Chapitre 7 - Shape of you

Lundi 21 novembre

Après ma journée morose d'hier, je me suis levée ce matin avec une motivation proche du néant. La semaine surchargée qui m'attend n'est rien en comparaison de la réunion à laquelle je vais assister et pendant laquelle je vais devoir supporter mon boss. Je me demande quelle facette de sa personnalité va nous faire l'honneur de sa présence aujourd'hui... Je suis d'avance fatiguée d'avoir à me battre contre sa méchanceté mais peut-être qu'avec un brin de chance, je ne serais qu'une simple spectatrice et que Marina sera seule en première ligne ? Après tout, je viens d'arriver et je ne connais pas le dossier Dior.

Je gare ma voiture sur le parking encore englouti dans la nuit noire et froide de l'automne. Je me dirige en direction de l'entrée du bâtiment qu'aucun employé n'a encore franchie tout en essayant de me motiver mentalement. Je déteste commencer une journée en ayant le moral dans les chaussettes et encore plus lorsqu'il s'agit d'un lundi ! Mon remède anti-déprime pour les matins difficiles est toujours le même : je choisis une tenue que j'adore et je prends le temps de me préparer afin de me présenter sous mon meilleur jour. Il n'y a rien de pire que de se sentir mal dans sa peau lorsqu'on est déjà mal dans sa tête. Ce matin, j'ai donc enfilé une robe bleu marine que j'affectionne tout particulièrement et dans laquelle je me sens belle. Elle parait plutôt sage et classique à première vue puisqu'elle a une coupe droite, des manches trois-quarts, un col rond légèrement évasé sur ma nuque et une longueur classique qui m'arrive quelques petits centimètres au-dessus du genou. Mais la fille sage laisse rapidement place à une femme sexy lorsque je me retourne. Un décolleté en forme de V profond orne l'arrière de la robe et se termine en pointe au milieu de mon dos. A cet endroit, ma peau se dévoile subtilement sous une dentelle fine qui ne cache rien et s'arrête juste au-dessus de ma chute de rein. Cette robe n'a rien de trop osé mais elle me ressemble. Classique en apparence mais... Mes sublimes escarpins bleus que m'a offerts Cassiopée terminent ma tenue et mes cheveux bouclés sont relevés en queue de cheval haute afin de ne rien cacher du haut de ma robe, surtout dans le dos. Mon blouson protège tout l'arrière de mon vêtement et me permettra de déambuler dans les couloirs tout en étant à l'aise. De toute façon, je suis encore seule et vu l'heure matinale, je risque de ne croiser personne. L'étage est encore endormi, seule la machine à café émet son doux ronflement habituel qui m'accompagne jusqu'à mon bureau.

Je commence par allumer mon ordinateur, puis je sors tous mes documents avant de m'installer sur ma chaise et de plonger tête baissée dans le dossier bleu. Au bout d'un certain temps, je relève la tête tout en frottant légèrement mes paupières. Je ressens une sensation inconfortable, mes yeux me brûlent et je mets quelques instants avant de comprendre que je n'ai pas mis mes lunettes. Je me penche pour les attraper dans mon sac à main et ne pas perdre de temps mais j'ai beau le fouiller, je ne les trouve pas. Légèrement agacée de ne jamais rien trouver dans ce sac que j'adore pourtant, je vide son contenu sur mon bureau mais le résultat est le même. Pas de lunettes à l'horizon. Je n'ai pas de problème de vue en général mais je ne supporte pas de travailler sur un écran sans ma barrière de protection oculaire, sans quoi je vais finir à coup sûr la journée avec des yeux rouges et une migraine d'enfer. J'essaie alors de me souvenir où j'ai bien pu les oublier et il me semble les avoir laissées dans ma voiture en arrivant.

Je ne prends pas la peine d'enfiler mon blouson et je me dépêche de redescendre au rez de chaussée. Lorsque j'ouvre la porte qui mène au parking, un vent polaire me cloue sur place et je regrette immédiatement de ne pas avoir pris une minute pour mettre ma veste sur mes épaules. Je baisse la tête et place les mains de chaque côté de mes bras pour me frictionner et adoucir cette sensation glaciale qui me parcourt déjà des pieds à la tête. J'accélère le pas afin d'atteindre rapidement ma voiture et par chance je repère instantanément ma paire de lunettes qui m'attendait sur le siège passager. Je les récupère donc et ne perds pas de temps pour regagner la chaleur du bâtiment. Une fois entrée, je dépose les lunettes sur mon nez et me dirige tranquillement vers l'ascenseur.

