MALSEN

Une dense forêt m'encerclait et se déployait autour de moi comme un manteau m'isolant du brouillard. Des flagrances florales me piquaient le nez à mesure que je progressais de nouveau dans la brume. 

Plaçant mes mains devant mes yeux pour me protéger de la brume acide qui ricochait sur la surface de mes paupières, je tentais d'oublier une migraine qui se faisait grandissante.

Les minutes passèrent et la végétation gagna en densité. Des plantes que je n'avais jamais vues jusqu'alors me ceinturaient. Entouré par ces nouvelles substances, mon esprit et mon regard fluctuants ne parvenaient pas à assimiler ma curiosité toujours plus avide. Une flore toujours plus surprenante se succédait, et l'enfant en moi ne cessait de s'émerveiller à la vue attenante de ces nouvelles variétés d'anémones, de narcisses et d'orchidées.

Me penchant alors vers une orchidée parme qui ressemblait à s'y méprendre à une trompette, je me préparais à la cueillir pour sentir son odeur de plus près.

Entendant soudain un rire narquois dans un coin de ma tête, je stoppais mon mouvement de la main et me pinçais le bras, maudissant ma bêtise et mes pensées superflues. Je concentrais alors mon attention hagarde sur les simples images qui se trouvaient devant moi afin de mettre fin au tumulte qui agitait ma raison et mes sentiments.

Après s'être lié à moi, l'étrange être qui m'avait abordé s'était gardé de se manifester à nouveau, et la sensation singulière que ma folie était à l'origine de ce cauchemar me caressa l'esprit.

Après quelques heures passées à errer ainsi, je croisais une dizaine de mes frères dans un espace naturel que les arbres de la forêt s'étaient gardés d'infester. Formant un cercle dans lequel se dressait le corps démembré d'un des nôtres. Ils étaient préoccupés, se lançant des injures en faisant de grands gestes pour se convaincre d'une marche à suivre.

Trop préoccupés par leurs joutes verbales, ils ne me remarquèrent d'abord pas lorsque je m'approcha d'eux. Lentement, et seulement à quelques pas alors de les rejoindre, je me plaçais à l'abri de leurs regards derrière un acacia plus épais que moi. L'haleine en tumulte, son écorce m'égratigna le flanc et, retenant un rictus, je me concentrais pour comprendre l'inquiétude branlante de mes frères.

Certains affichaient des mines furieuses et, lorsque la plupart semblaient simplement effrayés, un garçon à peine plus grand que moi se tenait en devant du cortège, tapant impatiemment le sol de son pied droit, la mine curieuse et pensive. Sa tunique blanche bien propre, sa droite stature et ses cheveux châtains plaqués en arrière lui donnaient un charisme qui le différenciait des autres.

Je le reconnus au premier coup d'oeil. Baltazar était un bâtard de ma génération qui avait grandi sous les grâces de notre Père depuis son plus jeune âge. Sans que les détails de son affection pour lui ne soient arrivés jusqu'à mes oreilles, j'avais entendu mes autres frères dire que notre paternel avait vu en lui du potentiel, une intelligence et un don en devenir pour le Hado. Un grand nombre, même parmi les maîtres, le voyait comme un des seuls bâtards qui allaient réussir la transcendance.

Que des conneries si vous voulez mon avis. J'avais toujours préféré l'éviter pour ne pas être contaminé par sa sainte présence et son air pompeux.

Pris d'un frisson soudain, je glissais une oreille avide d'informations en travers du tronc derrière lequel je me cachais. J'entendis deux garçons éclater en sanglots. Leur réaction sembla se répandre comme une tumeur dans le groupe, imposant un silence malsain.

N'osant plus esquisser le moindre geste pour ne pas attirer leur attention, c'est avec une certaine nervosité que je me stabilisais, droit comme un tronc. Mes tressaillements ne tiraient pas leur origine de ce vent frais qui faisait battre ma tunique.

Lorsqu'un rugissement bestial vint rompre le silence, les visages de chacun se fermèrent. Une peur, chuchotée et résonnante, s'insinua en moi, crispant mes muscles pour me préparer au danger qui allait s'abattre sur nous.

L'encorneur était proche.