xxiii. j8 | cody



You wish and wish, and wish again
Tu fais le voeux encore, et encore, et encore
You've tried so hard to fly
Tu as tant essayé de t'envoler
You'll never leave your body now
Tu ne laisseras jamais ton corps en paix, maintenant


Silly Boy Blue - David Bowie

~


    J'ai rarement été aussi tendu que durant la journée d'hier. Et pourtant, j'ai de gros problèmes au niveau de la frustration. Ouais, j'en ai absolument rien à foutre de quoi que ce soit, mais une fois que je commence à rager, je ne sais pas du tout gérer ma colère. Elle me consume, prend le contrôle de tout mon être ; je ne suis plus rien ni personne en dehors de cette émotion.

  Heureusement, Kendra a pu négocier avec ma mère et a fini par trouver un arrangement avec celle-ci. Mais en contrepartie, à la fin de l'été, je vais être obligé d'avoir une "discussion" avec elle au sujet du comportement de plus en plus rebelle qui ne fait que prendre de l'ampleur au fil des années, ainsi qu'à propos de ma sexualité. Ce qui veut concrètement dire que je vais devoir l'écouter cracher sur ma personne pendant des heures sans avoir le droit de me défendre, même quand elle a tord ou exagère la situation, au risque de me faire traiter d'insolent. Rien que d'y penser, j'ai envie de tout casser. Mais bon, si je n'avais pas pu rester tranquille chez ma marraine, en plus durant cette occasion unique et inespérée de pouvoir découvrir de nouvelles choses sur le mystère ambulant qu'est mon père, j'aurais pété un plomb.

  Parce qu'on va pas se mentir, c'est aussi pour cette raison que je tiens autant à être là en même temps que July. Peut-être que si j'ai la possibilité d'en apprendre plus sur lui, je serais plus apaisé dans mon deuil. Au final, je ne le voyais que rarement, donc je ne le connaissais pas tant que ça. Comment quelqu'un dont je sais si peu peut me manquer à ce point ? De plus que le peu de choses que ma mère a accepté de me révéler sur lui sont peu flatteuses. Surtout cette information, qui a tant brisé quelque chose en moi parce que c'est à cause d'elle que j'ai compris qu'en réalité je ne savais presque rien de lui.

  Alors pourtant que petit, mon père était mon plus grand héro, il m'apportait une bulle de sécurité et de répits, me donnait envie de tout vivre, tout expérimenter. Le meilleur comme le pire, et d'autant accepter ces deux extrêmes, parce qu'au final l'un ne va pas sans l'autre et que chacun rappelle pourquoi l'autre en vaut la peine. Parce qu'on ne saurait apprécier le bonheur sans la tristesse pour nous rappeler qu'il n'est pas inné, et parce que le premier nous donne une raison de garder espoir pendant qu'on ressent pendant les moments de chagrin. 

    Peut-être qu'inconsciemment, c'est aussi pour mieux comprendre ce qu'il ressentait et pourquoi il est devenu comme ça que j'ai sans cesse ce besoin d'adrénaline, de vivre des choses extrêmes. Sauf que moi, jamais je n'utiliserai les mêmes moyens que lui. Je n'ai déjà aucun contrôle sur ma vie, alors pourquoi m'emprisonner dans quelque chose qui pourrait me voler le peu de libre arbitre qu'il me reste ?

  Pendant que je rumine, je converse avec Jonas par messages. Il est cinq heures du matin, je me suis réveillé à cause de la chaleur, tandis que lui n'est pas encore couché. Un duo, vraiment..

  Il dit pas mal de conneries, mais il me connaît par coeur : il sent à mon ton froid que je n'ai pas fini de digérer mes disputes de plus en plus piquantes avec ma génitrice. Je sens que la coupe est pleine, à force d'accumuler toute cette rancune contre elle depuis des années. Et là, si quelque chose ne change pas, elle va bientôt déborder.

Jonas :
Hé, tu sais quoi ? Je vais revenir te voir cet aprèm. Ca te changera les idées.

