Chapitre 45 - Heads up for this time

Lundi 4 septembre

Je suis installée à ma table habituelle au fond du petit pub que j'adore fréquenter. La salle est plutôt vide en ce lundi après-midi, seul un couple de personnes âgées lit paisiblement le journal, leurs petits mains ridées tendrement enlacées. Je les observe distraitement de temps en temps, à chaque fois émue par leur complicité. Parfois, ils se sourient mais la plupart du temps, il leur suffit juste de se regarder pour que leur visage s'éclaire. Et chacun de leurs échanges de regard apporte un petit plus de douceur à ma journée plutôt morose.

J'ai décortiqué une trentaine d'annonces d'emploi sans vraiment réussir à trouver ce que je veux réellement faire de ma vie. Je fuis tout ce qui se rapporte de près ou de loin à l'assistanat commercial ou au secrétariat. Du coup, il ne reste que des jobs auxquels je ne connais absolument rien. Serveuse, vendeuse, femme de ménage, conseillère, réceptionniste etc. Toutes ces propositions me laissent totalement dubitatives mais étrangement, je réfléchis sérieusement à envoyer mon curriculum vitae. J'ai quand même envie de plonger dans le noir et de prendre en main mon avenir, même si l'inconnu me terrifie.

Deux heures plus tard, j'ai répondu à toutes ces annonces, aussi variées soient-elles. L'adrénaline pulse dans mes veines, comme un cours d'eau tranquille se transforme quelques fois en un torrent quand les éléments se déchainent. Pour ma part, c'est mon cerveau qui fuse de toutes parts. Il est tantôt déterminé à croquer ma nouvelle vie londonienne à pleines dents, tantôt en proie aux doutes et à l'amertume. Une boule se crée au creux de mon estomac, annonçant les prémices d'une fin de journée aussi maussade qu'elle a commencé et même si je me force à rester concentrée sur ma recherche d'emploi, je ne peux empêcher mes pensées de dévier vers mes parents.

Quand je lis les descriptions de poste, je n'arrive pas à me sortir de la tête la réaction qu'ils auraient s'ils savaient que je viens de postuler. Je vois d'ici leur déception - pire leur dégoût - et leurs mots sévères s'accrochent déjà à mes oreilles. Je n'ai jamais rien été d'autre qu'une déception à leurs yeux et même si je me suis promis de ne plus leur porter aucune considération, aujourd'hui je n'y parviens simplement pas. Cela fait maintenant presque cinq mois que j'ai quitté leur maison glaciale après avoir été éclaboussée pour leur rancœur et leur hostilité. 150 jours se sont écoulés pendant lesquels je me suis battue, je me suis relevée, je suis devenue plus forte malgré leur silence. Cependant, il y a des jours où leur mutisme m'écorche le cœur. Quel genre de parent reste sans aucune nouvelle de leur enfant unique pendant presque la moitié d'une année ? Pourquoi ai-je à leurs yeux si peu de valeur que je ne mérite même pas leur inquiétude ?

Je souffle longuement en enfouissant la tête entre mes paumes, tentant par ce geste navrant de me défaire de mes idées noires. Malheureusement, elles ne semblent pas prêtes à me laisser tranquille. Je sais que je ne parviendrai jamais à les comprendre et que je dois accepter la situation comme elle est. Oui, je le sais. Mais quelques fois, de candides lueurs d'espoir s'infiltrent à travers les fissures qu'ils ont engendrées dans mon âme et dispersent sur leur sillage de cruelles pensées qui finissent toujours de me mettre à terre. Et si ma mère ne savait tout simplement pas comment me joindre ? Peut-être est-elle prostrée chez elle, rongée par l'inquiétude ? Peut-être même que mon silence a éteint une partie d'elle qu'elle n'a jamais pu combattre ?

Et soudain, je me souviens. Tous ses mots froids, toute sa rancœur et tous ses regrets rejaillissent dans mon esprit tels des fantômes tapis dans l'ombre qui ne me quitteront jamais vraiment. Et le retour à la réalité est encore plus cuisant. Si ma mère avait vraiment voulu me retrouver pour s'assurer que je vais bien, elle l'aurait fait. Ethan l'a bien fait lui. Le gouffre qui ronge silencieusement ma poitrine s'étend encore un peu plus parce que je ne suis plus naïve. Mes parents ont tourné la page et m'ont rayé de leur vie. Il n'y a plus rien à espérer et pourtant, la fillette aux boucles brunes indomptables espère toujours un peu. Je crois qu'elle espérera toujours même si certains jours sont plus insouciants que d'autres.

