i. j-3 // illyas

Cause lately I've been in the backseat to my own life
Parce que dernièrement, je me suis retrouvé sur la banquette arrière de ma propre vie
Trying to take control but I don't know how to
Essayant de reprendre le contrôle mais je ne sais pas comment
I don't want to be sad forever
Je ne veux pas être triste pour le restant de mes jours
I don't want to be sad no more
Je ne veux pas être triste plus longtemps

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tw : 🏳‍🌈‼
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Dernier jour des cours. Assis au fond de la classe, j'arrive à sentir la tension qui s'émane de chacune des personnes présentes dans la salle. Notre professeur d'anglais est en train de nous faire passer une adaptation ennuyeuse d'un livre de je ne sais déjà plus quel grand auteur, mais, toutes les deux secondes, je peux en voir un qui regarde l'heure sur sa montre ou carrément en sortant son téléphone de sa poche- bien que cela soit formellement interdit- en attendant impatiemment l'instant fatidique pour pouvoir tous se jeter sur la sortie comme des bourrins. J'vous jure, si me m'en sors vivant à devoir passer parmi ce troupeau de fous furieux, j'aurais de la chance. Je suis plutôt le genre de gars qui évite de se faire remarquer, qui se laisse lamentablement écraser par les saints caïdes du bahut, donc je n'ai aucune chance, face à eux.

Heureusement que mes deux meilleurs amis, Lori et Gabriel, sont là pour m'épauler dans ce monde de fous. Avec mon anxiété sociale, c'est bien de pouvoir fréquenter des gens sains d'esprits et pas complètement dérangés comme les gens de notre classe. Je ne vois vraiment pas ce que je ferais sans eux.

D'ailleurs, je regarde dans leur direction pour me rassurer. Tant qu'ils sont avec moi, tout va bien. Gabriel intercepte mon regard, et brandit un pouce levé dans ma direction. Je lui souris timidement en retour.

J'ai rencontré Lori quand j'avais onze ans, l'été où je suis allé vivre chez ma mère adoptive. Cette dernière était amie avec la sienne, ce qui a facilité nos débuts. J'avais toujours été un garçon timide, mais je me suis laissé apprivoisé par sa gentillesse et son côté chaleureux. Au début, j'avais tendance à être intimidé par son comportement, je me sentais oppressé, mais j'ai fini par aimer cette part d'elle quand nous sommes rentrés en sixième, par ce qu'elle était la seule que je connaissais, ce qui a fait d'elle mon seul repère. On ne s'est jamais quittés, depuis.

De plus, nous nous sommes découverts certaines choses en commun. Elle est aussi assez discrète, pareillement à moi, donc en général nous restions seuls à seuls, juste nous deux. Puis, à l'entrée au lycée, elle avait un peu commencé à changer. Elle a eu une période où elle avait besoin de rencontrer de nouvelles personnes, - "on est jeunes, il faut profiter au lieu de se lamenter dans notre solitude tout le temps" -, parce qu'elle a commencé à être davantage consciente de la gravité des effets du racisme et tout, ce qui a fait qu'étant noire, elle avait peur d'être rejetée, et de fil en aiguille elle a fait la connaissance de Gabriel. Elle a commencé à beaucoup l'admirer, et ne cessait de me parler de lui. J'étais un peu jaloux, parce que je me sentais rejeté, décalé, leur amitié étant très différente de celle qu'elle avait avec moi. J'avais peur de ne plus être assez pour elle, qu'elle finisse par me trouver ennuyeux et déprimant - ce que j'étais, mais elle ne m'en avait jamais donné l'impression avant, ça avait juste été mon opinion de moi-même. Elle se sociabilisait, pendant que je restais le pauvre gars solitaire qui n'est capable de s'entendre avec personne.

