XIII. Comédie
"Semblables à des murmures, les syllabes s'écoulent sur ma peau comme une source impétueuse, formant des arches pluvieuses entre les sillons de mes paumes." Inconnu.
MALSEN
Accoudé à une des larges tables du banquet, je regardais dans toutes les directions comme un gamin curieux et naïf. Je respirais lentement, toujours enivré par la tension qui pesait sur mes épaules.
Des serviteurs avaient troqué mes vêtements sales contre une tunique blanche, propre et saillante. Je me sentais mieux, je me sentais vivant.
Grattant le revers de la table avec mes ongles sales, j'espérais pouvoir deviner une réponse à mes interrogations.
Apaisé par les bruits familier des festivités, mon coeur s'était calmé et tentait désormais de récupérer du rythme que je lui avais imposé ces derniers jours.
Mon esprit toutefois restait orageux. Jamais je ne m'étais réellement senti en sécurité parmi les miens, et comme le glas d'une cloche qui annoncerait un funeste événement, mes doutes ne cessaient jamais de me rappeler qu'à la moindre erreur de ma part, mon destin ne m'appartiendrait plus.
Me pincer les avant-bras ne fit pas non plus surgir en moi l'espoir d'une quelconque rédemption nerveuse. Prenant conscience que je n'avais rien de mieux à faire alors, je reportais mon attention sur les effluves familières d'un potage qu'un serviteur avait placé devant moi.
Le breuvage était froid, mais mon estomac contracté par la faim semblait facilement capable de s'en accommoder.
Pris d'une impulsion, j'attrapais rapidement une cuillère avec ma main droite pour plonger cette dernière dans l'appétissante mixture. Des croutons et des herbes tournaient harmonieusement dans ce breuvage froid. J'en frémissais.
Pris d'un doute néanmoins, j'arrêtai mon mouvement à mi-chemin, avant d'adresser une pensée à ma seconde conscience.
« Maurn, fais en sorte que le poison dans la nourriture ne m'affecte pas. »
« Heureux que tu fasses de nouveau appel à moi, gamin. »
« Tu veux quoi en échange ? »
« Rien, fais-moi rire, soit mon bouffon. »
Un sourire forcé et tordu ne manqua d'apparaitre sur mon visage. J'aurai préféré perdre un autre doigt que de l'entendre m'insulter encore une fois.
MIRAN
Quelque chose dérangeait Miran depuis plusieurs minutes. D'abord mortellement ennuyée par les festivités, elle n'avait pu décrocher son regard du bâtard qui se faisait appeler Baltazar. Quelque chose en lui avait changé, elle en était certaine.
De l'agacement, c'est ce qu'elle ressentait. Elle reniflait bestialement chez lui une ondulation familière, une sensation qu'elle avait de nombreuses fois pu ressentir chez les maîtresses de la famille.
D'abord dubitative, elle ne pouvait trouver en elle la résolution de détacher son regard du sien.
Pourquoi était-il si différent maintenant ?
La jeune pucelle secoua sa tête nerveusement, avant de centrer son attention sur sa nourriture. Les filles de la résidence avaient toujours été tenues au respect d'un régime strict, qui aujourd'hui s'estompait au regard du large et copieux banquet qui s'étendait devant elles.
Miran n'hésita pas un instant avant d'avaler son potage avec satisfaction, espérant que ses pensées puisse s'accorder de nouveau autour d'un sujet qui la rendrait moins nerveuse.
Non loin d'elle, un évènement étrange se déroulait. Un maître s'était levé de table et jetait un regard furieux à l'encontre d'un de ses semblables.
- Putride charogne ! Ose dire la vérité, admets que tu as plagié mes recherches !
La charogne en question se leva simplement de sa chaise en réponse, toisant son interlocuteur avec froideur. Le torse en avant et le nez serpentant majestueusement vers le ciel, l'homme lui répondit d'un ton dégradant.
- Mon frère, reprends tes esprits. Jamais je n'aurais volontairement volé un incompétent tel que toi.
La foule à l'écoute ne put s'empêcher d'en rire, trop satisfaite à l'idée que la mornitude du repas allait être brisée par une joute verbale.
Miran avait complètement reporté son attention vers les deux hommes. Lorsqu'elle put finalement identifier précisément l'accusateur, elle se révéla incapable retenir un soupir de dédain, tant celui-ci transpirait la banalité physique. Petit et trapu, l'homme avait des cheveux gris et gras qui lui tombaient en une frange sur le front.
Plissant les yeux, la jeune fille remarqua au détour d'une expression faciale distordue, que le concerné laissait échapper une athmosphère étouffante autour de lui. Fou de rage, ses yeux s'étaient déjà tranformés, laissant entrevoir deux larges pupilles d'un vert relativement clair.
La jeune fille ouvrit la bouche de surprise, mais ne put se contenir très longtemps que déjà la situation évoluait.
- Je demande rétribution, je demande que justice soit faite !
Sa requête n'avait rien de déraisonnable. La propriété intellectuelle n'était pas quelque chose que l'on pouvait dégrader sans être préparé à en subir les conséquences.
Quelques années plus tôt, un homme avait été retrouvé mort, attaqué et violé par la créature domestique d'un autre maître. Ce dernier l'avait accusé la veille de lui avoir volé un parchemin de grande valeur. L'événement n'avait soulevé que peu d'interrogations, et personne n'avait cherché à savoir si les allégations en question étaient fondées ou non.