  En lisant ses mots, un sourire malicieux s'étire sur mon visage. Je souffle juste pour la forme, mais au fond je suis content. Ça m'évitera de ruminer davantage, et l'entendre prendre mon parti à ce sujet m'apaisera un peu mon coeur enragé. Et surtout, c'est celui de la bande qui me comprend le mieux : étant le frère aîné de deux sœurs beaucoup plus jeunes, et avec une mère célibataire, il a passé la majorité de son enfance et de son adolescence à devoir remplacer son père absent. Il n'a pu vraiment profiter de sa jeunesse qu'à partir du moment où il s'est mis en couple avec Victoria, et a commencé à se réfugier chez elle quand la pression est trop forte - c'est-à-dire la majorité du temps. Ainsi, il peut au moins s'amuser quand il est chez elle, contrairement à moi qui n'ai pas cette chance.. Enfin, j'ai Kendra, mais je ne la vois pas assez souvent pour que ça me permettre d'évacuer ma frustration de manière suffisante.

  Bon, ok, je lui en veux des fois, par pure jalousie. Bien sûr, ça n'a rien de personnel, mais je me demande juste pourquoi la roue a pu tourner pour lui, et pas pour moi. Suis-je si insupportable que ça, pour que le Karma ne me laisse pas à mon tour une échappatoire à ce quotidien fade et insipide qui m'emprisonne ? Mais bref, c'est pour ça que nous devenons si complices dans nos bêtises : faire les quatre cents coups avec moi est le seul moyen pour lui de relâcher la pression au quotidien, vu toutes les responsabilités qu'il accumule à son jeune âge.. C'est lui-même un gamin, et il doit endosser un rôle parental pour que l'équilibre bancal de sa famille ne se casse pas la gueule. Vraiment, ça craint. En fait, j'ai rien dit, sa situation n'a absolument rien d'enviable à la mienne.

  Je me laisse trop aveugler par mes problèmes, qui me font voir la vie des autres avec un filtre qui enjolive tout par rapport à leur réalité, et me rendent envieux même quand je n'ai aucune raison de l'être. Mais j'essaye de lutter contre ça, car ce n'est pas juste pour eux. Enfin, je sais bien que je n'ai que seize ans, et qu'il est normal que j'aie parfois des comportements toxiques, vu l'environnement dans lequel j'ai été élevé. Mais ce n'est qu'une raison de plus pour me motiver à travailler sur moi, et à m'améliorer pour devenir une meilleure personne et ne pas projeter le poids de mes traumatismes sur les autres.

  C'est vraiment mon objectif, cet été : réussir à trouver un moyen de continuer à vivre ma vie rocambolesque, mais sans que je ne devienne une mauvaise influence pour mes proches. Parce qu'au final, c'est carrément ma faute si Marco s'est fait virer avec moi.. Et, tandis que ma mère pourrait facilement me trouver un autre établissement en utilisant l'appâts de l'argent pour forcer à accepter les lycées qui ne voudraient pas de moi à cause de mon dossier, ce n'est clairement pas le cas de mon ancien sexfriend.


_x.


    Kendra a directement accepté que Jonas me rende visite :

- Je comprends entièrement, les derniers jours ont été riches en émotions donc tu mérites bien ça.

- T'es sûre que ça dérangera personne ? je lui demande par respect. On commence à être nombreux.. Si c'est le cas, on peut toujours aller traîner en ville.

  Elle fronce légèrement des sourcils, et je comprends que j'ai dit une phrase en trop. Mais bon, elle me laisse tout faire, d'habitude..

- Je pense que c'est mieux si vous restez là, par contre.. elle répond d'un ton embêté. On s'est tous fait pas mal de soucis pour toi quand tu es rentré de la fête, alors ça tranquilliserait tout le monde si tu évitais de trop traîner n'importe où au moins le temps qu'on se sente tous plus apaisés.

  Je ne peux m'empêcher d'exprimer ma frustration sur mon visage. Sérieux, c'était juste une soirée alcoolisée comme une autre, pourquoi est-ce qu'ils en font tout un plat ?

  Puis, je réalise.

July.

La vie que menait mon père avant que celle-ci ne s'arrête de façon tragiquement prématurée.

  Mon Dieu, comme j'ai ça a dû être violent pour elle que je lui rappelle le comportement qui a fait que mon père s'est retrouvé six pieds sous terre..

  Je souffle :

- Wow.. Je suis désolé, je n'avais pas pensé que ça pourrait vous trigger de me voir comme ça..

  Ma marraine hausse des épaules.