Complètement perdue dans mes pensées, je m'engouffre dans la cabine et appuie sur le bouton menant au second étage. Je ne réagis pas instantanément au bruit de pas rapides que je perçois au loin et ce n'est que quand deux bras musclés empêchent la fermeture des portes que je lève les yeux. Face à moi, Mr Archer se tient debout toujours hors de l'ascenseur. Par réflexe, je recule lentement et mon dos se plaque contre le métal glacé. Lorsque mes yeux rencontrent ceux de mon patron, mon cœur sursaute et ma respiration se coupe un instant. Son regard, d'abord surpris, reprend vite son assurance. Je reconnais immédiatement cette lueur brûlante qui danse dans ses iris. Ses yeux semblent me transpercer, je suis hypnotisée, je n'arrive pas à réagir ni à bouger. Je ne comprends absolument pas ce qui est en train de se passer, pourquoi mon corps réagit à cette vitesse folle, pourquoi mes yeux ne peuvent quitter les siens, pourquoi ma respiration est si saccadée tout à coup ni pourquoi mes mains tremblent. Mr Archer fait un pas en avant pour pénétrer dans l'ascenseur, puis il continue d'avancer avec une lenteur qui me fait fondre sur place, sans jamais cesser de me regarder. Plus il s'approche, plus mon cœur se lance dans une course effrénée. Si j'avais ne serait-ce qu'un minimum les idées claires, je suis sûre que j'entendrais les battements de mon cœur résonner contre les murs de cet habitacle exigu. Mais à cet instant, le dos toujours plaqué contre la paroi de l'ascenseur et mon boss seulement à quelques centimètres de mon corps, je ne ressens rien d'autre qu'un désir sauvage qui nait dans mon ventre, se déploie dans chacune de mes cellules pour faire vibrer mon corps sous son regard. Je ne suis plus consciente de rien, sauf de cette étincelle dans ses yeux qui fait écho à mes iris verts.

Tout à coup, Mr Archer brise le contact visuel qui nous liait depuis quelques secondes, peut-être quelques minutes, sûrement quelques heures, je ne sais plus. Ses cils entament une danse endiablée et son regard entreprend langoureusement de déshabiller mon corps. Il commence par effeuiller visuellement mon cou qui ne réclame que son contact, puis descend lentement sur mes seins qui réagissent instantanément à cet assaut consenti. Des frissons naissent en leur pointe et la sensation qui m'envahit en cet instant est absolument divine. Les portes de l'ascenseur qu'il avait bloquées avec son pied se ferment et ce léger bruit semble le faire réagir. Il s'approche alors encore plus près et moi, je n'ose pas bouger. Je reste stoïque, incapable de résister ni même de respirer. Mes yeux se perdent alors sur les mains de mon éphèbe qui se rapprochent dangereusement de mon corps. Son mouvement lent est assuré, il sait parfaitement ce qu'il est en train de faire. Je ne peux pas dévier mon regard de ses mains, et pire j'attends fébrilement de savoir où il va les poser et ainsi découvrir où le prochain cataclysme va se déclencher en moi. Je le laisse prendre les commandes de ce rapprochement, je suis de toute façon incapable de rassembler des pensées cohérentes dans mon esprit. Les frissons et l'excitation qui déferlent comme un torrent dans chaque parcelle de mon corps m'emportent dans une autre dimension. Je ne sais pas si je dois fermer les yeux et l'autoriser à continuer, à me toucher ou bien si je dois me reprendre et le repousser. Mais en suis-je réellement capable ? A cet instant, rien n'est moins sûr.