Du dos de la main, j'essuie les quelques larmes qui menaçaient et je me reprends, me répétant sans cesse mes nouveaux mantras :

Je suis forte

Je n'ai pas besoin d'eux

Je suis en train de me construire une belle vie

A force d'auto-persuasion, je finis par laisser ces mots s'infiltrer dans ma tête. J'éteins mon ordinateur et rassemble tous les papiers éparpillés autour de moi dans une pochette bleue. Mes yeux trainent une dernière fois sur les annonces d'emploi que j'ai imprimées quand le souvenir de Marina me percute de plein fouet. Depuis que j'ai abandonné ma vie parisienne, je n'ai jamais repris contact avec elle. Pourtant, j'adorais cette fille. Elle était bienveillante, à l'écoute et toujours d'un grand soutien. J'en ai passé des soirées à rire à ses côtés ! Je sens une onde de nostalgie enrober mon cœur et je m'en veux immédiatement. Même si j'ai décidé de refaire ma vie loin de mes tourments, elle ne méritait pas que je la laisse de côté. Sans réfléchir plus longtemps, je m'empare de mon téléphone et je compose son numéro. Les tonalités résonnent aussi fort que mon cœur martèle mes tempes.

-Allo ?

Et c'est ainsi que soudain, j'ai la sensation qu'une douce vague de chaleur s'infiltre sous ma peau pour me m'enrober de souvenirs réconfortants.

-Marina ? C'est... moi, Candice.

Un grésillement ternit le silence qui a failli s'installer entre nous quand je l'entends bouger puis hoqueter de surprise.

-Candice ? C'est bien toi ? Bon sang, ce que je suis heureuse de t'entendre ! Comment vas-tu ? Où es-tu ?

Je ris en chœur avec mon amie que je retrouve enfin. Elle me bombarde de questions et moi, je me sens légère. Elle aurait pu me reprocher ma désertion et mon silence mais au contraire, elle s'extasie quand je lui raconte ma nouvelle vie de l'autre côté de la manche. Elle me parle sans aucune gêne du chaos qui a régné à la soierie après mon départ et celui d'Ethan et de l'inquiétude qui ne la quittait pas quand elle pensait à moi. Et plus les minutes passent, plus je me sens bien. Je crois que j'ai toujours peur de reprendre contact avec des personnes de mon ancienne vie; j'ai peur de leurs reproches, de leur incompréhension ou de leur jugement. Mais Marina a toujours été celle qui m'acceptait comme je l'étais et qui me soutenait sans sourciller.

-Ca me fait plaisir d'entendre ton sourire transpercer dans ta voix. Dis Candice, tu veux bien me donner des nouvelles de temps en temps ?

-Bien sûr. Maintenant, je ne compte plus te laisser tomber. Si tu as envie de quitter Paris quelques jours, j'adorerais te recevoir ici.

-Avec grand plaisir ! Faut qu'on s'organise ça très rapidement alors !

Marina continue de me poser quelques questions pour s'assurer que celle qu'elle a vue s'effondrer a maintenant repris des forces et je suis fière de lui montrer que malgré quelques cicatrices indélébiles, j'ai assez bien réussi à me relever. C'est avec le cœur enveloppé d'une agréable sensation de réconfort que je quitte le pub.

Je me dirige en direction de la petite supérette du coin afin de remplir quelque peu les placards de la cuisine. Julie est peut-être la pro des soirées arrosées mais elle fuit les casseroles comme la peste. En m'installant avec elle, j'ai vite compris qu'en alliant mes talents de cordon bleu à son sens inné de la fête, nous allions former une équipe de choc.

Je pénètre dans le magasin et attrape un petit panier. Je flâne un petit moment, prenant le temps de décider du menu de ce soir à ma guise. Sans vraiment regarder où je vais, je passe de rayon en rayon en enfournant par ci, par là quelques articles. Ces jours-ci, je ne suis pas dans une très bonne phase. Le retour d'Ethan a remué beaucoup de choses que je croyais envolées à tout jamais et je dois constamment me forcer à avaler quelques bouchées. Bizarrement, même pendant ma période d'anorexie la plus sévère, j'ai toujours continué à cuisiner. J'aime passer du temps derrière les fourneaux, à essayer de trouver les meilleurs accords pour contenter les palais de ceux que j'aime. J'ai simplement plus de mal à me faire plaisir à moi-même. Alors que je m'engouffre dans un nouveau rayon, je me fige sur place en fixant celui qui se tient à quelques pas de moi.

