I
Il était une fois un prince maudit. Jadis et comme tout enfant naissant, il était innocent et curieux. Il aimait lire et possédait un grand savoir pour son jeune âge, mais par dessus tout il adorait son jeune frère, le soleil de sa vie. Tout deux que tout opposait étaient appelés à faire de grandes choses et à régner sur ce bout de paradis qu'on surnomma Dreamtale. Le plus jeune était adulé, l'aîné quant à lui était méprisé. Et un jour tout bascula.
L'aîné, gardien des sentiments négatifs, celui qu'on avait chargé de surveiller les fruits ténébreux du pommier, se laissa corrompre par une malédiction qui tua tout le bon qu'il était et exécuta quiconque osait lui barrer le chemin. Dans un ultime accès de colère, il figea dans la pierre son cadet et régna en maître sur Dreamtale qui perdit tout de sa magnificence.
Dreamtale n'était plus.
Ne restait en son centre qu'une souche pétrifiée et non loin un château érigé par le maître lui-même. Il y resta seul pendant des années jusqu'au réveil de son frère cinq siècles plus tard qui parvint à se libérer de sa prison de pierre. Dès lors il se promit de l'anéantir, lui et ses nouveaux alliés, ainsi que plonger tous les univers dans la désolation.
Pour accomplir son sombre dessein, il décida à son tour de s'entourer. Il alla donc chercher dans les quatre coins du Multivers des variations du Sans originel susceptible d'accomplir les pires sévices tout en trouvant intérêt à s'associer au maître des malheurs . Il trouva en premier un meurtrier fou et apathique mais pas le moins dévoué, s'étant épris de son patron. Peu de temps après, l'incarnation d'un ogre insatiable entra dans les rang du prince maudit, suivi d'un assassin tourmenté par des phases psychotiques, et enfin un guerrier apatride au bon coeur en quête.
On les affubla de nom Bad Sans, Nightmare était leur maître.
La guerre qui les opposait aux Star Sans était devenu lot quotidien. C'était tout bonnement et simplement Le Mal contre le Bien. Elle durait et perdurait, si bien que les hommes du gardien corrompu qui donnaient cher de leurs os finissaient par prendre cela comme une tâche ménagère. C'était un pénible gagne pain qu'ils exécutaient sans discuter à la sueur de leur front. Et quand ils ne se battaient pas, la vie au manoir n'était pas synonyme de répit.
Killer, celui obsédé par son maître, acceptait tout de celui-ci pour obtenir ses faveurs, et lorsque la lucidité le gagnait, il souffrait et pas moins de l'effet d'un aller simple dans le mur, rongé par ses fautes et ses regrets.
Dust, pourtant tueur de sang-froid, savait se montrer plus faillible qu'il n'y paraissait. Pas une semaine ne pouvait s'achever sans crise d'angoisse. Certaines pouvaient être violentes.
Cross était le dernier venu et peinait à s'intégrer. Il était de tous celui qui avait le plus de valeurs et de sens moral. Guère étonnant du fossé entre lui et les autres. Nightmare pensait de lui qu'il était un excellent coéquipier, cependant il était seul.
Et puis il y avait Horror qui supportait tout. Peu de chose l'atteignait et avait appris de son passé à relativiser. Alors, c'est tout naturellement et dans l'inconscience générale qu'il prit le rôle de protecteur, si ce n'est celui de mère. Quand rien allait Horror était là et réglait tout sans intérêt.
Parmi toutes les histoires qu'on ai pu lire sur les Bad Sans, c'est celui de Mama Horror qui sera conté.
Depuis son arrivée, Horror avait presque élu domicile dans la cuisine. C'était son territoire et ses camarades n'avaient aucun intérêt à traîner dans ses pattes sans qu'il ne l'autorise. Il y passait le plus claire de son temps libre à préparer la graille et à essayer de nouvelles recettes. Cette activité était une thérapie pour lui, son rapport à la nourriture étant inexistante avant qu'il ne rejoigne Nightmare qu'il entretenait avec grand soin. Il savait où se trouvait chaque casserole, ustensile, sucre et mayonnaise et avait en horreur le gaspillage. Par exemple, les fanes terreuses pouvaient donner un excellent velouté et de même une viande un peu faisandé avait toute sa place dans un ragoût.
