent, sa face se contorsionna si fort que sa tête avait prit un air bestial et ses jambes se mirent à bouger d'elles- même.
Elle fonça vers l'homme, dont les yeux s'écarquillèrent, surpris de ce changement soudain.
Elle bondit sur lui, avec agilité et le plaqua au sol. Elle trouva la force qu'elle avait imaginé avoir, peut-être même plus, et elle se mit à le frapper. Encore et encore.
Les lames aiguisés entaillèrent ses vêtements, jusqu'à la peau. Elle avait beau frapper aussi fort qu'elle le pouvait, le meurtrier ne se laissa pas faire - et il avait bien plus de force qu'elle. Alors il la retourna, d'un coup sec, sans même qu'elle n'ait eu le temps de s'en rendre compte et leva une de ses dagues, tandis qu'il tenait le bras de la femme de son autre main. Prêt à la planter, Manaba intercepta la lame de sa main libre. Bien que gantée, la lame aiguisé trancha le tout, et elle sentit une douleur vive traverser sa main, remontant jusqu'à son bras. Mais la douleur ne faisait qu'accentuer son envie de survivre - et donna un coup de tête si puissant, qu'elle vit de vives lumières dans tout son champ de vision.
L'homme avait le nez brisé, et le sang coulait à flot par ses narines. Il n'eut pas le temps de bouger d'un millimètre, Manaba avait déjà dans ses mains la dague qu'il avait fait tombée et l'avait plantée dans sa gorge, le faisant rejoindre le monde des morts en quelques secondes seulement.
Manaba avait à peine eut le temps de reprendre son souffle qu'un sanglot retentit dans ses oreilles, le son se faisant déformer par toute l'adrénaline qu'elle avait pu produire. Elle se retourna et vit sa nièce, décollée du sol par un autre homme, ressemblant au précédant, qui la tenait fermement par les cheveux.
"Attrapez-la!"
Pourquoi fallait-il que tout aille si vite?
Elle sentit quelque chose agripper son coup et la tirer en arrière, l'étranglant au passage et la faisant tomber avec maladresse tandis que son regard était toujours concentré sur Ogul. Manaba cria à son tour, un cri désespéré. Tout son corps venait d'être maitrisé - ses mains et pieds attachés par de solides liens.
Une imposante forme vint se planter devant Manaba, qui avait était accroupie de force à même la neige, maintenue en place par une main qui agrippait avec agressivité et fermeté sa chevelure foncée.
Des yeux marrons, presque aussi dorés que ses cheveux coupés court, traversèrent les siens. L'homme de carrure extrêmement musclée était vêtu de cuir bouilli, de lourdes bottes, et d'un manteaux de fourrure noir ébène.
Il était à sa hauteur, et la dévisagea un instant avant de regarder le corps de l'assaillant que Manaba venait d'abattre.
"C'est toi qui a fait ça?" Dit-il calmement dans la langue de la jeune femme. Sa voix était grave, aussi tranchante que les dagues qui l'avaient blessée.
Elle ne répondit pas. Elle gesticula, tentant en vain de se libérer. Son regard ne cessait de se promener entre la personne en face d'elle - et sa nièce, qui pleurait à chaudes larmes.
"Je pensais ne perdre personne cette nuit. Mais lorsque je découvre que l'un de mes frères est tombé, j'apprends que c'est aux mains d'une femme. Une fille de la forêt qui plus est. "
Elle avait envie de pleurer, mais jamais, jamais elle ne le ferait devant lui. Sa fierté le lui interdisait.
"Sang et victoire ou défaite et humiliation"
Elle écarquilla tellement les yeux que l'on aurait cru qu'ils allaient sortir de leurs orbites. Elle reconnaissait cette devise: c'était celle des guerriers du sud, ceux de là où rien ne poussait, où tout n'était que pierre et poussière.
"Cet homme n'a pas su se battre correctement. Tu l'as abattu. Tout l'honneur te revient, je te laisserai la vie sauve. Mais elle..."
Il s'arrêta, se tourna vers l'enfant qui hurlait presque à présent. Son visage avait été rougi par le froid, les larmes et la peur.
Manaba comprit de suite, et se mit à hurler à son tour. Elle gémissait, se lamentait, et tentait de le dissuader via les quelques mots qu'elle arrivait à prononcer entre deux sanglots, mais cela ne faisait aucun sens. L'homme ignora les complaintes, et s'avança vers la petite, sortant un petit couteau de son long manteau de fourrure.
"Elle, elle ne vaut rien."
La dernière chose qu'elle vit avant d'être assommée, fut sa nièce, gisant au sol, la gorge tranchée.
Quelques flammes subsistaient malgré la neige intense qui tombait sur le village en ruine. Tout n'était que dévastation et cendre, sang et débris.
