IX. Chasse
Que deviennent les couleurs au contact la brume ?
MALSEN
Une forte odeur de soufre attaquait mes narines.
Nous ne pouvions voir la créature et pourtant nous la savions proche. Comme un loup jouant avec sa proie pour la tourmenter, nous étions des agneaux, des morceaux de viande.
Mon instinct me criait de fuir au plus vite, d'abandonner mes frères à leur sort. Mes jambes néanmoins refusaient de m'obéir.
La brume s'était à nouveau levée, et mon esprit déjà enfumé peinait de plus en plus à respirer. Résultant, le vent avait cessé de battre. Les animaux avaient fui, et la seule lumière qui nous permettait jusqu'alors de nous déplacer se faisait maintenant absente.
La créature jouait avec nous. Je la sentais proche, trop proche. Mon instinct me criait que la bête venait pour finir sa chasse. Mes pensées s'entrechoquaient, se perdaient et s'assemblaient dans cet enchevêtrement que formait ma présente conscience.
D'abord groupés, mes frères semblaient se désordonner à mesure que la tension montait. Les plus petits se recroquevillaient derrière les plus grands, qui formaient de leurs corps une barrière pour garder le danger à distance.
La bête était une ombre, d'abord furtive. Une silhouette, découpée à travers la brume.
L'encorneur s'était positionné à quelques mètres du groupe de gamins. Se déplaçant en rampant sur ses quatre pattes. Le mangeur d'Hommes évacuait une buée chaude et opaque à travers son museau.
Comme pour couvrir son excitation, la créature intelligente dirigea son regard vers le sol, avant de le relever pour toiser son public. La bête nous laissa entrevoir une rangée de canine acérées, suffisamment aiguisées pour que nous puissions juger leur tranchant malgré la distance.
Son cuir noir et ses longs poils rendaient l'encorneur majestueux, et ses cornes, tordues et effilées, le rendaient impérial. Des veines se détachaient de sa chair, comme décidées à imploser sous la tension qu'il exerçait sur ses muscles saillants.
L'arrivée de la créature heurta le petit groupe de bâtards comme une massue s'abat sur le fer incandescent. Brusquement et sans avertissement, ces jeunes garçons n'étaient plus lucides. Ils ne réagirent pas, ne bougèrent pas, restant figés comme des aveugles attendant que quelqu'un les guide.
Ils étaient pitoyables.
De mon côté, d'abord recroquevillé derrière ce tronc que j'espérais salvateur, je profitais du manque d'attention de la bête pour grimper quelques mètres en haut de cet arbre épais qui m'avait gardé d'être découvert jusque-là. Je remerciais l'adrénaline qui courait à travers mes veines, et restais ainsi, invisible et spectateur du sombre tableau qui se peignait sous mes yeux.
« Bouge pas, petit, le spectacle va commencer. »
Ces instructions m'étaient venues à l'esprit comme un cri de la conscience. Je les savais étrangères, et pourtant, je les acceptaient.
Quelques secondes plus tard, l'encorneur commença ses premiers mouvements. Se déplaçant plus délicatement que ce que sa masse ne pouvait laisser présager, il referma doucement la distance qui le séparait du petit groupe ébahi.
Certains bâtards semblèrent vite reprendre leurs esprits à l'approche de la menace.
- Un encorneur...
- Putain on devrait pas trouver cette chose aussi près de la cité !
- Que faire... ?
« Des imbéciles » Pensais-je.
Batlazar fut le premier à bouger. Son teint blafard exposait bien sa panique, et dénaturait avec cet air impérieux qu'il avait l'habitude d'exhiber en public. Il fit un pas en arrière, puis un deuxième, avant de détaller à toutes jambes, emportant avec lui ses plus fidèles suivants.
Laissés à l'arrière, les poltrons continuaient de trembler de tous leurs membres, abandonnant l'idée de courir, comme s'ils avaient déjà accepté le sort tragique que la bête leur avait destiné.
Agacée par cette fuite, l'encorneur se décida finalement à refermer son emprise sur le groupe qui était resté figé. Une enjambée, cinq mètres couverts en un instant. Le premier balancement de corne s'effectua en un simple mouvement de buste.
Première victime, éventrée.
Deuxième victime, lacérée.
Troisième victime, éventrée...
Quatrième victime, évanouie puis écrasée.
L'encorneur ne prenait pas le temps de dévorer ses victimes. Excitée à la simple vue du sang qu'il répandait, la bête semblait incontrôlable, comme muselée par ses pulsions primaires. Ses mouvements étaient brusques, sanguinaires et dénués de délicatesse. Tuer était sa distraction, tuer était son art.
Toujours au rang de spectateur, une pulsion malsaine me poussait à me délecter de la scène. Un sourire satisfait commençait à émerger sur mon visage.
J'avais peine à compatir au désarroi de mes frères, plus enclin au contraire à le savourer.
Le carnage était terminé. Maintenant debout sur ses deux pattes arquées, la bête recouverte de sang et de crasse sembla humer l'air à la recherche de survivants.
Me demandant si l'encorneur allait être capable de me découvrir, je m'enfonçais encore plus en revers de mon arbre. Pathétique, comme un oisillon qui recherche la protection de son nid, je fermais les yeux, espérant que les branchages et feuillages puissent me couvrir du regard de l'encorneur.
Les secondes, les minutes et le heures s'égrenèrent de façon à ce que je ne puisse pas les quantifier, aussi lentement qu'une flamme faisait fondre la cire d'une bougie.
Finalement, reprenant ma respiration avec absolution, je pris la résolution de sortir de ma cachette pour scruter les environs. Me suspendant à la branche la plus basse de mon arbre, je lâchais ma prise pour ne chuter que de quelques centimètres.
Les pieds joints, je balayais la poussière que je venais de soulever pour tenter de scruter les environs.
Je constatais avec soulagement que la créature s'en était allée, laissant derrière elle une brume fuyante, des cadavres et une odeur suffocante de soufre. C'était un miracle qu'elle ne m'ait pas sentie, lorsque j'étais simplement perché à quelques mètres d'elle seulement.
« Les miracles n'existent pas, petit. Rentrons chez toi maintenant, je perds patience. »
Je savais ces mots étrangers et discordants. Je m'exécutais pourtant à suivre cette nouvelle conscience, trop éreinté pour lutter et comprendre son origine.
Mes instincts de conservation s'étaient envolés, je ne souhaitais plus que le sommeil.
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