Horror avait d'ailleurs un penchant pour les plats marinés et longuement mijotés. Il appréciait la chaleur que dégageait les fourneaux, l'odeur de cuisson, les vapeurs esquisses qui lui chatouillaient les nasaux et le son d'ébullition résonnant dans le faitout. Il préparait le dîner et il en avait encore pour au moins deux heures de cuisson à feu doux. Il fallait que la viande soit tendre et que la sauce s'épaississe. Il était là, bichonnant sa préparation en remuant de temps à autre et ne pouvant résister à l'envie de siroter son jus. De sa cuillère en bois, il en préleva un peu avant de souffler pour ne pas se brûler et l'amena à ses lèvres. Il claqua sa langue imbibée de sauce contre le palais pour mieux s'imprégner les différentes saveurs.
- Ça sera parfait avec un peu plus de sel~ Où ai je bien mis le bouquet garni ?
D'un pas chassé il attrapa la salière et assaisonna le ragoût en chantonnant. Chaque préparation était ainsi fait avec grand soin, si ce n'est presque de l'amour. Il aimait les chouchouter, les complimenter et leur chanter des louanges, comme si à chaque fois il accouchait d'un enfant. Or, il y avait des véritables enfants hors de la cuisine qui avaient besoin de lui.
En effet, Cross se présenta discrètement, ne dépassant pas le seuil séparant la cuisine et le couloir. Horror tourna la tête au strict minimum vers lui pour l'apercevoir du coin de l'orbite. Il émit un son d'acquiescement l'air de dire avec diplomatie « Pourquoi viens tu me déranger ? ». Cross soupira et lui exposa ses préoccupations en un seul mot.
- Dust.
Horror cligna des orbites et d'un seul geste il retira son tablier en le tirant suffisamment pour le dénouer sans effort.
- Je viens.
Il abandonna ce qu'il avait sur le feu et finit par suivre son coéquipier. Cross l'escorta jusqu'à la chambre de Dust. Ce dernier était replié sur lui-même au pied de son lit, tremblant, sanglotant dans ses genoux et à ses côté Killer qui le tenait par les épaules.
- J'ai mal... j'ai mal...
Horror s'approcha doucement de lui, Killer se retira.
- Je suis là, lui dit-il en le prenant contre lui, je suis là.
Dust releva la tête, ses pupilles embuées de larmes.
- J'ai... j'ai peur !
- Je sais, mais tu dois te calmer.
- A-appelle Science !
Horror souffla d'exaspération.
- Pour que tu te sentes mieux avant même qu'il ne t'ausculte ? Allons Dusty, tu sais que ce n'est rien. Tant que nous sommes là il ne va rien t'arriver de grave.
Horror et les autres résidents du manoir le savaient mieux que personne. Les crises de panique du poussiéreux étaient courantes et avec le temps le mutilé savait comment les gérer sans déranger un tiers à l'extérieur. Science avait été trop de fois sollicité pour rien. Mais cela n'empêchait pas le malheureux de protester à chaque fois, prétextant que ladite crise était pire que la dernière.
- Non, non ce n'est pas rien ! Cria-t-il paniqué. Je ne me sens vraiment pas bien, amène-moi voir Science pitié !
Son âme battait à rythme anormal et frénétique. Il traînait une douleur lancinante en ce point ainsi que l'ensemble du haut du corps comme si allait faire une attaque. Souvent, quand cela se produisait, il avait du mal à respirer. Les sanglots n'aidaient guère, Dust s'étouffant dedans.
- Cross, appela Horror en urgence, trouve moi un petit sac en papier sans trou ! Killer passe moi son dessus de lit !
Cross et Killer obéirent et se hâtèrent tandis qu'Horror restait aux côtés de Dust pour l'aider à mieux respirer en le maintenant penché en avant et lui frottant le dos. Le tueur aux larmes noires pris le dessus de lit, le secoua pour y chasser la poussière et couvrit le dos de son camarade. Le mercenaire bicolore revint rapidement avec un petit sac en kraft qu'il remit au mutilé. Ce-dernier souleva le poussiéreux, le calant contre sa cage thoracique et lui fit souffler dedans. Dust expira et inspira son air, réintégrant dans ses poumons assez d'oxygène et de gaz carbonique pour arrêter l'hyperventilation. La manœuvre n'excéda pas cinq minutes. Lorsqu'il fut plus calme, Horror mit le sac de côté et amena la tête de l'autre sur son épaule. Fatigué, le poussiéreux se laissa s'affaisser sans s'inquiéter de la charge de son propre poids. Horror finissait de l'emmitoufler dans le plaid, s'adressant à Cross et Killer.
- Laissez-nous seuls s'il vous plaît.
Ils sortirent, le laissant s'occuper du reste comme d'habitude.