Puis, avec le temps, j'ai appris à connaître Gabriel, et j'ai dû admettre qu'il n'était pas si énervant, et j'ai fini par enfin l'apprécier après une discussion avec Lori, qui m'a promis qu'elle ne se lassait pas de moi, et que ça ne serait jamais le cas, même si certaines choses changeaient. Donc, c'est ainsi qu'il est devenu mon deuxième meilleur ami, et l'un des pilliers dont j'ai besoin au quotidien pour ne pas être déboussolé.

Je suis ce genre de gars très craintifs et timides qui ne savent pas formuler une phrase cohérente devant des étrangers, ressemblant à une coquille vide dénuée d'émotions, vulnérable, mais qu'on peut lire comme un livre ouvert et aisément manipuler. Et surtout, j'ai beau avoir tout juste dix-sept ans, j'ai toujours ressenti un décalage très profond entre les autres et moi, sans doute à cause des choses que j'ai vécues.

Mes amis et moi attendons tous les trois que la totalité de la classe soit dehors, puis nous sortons à notre tour en souhaitant de bonnes vacances à notre professeure. Nous commençons à marcher dans l'air torride de l'été qui s'annonce particulièrement chaud. Nous avançons en silence, soulagés à l'idée d'avoir deux mois sans cours.

Gabriel accompagne Lori et moi jusqu'à l'arrêt de bus, puis mon amie et lui s'enlacent en guise d'au revoir. Plus réservé, je me contente de lui sourire en hochant la tête dans sa direction, en lui murmurant "à bientôt".

Puis, la jeune fille et moi montons dans le véhicule, et nous nous installons à côté l'un de l'autre pour la dernière fois de l'année scolaire.

- Tu as prévu des choses pour cet été ? me demande mon amie.

- Pas vraiment, je pense que ça va être comme d'habitude.

Ce qui techniquement veut dire jouer au Uno avec ma mère au balcon de notre appart, un verre de limonade à la main, pendant deux mois.

- Ok. Faudra qu'on s'organise des trucs, mais faudra voir parce que je vais passer les trois premières semaines de juillet au Mexique donc..

- Ouais, d'accord.

Je détourne les yeux pour fixer le paysage morne que me montre la vitre du bus. Moi aussi, j'aimerais bien voyager comme ça. Mais bon, on a pas tous les mêmes moyens. Pas grave, je verrais bien quand je serai adulte.

Je vis avec une femme nommée July Turner, ma mère biologique étant morte en accouchant, et mon père refusant d'assumer la responsabilité que je lui causais. Depuis, j'ai fait trois familles d'accueil différentes : la première car elle a dû partir à la retraite, et la deuxième car l'homme qui s'occupait de moi n'a pas voulu me garder. J'étais trop silencieux, trop morose, à rester la majeure partie de mes journées dans ma chambre sans vraiment toucher à mes jouets, me contenant de laisser mon regard perdu dans le vide. Du coup, quand j'avais onze ans, j'ai dû aller encore ailleurs. Mais par chance, je suis tombé sur elle, qui vraiment une très bonne personne, qui m'a donné beaucoup d'amour et d'affection, a été patiente, et a petit à petit réussi à m'apprivoiser. Et depuis, je ne l'ai jamais quitée, et je la considère comme la mère que je n'ai jamais eu.

Le bus a ralenti, et, étant arrivé à mon arrêt, je dis au revoir à Lori avant de descendre. Quand le véhicule redémarre, elle m' adresse un dernier coucou. Je lui réponds par une sourire.

Je commence à me diriger à pieds vers chez moi. L'immeuble n'est qu'à quelques rues de l'arrêt de bus, mais je n'ai qu'une seule hâte : rentrer et m'enfiler au moins trois verres d'eau bien fraîche. J'ai dis qu'il faisait chaud à en crever ?

Je hâte le pas, quand je sens une main se poser sur mon épaule. Ma respiration se bloque immédiatement. Oh non.

- Tiens, v'là le p'tit pédé.