Ses grandes mains viriles finissent par atteindre la paroi de l'ascenseur, là où les boutons sont alignés, à peine à quelques centimètres de mon bras droit. Il plaque sa paume gauche à proximité des numéros d'étage et je suis si proche de lui que ses doigts effleurent mon bras sous le tissu de ma robe. Mon regard, qui n'a pas quitté sa main gauche, est littéralement obnubilé par ses lentes caresses qui commencent à descendre le long de mon bras pour atteindre ma hanche. L'effleurement est si subtil qu'on pourrait croire qu'il n'a jamais existé mais ma peau brûlante sous son insoutenable étreinte ne ment pas. Mes tremblements, non pas de peur mais d'excitation, redoublent d'intensité et je commence à redouter la suite des événements car je sais que je serai incapable d'agir de manière sensée et raisonnée. Je n'ai ni le contrôle de la situation, ni le contrôle de mon corps et une explosion de sensation m'envahit lorsque ses doigts habiles remontent lentement pour retrouver mon bras. Heureusement que le tissu soyeux de ma robe recouvre les zones qu'il a langoureusement frôlées car je suis persuadée que je n'aurais pas eu la force de tenir sur mes jambes s'il avait caressé ma peau nue. Un éclair de lucidité me traverse lorsque je réalise que ma respiration haletante fait écho à la sienne. Lui aussi est troublé, je ne suis pas seule à vivre ce moment suspendu.

Je suis maintenant prise d'une irrépressible envie de lire son regard. Je veux voir ce qu'il ressent, je veux comprendre les sensations qui l'habitent, je ne veux pas être la seule passagère de ce voyage vers l'inconnu. Mes yeux quittent alors ses mains expérimentées pour se perdre à nouveau dans ses prunelles. Découvrir ses pupilles dilatées qui me dévorent silencieusement me frappe instantanément. J'y lis tellement de désir, de feu et de passion que l'intensité de notre échange redouble alors à nouveau. Je décèle tout de même une pointe de panique qui fait petit à petit son apparition et je ne sais pas si c'est parce que je réagis trop fort, trop vite à son petit jeu ou si c'est parce que son propre corps le trahi pour rejoindre le mien dans ce lieu inconnu que seuls eux peuvent connaitre. Le voir qui me détaille si intensément et avec une si grande convoitise fait naitre une bouffée de chaleur dans mon corps et je n'ai qu'une seule crainte, que cette parenthèse si enivrante prenne fin. Ses doigts rugueux frôlent maintenant mes avant-bras que ma robe ne couvre pas et ma peau pétille d'emblée sous ce toucher. Lorsque Mr Archer découvre les frissons exquis qui naissent sous ses mains, il ne peut empêcher son corps de prendre une longue inspiration et mes yeux se ferment doucement pour apprécier toutes ces nouvelles sensations. Me voyant perdre peu à peu pied, il brise à nouveau la faible distance qui nous séparait et nos corps ne sont alors plus séparés que par quelques infimes millimètres. Son parfum suave m'enivre et je crois sincèrement que je n'ai plus besoin d'oxygène. Je veux seulement respirer cette odeur masculine si singulière encore et encore. Tous mes sens sont en alerte et je ne sais plus sur quoi me focaliser. Je ressens tellement tout et trop fort que je commence à planer et à me détacher de mon corps. Un gémissement sourd s'échappant silencieusement de ses lèvres me ramène au cœur de cette étreinte unique. Nos torses ne se touchent pas, seule sa main dessine encore une fresque de frissons sur mon bras. Lorsqu'elle descend une nouvelle fois le long de mon flanc et qu'elle effleure ma hanche d'une manière encore plus sensuelle que la première fois, je crois défaillir et je suis absolument incapable de rouvrir les yeux, de peur que cette tornade de sensations qui m'engloutit ne se termine. La tension dans mon corps atteint son apogée au moment où je sens la tête de mon tortionnaire se décaler imperceptiblement vers la gauche et se pencher légèrement pour effleurer mon oreille de son souffle. Mon ventre se contracte alors plus fort, mon cœur manque de défaillir et je ne parviens presque plus à respirer. Mes yeux toujours fermés, je ne peux que ressentir encore plus profondément ces sensations qui me consument. Je perçois son souffle chaud et saccadé qui caresse maintenant ma joue puis mon cou et je tourne aisément la tête vers la gauche afin d'en recevoir toujours plus.