Les pleurs de Dust perdirent en intensité et il respira mieux, mais ne fut pas totalement apaisé. Son âme palpitait encore et la sensation d'oppression était encore présente dans sa poitrine, et dieu qu'il détestait ça ! Heureusement, il pouvait compter sur Horror qui était là, le bordant et le réconfortant en silence. Celui-ci lui caressait le dos et lui soufflait de l'air chaud dans son cou par les narines.
- Ça va mieux ?
- Je- je ne sais pas, ça fait encore un peu mal.
-Hmm...
Rien ne fut à ajouter, juste rester près de lui et attendre que cela se tasse.
- On mange quoi ce soir ? Demanda Dust au bout d'un moment.
- Du Goulache, répondit Horror lui souriant. Tu te sens de te lever ? Tu n'as qu'à m'accompagner à la cuisine.
- Je... je veux bien.
Le fait de passer ainsi du coq à l'âne était une garantie que la crise était passée, bien que le poussiéreux était encore fébrile par ce que son corps venait de subir. Horror l'aida à se lever et le fit sortir de sa chambre. Dust avait gardé son dessus de lit sur le dos.
En chemin, dans les couloirs, ils croisèrent Nightmare qui offrit à ses sous-fifres un léger coup de tête en les regardant froidement. Le poussiéreux détourna le regard un peu honteux tandis qu'Horror inclina son crâne en clignant les orbites. Le maître des malheurs savait ce qu'il venait de se passer et avait pour habitude de certifier ces constats de cette manière, par de petits gestes qui en disaient long, sans vraiment tenir rigueur à qui que ce soit ou vouloir réprimander. Il ne servait à rien de gaspiller sa salive et son énergie pour ça. Le mutilé faisait de même pour lui assurer que tout était en ordre. Chacun reprit son chemin sans autre déconvenue.
Horror fut plus que ravie de retrouver son petit ragoût comme si il l'avait quitté mille fois plus longtemps que pour de vrai.
- Ma pauvre petite mixture, tu n'as pas été remuée depuis trop longtemps~ Dit-il de théâtralement sans être dérangé par la présence de Dust assis non loin sur une chaise et dormant à moitié sur la table.
Le poussiéreux était l'exception qui confirmait la règle. Si personne n'avait le droit d'entrer dans la cuisine, Dust était quelquefois toléré sous réserve de respecter certaines conditions, chose qu'il faisait sans rechigner. Le silence était d'or et c'était volontaire. Il ne voulait en aucun cas déconcentrer son plus cher camarade et l'envie de rester avec lui était plus fort que toute tentation de le titiller. Il s'occupa en glissant son index sur les veines du bois vernis ou en observant Horror s'affairer. Finissant par s'ennuyer il s'endormit.
Lorsque le repas fut prêt, Horror le secoua légèrement. Dust se réveilla en douceur.
- On va dîner, tu prépares la table ?
Le poussiéreux bailla et se leva, titubant légèrement. Il mit le couvert tranquillement. Horror appela tout le monde pour manger.
Tout le monde était à table à l'exception de Nightmare qui avait préalablement demandé au cuisinier d'apporter son assiette à son bureau. Ça aussi c'était une habitude, il ne mangeait que très peu avec ses sous-fifres.
- Bon appétit. Souhaita Horror à ses camarades qu'il avait servit.
Dust observa son assiette fumante. La viande avait l'air si tendre et la sauce avait une belle consistance. Et les pommes de terre et les carottes qui avaient baignés dans le jus se réduisaient en purée en une pression de fourchette. Avant la première bouchée, le poussiéreux sut qu'il allait se régaler. Il piqua de sorte à tout goûter en même temps et amena la fourchette à ses lèvres. Il crut manger du rêve. C'était chaud, réconfortant et tout fondait entre la langue et le palais. C'était si bon qu'il poussa un gémissement d'extase que le reste entendit.
- C'est bon.
Cross et Killer n'auraient pu dire mieux, l'un lui souriant légèrement l'autre acquiesçant discrètement. Horror sourit et regarda son camarade tendrement.
- J'en ai fait pour tout un régiment, manges en autant que tu veux, cela te fera du bien.
Dust acquiesça et vida rapidement son plat. Il se resservit tant il avait adoré puis épongea la sauce avec du pain.
Après dîner, la petite bande passa le reste de la soirée devant un film choisi par Killer. Il y avait suffisamment de place sur le canapé pour que le poussiéreux puisse profiter de la soirée allongé, la tête reposant sur les genoux d'Horror.
Quelquefois Dust avait besoin de lui dans les moments difficiles et il avait toujours été jusque là disponible pour son camarade couvert de poussière. Horror l'aimait beaucoup et remuerait ciel et terre pour que tout se passe au mieux, pour lui comme pour les autres.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top