Mon cœur s'emballe et je retrouve immédiatement cet état de fébrilité qui ne me quitte jamais quand Ethan est dans les parages. Je l'observe pendant quelques secondes, mes yeux ne parvenant plus à le quitter un seul instant. Il est immobile au bout de l'allée et semble en grande réflexion devant un rayon rempli de sachets de pâtes. Ses mains sont enfouies dans les poches de son jeans foncé, son torse est sévèrement moulé dans un t-shirt bleu marine et son visage est fermé. Je ne sais pas si ce sont les coquillettes qui le plongent dans un tel état mais j'ai soudain envie de rire. Depuis que j'ai quitté Paris, je découvre un nouvel Ethan. Un Ethan plus franc, sincère et authentique. Un Ethan plus libéré mais toujours tourmenté. Un Ethan qui semble se façonner lui aussi un nouveau quotidien. Et le voir aussi dubitatif devant une centaine de sachets de pâtes me désarçonne encore un peu plus.

Mes pieds se mettent à avancer tandis que je ne lâche pas des yeux son visage si brut qui me transcende à chaque fois. Plus je m'approche de lui, plus mon sourire fane. Je vois chacun de ses traits se dessiner plus précisément, me rappelant toutes les fois où je les ai scrutés pour essayer de percer sa carapace. Je distingue les veines saillantes de ses bras musclés qui m'ont enlacée tant de fois. Je vois sa poitrine monter et descendre au même rythme que la mienne. Mon cœur bat encore un peu plus fort lorsqu'il se retourne pour me contempler à son tour. Son visage d'abord surpris s'éclaire immédiatement quand ses douces billes noisette parcourent mon visage. Je n'avais pas réalisé que ma main avait pris son envol pour se poser sur son avant-bras, se nourrissant tranquillement de sa chaleur. Gênée, je retire immédiatement ma paume en essayant d'ignorer le manque de sa peau qui veut se faufiler sous la mienne.

-Excuse-moi, je...

-Non ça va. Je suis content de te voir.

-Tu as l'air d'avoir besoin d'aide ! Tu t'es perdu avant d'atterrir ici ?  

Ethan se renfrogne avant de porter à nouveau son regard vers l'étalage qui lui fait face.

-Sérieusement, qui a besoin d'autant de sortes de pâtes ? Je comprends rien à tous ces sachets !

C'est plus fort que moi, un rire franc et lumineux traverse ma trachée pour claquer dans l'air.

-Ouais c'est ça, moque-toi de moi. J'y connais rien moi à toutes ces conneries.

Mon rire se transforme rapidement en un sourire attendri qui se placarde sur mes lèvres sans que je ne lui en donne l'autorisation.

-Prend n'importe lequel et suis les indications notées sur le sachet.

Ethan me lance un petit regard en coin avant d'attraper le premier sachet qui lui tombe sous la main. Il le fixe un instant mais je vois tout de suite que ses yeux sont ailleurs. Ils papillonnent vers des pensées qui semblent le déstabiliser avant de relever la tête pour capter à nouveau mes prunelles émeraude.

-Tu... tu vas quelque part après tes courses ?

L'espoir que je lis dans son regard me serre le cœur.

-Non, je... je vais rentrer chez moi.

-Tu veux bien faire un bout de chemin avec moi ?

J'essaie de ne pas me laisser troubler par l'incertitude qui fait trembler sa voix mais cette tâche s'avère sacrément ardue. Nous nous toisons un moment, plantés comme deux idiots au beau milieu du rayon épicerie de cette supérette de quartier avant que je ne murmure un « pourquoi pas » à peine audible.

Je n'ai pas le temps de sortir de l'établissement qu'Ethan s'empare de mes sacs de course pour les porter. Le soleil commence tout doucement à décliner dans le ciel lorsqu'il brise le silence nous entourant.

-Alors, tu en es où de ta recherche d'emploi ?

