05h34
Un silence. Une éternité, un cri de lune.
Je sentis la mer avant de sentir le sable. Quand je rouvris les yeux, il n'y avait que le ciel. Les étoiles se substituaient aux flammes, dansaient dans la fumée de la nuit. Je cherchais, du bout de mes doigts noircis, quelque chose auquel me rattacher dans ce capharnaüm de vie, de mort; trouvais Papa, le touchais, appuyant sur sa peau suintante de sueur et de sang pour m'assurer qu'elle était bien réelle.
Papa est là. Je ne me noie pas. Je ne brûle pas.
Il n'y a plus de maison, il n'y a plus de Maman.
Et, logée dans les points de la couture qui lient et séparent la vie et la mort, le ciel et la terre, la lune et la mer, là où se rencontrent tous les tunnels de l'existence, d'une certaine façon, je savais tout. Les flammes m'avaient purifiées de tout ce qui était tragiquement humain, tragiquement gamin et maladroit en moi, et je savais tout, intemporelle puis inexistante dans le même souffle.
Papa était pâle et froid sur la plage vide, réfugié sous une moitié de chemise tapissée de cendres, les mains sur son visage qui pleurait des océans nouveaux. Je posais ma joue contre son torse haletant, et il passa son bras autour de moi, en me faisant mal, mais pas assez pour que je lui dise.
Et je ne sais pas si c'était les phalanges de sang avec lesquelles il caressait ma chair de poule, où ses 'je t'aime' qui rebondissait contre mon crâne meurtri, ou le regard que Maman lui addressait qui coulait à présent sur mes yeux comme la cire d'une bougie allumée par ses flammes; je ne sais pas pourquoi je le savais, mais Papa me faisait peur.
Quelque part dans les tunnels, quelqu'un, quelque chose, me criait de partir.
Je me relevais contre le sable, m'accoudait contre la force nouvelle que me donnait la faiblesse de la mort, et le regardais, le voyant enfin dans la nuit.
"-Pourquoi est-ce que Maman a fait ça?
-Je ne sais pas. Je ne pourrais pas le savoir.
-Pourquoi est-ce Maman pleure quand tu ne dors plus, pourquoi est-ce qu'elle a des taches sur les bras, pourquoi est-ce qu'elle n'a que ton nom sur ses lèvres lorsqu'elles tremblent?
Il me regarda en retour, les cils cramés, le cœur aussi, ses yeux rouges dansant sur une même mélodie l'orgueil et le deuil. Il me saisit le bras, mais ce n'était plus pour me sortir de l'incendie.
C'était l'incendie.
-Écoute. J'aime Maman, j'aime Maman comme tu ne le comprends pas, comme tu ne peux pas l'aimer. Mais ta mère...
Il soupira et regarda la mer, très loin, plus loin que je ne pouvais voir; il regardait derrière la mer Maman qui voguait sous les vagues en souriant.
-Ta mère était une harpie."
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