Arabesque

La pluie tombait sur les feuilles argentée de la forêt, trop forte pour que le sol ne parvienne à en absorber l'eau claire. L'air apportait à Arabesque des odeurs de terre, de bois, d'eau, de proies, de la ville, de la pierre. Des odeurs qui se croisaient et se mêlaient, se détachaient et s'associaient, comme une toile olfactive qui l'appelait dans toutes les directions. Pourtant, il ne chercha pas à la suivre. Les odeurs , le sons même lui importaient peu. Il n'écoutait que la voix.

Ils sont proches.

L'animal accéléra le pas, trottina sur le sol humide, la pluie glissant sur sa fourrure épaisse sans atteindre sa peau. Il avait hâte de retrouver les siens. Son corps se retrouvait envahis d'une étrange sensation à cette idée. Plus que les odeurs, la voix était un appel qu'il ne pouvait ignorer.

La chasse a été bonne. La meute est repue.

Il ne voyait pas ses frères et sœurs que déjà il sentait leur bonheur dans son esprit, une source de joie si pure que la tête lui tournait presque. Seule les émotions de la femelle alpha manquait à l'appel. Mais eux, la voix ne les avait pas laissés, la voix parlait toujours dans l'esprit de tous ses frères. 

Danger.

Il se figea brusquement. Fausse alerte ? Danger immédiat ? Où ? La meute risquait-elle quelque chose, ou seulement lui ? Il ne parvenait pas à analyser les odeurs que portait le vent, ni les sons qui se mélangeaient au bruissement des branches.

Danger. Retrouve la meute.

Il n'eut pas un seul instant d'hésitation, et bondit en avant. Il sentait les arbres défiler sur sa gauche et sa droite, les oiseaux fuir à son passage. Mais il ne chassait pas. L'urgence était ailleurs. L'angoisse lui tordit le ventre.

Trop tard. Danger.

Il ne voulait pas y croire. Il n'était pas trop tard, jamais. Il s'écorcha les coussinets sous les pierres tranchantes, bondit au dessus d'un ruisseau, fila à toute allure entre les troncs. Ses yeux étaient rendus aveugles par le vent trop sec de la fin de l'été. Le roc pointu. L'arbre blanc. Le tronc aux vipères. La tanière.

Il entendait distinctement les aboiements et hurlements de ses frères. La douleur et le désespoir firent monter la rage, une rage sourde qui le prit à la gorge et l'aveugla. Il n'entendait plus la voix. Il savait déjà. Ses crocs se plantèrent dans la chair, des griffes lui déchirèrent les flans. Ses mâchoires claquèrent au rythme de celles de ses frères, arrachant la peau, faisant couler le sang dont le goût sucré fut comme une caresse sur sa langue. L'être en face de lui leur rendait coup pour coup. Ses griffes étincelaient comme des diamants, armes aussi mortelles que les crocs qui lui arrachaient des lambeaux de fourrure de toutes parts. Ses frères combattaient auprès de lui, il le savait. Ils frappaient, griffaient, hurlaient avec toute la force de leur âme. Leurs griffes et leurs crocs visaient le ventre, la gorge, la moindre faille dans la fourrure brune de leur adversaire aux yeux de charbon. Il ne sentait plus le vent. Il ne voyait plus ses frères, la vue brouillée par la haine. Seul le sang dans sa gueule et les hurlements rageurs qui lui vrillaient les oreilles comptaient désormais.

 Lorsque la créature fit volte-face, bondissant derrière la grande pierre de la tanière, Arabesque se jeta à sa poursuite, sourd à la voix qui lui criait la fin du combat. Il bondit, crocs dénudés, prêt à frapper jusqu'à la mort, mais un choc sourd le cueillit à l'estomac et le renvoya au sol, peignant plusieurs traces écarlates sur sa fourrure de marbre et de jais. Il s'effondra dans la terre boueuse, cherchant à grande peine l'air qui refusait d'atteindre ses poumons. Lorsqu'il se releva, le sang goûtant comme une pluie vermeille, il vit deux de ses frères près de lui, le poil dressé et la bave aux babines, mais pas son adversaire. Il s'était enfui.

C'est fini.

Il haleta, épuisé. Ses frères ne vinrent pas s'enquérir de son état ; la voix suffisait à savoir.

Tout le monde est vivant. Beaucoup de blessés. Pas mortels.

Il se retourna, s'avança vers la meute, frotta son museau à ceux des loups qui l'avaient protégé. Il se rapprocha du rocher, des femelles, des jeunes. L'odeur du sang était partout, mais par dessus, le relent acre de son adversaire se faisait encore sentir. Une odeur qu'il n'avait pas senti depuis longtemps. Ses sens s'étaient éteints au cours du combat, et il ne pris qu'alors conscience de la nature du danger dont la voix l'avait prévenu.

Un ours. C'est un ours qui a attaqué la meute.

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