10H00
Un silence. Un dernier souffle de temps.
Je suis réveillée par la voix de l'eau. Je sens la chambre contre ma peau, le lit en feu dans le creux de mon dos, et je suis dans la maison et je fuis sur la plage, mon corps brûle et mon esprit se noie.
Papa n'est plus.
Papa n'a pas ouvert ma porte. Papa a allumé maman comme on allume une allumette et elle a brûlé la maison comme il a cramé son coeur. Il est mort entre les cigarettes et les flammes et la mer, mort sans même s'en rendre compte. Il ne reste plus grand chose à tuer, enfin si, peut-être moi.
Je me demande si Marie et les cousins vont venir. Ils se mélangent aux glaces, aux ravioles, au marchand dans ma bouche brûlée. Je porte la robe bleue de Maman, la chemise grise de Papa. J'ai l'esprit griffé par le feu, poli par l'eau, et au loin celui-ci devine quelque chose de plus que l'existence.
C'est dans la mort que je comprends enfin nos vies. Je comprends Papa, et ses poings, et sa rage, et ses crocs, et comment il s'échappe de la violence du monde en la transmettant, et puis ses pleurs, et puis sa peine, et puis son implosion entre les chemises grises et les appels de téléphone et les cigarettes et la bête qui lui ronge l'estomac. Je comprends l'harpie qu'il s'imagine dans les autres; ces monstres à abattre qui s'éloignent de celui qu'il voit lorsqu'il se regarde.
Je comprends Maman, ses bras et sa robe et ses yeux, et pourquoi elle ne mange pas- plus, parce que je comprends qu'elle était déjà morte bien avant de l'être.
Je comprends pourquoi elle est toujours dans la maison, comme Papa sur la plage: son corps dans la rue, dans la mer peut-être, mais l'esprit enraciné entre les quatre murs de bois. Pourquoi elle a dû la brûler, cette diable maison, nous brûler pour sortir la tête de l'eau; je ne lui en veux pas.
Je me demande si elle ne brûlait pas avant de gratter l'allumette contre sa peau, s'il faut du feu pour qu'il n'y ai plus de vie, de l'eau pour qu'il n'y ai plus d'air.
Et je me comprends en réceptacle de tout cela, en débordant ma peine par mes yeux sur le sable.
Il est l'heure de partir.
Je sens peu à peu le tiraillement, timide, de ma vie qui se vide dans la mer, qui me tire vers le bord, qui m'allonge sur le sable, avec les vagues qui me caressent le visage et me chuchotent mon corps brûlé.
Il est l'heure de partir.
Mon corps de plus en plus se dissout avec langueur dans la mer, mon cœur bat au rythme des clapotis de l'eau, et je deviens écume, soupirant en silence sur le sable, réchauffée par la flamme du ciel. Dans les méandres qui lient l'enfant et l'absolu, Maman s'illumine contre mon cou.
La mer m'avale enfin et je m'en excuse.
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