-J'ai passé l'après-midi à éplucher des dizaines d'annonces et à postuler pour des boulots auquel je ne connais rien. Honnêtement, je ne sais pas du tout ce que je suis en train de faire.

-Tu es en train de reprendre ta vie en main, tout simplement. Et tu as raison.

Je me tourne brusquement vers lui, étonnée de la sérénité qui se dégage de sa voix.

-Ne me regarde pas comme ça Candice, tu n'as pas à douter une seule seconde de ce que tu es en train de faire. Laisse-toi le temps de découvrir ce que tu as réellement envie de faire et en attendant, teste tout ce qui se présente à toi. Il est où le problème ?    

-Le problème c'est que je ne me reconnais pas. Je n'ai pas l'habitude de jongler uniquement avec des équations inconnues.

-Tu peux enfin vivre pour toi alors profite-en et n'aie pas peur. Quoiqu'il arrive je sais que tu vas réussir tout ce que tu vas entreprendre.

-Tu dis ça parce que...

-Parce que je crois en toi comme j'ai toujours cru en toi Candice, dit-il en me coupant. Et peut-être aussi un peu parce que je t'aime.

Je détourne rapidement le regard pour ne pas lui montrer à quel point mes joues s'échauffent. Mon cœur, lui, fait de tels bonds qu'il va bientôt s'écraser à mes pieds ou s'envoler au-dessus de nos têtes, je ne sais plus trop. M'habituerai-je un jour à cette explosion d'émotions qui m'envahissent quand j'entends ces trois petits mots sortir de sa bouche ? J'espère sincèrement que non.

-Arrête de douter constamment de toi. Fonce. Vis. Le reste n'a pas d'importance. Et si tu te plantes, tu sauras te relever.

Tous les mots qu'il m'offre fusionnent dans les airs pour former des pansements qui colmatent les fissures de mon cœur. Je ne sais pas s'il en a conscience mais ce soir, Ethan se montre solide et confiant. Je ne l'ai que rarement vu comme ça mais c'est exactement ce dont j'avais besoin.

Une petite brise fraiche balaie mon visage alors que nous continuons à marcher tranquillement. Les souvenirs blessants de mes parents se noient au fond de la Tamise que nous longeons et bientôt, il ne reste plus que cette électricité silencieuse qui grésille toujours entre nous. Etrangement, je n'ai pas l'impression de retrouver Ethan mais d'avoir finalement la chance de le découvrir, comme si celui qu'il était réellement s'était enfin affranchi de sa carapace. Je ne sais pas vraiment si c'est moi qui me suis rapprochée de lui ou si ce sont nos deux corps qui sont destinés à graviter ensemble mais soudain, nos bras se frôlent, ma peau se pare d'infinis frissons et le bout de nos doigts se taquinent. C'est comme si mon corps et mon âme étaient touchés par la foudre. Une sensation aussi enivrante que volcanique se diffuse dans mes veines, faisant disjoncter tout mon système nerveux pour obliger mon cœur à ne plus rien voir d'autre que cet homme si hypnotisant.

Je sens mon estomac faire le grand huit quand la main rugueuse d'Ethan se moule plus fermement à ma paume. Alors que je me pose mille et une questions, ma raison reprend rapidement le dessus et je détache doucement mes doigts des siens avant de m'éloigner pour inspirer un air moins troublant. Quand mes yeux replongent dans les siens, j'ai l'impression qu'on vient de m'infliger un coup de poing dans le ventre.

-Ethan, je...

-C'est pas grave Candice, je t'ai promis d'être patient et je le serai. Mais putain, c'est compliqué ce soir ! J'ai qu'une envie, c'est de te prendre dans mes bras et de t'embrasser comme un dingue !

Je rougis toujours un peu plus en entendant les compliments qui sortent de sa bouche de manière aussi brute que sincère, comme s'il me livrait un secret qu'il n'avait plus envie de cacher. Chaque seconde supplémentaire que je passe à ses côtés fait tomber quelques-unes de mes barrières. Le petit sourire blessé d'Ethan se reflète sur mon visage et je le remercie silencieusement de ne pas me pousser plus loin.

-Raconte-moi ta nouvelle vie Ethan.

-Y'a pas grand-chose à dire tu sais, marmonne-t-il en haussant les épaules.

-Où vis-tu ?