Si les querelles entre bâtards ne faisaient qu'amuser les maitres, les choses étaient presque semblables dans les plus hautes sphères hiérarchiques de la famille. Les litiges étaient réglés par les concernés eux-même. Rares étaient les fois où Père avait dû intervenir de sa propre personne.
Sauvagement accusé, l'autre homme au nez proéminent commença à s'agiter, masquant une nervosité apparente en exécutant des gestes provocateurs de la main.
- Du calme, l'ami ! C'est mauvais pour le pancréas de s'énerver autant.
L'homme trapu écumait de rage. Miran anticipait. La situation allait mal tourner d'une minute à l'autre. Jamais la jeune fille n'avait vu deux maîtres se battre ensemble.
Utilisaient-ils habituellement le Hado pour se mesurer l'un à l'autre ? Miran ignorait comment la tradition régissait les conflits entre maîtres.
Curieuse, elle déploya son regard fliquant sur la personne qui recevait l'accusation. Vieil homme efflanqué, l'homme semblait familier aux yeux de la jeune fille, avec sa tunique rouge légèrement ternie et sa posture voutée, découpée avec difformité et surplombé par un front et un nez peu flatteur. « Le vieux pervers de tout à l'heure ! » pensa t-elle avec dégout.
MALSEN
« M'étais-je trompé ? »
J'attendais toujours impatiemment que la plante* fasse de l'effet. Je trépignais, tremblais d'excitation, espérant que ma manipulation aboutisse.
Qui étais-je sinon, qu'un autre bâtard insignifiant de la famille ? J'étais incertain, croulant sous la rouille d'un esprit divisé.
J'ignorais si ses effets allaient être immédiats. Je restais sournoisement optimiste toutefois, espérant que mes espoirs se réalisent bientôt.
Forçant mon esprit à reprendre son calme, je remuais mes genoux, tentant de disperser les insectes qui s'y étaient logés. Je fermais violemment les yeux durant quelques secondes, pour les rouvrir plus calmement ensuite, l'esprit et les sens apaisés.
Une autre pensée me percuta alors. Père n'était pas encore là. J'avais espéré voir son visage se crisper de surprise, esquisser une grimace et briser ce masque glacial qu'il avait l'habitude d'arborer.
De nouveau perdu et immergé par un flot de pensées casanières, j'étais devenu sourd à mon entourage. Pourtant, deux hommes se faisaient face, tous deux séparés par une longue table en bois massif, et ce n'est que lorsqu'une coupe vide s'envola dans ma direction que je pus percevoir le bruit épouvantable qu'ils produisaient ensemble.
Affutant mes sens en me concentrant, je parvins à entendre un morceau de leur conversation.
- Ne me mens pas ! Ma créature m'a rapporté qu'un de tes disciples avait quitté mon bureau avec des piles de parchemin sous les bras ! Ose me dire que ce n'est pas toi qui l'as envoyé faire le sale travail !
Ne perdant pas sa fausse prestance, l'autre homme ne lui répondit pas et arqua un sourcil touffu en direction de l'assaillant. Prenant alors un peu plus de confiance, l'homme trapu ne s'arrêta pas là. Il bomba son énorme torse et plaça une main autour de sa bouche pour se faire entendre dans toute la salle.
- BALTAZAR ! VIENS ICI TOUT DE SUITE !
L'ordre avait résonné. Mes oreilles vrombissaient d'une façon particulière, comme si un essaim d'abeilles s'y était logé.
Tous mes voisins me regardaient, me fixant avec des regards mêlant pitié et compassion. Une tension magistrale monta en moi, comme si quelqu'un me menaçait d'un couteau sous la gorge. Je me levais, me reconnaissant de droit comme étant le fameux Baltazar.
Si l'atmosphère avait été différente, j'aurai surement reçu des moqueries. J'avais en effet oublié qu'un table obstruait mes mouvements. Le contrecoup de mon mouvement fit tomber quelques verres, renversant également mon bol de potage dans la foulée. D'abord perplexe, je me laissai retomber dans ma chaise, avant de pousser sur mes pieds pour m'écarter bien largement de cette maudite table. Mes jambes et mon ego tremblaient de rage.
Je finissais de me lever pourtant, non sans jeter un regard autour de moi. C'est alors que je put remarquer non sans frémir le regard fauve et roussâtre d'une figure familière. Elle semblait obstinée à ne pas se détourner, épiant chacun de mes gestes avec fermeté.
« Tu t'es foutu dans un sacré pétrin, gamin ! » Lui chuchota Maurn.
Roulant des yeux et décidant de l'ignorer, je pus finalement m'emplir de résolutions en vidant mes poumons de toutes mes forces pour impressionner celle qui me regardait avec attention.
- QUI ME DEMANDE ?
Ma voix avait résonné jusqu'au bout de la pièce, et déjà je pouvais apercevoir la figure écumante de celui qui m'avait interpellé quelques secondes plus tôt.
Sa respiration saccadée faisait ronfler son dos, lui donnant l'aspect d'une bête furieuse prête à piétiner ses proies.
« Me suis-je trompé ? »
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* Liliae : Référence au chapitre 3. Plante des brumes. Ceux qui en sont victime deviennent incapable de dire la vérité.
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