Je me retourne et fais face au type qui me parle. C'est Ben Pullman, un type qui a l'habitude de me casser les pieds. J'essaye de répliquer quelque-chose, mais les mots restent bloqués à cause du nud dans ma gorge. Je. Ne. Suis. Pas. Gay.

- Qu'est-ce- Tu me veux quoi ? je réponds.

- Juste souhaiter de bonnes vacances à mon p'tit pédé préféré.

Si j'en avait la force et le cran, je giflerais son visage afin d'en enlever le sourire sarcastique. Sérieusement, il a rien de mieux à foutre.

Je fais mine de tourner les talons mais il m'agrippe le poignet pour m'en empêcher.

- Tu veux pas me tenir compagnie ? il renchérit. Ou tu as prévu d'aller te faire baiser par ton mec ?

J'articule avec difficulté :

- Non.

- Ah oui, c'est vrai : t'es trop moche pour que qui que ce soit veuille de toi. Pardon, j'avais oublié.

Je sens à sa voix que son "désolé" voulais dire l'exact contraire de la définition de ce mot. J'encaisse le coup comme un coup de poing dans mon âme. Je voudrais pouvoir dire que cela ne me fait rien, car après tout ce n'est qu'une des brutes que tout le monde ne respecte que par peur, donc son opinion de moi ne devrait pas avoir d'importance, mais.. ça me fait penser à mon père. Personne ne veut de toi. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il a dit, mais c'est comme ça que je le comprends.

Parfois, j'ai cette pensée horrible, mais obsédante, de n'être rien qu'une source de problèmes pour mes amis et ma mère adoptive. J'ai toujours peur que ma vie compliqué les repousse, de me retrouver à nouveau seul et sans repères. J'ai tellement peur que ça arrive, je ne sais pas exister sans mes proches, je ne suis littéralement rien sans eux. Je ne sais pas qui je suis, ni ce que je vaux. Je suis juste une conscience qui évolue dans cette vie fade, mais je ne sais même pas comment la catégoriser. Et en même temps, j'ai la frayeur omniprésente de les déranger avec mes problèmes, que mon état morose détaigne sur eux. Qu'ils en aient marre de devoir s'occuper de moi comme un pauvre bébé dépendant des autres, de devoir supporter mon côté effacé et mes mines tristes à longueur de journée. J'en ai si peur que cela m'empêche de dormir la nuit...

Il s'en va en ricanant, fier de m'avoir ramené à mes complexes. Connard.

Que ce soit clair : je soutiens carrément la communauté LGBT, hein. Je les admire un peu, pour être totalement honnête. Ce sont des gens vraiment courageux, qui affrontent au quotidien le regard des autres et leurs critiques, mais qui se battent pour leurs droits afin d'être heureux. Bien plus que je n'ai jamais su le faire.. Mais le truc c'est que, n'en faisant pas partie, je n'aime pas forcément qu'on m'appelle avec les sobriquets sarcastiques et stupides qu'on leur réserve habituellement. J'aime les filles. Enfin, ça viendra avec la maturité. Je ne m'y intéresse juste pas pour l'instant.

Cette rumeur à propos de ma potentielle homosexualité remonte à la semaine dernière : lors d'une fête à laquelle Lori et Gabriel m'avaient traîné limite de force pour célébrer les derniers jours d'école. Ils voulaient tous faire un jeu de la bouteille, et toutes les personnes présentes ont été forcées à jouer, et le hasard a fait que ça tombe sur deux gars.

- On rejoue, ça compte pas ! a lancé celui qui apparemment était le meneur de jeu.

J'étais de mauvaise humeur, et, je ne sais pas pourquoi, ce manque d'ouverture d'esprit m'a encore plus énervé. C'est bon, on était au 21ème siècle, il était temps de normaliser les humains qui aiment les humains, indépendamment de leur genre ! Et comme ma timidité s'en va quand je suis en colère, j'ai dit amèrement :

- Et pourquoi ça pourrait pas ? On est plus au Moyen-Age, deux mecs peuvent bien se rouler une pelle si ça leur chante.