- Ne t'inquiète pas, ça n'a pas été aussi violent que tu n'imagines. On sait bien que tu n'en es pas au même point que lui.. Mais je préfère que tu n'oublies pas de faire attention, juste au cas-où. Je comprends entièrement que tu aies besoin de te défouler, et jamais je ne t'en empêcherai, mais pour aujourd'hui, c'est sans doute mieux ainsi.

- Oui, t'as raison. On va se poser chez toi, alors. Puis, il sera bien content d'avoir une excuse pour manger tes cerises toute l'après-midi !


_x.


  Dès que mon meilleur ami m'aperçoit, il court dans mes bras, et me serre fort comme si nous ne nous étions pas vus pendant des semaines. J'adore la marque d'affection, mais il va bien devoir survivre sans moi..

  Il me semble bizarre, un peu tendu. Il joue très bien le jeu de la légèreté, mais je le connais trop bien pour ne pas me rendre compte que quelque chose cloche chez lui. Nous faisons mine de rigoler ensemble comme si de rien n'était pendant environ une heure, puis, je finis par en avoir marre de faire semblant, et je crève l'abcès - c'est bon, d'abord Illyas, puis Kendra, ensuite lui.. Il se sont tous passés le mot ou bien ! - :

- Bon, qu'est-ce qu'il se passe, mec.. T'es pas normal. Dis-moi ce qu'il te tracasse.

  Il inspire un bon coup, visiblement embêté de la situation. Je la sens mal, cette discussion, elle m'énerve d'avance. Je sais déjà que ça me concerne, puisqu'il se sent obligé de prendre des pincettes avec moi. Et en plus, le sujet va être sensible, car ce n'est pas dans son habitude de le faire. Il a tellement été habitué à s'occuper de tout le monde, qu'il se permet parfois de me réprimander comme si j'étais son fils.. Et ça m'insupporte !

- Je sais que tu n'es pas rentré directement chez Kendra après la soirée de Sharon, il se lance.

  Je hausse des épaules.

- Je t'ai envoyé un message pour te dire que j'étais en train de discuter avec son cousin. On a pas vu le temps passer..

  Il ricane avec sarcasme, sachant que ce que je dis n'est qu'à moitié vrai.

- Ouais, surtout quand il était à quatre pattes avec ta bite entre ses fesses !

  Je lève les yeux au ciel, ne pouvant retenir ma bouche de s'étirer en un sourire fier en repensant à cette nuit. Franchement, un bon coup, le mec ! Mais Jonas n'a pas l'air de le prendre à la rigolade.

- Roh, Jojo.. je fais. C'est bon, toi aussi je mettrais ma main à couper que t'as couché avec Victoria pendant la soirée.

- Et alors ? C'est ma meuf.

- Et ?

  Il soupire :

- Cinq minutes avant de te retrouver dans son lit, tu le connaissais pas.

- Je ne comprends toujours pas en quoi c'est un problème, je réponds froidement.

- Que tu aies eu quelques coups d'un soir avec des personnes avec qui tu flirtais déjà pendant pas mal de temps avant, à la rigueur, pourquoi pas. Mais un total inconnu, qui en plus est majeur ! Ça aurait grave pu mal tourner. Vous vous êtes protégés, au moins ?

  Là, il m'a cloué le bec. Mes souvenirs sont trop flous pour que je puisse répondre avec certitude que c'est le cas. Je veux dire, j'ai toujours des préservatifs sur moi car on sait jamais, mais je ne me visualise pas en train d'en mettre un ce soir-là.. Putain. Faudra que je fasse un test.

  Ayant trop de fierté pour être entièrement honnête, je lui réplique d'un ton vexé :

- C'est bon, c'est la première fois que je le fais sur un coup de tête. J'avais des choses à oublier, tu vas pas commencer à me juger toi aussi, j'ai bien assez de ma famille. Merci bien. Je croyais que tu comprenais que c'était en train de me rendre fou, d'être fliqué en permanence par tout le monde, alors ne t'y mets pas !

  Mais c'est une sorte de pitié que je lis dans ses yeux. Jonas est très empathique, presque même plus que moi ; je sais que ce n'est pas du dégoût qu'il ressent envers mes actions. Mais de la compassion. Il lit en moi comme un livre ouvert, et se doute d'à quel point je souffre, même si je fais croire que tout ça ne m'affecte pas tant que ça.

