Chapitre 8 - Hold tight for this ride

Lundi 21 novembre

Je suis figée, incapable de faire le moindre geste. Mr Archer est entré dans mon bureau et il s'avance lentement vers moi. Mon cœur a repris sa course folle, la même qu'il a entamé ce matin même dans l'ascenseur. Je suis plus que fébrile, chaque cellule de mon corps tremble mais je ne parviens pas à interpréter ces signes. Est-ce de l'angoisse ? Du stress ? De l'excitation ? Un mélange détonant des trois me semble être la bonne réponse. Alors qu'un cataclysme ne demande qu'à exploser en moi, j'essaie de contrôler ma respiration et d'analyser la situation. Il est tard, a priori nous sommes seuls dans ces locaux et je ne pense pas me tromper en disant qu'une incompréhensible attraction semble naître. Je me force à soutenir son regard afin d'anticiper la suite des évènements. Ce que j'y lis me laisse perplexe.

Mon boss se tient debout, droit, face à mon bureau et ses yeux sont illisibles. Son regard est impénétrable. J'ai face à moi deux boucliers marrons qui empêchent toute introspection. Je n'y lis aucun désir, aucun feu ni aucune urgence. Il n'y a pas d'animosité en lui, j'arrive à peine à discerner un brin de nervosité mais je n'en suis même pas sure. Il est fermé comme une huître et je n'avais encore jamais eu affaire à sa facette neutre. Cela me déstabilise. Je suis sur le point de m'éclaircir la voix pour briser ce silence qui ne s'est pas encore installé entre nous lorsqu'il prend les devants:

-Mlle Dumin, je souhaiterais jeter un œil au dossier Royal Beauty, je veux voir où vous en êtes et analyser plus en détails la direction que vous avez adoptée.

Je ne m'attendais absolument pas à une discussion professionnelle. Sa voix si masculine est posée, calme et maîtrisée et moi, je lutte toujours pour rester de marbre. Et c'est foutrement difficile quand mon corps décide de se rebeller contre ma raison. C'est comme s'il le réclamait, comme si ma peau voulait ressentir à nouveau ses doigts l'effleurer, comme si mon cou n'attendait plus que son souffle chaud... Mais la réalité, c'est que je suis seule dans cet état. Seuls ses poings fermés et ses phalanges blanchies dessinent une ombre au tableau de son attitude détachée et distante. Je suis totalement perdue, à nouveau.

Reprenant mes esprits, je rassemble tous les documents relatifs au dossier bleu, les range convenablement et tends la pochette à mon patron. Ma main ne tremble presque pas et je m'en félicite. Lorsqu'il attrape le dossier, son geste est brusque comme s'il avait peur de se brûler. Ses doigts n'effleurent pas les miens et une vague de déception essaie de se frayer un chemin dans mon ventre. Sans me remercier ni m'adresser un autre regard, il tourne les talons et se dirige vers la porte. Ses fesses sublimement moulées dans son pantalon gris foncé appellent mes yeux et je sens subitement ma bouche s'assécher. Bon sang que cet homme est sexy ! Il repart aussi vite qu'il est arrivé, en laissant la porte entrouverte, seule preuve de son passage éclair. Complètement interloquée par ce qui vient de se produire, je m'assieds sur ma chaise pour reconnecter mes neurones.

Ce matin, notre rencontre a créé des étincelles, provoquant les prémices d'un feu d'artifice dans mon corps et embrumant mes pensées, totalement obnubilées par cet homme qui aspirait tout mon oxygène. Ses mains de part et d'autre de mon corps qui ne me touchaient presque pas, son torse a quelque millimètres du mien, ses yeux qui me déshabillaient lentement... Ces gestes étaient à la fois réfléchis et instinctifs. C'est comme s'il voulait jouer mais qu'il s'était pris au jeu. Et ce soir, alors que nous étions seuls dans une pièce isolée, il a agi comme s'il ne s'était jamais rien passé. Mais moi, j'en suis incapable.

Un éclat de voix résonnant dans le couloir me sort de mes pensées. Je distingue la voix de mon boss suivie d'une voix féminine qui ne m'est pas inconnue mais que je n'arrive pas à démasquer. Des bribes de conversations me parviennent et je tends curieusement l'oreille.

-... réservé une table... je t'attends...

-... seulement trente minutes...

-...presque en retard...

Je distingue alors Mr Archer qui patiente nerveusement dans le couloir, son blouson de cuir délicieusement posé sur ses épaules. Il semble pressé, vu les incessants coups d'œil qu'il jette à sa montre. Mme Saint-Martin le rejoint et sans s'adresser le moindre mot, ils partent ensemble en direction des ascenseurs. Le silence regagne le couloir et je me décide enfin à rentrer chez moi.

