Zelda
Ma grand-mère me lance un petit regard curieux par-dessus ses lunettes en demi-lune.
« On avait dit pas de téléphone pendant le scrabble... qu'elle me rappelle doucement. »
Je crois qu'elle a peur que je triche. Heureusement, je n'ai pas besoin d'un téléphone pour savoir que les lettres, sur mon chevalet en plastique édition spéciale 1987, ne forment aucun mot une fois mises bout à bout.
« Je ne suis pas sur internet, mamicha, je lui réponds en verrouillant l'écran. »
Il redevient noir comme une nuit sans lune.
« Alors qu'est-ce que tu fais ? elle s'inquiète. Ta maman a un souci ? »
Je secoue la tête. Ma mère est seule à Strasbourg mais je sais qu'elle s'en sort très bien sans moi. C'est mon père qui m'harcèle pour une pomme de terre trop cuite ou une tâche de vinaigrette sur sa nouvelle chemise blanche.
« Alors finissons cette partie, ajoute l'ancêtre. Je n'ai pas encore arrosé le jardin.
- Je peux le faire, hein. C'est pour ça que je suis ici.
- Ce n'est pas parce que tes oncles et ton père pensent que je suis bonne pour la résidence que c'est le cas. Si tu veux vraiment m'aider, tu n'as qu'à récolter les tomates pour le coulis.
- Chef, oui chef. »
On se sourit. Mamicha renifle, s'essuie le bout de son nez du revers de sa main fripée et change la place de ses lettres sur le chevalet.
« Scrabble ! annonce-t-elle. »
Elle jubile et je me rappelle que je n'aime pas ce jeu.
.
Le coulis est prêt. Il ne m'a pas répondu. Je guette avec impatience mon écran. Mon bullet journal, c'est un peu mon journal intime, aussi. Je n'ai pas envie qu'il reste loin de moi trop longtemps. Et puis, dedans, il y a l'adresse d'Isis et j'ai promis de lui écrire. Elle dit toujours que mes lettres sont agréables à lire. Je crois qu'elle veut surtout montrer à sa sœur aînée qu'elle a une correspondance.
Je me demande à quoi Louis ressemble. Evidemment, la première chose que j'ai faite, c'était de regarder son profil. Mais sa photo de profil, c'est un chien et je doute qu'avec ses petites pattes, il puisse m'écrire quelque chose. N'empêche, à sa manière d'écrire, je dirais que Louis, c'est un timide.
« Zelda ! s'écria Mamicha, un étage plus bas. »
Je quitte la cuisine, un peu paniquée. Elle a dû voir ma chambre. Mamicha a une grande maison mais elle y vit seule depuis longtemps. En bas, il y a la cave, l'atelier de peinture, une salle de bain et ma chambre.
Ma chambre qui n'est pas rangée.
Mamicha est en bas, elle fulmine. Du haut de ses années qu'elle ne compte plus, elle me toise.
« C'est ça, que tu appelles défaire ta valise ? »
Il y a mes vêtements roulés en boule sur le lit. C'est une technique du net : une nana a décrété qu'on pouvait optimiser la place en roulant ses t-shirts. Evidemment, c'est un mensonge. Mais j'aurais essayé.
« Je t'ai dit que je rangerai ce soir. »
Apparemment, cette excuse ne lui suffit pas. Elle continue de me toiser.
« C'est pour ça que tu es encore célibataire... elle rétorque en essuyant ses lunettes sur son tablier. Ton frère, il est ordonné. Il est ordonné donc les filles l'aiment bien.
- C'est un peu réducteur, mamicha.
- Range ta chambre, ensuite, on ira peut-être manger une crêpe. »
C'est un ordre et une proposition. Ça me va.
.
On a mangé au restaurant. Mamicha a pris une galette et s'est exclamée qu'il n'y avait rien de meilleur au monde. Elle est belle, ma grand-mère, quand elle s'emporte. Petite, rondouillette, toute fripée. C'est une vieille mamie, c'est une vielle chouette. Personne ne s'en occupe, de la mère de papa. Pourtant, elle à trois fils. Mais ils ont tous mieux à faire, du moins, c'est ce qu'ils se disent à Noël, pour justifier leur visite annuelle.
Alors je viens la voir, l'été, à Dinard. On passe un mois ensemble à jouer au scrabble dans son jardin, à pêcher à marée basse à Saint Jacut et à manger des crêpes. Si je passe par Dol de Bretagne, c'est pour voir Jean, mon oncle. Il n'aime pas que je sois dans la région sans passer le voir. Il trouve que c'est dommage, parce que, déjà, on ne se voit pas beaucoup. Il dit souvent que si papa n'avait pas vu maman le premier, il l'aurait dragué. C'est gênant. Jean, c'est mon oncle un peu lourd.
Je n'ai pas regardé mon téléphone depuis un petit moment. J'ai une notification. Je sais pas trop quoi en penser. C'est Louis qui m'a écrit. Enfin, je songe. C'est pas qu'il est méchant, mais mon bullet journal, c'est un peu plus qu'un cahier pour s'organiser et je voudrais le retrouver. Il y a l'adresse d'Isis, dedans. Et puis, il y a aussi quelques pages sur ce week-end qu'on a passé avec les filles dans la montagne. Je ne voudrais pas qu'en les lisant, il se fasse une fausse idée de moi.
A dix-neuf heures, il m'a envoyé : « Je peux toujours te l'apporter à Dol. »
Je fronce les sourcils, je regarde Mamicha qui met les pieds dans l'eau. Elle va encore mouiller son pantalon.
J'ai attendu toute l'après-midi sa réponse.
Il attendra que j'y réfléchisse.
A demain, Louis.
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