-Au-dessus de la taverne de Murphy. Je... j'avais pas vraiment d'endroit où crécher en arrivant ici alors je suis allé toquer à sa porte. Il m'a proposé la petite chambre de bonne qui surplombe la salle du resto. Depuis, je lui donne un coup de main pour le service. Sauf le lundi, c'est son jour de fermeture.

Mes yeux s'écarquillent de surprise avant que je ne me reprenne. Je n'ai en réalité aucune raison d'être à ce point décontenancée par son aveu, j'ai su à la seconde où je suis entrée pour la première fois dans la taverne qu'Ethan était dans son élément ici. Les souvenirs de sa vie passée flottaient autour de nous et cela semblait lui faire du bien de les retrouver.

-Je suis sûre que ton père serait fier de toi s'il te voyait.

Un éclair de douleur mêlé de douceur navigue sur ses traits l'espace d'une toute petite seconde durant laquelle je dois me retenir de toutes mes forces pour ne pas le prendre dans mes bras. Je n'ai pas le droit de jouer avec ses sentiments tant que je ne suis pas sûre des miens, même s'il m'en coûte de rester immobile.

-Est-ce que ta vie ici te plait ?

-Oui parce que je ne pourrais pas vivre loin de toi. J'ai besoin de te savoir près de moi et de te voir heureuse comme tu l'es maintenant.

-Non mais sans parler de moi Ethan, comment est-ce que tu te sens ici ?

Son regard quitte le mien comme à chaque fois que je lui demande de se dévoiler sans faux-semblant. Mais contrairement à ce qu'il avait l'habitude de faire quand nous étions à Paris, Ethan ne me cache désormais plus rien.

-Ouais je crois. Je sais pas trop ce que je vais faire de ma vie mais au moins, je suis maintenant le seul à le décider. Putain, j'ai été vraiment con de m'embourber dans cette vie de merde...

Nos corps se réclament et se frôlent à nouveau.

-Tu te rends compte qu'on n'a jamais eu ce genre de conversation quand on était ensemble ? On n'a jamais eu tous ces moments simples, tous ces moments où on prend juste le temps de se parler sincèrement.

-On va y remédier maintenant Candice. On a fait pas mal d'erreurs c'est vrai mais j'aime notre histoire comme elle est, sauf la fin. Je te promets qu'on va réparer tout ça, dit-il tout en passant son bras gauche autour de mes épaules pour m'attirer à lui.

Je ferme doucement les yeux, savourant cette sensation oubliée qui rugit dans mes veines pour inonder mon corps tout entier. Le biceps d'Ethan se loge contre mes omoplates pour m'attirer en douceur au creux de son torse. Et pour la première fois depuis qu'il m'a retrouvée, ma rancœur s'éloigne de nous pour nous octroyer une petite parenthèse enchantée. Je ferme les yeux et plonge le nez dans son cou pour retrouver son parfum que j'aime tant. Ma bouche sèche effleure lentement sa peau puis je caresse du bout des doigts sa barbe brune un peu sauvage.

Son air bourru, ses mains rêches, sa peau rugueuse, son visage marqué par les mauvaises décisions...Rien chez cet homme n'appelle les caresses et pourtant, à mes yeux son corps est aussi doux que de la soie. Je suis accro à toutes ces sensations que j'ai aimées avant même de le connaître réellement et je réalise maintenant que je ne suis pas du tout guérie, bien au contraire. Sa main remonte le long de mes bras dénudés pour caresser ma nuque avant de se faufiler à travers mes mèches emmêlées. Contre ma joue, je sens sa poitrine monter et descendre à un rythme un peu trop soutenu pour prétendre que ce moment est anodin. J'inspire profondément et je m'autorise encore dix secondes avant de rompre cet instant hors du temps.

Ces dix secondes passent aussi lentement que rapidement. Quand je me décolle de son torse, je me souviens de chacun des battements de son cœur et de toutes ses respirations saccadées. Le cerveau encore un peu intoxiqué par ces dernières minutes, je me surprends à penser que peut-être, le livre de notre histoire nous réserve encore quelques chapitres. Mais je ne veux surtout pas prendre le risque de sauter des pages essentielles et d'arriver trop vite à la fin.

Je noue distraitement mes doigts à ceux d'Ethan tandis que nous recommençons à marcher.

-Est-ce que tu as encore mal des suites de ton accident ?