Les doigts de mon boss remontent lentement vers les boutons de l'ascenseur et la chaleur qui habitait mon corps depuis le début de notre échange s'échappe tout à coup. Lorsque l'ascenseur se met en marche, je réalise qu'il avait bloqué la machine afin de profiter au maximum de ce moment suspendu. Les portes s'ouvrent quand le bip retentit tel un gong dans cette petite cabine, seul témoin de cette fusion effrayante qui est née en quelques millièmes de secondes et qui résonne encore partout en moi. Ces mains qui ont quitté mon corps, son souffle qui s'éloigne de moi, la distance entre nous qui grandit comme un gouffre et qui engloutit toute l'intensité de ce moment... chacun de ses mouvements me fait revenir sur terre et il ne reste que les battements impétueux de mon cœur qui se mêlent à ma respiration déchainée. Je me force à ouvrir les yeux et mon regard se pose sur cet homme qui m'a fait ressentir mille sensations sans m'avoir réellement touchée. Seuls ses doigts se sont à peine baladés sur une infime partie de mon corps et il a réussi à allumer un feu ardent qui dévore chaque parcelle de ma chair. Je me mords la lèvre inférieure et baisse doucement les yeux, mes joues devenant rouges écarlates sans que je ne puisse les en empêcher. Je réalise à ce moment tout ce qui vient de se passer et j'ai subitement honte de m'être laissée aller si vite et si loin. Les portes de l'ascenseur sont prêtes à se refermer quand je réussis à sortir de ce brouillard qui a anesthésié ma raison. Je me redresse vivement, tout en évitant son regard et me décale vers la gauche afin de me défaire de son emprise invisible. Je sens les yeux brûlants de mon patron qui ne me lâchent pas et lorsque je le dépasse, je l'entends pousser un râle rauque et sourd. Je ne comprends pas tout de suite ce qui lui prend mais au moment où ses doigts se posent avec délicatesse sur la dentelle de mon dos, une décharge électrique me traverse et je manque de replonger. Je réussis à rassembler toute ma volonté pour m'extraire de cette douce caresse. La perception de ses doigts sur ma peau me manque immédiatement et je me retiens de me retourner et de replonger dans ce torrent de sensations grisantes. Je sors de la cabine avec hâte et dès que je me suis suffisamment éloignée de Mr Archer, mes neurones se reconnectent avec la réalité et guident mes pas vers mon bureau. Mon cœur semble prêt à s'échapper de ma poitrine et mes jambes flageolent si fort que je manque de trébucher à plusieurs reprises. Je referme vivement ma porte, m'adosse lourdement au chambranle et me prends la tête entre les mains.

Mon dieu mais qu'as-tu fait Candice ?! J'essaie désespérément d'éclaircir mes pensées, de retrouver un raisonnement sensé mais c'est impossible, je suis encore bien trop intoxiquée par la vision du corps de mon patron qui était pratiquement collé au mien il y a tout juste cinq minutes. Le silence qui règne dans les couloirs et dans mon bureau ne m'aide pas à le chasser de mes pensées. Je repense à son torse presque plaqué contre ma poitrine et mes mains me démangent. Je n'ai qu'une envie, c'est de pouvoir le parcourir indéfiniment et ressentir la chaleur de sa peau contre ma paume. Il ne s'est pratiquement rien passé, à peine quelques effleurements et une proximité inédite mais pourtant je sais que tout a changé. Je ne pourrais plus regarder Mr Archer dans les yeux sans rougir ni m'approcher de lui sans trembler. Il n'a dépassé aucune limite physique mais même maintenant qu'il n'est plus là avec moi, mon corps réclame le sien.

Je dois absolument me reprendre avant que mes collègues n'arrivent. Je reprends difficilement une respiration normale, mon cœur retrouve son rythme habituel et je m'installe à mon bureau. Je passe l'heure suivante à lire mon dossier sans en comprendre un seul mot. La journée va être longue !

Vers 9h, après un tourbillon d'émotions imprévues et une séance de travail infructueuse, Marina toque à ma porte. Elle passe sa tête entre la porte et le chambranle et son habituel sourire chaleureux m'ancre à la réalité. Je suis au travail, avec ma collègue et je dois être la plus performante possible.

-Coucou ! Comment vas-tu ? me questionne-t-elle tout en entamant une discussion légère qui me change les idées.

Nous continuons de papoter un court instant puis j'aborde le sujet du dossier Dior dont nous allons hypothétiquement discuter lors de la réunion. La réunion ??! Mais comment vais-je pouvoir rester sagement assise à quelques mètres seulement de Mr Archer sans me décomposer sous son regard ? C'est officiel, je suis fichue. La perspective de participer à un entretien avec mes deux chefs, au cours duquel ils vont pouvoir admirer l'étendue de mon incompétence sur ce dossier a le mérite de me remettre définitivement les idées en place. J'essaie tant bien que mal de me concentrer sur les explications que me donne Marina et après une demi-heure de prise de notes je pense être prête à faire illusion.                       