Manaba ouvrit les yeux avec difficulté, une douleur atroce lui brisant le crâne. Sa vision était encore floue, mais elle pouvait discerner quelques formes et couleurs vives passer devant ses yeux.
Elle était encore à moitié conscience, mais elle se sentait être trainée, la neige mouillant tout le bas de son corps. Tout semblait si irréel, si lointain. Les seuls sons qui parvenaient à ses oreilles étaient presque imperceptibles mais produisaient toutefois un échos désagréable qui venait remonter jusqu'à son cerveau, lui donnant presque la nausée.
Reprendre ses esprits lui prit du temps - mais lorsqu'elle fut enfin consciente, sa respiration commença à s'accélérer, son cœur à battre de plus en plus rapidement tandis qu'elle se remémorait les évènements qui semblaient s'être produits il y a de cela une éternité .
Enfin, si cela lui paraissait être fort lointain, il n'était que l'aube et le soleil ne commençait qu'à peine à se lever.
Elle se mordit les lèvres pour ne pas crier, et à sa plus grande surprise,pas une seule larme ne coula. La douleur, physique comme émotionnelle était si grande, que plus rien ne pouvait l'exprimer.
Elle observa son environnement. Ils étaient encore au village, et bien que quasi la totalité des huttes furent écroulées, réduite en cendres, elle savait qu'elle se dirigeait vers la place centrale.
Elle chercha désespérément une tête familière, une tête qui ne soit pas attachée à un corps sans vie. Mais son angoisse ne fit qu'augmenter lorsqu'elle ne vit rien d'autres que des débris, du sang et des personnages à l'allure étrangère. Il fallait qu'elle sache, qu'elle sache si au moins quelques membres de son village avaient réussi à survivre à l'attaque.
Elle n'eut pas le temps de regarder plus son environnement. Son corps, taché d'ecchymoses et gravés d'entailles alors jusque là tenu à l'horizontale, fut relevé d'un coup sec. Elle réalisa qu'elle avait été posée, ou du moins plutôt ligotée à un bout de bois noir de suie. Un homme passa à ses côtés, et ses yeux d'un bleu extrêmement clair virent percer les siens avant de continuer sa route, silencieusement.
Son corps lui faisait atrocement mal, pas un seul millimètre de ce dernier ne la tourmentait pas. Elle tentait tant bien que mal de trouver une position qui pourrait la soulager, ne serait-ce qu'un peu.
Mais la jeune fille avait été si absorbée par la douleur qu'elle ne réalisa le spectacle qui se déroulait devant ses yeux, seulement quand le vent poussa une fumée à l'odeur nauséabonde dans sa direction. La fumée lui piquait les yeux, et ses narines lui suppliaient d'arrêter cette torture, sans quoi, son estomac se viderait sur le champ.
Lorsqu'elle put enfin ouvrir correctement ses yeux, Manaba ouvrit la bouche - comme pour crier, mais aucun son ne sorti.
Le grand brasier central brulait toujours - et s'il avait pu continuer de produire sa chaleur, ce n'était non pas grâce au bois, mais aux corps humain de ceux qu'il avait chauffé si longtemps.
Elle voulait crier, hurler, se débattre, partir loin, très loin - mais elle fut stupéfié, comme clouée sur place par la scène macabre qui se reflétait dans ses yeux ambrés.
Des hommes, se ressemblant tous, prenaient chacun leur tour un des corps sans vie d'un des amas de corps qui avaient été dispersés de-ci de-là du grand feu.
"Pourquoi?" Ce fut son unique pensée.
Pourquoi tant de cruauté, envers un peuple innocent?
Pourquoi ne laisser que cendre et poussière?
Son corps se mit à trembler violemment, tandis qu'elle reconnaissait chaque visage qui n'allait bientôt servir que de simple alimentation au feu - lui permettant de bruler un peu plus longtemps.
Elle vit le corps de la vieille chamane, déjà raidi par la mort et le froid, se faire attraper sans douceur, et jeter dans les flammes. Elle la détestait, mais elle lui avait toujours souhaité une mort paisible, dans son lit, auprès de sa terre et de sa famille. De toute évidence, son sort avait été tout autre - bien plus cruel et douloureux.
Mais elle sentit soudainement quelque chose se briser en elle, lorsque son regard rencontra un visage bien trop familier. Un visage qu'elle avait connu, vu grandir et changer durant ses vingt-trois années de vie.
Le corps imposant de son frère se faisait porter par deux autres grands hommes. Ses bras et sa tête pendaient dans le vide, des gouttelettes de sang tombant délicatement tout le long du chemin, venant teindre la neige en rouge.
Ses yeux suivirent son corps jusqu'à gigantesques flammes. Elle ne put rien dire, sa gorge s'était nouée, son souffle complètement coupé.
Et c'est quand le corps de son frère toucha les flammes, que ses larmes se mirent à tomber.
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