En conduisant, je repense encore à Mr Archer et à ses incessantes sautes d'humeur. Même si cet homme semble bien mystérieux, j'ai réussi à décrypter certaines de ses réactions aujourd'hui et j'en suis d'autant plus chamboulée. Dans l'ascenseur, sa respiration saccadée et ses pupilles dilatées ont trahi son trouble malgré son apparente maitrise et ce soir, ses poings serrés me prouvait qu'il se contenait, comme s'il se retenait. Il est apparemment plus fort que moi pour sauver les apparences, même s'il n'a pas complètement réussi. Je n'arrive pas à m'ôter de l'esprit l'idée que je ne suis pas la seule à avoir ressenti cette attirance démesurée, même si ce soir il s'est montré plus froid qu'un iceberg. Je ne sais pas ce que j'attendais de sa visite surprise, surement de reprendre où nous nous en sommes arrêtés ce matin. Et c'est bien pour cette raison que je panique. Je panique même totalement à l'idée que cet homme puisse me mettre dans un tel état en si peu de temps, surtout qu'il s'agit de mon patron ! Je ne comprends vraiment pas ce qui est en train de se passer entre nous, mais cela doit stopper immédiatement.

De toute façon, je suis pratiquement sûre qu'un homme aussi séduisant que Mr Archer doit soit être déjà en couple, soit enchainer les femmes d'un soir. Il n'y a aucune possibilité que derrière son machisme de façade se cache un gentlemen qui attend sagement l'amour. Foutaises ! Le peu de fois où je l'ai côtoyé, j'ai décelé un homme à femmes, conscient de son pouvoir de séduction et qui aime en jouer. N'ayant pas remarqué d'alliance (oui, j'ai déjà vérifié !), je pencherais donc pour cette dernière option. J'imagine la longue liste de ses conquêtes et je mettrais ma main à couper que je ne suis pas la première à avoir été charmé par son aura. Ni la dernière ! Il est hors de question que mon nom figure sur cette liste. Et s'il y a bien un principe auquel je ne dérogerai pas, c'est celui d'une relation stable et douce. Je ne souhaite absolument pas une histoire purement physique, sans sentiment et sans promesse. J'en suis totalement incapable et au delà de cela, je trouve ce genre de relation malsaine. Pour moi, l'amour sentimental et physique sont indissociables. Voilà donc une raison supplémentaire de m'éloigner au plus vite de Mr Archer !

Je rentre chez moi avec soulagement, rassurée de retrouver mon cocon doux et familier. Alors que je suis en train de me préparer à manger, je reçois un appel de Cass.

-Ma Candice, j'espère que tu es en pleine forme ! Et si ce n'est pas le cas, je te conseille de faire une cure de sommeil les prochains jours parce que toi et moi, on va secouer notre popotin jusqu'au bout de la nuit samedi !

-Quoi ? Mais de quoi est ce que tu me parles ? je réussis à bafouiller entre deux rires.

-Toi, moi et peut-être aussi les filles, samedi soir, des cocktails, de la musique et une piste de danse. C'est notre programme et tu n'as absolument aucune excuse pour ne pas m'accompagner.

-Et c'est en quel honneur, ce samedi de folie que tu nous prépares ?

Je connais ma Cassiopée et si elle improvise une soirée c'est qu'elle a soit quelque chose à fêter, soit quelque chose à oublier.

-Maaaaax... il a organisé une soirée jeux vidéos avec ses potes et je dois débarrasser le plancher. Donc j'ai décidé que monsieur allait s'en mordre les doigts quand il nous verra partir. Je te préviens Candice, samedi soir on ne sera pas belles ni sexy. Non, on sera maxi méga bonnes. Ça lui passera l'envie de rester avec ses geeks la prochaine fois, termine-t-elle en faisant claquer sa langue.

-Solidarité féminine, j'imagine que je n'ai pas le droit de refuser ? De toute façon, j'ai bien envie de sortir donc compte sur moi !