Il est 10h tapante quand Marina et moi pénétrons dans la grande salle de réunion qui m'avait accueillie pour mon premier entretien. La première fois, j'étais ici en conquérante, aujourd'hui je rase les murs. Je n'ose pas relever la tête de peur de croiser son regard mais je réalise vite que Mme Saint Martin est seule dans la pièce. Je réprime un soupir de soulagement et me redresse avec un peu plus d'assurance.

-Bonjour Marina, bonjour Candice, prenez place je vous en prie.

Je n'ai pas eu souvent l'occasion de croiser cette femme mais elle s'est montrée à chaque fois accueillante et agréable. Aujourd'hui ne déroge pas à la règle. Elle se tient droite, mise en valeur dans un tailleur pantalon chic et un brin classique. On ressent immédiatement toute l'éducation stricte et bourgeoise qu'elle a dû recevoir. Elle reprend la parole pour commencer cette réunion qui m'a tant stressée ces dernières heures.

-J'espère que vous avez passé un bon week-end bien reposant car il va nous falloir des forces pour affronter cette semaine qui arrive. A bien y réfléchir, il nous en faudra également pour le mois à venir !

Elle fait une courte pause, consulte sa montre puis continue son discours.

-Mr Archer m'a informée d'un événement imprévu qui va probablement l'assigner à son bureau pour la matinée. Nous allons donc commencer sans lui.

Je dois me forcer à refouler un sourire de soulagement à l'entente de ces mots. Je ne sais pas ce qui peut bien le retenir et honnêtement, je m'en fiche mais je suis tellement heureuse de ne pas avoir à assumer mon comportement de ce matin devant lui que j'entamerais une danse de la joie si je le pouvais ! Mme Saint-Martin ne remarque pas mon changement d'attitude et entre directement dans le vif du sujet.

-Je vous ai réunies ce matin afin de faire le point sur les dossiers Dior  et Royal Beauty. Comme vous le savez sûrement déjà, ces deux affaires potentielles représentent la moitié du chiffre d'affaire de l'année prochaine. Nous ne pouvons donc pas nous permettre le moindre faux pas. Je vous avoue que j'ai été surprise que Mr Archer et Marina vous confient un dossier si crucial pour vos débuts Candice, mais je vois maintenant cela comme une preuve de confiance. J'espère que vous en serez digne, termine-t-elle en me fixant.

-O-oui bien sûr Mme Saint-Martin, je commence en bredouillant. Je travaille d'arrache-pied sur ce dossier et je pense avoir bien avancé.

-Parfait. Vous nous exposerez vos pistes tout à l'heure, répond-t-elle avec douceur. Si vous le voulez bien, nous allons démarrer avec le dossier Dior. J'imagine que vous en connaissez les grandes lignes Candice, Marina se passera donc de la présentation généraliste pour entrer directement dans le vif du sujet.

C'est ainsi que cette réunion qui m'angoissant tant se transforme en une séance de travail efficace et détendue. Nous passons l'heure suivante à aborder les difficultés de ce dossier, à chercher de nouvelles pistes et à peaufiner notre stratégie. Ma responsable nous annonce que Marina va faire un déplacement professionnel mi-décembre pour rencontrer la direction de Dior accompagnée de Mr Archer afin de valider le contrat et les détails de la prochaine campagne qu'ils vont mener. Je suis instantanément soulagée à l'idée de me retrouver plusieurs jours loin de lui. Lorsque Mme Saint-Martin regroupe les documents éparpillés et clôt le dossier Dior, je prends une grande inspiration car je sais que c'est le moment pour moi de montrer de quoi je suis capable. Ma responsable commercial me laisse la parole afin de lui présenter le dossier et surtout l'approche que j'envisage d'adopter. Elle semble d'abord septique, tant mes propositions sont audacieuses mais petit à petit je vois son visage se détendre. Elle prend de plus en plus de notes tout en hochant la tête et je conclus ma tirade en lui révélant mes dernières trouvailles.

-Récemment, la direction de Royal Beauty a mis en place un nouveau directeur de la création qui n'est autre que Mr Weston. Je vois mes deux auditrices lever vivement les yeux vers moi et je continue. Comme vous le savez, il est très connu dans le monde de la créa pour ses prises de risque et ses décisions souvent audacieuses, parfois surprenantes. Je suis persuadée que si nous lui proposons une gamme de soie classique, il ne prendra même pas la peine d'étudier notre offre, peu importe la qualité de nos produits ou les prix que nous pourrions pratiquer. Nous devons taper fort et nous démarquer avec une offre inédite qui va à contre-courant de nos concurrents. J'ai répertorié tout l'historique des anciennes collections de la maison Royal Beauty ainsi que toutes celles dirigées par Mr Weston depuis le début de sa carrière. Je vous propose donc de travailler en étroite collaboration avec notre service créa et notre service développement afin de créer une collection inédite, spécialement ciblée pour notre futur client.

