X. Printemps
Aucune saison n'est inexorable sous les brumes.
MALSEN
Sous le vent incessant, mes vêtements imprégnés de sueur collaient à ma peau. J'avais faim, froid, et envie de dormir.
Je parvenais tout juste à avancer à tâtonnement. Je faisais peine à voir. Ma tunique déchirée trainait au sol, et mes bottes de cuir ouvertes en plusieurs endroits laissaient transparaitre un liquide écoeurant.
Seul mon regard demeurait déterminé malgré mon apparence d'épouvantail.
La conscience étrangère habitant mon esprit m'avait seulement indiqué une direction, avant de se taire à nouveau. J'avais pourtant gardé le cap.
Devant moi s'étendaient des prairies verdoyantes, simplement épargnées par la brume par une force invisible qui l'empêchait d'avancer plus loin.
J'avançais lentement en trainant les pieds maladivement, et très vite mon apparition provoqua la surprise de quelques fermiers qui travaillaient non loin de là.
La cité. Pensais-je, avant que mon corps ne s'écroule de lui-même.
...
MIRAN
Accoudée au rebord de l'une des fenêtres de sa chambrée et seulement habillées d'une chemisette auburn, la jeune fille ne put retenir un soupir. De longues journées s'étaient écoulées depuis la cérémonie de transcendance, et pourtant les mêmes doutes ne cessaient de filtrer à travers son esprit.
Quel sort Père nous réserve-t-il ?
Les jeunes filles étaient ébranlées. Elles avaient eu vent que les garçons n'avaient pas été tués, mais seulement envoyés dans un endroit dangereux pour tester leur courage et persévérance. Miran se demandait toutefois pourquoi leur Père leur avait imposé d'en être les témoins.
Voulait-il nous effrayer, montrer son pouvoir ?
Soudainement perturbée par des claquements de clés derrière la porte de son dortoir, elle déplia lentement ses jambes non sans dévoiler une certaine grace malgré sa surprise. Que voulaient les maîtresses aussi tard dans la nuit ?
À l'annonce du bruit suintant, ses jeunes soeurs réagirent plus machinalement et nerveusement. Certaines s'étaient levées pour faire face, alors que d'autres s'étaient emmitouflées encore plus profondément sous leurs draps.
Les lumières encore balançantes des quelques chandeliers restés allumés donnaient à la scène une atmosphère spectrale et effrayante. Le sol dallé en marbre était recouvert d'une fine couche de poussière que seul l'éclairage tamisé de la pièce laissait révéler.
Lorsque finalement la porte s'ouvrit, la plupart des jeunes filles faisaient déjà front. Miran de son côté était restée assise à son observatoire, comme pour espionner la scène telle une spectatrice avide de sensations.
La confiance de ses gestes et son air dominateur ne pouvaient désormais tromper que les imbéciles. Jamais auparavant ses doutes n'avaient été aussi suintants, et sa confiance passée s'était depuis longtemps évaporée.
Après avoir poussé la vieille porte grinçante avec difficulté, deux maîtresses entrèrent en trombe dans la chambrée.
Laissant derrière elle une maitresse plus jeune à l'air sévère et à la peau d'ébène, une dame d'une trentaine d'années. Légèrement guindée et habillée d'une tunique rouge, elle prit rapidement la parole.
- Pardon de débarquer à cette heure et de ne vous prévenir qu'aussi tardivement, mes chéries. Je viens vous annoncer une nouvelle des plus réjouissantes. Faites-vous belles et suivez-moi car nous avons de la visite.
...
MALSEN
Je passais ma main devant mes yeux, laissant tout juste un espace entre mes doigts pour m'offrir une vue dégagée mais toujours troublée sur celui qui s'était rapproché de moi.
- D'où c'est qu'tu viens, p'tit puceau ?
Mes yeux s'ouvraient avec difficulté, freinés dans leur avancée par des croutes bien solides. Je ressentais vaguement mes jambes, engourdies par des milliers de petits insectes.
Toujours allongé dans l'herbe d'une prairie, un vieil homme d'une cinquantaine d'années me surplombait de toute sa hauteur. Je ne le reconnaissais pas, et n'appréciais pas non plus le ton bourru qu'il venait d'employer avec moi.
Un certain sentiment d'apaisement me submergea toutefois à l'idée qu'enfin j'étais en sécurité.
Mâchouillant une vieille brindille, le quinquagénaire repoussa ses longs cheveux bien gras en arrière pour dévoiler des mains et des yeux fatigués par de longues années de travail dans les champs.
- Réponds, garn'ment. D'où c'est qu'tu viens comme ça ? Le vieil homme fronça ses sourcils épais, attendant une réponse avec impatience.
M'aidant d'une main que je pressais sur le sol pour me redresser, je balançais mon bras dans sa direction pour qu'il me soutienne. Rien ne vint, il ne m'offrit qu'un regard froid en retour.
- Comment q't'as fait pour sortir de là ? T'es un monstre à forme humaine, hein ?
- Je suis de la famille Podarcis.
Sa réaction fut choquante. Virant du rouge basané au blanc d'âlbatre son sang ne fit qu'un tour et, avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, le paysan s'était déjà courbé pour me faire la révérence.
- Mes excuses, messire, mon seigneur... Qu'est c'que je peux faire pour vous aider ?
La réaction nerveuse du vieil homme n'avait rien d'étonannte. Il ne savait comment réagir promptement en ma présence, peu habitué à voir des gens de mon statut dans ses champs.
Je ne pus retenir une certaine honte en voyant un homme de cet âge me faire des courbettes. Je lui adressais pourtant une simple requête.
- Aidez-moi à rentrer chez moi.
- Tout de suite, mon seigneur, me répondit-il promptement.
...
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