-De moins en moins. Il y a encore quelques semaines, je n'aurais pas été capable de me balader avec toi sans mes béquilles mais plus les jours passent, plus les stigmates de ce qui s'est passé disparaissent.

Je ne sais pas s'il saisit le double sens de ma dernière phrase mais son pouce commence à tracer sur le dos de ma main des cercles invisibles qui résonnent jusque dans mon cœur. Nous laissons nos pas nous guider encore un moment, enveloppés dans la fraicheur de cette fin de journée et bercés par les battements silencieux de nos cœurs qui se réapprivoisent doucement. Lorsque nous arrivons non loin de mon quartier, Ethan s'arrête et se tourne vers moi de manière à plonger franchement son regard dans le mien.

-Donne-moi ton numéro de téléphone Candice. Comme ça, je pourrai te harceler par texto au lieu de t'attendre en bas de ton immeuble la prochaine fois que j'ai envie de te voir.

J'éclate de rire, le cœur léger, tandis qu'il se contente d'arborer son petit rictus légèrement arrogant. Je m'empare de son téléphone pour enregistrer rapidement mon numéro. Nous décidons de nous séparer ici mais avant de partir, Ethan dépose un baiser appuyé sur mes cheveux tout en humant brièvement mon odeur. Je crois que mon cœur tremble sous la peau de mon sein. Quand je regagne mon appartement, je suis soulagée de remarquer que Julie n'est pas encore rentrée.

Je me dépêche de m'enrouler sous un plaid et d'attraper un bon bouquin mais les mots couchés sur le papier ne pénètrent pas mon cerveau. Ce dernier reste bloqué sur le moment tout en douceur que j'ai partagé avec celui qui fait continuellement vibrer mon âme. Je prends petit à petit conscience que celui qu'il est aujourd'hui me plait encore plus que l'homme que j'ai connu à Paris. Il est certes toujours un peu sauvage et imparfait mais il est authentique et sincère. Il n'est plus écrasé par le poids des secrets mais au contraire, il me semble qu'il savoure cette légèreté enfin retrouvée. A mon tour maintenant de réapprendre à lui faire confiance.

J'ouvre les yeux malgré la chape de fatigue qui s'abat sur moi sans aucune pitié. Je n'ai pratiquement pas dormi cette nuit et les rares moments où j'ai réussi à m'assoupir ont été peuplés de mauvais rêves me prédisant un échec lamentable aujourd'hui. C'est sûrement pour cette raison que j'ai l'impression que ma poitrine va finir écrasée par l'étau de stress qui l'enserre.

Cela fait maintenant quatre jours que je n'ai pas revu Ethan. Depuis quatre longues journées, je n'ai eu aucune nouvelles. Mais ce n'est pas pour cette raison que je me sens si mal ce matin. Dans deux heures, je suis attendue au Happiness Forgets dans le quartier d'Hoxton pour un entretien d'embauche. Le bar cherche une serveuse « cool et souriante » pour remplacer temporairement un des membres de leur équipe. Le gérant m'a appelée après avoir reçu ma candidature et il m'a déjà fait passer un long entretien téléphonique. Je ne lui ai pas caché mon inexpérience mais apparemment, il est intrigué par ma détermination à vouloir recommencer une vie meilleure ici.

Malgré l'angoisse qui a pris possession de moi ce matin, je me motive du mieux que je le peux. Je suis prête à découvrir de nouveaux horizons et l'idée de faire de nouvelles expériences m'excite même comme une gamine de cinq ans ! Je sors du lit d'un bond et me précipite dans la salle de bain pour me préparer. Ayant déjà fréquenté ce bar, je choisis une tenue assez décontractée mais plutôt branchée pour ne pas paraitre trop coincée. Je me force à boire un thé et à avaler un petit morceau de brioche tout en consultant mon téléphone. La déception qui s'abat sur moi quand je réalise que je n'ai pas reçu un seul message est particulièrement cruelle. Hier soir, après avoir passé deux heures à tergiverser dans mon lit, j'ai fini par envoyer un texto à Ethan. Je voulais lui dire que j'ai décroché un entretien d'embauche qui me met dans un état de stress inimaginable. Même si nous ne sommes plus ensemble, son silence me fait tout de même mal.

D'un geste brusque, je pose mon téléphone sur la table de la cuisine afin de chasser ces idées moroses puis j'attrape ma tasse pour siroter tranquillement mon thé. Julie entre dans la pièce avec de tout petits yeux fatigués.

