IV. Transcendance

MALSEN

Au concert des rondes machinales des domestiques sur le sol carrelé de mon dortoir, l'éclairage fliquant des chandeliers maitenant allumés termina d'achever ma torpeur. Étonnement, une tunique blanche m'attendait déjà sur ma couchette. Ce vêtement que nous allions devoir porter lors de la cérémonie devait symboliser notre renaissance dans la famille. Le tissu filait maintenant entre mes doigts blafards.

« J'ai envie de me recoucher. » balbutiais-je.

Balançant mon regard de droite à gauche, je remarquais les visages inquiets et fatigués de mes frères. J'étais plutôt confiant contrairement à eux. 

Je m'en réjouissait, j'allais les écraser, je le savais. 

L'annonce pour rejoindre le hall ne se fit pas attendre longtemps. Guidés par des maîtres, nous nous déplacions avec ma dizaine de frères en un cortège rempli d'un enthousiasme qui aurait fait pâlir des festivaliers. 

Nous étions tous piégés comme du bétail. J'eus le bon sens de ne pas me faire remarquer autour du groupe que je formais. Les maîtres effectuaient l'appel et châtiaient corporellement les indisciplinés qui ne rentraient pas dans les rangs. La morosité ambiante était étouffante, presque tangible. Les chandeliers précédemment éblouissants semblaient avoir perdu de leur éclat, et mon coeur bipolaire, auparavant confiant, commença à vaciller à mesure que la communion avançait. 

C'est le pas trainant que la procession macabre rejoignit le hall des festivités, dans lequel des regards inquisiteurs nous attendaient. Je cherchais mon équilibre au milieu de cette foule, et le trouvai brièvement dans le réconfort que me procurait la détresse palpable de mes bâtards de frères. 

Je pouvais deviner que cette pièce dans laquelle nous nous trouvions était le lieu de communion que notre Père utilisait pour communiquer avec le dieu Podarcis. Cet espace habituellement interdit d'accès pour des gens de notre rang était aujourd'hui un lieu de réjouissance à couper le souffle. Dans des proportions immenses, la pièce s'étendait à perte de vue. Les luminaires ne suffisaient pas à éclairer tous les recoins, donnant un effet irréel, presque mystique lorsque les lumières venaient se frapper contre les banderoles aux couleurs vertes de la famille. Celles-ci se balançaient doucement contre des piliers imposants construits en vieilles briques. Formant une arche, ces piliers venaient se rejoindre en un même point pour former une voûte ensorcelante au-dessus de nos têtes. 

Au centre de la pièce, l'autel en fer qui surplombait le promontoire en pierres de granites censé accueillir notre ascension était toujours vide. À la place, un homme au visage familier se tenait à son extrémité, debout comme un automate. Il imposait un air de dominance qui nous rendait tous nerveux. Son regard perçant semblait scruter nos âmes.

La tornade qui m'agitait intérieurement ne parvenait pas à me soumettre. Au contraire, je restais fermement accroché à ma volonté de demeurer impassible. Les maîtres autour de moi me considérèrent avec surprise en ne voyant aucune supplication dans mon regard. Ils n'eurent néanmoins pas le temps de me battre pour réduire ma témérité à néant, que les battants des portes centrales par laquelle j'étais entré quelques secondes auparavant s'entrouvrirent à nouveau. Contrairement aux regards attenants de mes frères, les maîtres ne dévoilèrent aucune surprise à la vue de ce cortège de jeunes filles qui venait de rentrer. 

Des rumeurs avaient déjà circulé parmi nous concernant l'existence de possibles bâtardes, mais personne n'en avait jamais croisé et les domestiques ne les avaient jamais mentionnées également. À ma surprise, ces filles illégitimes n'étaient pas aussi physiquement affaiblies que mes frères. Elles semblaient en bonne santé et toutes avaient un air de fraicheur qui me fit momentanément oublier mes propres pensées obscures. 

Une fille rousse en particulier semblait diriger ce cortège. Les autres autour d'elle la suivaient comme des subalternes.

Tandis que je remarquais curieusement qu'elle était un peu plus grande que moi, je pensais. « Il va falloir que je grandisse ».

Le regard de cette jeune rousse se baladait de corps en corps, constatant l'admiration qu'elle provoquait comme si la chose était familière pour elle. Ses yeux s'arrêtèrent finalement sur moi. Je demeurais impassible. 

Après quelques secondes qui semblèrent figées dans le temps, c'est avec un certain dédain et sous un rictus agacé qu'elle finit par rompre le contact qui nous liait. 

Je reportais alors à mon tour mon attention sur mes frères, tous toujours subjugués par cette beauté de vermeil. 

J'avais constaté à de nombreuses reprises au cours de mes maigres expériences, que la cupidité des uns faisait souvent le malheur des autres, et l'idée de jouer avec le feu ne m'avait jamais enthousiasmé. Je me fit alors la promesse de ne pas m'approcher de cette fille. Jamais.

Un bruit sourd et cadencé finit par rompre l'attention de la foule. Les échines frémirent, les bouches devinrent muettes, et les regards se tournèrent vers l'estrade précédemment innoccupée. 

« Père ».


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