- Je te juge pas, Cody, jamais je ferai ça, mais je suis juste inquiet. J'ai peur que tu regrettes, plus tard, quand tu iras mieux et que tu n'auras plus besoin de t'évader là-dedans..

  Je le rassure de façon nonchalante :

- Pfff n'importe quoi, ça risque pas d'arriver. Je suis grand je sais ce que je fais.

- Tu n'as que seize ans, et moi je viens d'en avoir dix-sept. Je sais pas si tu te rends compte, comme on est jeunes. Et pourtant on vit comme des adultes.

Alors là, c'est la meilleure ! Il faut vraiment qu'il arrête de projeter ses sentiments à lui sur moi. Je comprends qu'il ait l'impression de grandir trop vite, et surtout pour les mauvaises raisons, mais ce n'est clairement pas mon cas. J'explose :

- Je ne vis pas comme un adulte, je ne vis pas du tout, Jonas. Et j'essaye juste de compenser ça pour pas péter un câble. Je suis hanté par ce vide en moi au quotidien, dénué de toute émotion, à juste attendre que les jours passent, la prochaine fois inespérée et miraculeuse où je pourrai m'amuser. Tu crois que c'est normal, ça, à mon jeune âge ? À la période de ma vie où je devrais profiter, ne penser à rien, expérimenter, apprendre ? Tu veux que je me comporte en adulte responsable, mais je n'ai même pas l'impression d'avoir une adolescence. Ni d'enfance, vu comme elle a été gâchée par l'absence de mon père, et par les comportements toxiques de mon beau-père envers moi.

Il soupire, sans doute embêté que je le prenne mal. Mais je ne peux pas ne pas le prendre mal. Il a touché une corde trop sensible, là. Et pourtant, je suis l'inverse de susceptible, la plupart du temps. Sauf que ce sujet, c'est le sujet sur lequel il faut marcher sur des œufs, avec moi. Il semble réfléchir à la bonne manière de formuler sa phrase, puis se lance :

- Écoute mec, je suis désolé.. Je m'y prends mal. Je sais bien que ça te bouffe, et crois-moi je ferai n'importe quoi pour que tu puisses vivre ton adolescence, parce que c'est pas juste que tu en sois privé à cause des idées arriérées de ta famille. Mais je veux pas que tu tombes dans l'extrême opposé, et que ta liberté d'un jour devienne ta prison de toujours.

Mon esprit se prend une claque. Un coup de poing dans mon âme. Non, là c'est trop. Quand est-ce que les gens arrêteront de me comparer à mon père, bordel de merde ? C'est pas parce que ça a mal tourné pour lui que ça sera le cas pour moi ! Et nos situations sont complètement différentes. C'est pas compliqué à voir, enfin !

J'inspire un bon coup, dans une tentative de me calmer. Parce que même si ses mots me font mal, je sais que mon meilleur ami n'a que de bonnes intentions envers moi, et qu'il ne mérite pas que je devienne blessant.

-  On a qu'une vie tu sais. Il faut en profiter un max, alors même pas si ça veut dire ne pas respecter les conventions, eh bien tant pis. Parce que tu sais ce qui est fou pour moi ? L'idée de ce temps d'existence qui nous a été donné et file super vite, et que la plupart gâchent en se restreignant afin de rentrer dans des cases juste parce que cette société stupide l'a décidé. J'ai si peur de ça, Jonas, mourir en pensant à toutes les choses que j'ai loupées, être passé à côté de ma vie. Je te promets que je vais faire attention. Mais même si je fais des erreurs, au moins elles me permettront d'apprendre et d'évoluer, et je ne resterai pas toute ma vie au même stade. Justement, c'est pour ça que je ne finirai par comme mon père.

Il me sourit simplement, et me prend sans ses bras.

- Je fais essayer de te faire confiance, ok ? Mon but n'est pas d'être sur ton dos. Mais je tenais quand même à t'en parler pour être sûr que tu sais ce que tu fais. Et même si je ne comprends pas toutes tes actions ou que je ne suis pas d'accord avec certaines de tes décisions, je te soutiendrai toujours. Et si tu fais fausse route, eh bah c'est pas grave, je t'aiderai à t'en sortir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top