XII. Mascarade
MALSEN
L'air était humide, trempé par la rosée matinale.
Le soleil plombé s'était couché depuis longtemps et, lorsque finalement l'ombre familière de la résidence m'apparut, l'infirme que j'étais ne put retenir un soupir de soulagement.
Quelques mouches vinrent me tourner autour, comme pour me rappeler mon odeur, et c'est toujours en trainant des pieds que je rejoignis les jardins sans que personne ne vienne m'accueillir.
Je n'avais aucun compagnon, aucun confident.
J'avançais à grande peine. Mon apparence piteuse reflétait bien ma tension et ma fatigue. Je voulais me coucher et tout oublier.
- Votre seigneurie, vous semblez soucieux. Puis-je vous aider d'une quelconque façon ?
La créature semblait se moquer avidement du vieil homme qui m'avait aidé à rentrer. Celui-ci n'avait pas osé s'approcher de trop près du domaine Podarcis, peu enclin à croiser un maître. C'est ainsi qu'il m'avait donc laissé marcher seul une bonne partie du chemin, non sans d'abord avoir excusé sa propre lacheté à maintes reprises.
Reprenant mes esprits, je répondis à la créature avec une légère pointe d'agacement.
- Laisse-moi tranquille.
- On est dans le même bateau, petit, laisse moi te donner un coup de main.
Je levais les yeux au ciel, comme résigné par l'idée d'accepter son aide. Mes faibles résolutions pouvaient évidemment sembler insipides, nées d'une insouciance juvénile.
Néanmoins, ma longue et éprouvante escapade dans les brumes m'avait laissé le temps de réfléchir et d'imaginer un moyen de rentrer à la résidence en grande pompe.
- Créature. Que peux-tu faire avec tes pouvoirs ?
- Ne m'insulte pas, gamin, je ne suis pas une simple créature mais un atharial de haut rang, pardi ! Mes oreilles saignent et mon orgueil pleure...
- Devrai-je t'appeler atharial dans ce cas ?
- Tu voudrais m'appeler par le nom de mon espèce ? Aimerai-tu te faire appeler "humain" à tout bout de champs ?
Je rougis, honteux de ne pas y avoir songé.
- Tu serais incapable de prononcer mon nom même si je te le répétais mille fois. Donne-m'en un plutôt.
Sa demande me laissa songeur. Un bref instant plus tard toutefois, je pris une mine résolue comme si l'exercice avait une grande importance. Je passai ma main dans mes cheveux pour balayer mes cheveux gras qui me couvraient les yeux, avant de souffler.
- Maurn* ?
- De la langue archaïque... Surprenant que tu t'y connaisses à ton âge. Légèrement insultant, mais je vais m'y faire... Je me ferais désormais appeler Maurn dans le monde des humains !
- Qui t'appellera de cette façon à part moi ?
- Je n'y avais pas songé... Dommage... J'aurais aimé entendre ce nom, de la bouche des veuves et des orphelins, m'appelant à la rescousse pour que j'aille les sauv...
- Tu veux bien te taire et me répondre ? Quels pouvoirs peux-tu m'offrir ?
- Apprends que je n'offre presque jamais rien petit, mais je peux me laisser tenter par des échanges. D'autant plus que je ne suis pas cupide, tu es chanceux alors rassures-toi.
- Tu pourrais changer mon apparence ?
- Facile ! À qui souhaites-tu ressembler, petit coquin ? Une femme voluptueuse ? Un guerrier viril et musclé ? Même si avec ta taille, même musclé tu n'aurais pas l'air très intimidant...
- Boucle-la. Je veux juste ressembler au garçon de l'autre jour, celui qui s'est enfui en premier lorsque l'encorneur nous a attaqués.
- Je vois, je vois... Tu as d'étranges goûts petit, mais j'aime ça.
- Que veux-tu en échange alors ?
- Comme je te l'ai dit, je ne suis pas cupide. Offre-moi un de tes doigts en échange.
- Tu veux que je m'en coupe un ? Répondis-je abruptement, le souffle agité.
- Bien sûr que non, je ne suis pas un barbare voyons ! Profère simplement, et en articulant bien toutefois, que tu me l'offre de ta propre volonté !
- Tu vas me voler un doigt à chaque fois que je te demanderai un peu d'aide ?
- La vie est faite de choix, petit. Mais ce n'est qu'un doigt, voyons, et puis ce n'est pas comme si j'allais l'utiliser pour te gratter les fesses dans ton sommeil.
Exaspéré, je levai les yeux au ciel.
- Très bien. Oh, grand Maurn. En échange d'un doigt que je t'offre de bonne foi, exauce mon voeu et transforme-moi.
- Je savais pas que t'étais un poète gamin ! Formidable, passons aux choses sérieuses désormais !
Un voile ténébreux entoura rapidement mon visage, filtrant à travers ma gorge. Je ne voyais plus rien. Un drap trop opaque et trop dense m'avait recouvert.
J'étais devenu quelqu'un que j'espérais mort.
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* Maurn : Du langage archaïque « ꎭꍏꀎꋪꈤ », qui signifie "morose", ou "d'une tristesse ennuyeuse".
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