En temps normal, je n'aurais pas osé exprimer mon avis, encore moins sur ce genre de sujets, mais comme je l'ai dis, j'étais de mauvaise humeur. Il a pris une mine dégoûtée.

- Ouais mais nan : on veut pas de pédés, ici. T'es pas pédé, quand même ?

Il m'a lancé un regard soupçonneux, alors que tous les yeux du groupe étaient posé sur moi. Mon audace est repartie aussi vite qu'elle était apparue, j'ai rougi et ai répondu par la négative.

Ça encore, ça pourrait passer. Ce qui s'est passé après, je ne le comprends pas moi-même. C'est arrivé, en dehors de mon contrôle, et tout à coup je me suis retrouvé dans cette situation. C'est fou comme tout peut basculer, parfois, en une fraction de seconde. Je frissonne rien que d'y penser. J'ai toujours du mal à m'en remettre...

Je chasse cet événement de ma tête, et reprends ma route pour rentrer chez moi.

Tout ce que vous avez besoin de savoir, c'est que Ben était présent à cette fête.

_x.

Quand je pousse la porte d'entrée de chez moi, je traverse le petit couloir et tourne à ma droite, là où le mur s'ouvre sur le salon, dans lequel est July, sur le canapé devant la télé allumée, me tournant le dos et sirotant une boisson fraiche dans lequel tintent ses glaçons. En m'entendant, elle se retourne, et un sourire illumine son visage.

- Salut, mon p'tit Illyas !

- Coucou.

Mes lèvres s'étirent un peu dans sa direction, et elle se lève pour venir me prendre dans ses bras. Je me laisse engloutir par son étreinte, réchauffé intérieurement par l'affection dont fait toujours preuve envers moi.

Nous nous séparons au bout de quelques secondes, et je râle sur un ton de plaisanterie :

- Et je suis pas ton petit. J'ai seize ans, je te rappelle !

Elle rit doucement. En vérité, je ne l'avouerais jamais, mais j'adore qu'elle m'appelle de cette façon, car ça me donne davantage le sentiment de ne pas être juste une garde à ses yeux, une oeuvre de charité, mais de réellement lui appartenir, de la manière affective dont des enfants appartiennent à leurs parents.

Elle me demande comment s'est passé mon dernier jour, et je lui réponds que tout s'est bien déroulé, comme d'habitude. Mais elle lit cette ombre sur mon visage, celle qui ne me quitte plus depuis cette fameuse fête. Ou plutôt, qui s'est encore assombrie.

Elle fait une mine contrariée, lisant en moi comme dans un livre ouvert. Elle sait que je mens, mais elle n'ose pas me demander ce qui ne va pas, sachant que je déteste me sentir forcé de parler. Elle sait que si un jour je le fais, ce sera par totale envie, de moi-même. En attendant, elle ne fait qu'essayer de deviner la plupart des choses, lire entre mes lignes et interpréter comme elle peut mes silences.

Elle se gratte le creux de bras, signe d'impatience et de stress chez elle.

- Qu'est-ce qui y'a ? je demande, soudain anxieux.

Elle inspire, et m'annonce :

- Viens, j'ai quelque-chose à te dire.

Un nud se forme immédiatement dans mes entrailles, pressentant le pire. Elle m'emmène vers le canapé, où nous nous asseyons, tandis qu'elle fait tourner sa paille dans son verre, cherchant la manière de formuler les paroles qui vont suivre.

Un silence pesant envahit la pièce, tandis que ma respiration se bloque. Mon cur s'accélère, des gouttes de sueur glissent le long de mon front, qui elles n'ont rien à voir avec la chaleur ambiante. Ma mère adoptive inspire longuement, puis..

- Ton père a appelé les services sociaux. Il voudrait renouer contact avec toi.

Mes yeux s'écarquillent d'eux-mêmes tandis que le choc me laisse sans voix.

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