Une fois mon argumentaire terminé, Mme Saint-Martin me bombarde de questions et l'adrénaline qui s'est déployée dans mes veines lors de ma présentation de projet m'aide à ne pas me démonter. Je suis en train de répondre à toutes ses questions avec précision lorsque la porte située en face de moi s'ouvre. Mr Archer, le visage fermé et les traits tendus, entre dans la pièce avec plusieurs dossiers sous le bras. Il m'adresse à peine un regard et s'installe à côté de ma responsable en lui demandant où nous en sommes. Après avoir obtenu une réponse concise, il se tourne vers moi et me demande de continuer. Son regard est impénétrable, son corps musclé et tendu ne semble pas réagir à ma présence et il se comporte avec moi exactement de la même manière qu'avec les deux autres personnes présentes à côté de nous.

Trois paires d'yeux me fixent, attendant que je reprenne le cours de mon discours. Mais comment pourrais-je ignorer le tambourinement de mon cœur qui s'est déchaîné à la seconde où j'ai posé mes yeux sur mon patron ? Comment pourrais-je faire fi de mon ventre se contractant au souvenir de ses doigts parcourant délicieusement la peau nue de mon bras ? Comment pourrais-je ne pas me délecter de son parfum viril et terriblement enivrant qui a envahi mes narines ? Comment pourrais-je occulter les tremblements de mes membres qui réclament son toucher, comme s'ils étaient déjà en manque ? Mon esprit se noie dans ce tourbillon et je manque de défaillir quand sa voix grave claque dans l'air.

-Mlle Dumin, je n'ai pas toute la journée alors merci de vite terminer votre petit exposé.

Ces mots cassants ont le mérite de me faire redescendre sur terre. La personne qui est en face de moi n'est pas l'homme qui m'a fait voyager dans cet ascenseur. Une pensée s'impose à moi : je ne connais rien d'Ethan Archer et mon corps était prêt à tout lui offrir ce matin.

Je réussis à me raisonner, j'éclaircis ma voix et reprends là où je m'étais arrêtée. La réunion dure encore une quinzaine de minutes pendant lesquelles nous établissons de nouvelles directives. Mes propositions sont validées et je reçois les félicitations de Mme Saint-Martin. Pendant tout ce temps, mon esprit est concentré à ignorer mon patron. Il est d'ailleurs le premier à sortir de cette salle, le téléphone collé à l'oreille, et je peux enfin respirer sereinement. Tout en nous dirigeant vers nos bureaux, Marina me prend le bras et me félicite très chaleureusement. A cet instant, je suis fière de moi car j'ai réussi à relever le challenge quasiment insurmontable qui m'a été attribué. Mais rien n'est gagné, ce n'est que le début.

Galvanisée par le soutien et la confiance de ma direction, je redouble d'acharnement et passe toute mon après-midi à préparer mon brief avec les équipes créa et développement. Je ne vois pas les heures passer, mon ambition a pris le pas sur mon esprit chamboulé et j'ai rarement été aussi efficace un lundi ! Je remarque à peine mes collègues quitter leur bureau, les locaux se vider et le silence emplir les couloirs. La nuit est tombée depuis bien longtemps lorsque je relève la tête et me frotte la nuque. Il est temps que je rentre chez moi.

Je me lève, me tourne et me baisse pour récupérer mon sac à main lorsqu'un bruit de porte qui claque me fait sursauter. Je me retourne vivement et découvre Mr Archer, la main sur la poignée de la porte fermée, qui me dévisage.

Mon patron est dans mon bureau. Il a fermé la porte derrière lui. Il me fixe intensément. Je suis vulnérable. Mon corps réclame ces sensations interdites. Ma tête me crie de partir en courant. Je n'entends que les battements de mon cœur qui explosent. Je suis coincée entre mon bureau et le placard collé au mur. Je n'ai pas d'échappatoire possible. Et mon bourreau s'avance lentement mais sûrement vers moi.

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