Ma meilleure amie pousse un cri strident qui m'oblige à éloigner mon téléphone de mon oreille puis nous continuons de papoter quelques minutes. Je ne lui parle pas de mes péripéties de ce jour, je ne sais pas encore ce que je pourrais en dire. Je ne sais déjà pas quoi en penser... La perspective de cette soirée entre filles me fait le plus grand bien. Je sais que je vais enfin pouvoir relâcher la pression et m'amuser comme une folle. A cette pensée, tous mes muscles qui étaient tendus depuis ce matin se relâchent pour m'offrir un apaisement que j'espère de longue durée. Je n'ai pas vu Cassiopée depuis seulement quelques jours mais sa folie me manque. C'est exactement ce dont j'ai besoin pour passer un bon weekend. Je sais d'avance qu'elle saura me faire oublier mes préoccupations et me vider l'esprit.

Je suis confortablement installée sur mon canapé lorsque je reçois un message groupé de Cass qui invite toutes ses amies pour sa folle soirée. Les réponses commencent à arriver et apparemment, je ne suis pas la seule qui a envie de faire la fête. En sortant de l'application « Messages », je tombe sur les derniers mots que Gabriel et moi avons échangés. Il m'a prévenu qu'il serait injoignable cette semaine car il part en déplacement sur un chantier en Espagne et comme il ne souhaite pas éterniser ce voyage, il ne va pas compter ses heures de travail. Je décide donc de ne pas le déranger avec un message et de toute façon, je ne sais pas ce que je lui aurais dit. Pour la première fois depuis que nous avons commencé à échanger, je n'ai pas pensé à lui de la journée. Je me rends compte que je ne sais absolument pas ce que je ressens réellement envers cet homme qui me distrait agréablement mais que j'ai réussi à sortir de mon esprit ces dernières 24 heures. A nouveau, je réalise que mon quotidien a complètement été chamboulé ces dernières semaines et que tous ces sentiments s'embrouillent dans mon esprit. Pourquoi suis-je autant attirée par mon patron ? Pourquoi apprécie-je autant mes échanges avec Gabriel alors qu'il est aux antipodes de Mr Archer ? Vais-je arriver à le sortir de mes pensées définitivement ? Pourquoi ai-je réussi à faire totalement abstraction de Gabriel quand je ne peux m'empêcher de penser à mon boss à chaque minute qui passe ?

Le lendemain, j'arrive au bureau un petit peu plus tard que les jours précédents puisque Mr Archer est parti la veille avec mon dossier. J'allume mon ordinateur vers 8h30 et m'occupe comme je peux avant l'arrivée de Marina. Dès que je l'aperçois se plonger dans ce que je pense être le dossier Dior, je me faufile dans son bureau et lui propose mon aide. Nous travaillons pour la première fois en binôme sur un seul et même dossier et je la laisse me guider. Lorsque nous entendons de l'agitation dans le couloir, nous devinons qu'il est l'heure de la pause-café et nous rejoignons naturellement l'équipe commerciale. Je me demande quand je vais pouvoir récupérer mon dossier et surtout comment va se comporter mon patron quand il me le rendra. Aurai-je droit à des commentaires salés concernant la qualité de mon travail ? M'accordera-t-il un regard ? Frissonnerai-je sous la chaleur de ses doigts ? Stop ! Stop ! Stop ! J'essaie tant bien que mal de me reconcentrer sur la discussion en cours entre Marina et Alexandre mais rien n'y fait, mes pensées divaguent inconditionnellement vers l'objet de mon fantasme. J'ai autant envie de le croiser que de l'éviter.

A mon retour, je découvre le dossier Royal Beauty, négligemment posé sur mon bureau et annoté de petits post-it. Il est venu le déposer en mon absence et la seule pensée que je ne le verrai peut être pas aujourd'hui fait monter en moi une vague de déception que je ne devrais pas ressentir. Je ravale tous ces sentiments déplacés et fais un petit signe à Marina pour la prévenir que je retourne travailler sur mon dossier. Je commence à détailler les annotations de Mr Archer mais au lieu de me concentrer sur le contenu, je divague à étudier son écriture. Il a choisi d'écrire avec un stylo à encre noire, ce qui ne m'étonne pas du tout. Son écriture est fine, droite et donne l'impression d'être assurée. Les mots sont écrits sans hésitation ni rature. Les lignes fusent et j'imagine aisément ses belles mains glisser sur le papier pendant que son stylo danse sous ses doigts. Pour la première fois de ma vie, j'ai tout à coup envie d'être un stylo.... Stop ! Stop ! Stop Candice ! Je secoue légèrement la tête en espérant faire disparaitre ces pensées et je dois concentrer toutes mes forces pour parvenir à travailler sérieusement. Les notes de mon supérieur sont succinctes mais constructives et elles m'aident à dégager les axes d'amélioration. Sur la dernière page, je remarque un plus grand post-it collé au centre avec le mot « ok. ». J'imagine que mon travail a dû le satisfaire et que c'est sa manière de me dire « bon travail, continuez. ». Je jubile à cette pensée car même si son récent comportement m'a chamboulé les idées, je n'oublie pas l'ultimatum qu'il m'a lancé et surtout le ton qu'il a utilisé ce jour-là, comme s'il était absolument convaincu que j'allais échouer et qu'il allait pouvoir se débarrasser de moi.

