VI. Obscurité

MALSEN

« Où suis-je ? »

Les ténèbres m'avaient englouti. Tout était silencieux et ma vision était bloquée par un voile plus opaque encore que la brume qui m'avait entourée ces derniers jours.

Mes espoirs et mes émotions semblaient s'obscursir également, comme pour m'empêcher de me débattre. Intérieurement, mon coeur battait une chamade incontrôlable, et des spasmes mêlés de frayeur et de fureur faisaient battre mes veines et vibrer mes entrailles. Une vague de déception m'engloutissait et me projettait avec force contre les rochers de la frustration.

Devant mes yeux, une silhouette, retranchée et muette, semblait se frayer un chemin à travers cette obscurité liquide par laquelle elle venait de naître.

D'une démarche bancale, la silhouette fit quelques pas dans ma direction, comme un humain venant de naître avant de se courber pour se placer à ma hauteur.

Un teint clair, des pommettes saillantes, un nez aux proportions parfaites et des cheveux dorés. Comme pour m'amadouer, la noirceur de ses traits avait fini par se dessiner en un visage familier, le mien. Seules ses pupilles améthyste de félin nous différenciaient.

Comme pourvue d'une certaine forme d'intelligence, la créature laissa éclater un sourire radieux sur ce visage qui n'était pas le sien.

Amusée par l'inquiétude qui se peignait sur mon visage, elle se mit soudain à rire aux éclats en sautillant comme un enfant. Les mots qu'elle lâcha ensuite vibrèrent et résonnèrent dans ma tête.

- Te tracasse pas, petit ! Je suis juste là pour te faire du bien.

Ses mots mirent du temps avant de me percuter. J'étais hébété et enfiévré. La fatigue engrangée depuis plusieurs jours pesait toujours lourdement sur mon esprit et mon corps.

Mon sosie me regardait toujours avec un air espiègle et plaisantin, scrutant mes réactions.

- Je peux te rendre riche, te glorifier, te rendre puissant ? Attends... tu veux des femmes... ou des hommes peut-être ?

La situation commençait à s'éclaircir dans mon esprit. Ma crainte toujours présente, mais calmée, je dirigeais à présent une oreille curieuse et profane à son écoute.

La créature rapprocha son visage du mien, sans me toucher pour autant. Ses yeux brillaient d'une cupidité qui me mettait mal à l'aise.

- Je suis un tout-puissant Jaskien. Tremble et ouvre les bras. Je peux t'offrir tout ce que tu désir.

- Et tu veux quoi de moi ? Mon âme ?

- Bons dieux, non, je suis pas un monstre ! Je vagabonde ici et là depuis des décennies et tout ce que je veux c'est partir d'ici pour de bon et m'amuser un peu. 

- Je suis qu'un gamin, comment je pourrais t'aider ?

- Te sous-estime pas, petit ! T'es capable de grandes choses avec moi à tes côtés... Si tu me gardes dans un coin de ta tête, je te donnerai le pouvoir de réaliser tes desseins les plus incroyables. Je suis un géni génial si tu préfères ! 

- Tu me donnerais tes pouvoirs simplement en échange de ta liberté ? Qu'est-ce qui t'empêcherait de me trahir ?

- Ma parole, bien sûr ! Je le jure sur moi-même ! Une fois le contrat scellé, je deviendrais ton compagnon et confident jusqu'à ce que la mort nous sépare, comme de jeunes mariés !

Son mensonge me hérissa. Il me prenait évidemment pour un imbécile.

- Et si je venais à refuser ?

Tout chez lui semblait artificiel. Les yeux plissés, son sourire avait disparu pour laisser place à un faux rictus embarrassé et repentant.

« J'aimerais que tu ne me forces pas à faire quelque chose que je regretterai. J'ai un code d'honneur, petit. » Un certain dédain se refléta sur son visage pendant un instant. « J'ai déjà essayé de me lier avec d'autres petits gars comme toi, tu sais ! Mais ils voulaient pas trahir leurs pathétiques jaskiens domestiques. »

Les choix s'offrant à moi n'étaient que très limités. La peur d'être manipulé me ramenait à la raison, mais mes désirs m'incitaient à l'écouter et considérer ce qu'il m'offrait. Ma fidelité envers ma famille s'ébranlait.

- Réfléchis-y, petit, si tu m'acceptes tu deviendras un dieu parmis les tiens. Pas besoin d'être un devin pour voir que t'es qu'un faiblard, t'aurais pas survécu plus d'une heure de plus si j'avais pas fait fuir l'animal affreusement laid qui te poursuivait.

L'atmosphère se mit à vibrer. J'avais les membres aussi flasques que ceux d'un cadavre. La chose devant moi m'étouffait, tant par son discours que par sa présence.

- Ça fait un moment que je t'observe, j'aime bien ta personnalité. Je te laisse ta chance mais ne joue pas avec ma patience.

Mes souvenirs se réordonnèrent. Mes pensées s'entrechoquèrent et une adrénaline nouvelle me permit de reprendre mes idées.

- C'est toi qui a tué mon frère en le vidant de son sang hier ?

Il s'éclaircit la gorge d'un air embarrassé en croisant les jambes.

- C'est pas totalement ma faute ! Il m'a refusé, alors j'ai forcé le passage... 

- Tu te dis puissant, pourtant tu t'es retrouvé incapable de voler le corps d'un simple enfant ?

- J'ai... Je... Il y a des règles...

Son aspect enfantin avait disparu. Il me regardait désormais avec une intensité nouvelle.

- Un jaskien ne peut accompagner un humain que si ses pouvoirs sont restreints par un contrat entre les deux partis. J'ai beau être sacrément puissant, la nature ne me permet pas de totalement écraser la conscience d'un humain lors d'une possession.

- Notre contrat se résumerait donc à simplement te rendre libre en échange de tes pouvoirs ?

- Plus ou moins.

Je savais qu'il ne me disait pas toute la vérité. Ma vanité et ma cupidité néanmoins me poussaient à aller dans son sens, puisant une certitude infondée dans l'idée que je serais capable de le maîtriser s'il devenait un jour incontrôlable. J'imaginais déjà les hauteurs que j'allais pouvoir atteindre avec une simple portion de son pouvoir si ce dernier était aussi puissant qu'effrayant.

- Dans ce cas, j'accepte.

Son sourire gagna en largeur dans des proportions inhumaines. Il prit une pause théâtrale et ouvrit les bras à l'horizontale, comme pour m'accueillir en son sein, avant de fondre comme de l'acier plongé dans une forge.

Il n'était plus là. Pendant de longues minutes, je n'entendis plus un son, plus un souffle. Cet état onirique pourtant ne semblait pas s'estomper. J'étais seul, le corps paralysé et l'esprit trempé par la solitude. Seul l'image de son sourire bestial résonnait encore le long de mon échine.

Soudain, je sentis une respiration derrière ma nuque. Puis ce rire qui était devenu familier à mes oreilles se mit à retentir à nouveau. Cette créature apparement semblable au dieu de ma famille,  était maitenant à l'intérieur de moi. Comme un muscle, j'étais capable de la ressentir et de la mouvoir. La sensation était encore faible et distante mais j'allais apprendre.

Un silence, aucun remords, un changement dans le regard et une pensée pour cette famille qui m'avait vu naître.

« Que votre dieu ait de la pitié pour vous, car je n'en aurais aucune. » 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top