-Comment se sent ma championne ? Sérieux Candice, avec tous les cocktails que je t'ai appris ces derniers jours, je n'y comprends plus rien si tu ne décroches pas ce job !

-Sauf que tu m'as fait boire tous ces cocktails donc je ne me rappelle plus de grand-chose...

Ma coloc éclate de rire avant de s'installer sur le tabouret à côté de moi. Elle me pique la brioche que je tiens dans mes mains et croque dedans sans aucune gêne.

-Arrête de stresser, tu vas assurer, marmonne-t-elle la bouche pleine. Et si jamais tu n'es pas prise, tu as encore trois autres entretiens qui t'attendent la semaine prochaine donc relax.

Elle a raison, je dois me détendre. Je ne savais pas que la recherche d'un emploi en Angleterre était plus simple qu'en France. Il m'a suffi d'envoyer une dizaine de mails pour décrocher plusieurs entretiens. Cette constatation me rassure allégrement même si je garde en tête qu'il est aussi beaucoup plus facile de rompre un contrat ici. Je discute quelques minutes avec Julie qui parvient à me changer les idées avant de me brosser les dents et d'enfiler ma veste en jeans. Au moment où je quitte l'appartement, je jette un dernier coup d'œil à mon téléphone toujours désespérément muet. Beaucoup trop déçue, je me contente de l'enfouir tout au fond de mon sac avant de dévaler les escaliers.

Je n'arrive pas vraiment à décrire l'état dans lequel je me trouve. La déception liée au silence d'Ethan et l'angoisse que cet entretien provoque en moi me laissent aussi fébrile que perplexe. Il y a quelques jours je pensais que je faisais fausse route en postulant mais je réalise aujourd'hui que pour la première fois de ma vie, j'ai envie de me lancer dans l'inconnu et de faire quelque chose de léger. Ce qui ne fait qu'augmenter mon état de stress, bien entendu !

Je sors de mon immeuble en boutonnant ma veste pour me protéger de la petite brise qui se faufile autour de mon cou quand mon regard se pose sur Ethan, immobile sur le trottoir d'en face. Immédiatement, je remarque ses cheveux tout ébouriffés et son visage encore endormi. Quand il me voit, la ligne de ses lèvres s'étire imperceptiblement et mon cœur fait un bond. Il traverse la route pour réduire la distance nous séparant pendant que je prends encore une seconde pour l'admirer. Il porte un pantalon de sport noir décontracté qui tombe bas sur ses hanches et sa veste de la même couleur est ouverte sur un t-shirt blanc si fin qu'il laisse deviner les traits de son tatouage. Il semble tout droit tombé du lit mais pourtant, je ne me souviens pas l'avoir déjà trouvé aussi séduisant. Il se plante devant moi et me tend un mug cartonné qu'il tient de ses deux mains tout en déposant un furtif baiser sur ma tempe.   

-Je... je viens à peine de me réveiller et je n'ai vu ton message que maintenant.

Le soulagement que je ressens est indescriptible. Mes doigts s'enroulent autour du gobelet chaud et je le porte à mes lèvres pour découvrir le goût réconfortant d'un thé délicieusement parfumé.

-Tu veux que je t'accompagne ? me demande-t-il d'une voix encore endormie.

-Non, c'est gentil mais retourne te coucher. Merci d'être venu Ethan, ça me touche beaucoup.

Il me sonde un instant du regard mais voyant que je me sens déjà mieux grâce à son attention, il se contente de me prendre tendrement dans ses bras et de murmurer à mon oreille :

-Tu vas être parfaite, j'en suis sûr.

Ma tête repose un instant contre son torse musclé. Je laisse les battements de son cœur m'insuffler toute la confiance qu'il me porte en savourant cet instant les yeux fermés. Puis ses mains prennent mon visage en coupe et mes yeux plongent dangereusement dans les siens, quitte à s'y noyer. Il me dévisage avec tant d'ardeur, léchant chaque parcelle de mon visage sous ses cils imperturbables, que je crois qu'il va m'embrasser mais rapidement il se détourne. Je le regarde s'éloigner en ignorant le manque qui s'installe sous ma peau avant de prendre le chemin du Happiness Forgets.

Allez Candice, tu peux le faire !

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