Enhardie par ce regain de confiance, je monte au troisième étage rejoindre le service créa et développement et nous travaillons toute la journée sur mon dossier. Ce brainstorming est absolument passionnant. Moi qui ai l'esprit concentré sur la stratégie et les chiffres, je découvre une nouvelle façon de travailler qui mêle la création, le marketing et l'innovation. Les personnes qui travaillent dans ces services sont toutes très sympathiques et ouvertes d'esprit et à la fin de la journée, je remercie intérieurement Mr Archer d'avoir voulu me saquer en me confiant ce dossier. Grâce à lui, je prends confiance en moi et je découvre énormément de nouvelles pistes qui me seront très utiles dans ma carrière, j'en suis sûre.

Je passe toute la fin de la semaine à jongler entre mon bureau et ceux situés un étage au-dessus du mien. Je croise Marina seulement lors des pauses déjeuner pendant lesquels nous discutons rapidement de nos dossiers respectifs et lorsqu'arrive vendredi après-midi, alors que je suis en train de finaliser mon compte-rendu des brainstorming que nous avons menés, Mme Saint-Martin toque à ma porte. Surprise par sa visite, je me lève pour l'accueillir tandis qu'une pointe de stress commence à m'envahir. Pourquoi ma responsable souhaite-t-elle s'entretenir avec moi de manière imprévue ?

-Bonjour Mlle Dumin, je vous dérange une petite minute. Ethan...euh excusez-moi, Mr Archer m'a fait part de ses appréciations à la lecture de votre travail sur le dossier Royal Beauty et apparemment vous lui avez fait forte impression. Il m'a parlé d'un « travail de qualité et prometteur ». Et je vous assure qu'il n'est pas facile de lui soutirer des compliments... alors je voulais simplement vous féliciter pour votre implication et vous redire que je suis ravie que vous fassiez partie de mon équipe.

Wow ! Je ne m'attendais pas du tout à de tels compliments. Mes joues rosissent légèrement et mon sourire s'agrandit instantanément.

-Je vous remercie pour tous ces compliments qui me touchent beaucoup. Je fais mon maximum pour réussir le challenge qui m'a été confié et de tels encouragements me boostent indéniablement.

-J'estime qu'il est important de prendre le temps de dire les choses quand elles sont positives comme quand elles sont négatives. Et je sais pertinemment que ce n'est pas Mr Archer qui fera la démarche de venir vous féliciter, me dit-elle en riant. Il était en déplacement cette fin de semaine mais avec lui, soyez rassurée lorsqu'il ne vous donne pas de signe de vie !

Je ricane en me disant que j'ai vraiment bien cerné mon patron. Je n'en attends pas moins de lui de toute façon et je me contente de son « ok. » qui m'a motivé dès ce matin. Ma responsable met fin à cet entretien fortuit en me gratifiant à nouveau d'encouragements et c'est le cœur gonflé de fierté et de confiance que je termine ma semaine. J'ai soudainement envie de partager cette joie et je pense un instant à appeler ma mère mais je me ravise immédiatement. Elle va me faire redescendre de mon nuage en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et trouvera toujours quelque chose à critiquer pour me rabaisser, comme elle le fait toujours. Rien ne trouve grâce à ses yeux quand il s'agit de moi. Je refuse de lui offrir ce plaisir et compose à la place le numéro de ma meilleure amie. Je ne connais personne qui sache autant se réjouir de mon bonheur que Cassiopée.

Je quitte les locaux tout en l'appelant et lorsque je pénètre dans l'ascenseur, une vague de nostalgie essaie de m'envahir mais je la repousse. Je refuse de repenser à ce moment d'égarement qui a eu lieu en début de semaine. J'ai décidé qu'il fallait que je me ressaisisse et je compte bien mettre en application mes bonnes résolutions dès maintenant. Quand mon amie décroche, je ne lui laisse pas le temps de répondre et lui annonce :

-Cass, prépare toi à une soirée de folie demain car je compte bien fêter ma réussite avec toi ! Je te promets que tu ne vas pas me reconnaitre, toi qui me reproche toujours de ne pas me lâcher suffisamment...

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