VIII. Miran
MIRAN
"Faites place !" s'exclama une petite fille de six ans, gueulant à pleins poumons pour se faire entendre.
Le chemin, d'abord bondé, s'offrit une éclaircie à l'annonce de ce cri enfantin.
Miran ne lança qu'un regard en réponse à la gamine pour la gratifier, avant de forcer sensuellement son chemin au travers celui des autres pucelles.
Les concernées se retournaient sur son passage et reconnaissaient la jeune rouquine malgré sa capuche qui lui couvrait une partie du visage.
Retenant leurs souffles, elles finissaient toujours par la suivre sans dire un mot, comme si l'exercice n'avait rien de nouveau pour elles.
Comme une étincelle devenant un brasier, sa pudeur flamboyante provoquait des réactions mêlant dépit et envie dans les cœurs des pucelles. Si les plus jeunes ne la connaissaient pas encore, sa seule volupté suffisait à les convaincre de rejoindre son cortège.
Une certaine précocité rendait Miran plus grande et plus tendancieuse. Espérant s'octroyer ses faveurs, ses cadettes la couvraient de louanges, vantant sa beauté, son éclat et son esprit. La jeune fille n'avait jamais compris cette effervescence qu'elle produisait, mais elle s'y était accoutumée, modelant sa personnalité à cet effet.
"Regardez là, elle est si belle..."
"Regardez là, elle est si grande..."
"Regardez là, elle est si forte..."
Les compliments glissaient sur elle, comme partie intégrante d'une énième routine.
Au milieu des louanges, Miran pouvait aussi entendre des complaintes.
- C'est le moment, finalement ?
- On dirait. Que va-t-il nous arriver ?
- Je sais pas. Suivons-la, elle semble savoir où aller.
- J'ai peur...
- Je tremble...
- Restons fières, restons droites...
Miran arrêta soudain ses pas, et la procession qui la précédait fit de même pour suivre son mouvement.
Une vieille femme fatiguée et croulante les accueillèrent devant une large porte en acier forgé, renforcée et voûtée par une armature en vieux bois d'acacia.
Elle les interpella d'une voix fébrile et tremblante, marchant dans leur direction en faisant trainer l'ourlet de sa tunique amarante par terre.
- Prêtes ou non, jeunes filles, vous allez à présent devoir me suivre jusqu'à la cérémonie. Redressez votre buste, relâchez vos épaules et détendez-vous.
Miran serra ses poings, comme pour canaliser l'excitation débordante qui la traversait.
- Sommes-nous prêtes ? Demanda Miran.
Les yeux de la vieille femme brillaient d'un éclat juvénile qui contrastait avec sa peau et ses cheveux craquelés. Elle tenta douloureusement de se redresser avec une canne avant de poursuivre.
- Vous n'avez pas à avoir peur, voyez ce passage comme une formalité. Vous en ressortirez plus puissantes et plus respectables.
Cette affirmation, supposément rassurante, ne fit que nourrir leur arrogance.
Lorsque les battants s'ouvrirent ensuite avec fracas, une scène inattendue défigura les traits auparavant inexpressifs de Miran.
"Des garçons ?"
La jeune fille n'était pas une philosophe. Elle ne s'était jamais amusée à fantasmer ce qu'elle ne pouvait pas voir. Elle se targua des regards avides que ces jeunes mâles lui jetèrent.
Elle s'était préparé toute sa vie pour ce moment, et Miran ne put retenir un rictus désapprobateur en voyant qu'elle allait devoir le partager avec ces mâles insipides.
Son regard fliquant traversa toute cette assemblée de jeunes garçons. Elle fut d'abord surprise par leur état pitoyable, mais considéra leur nature abjecte et basse et ne pu retenir un soupir d'exaspération.
Sur le point de terminer son constat peu flatteur, elle balança naturellement sa tête en arrière pour retirer sa capuche.
Le dernier obstacle masquant sa beauté était tombé. En réponse, les regards qui lui faisaient face redoublèrent d'intensité.
Chargée d'une posture inquisitrice et fière, elle continuait de projeter horizontalement un regard défiant sur cette assemblé désordonnée.
Quelle fut sa surprise lorsque son attention s'arrêta sur un jeune blond à peine plus petit qu'elle. L'inconnu regardait ailleurs, comme pour éviter que les deux n'entrent en contact.
Trop gringalet pour qu'elle le considère comme un homme, sa posture droite et son regard insensible le rendaient toutefois attirant.
Elle l'examina, le jugea de la tête au pied, avant de détourner ses yeux pour masquer son intérêt.
Au croisement des regards, cette sensualité qui la définissait s'était estompée, pour laisser en elle un désarroi inattendu, peu profond mais réel.
Ses pensées confuses n'eurent pas le temps d'éclore néanmoins, que déjà un bruit sourd résonna à ses oreilles.
Lorsque les évènements s'enchainèrent, la brutalité de l'action recouvrie sa raison et son esprit d'un drap opaque.
La jeune fille ne tremblait pas néanmoins, masquant ses émotions pour ne pas montrer sa perplexité. Les pleurs, les gémissements et les supplications de ces jeunes garçons étaient ignorés, tant par elle que par les maîtres aux alentours.
L'action passée, tous avaient disparu. Ces garçons avaient été effacés.
La figure se trouvant à leur place n'était que trop familière pour elle et ses soeurs. Cette familiarité néanmoins n'avait rien de réconfortant. Le sang de Miran battait contre ses tempes, provoquant en elle une migraine assourdissante.
Certaines parmi ses sœurs tombèrent à genoux, les nerfs et les yeux à vif. S'imaginant que ce même sort leur était destiné, certaines tentèrent de briser les rangs pour fuir jusque dans les dortoirs. Interceptées néanmoins par les maîtresses en charge de les garder, elles ne purent faire que quelques pas avant de s'effondrer en sanglots avec les autres.
Miran, toujours debout et droite malgré le tumulte, reporta un regard interrogateur sur une maîtresse qui se trouvait à quelques pas d'elle seulement. Sa question passée sous silence ne manqua pas d'attirer l'attention désirée, et la maîtresse ainsi questionnée, d'allure chétive mais excitée, ne manqua pas à son devoir d'éclairer la lanterne de la favorite.
« Respire un coup ma chérie, ce qui t'attend est bien pire. »
Ébranlée, Miran dirigea son regard vers son père. Il s'était stabilisé à une dizaine de pas de son groupe, observant inexpressivement ses propres mains.
L'agent de cette récente destruction se détourna, pour finalement quitter la scène de son crime avec élégance et aplomb.
Sa robe noire traînait par terre, et le blond de ses cheveux était le seul éclat discernable au milieu de ces ténèbres voraces qu'il venait de produire.
Miran et ses sœurs étaient englouties, chancelantes et défaillantes...
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