Chapitre 44 - Once you feel love, you'll taste the pain

Samedi 2 septembre

Ma tête valdingue dans tous les sens depuis deux jours. Ou peut-être est-ce simplement mes pensées qui fusent si vite qu'elle s'écrasent quelques fois contre les parois de mon crâne. A vrai dire, je ne sais plus grand-chose actuellement. Je suis sous le choc depuis qu'Ethan a fait irruption chez moi il y a un petit peu plus de quarante-huit heures et je n'ai pas franchement été capable de penser à autre chose. Ses paroles tournent en boucle dans ma tête mais ce n'est rien comparé à son visage qui est resté placardé sur mes rétines depuis qu'il a quitté mon appartement. Je me rappelle de chacun de ses traits fatigués, de la faible lueur qui éclairait encore son regard et de tous les mouvements que ses lèvres ont fait quand il m'a dit « je t'aime ».

Je crois que je ne pourrai jamais oublier le son de ces mots quand ils ont flotté autour de moi. Leur goût quand ils se sont posés sur mes lèvres. Le parfum apaisant qu'ils ont créé entre nous. Et la douceur qu'ils ont insufflée sur mes cicatrices enfouies.

Même si je n'ai rien pardonné à Ethan, je suis maintenant profondément soulagée de savoir qu'il a été sincère dans tout ce nous avons vécu. Alors j'essaie naïvement de me persuader que sa déclaration va enfin me permettre de tourner la page mais la vérité, c'est que je me berce d'illusions. Depuis qu'il est revenu, je ne pense qu'à lui, à nos souvenirs heureux et à la douleur qui enfle dans ma poitrine de le savoir  à la fois si près et si loin de moi. C'est comme si j'avais replongé et qu'il m'en fallait plus, toujours plus. Je l'aime autant que je lui en veux et je n'en peux plus de me battre avec tous ces sentiments contradictoires.

Quand j'entends ma colocataire fourrer ses affaires dans son sac de sport en chantonnant à tue-tête, je comprends qu'elle s'apprête à partir. Cette fille ne tient littéralement pas en place ! Je la rejoins et toque doucement à la porte de sa chambre.

-Tu sors ?

Les cheveux noués en un chignon totalement décoiffé, elle relève la tête en souriant tout en enchainant des gestes rapides et saccadés.

-Oui ! J'ai mon cours de danse qui commence dans trente minutes et je suis...

-A la bourre. Comme d'hab ! la coupé-je en lui lançant un clin d'œil.

Elle ricane tout en amoncelant ses vêtements dans son sac puis elle tire la fermeture éclair d'un geste énergique. Quand je l'observe croquer la vie à pleines dents, je sens un regain de motivation se diffuser dans mes veines. C'est décidé, la routine quasi monacale que je me suis imposée ces derniers jours après la visite d'Ethan est terminée !

-Je peux faire un bout de chemin avec toi ?

-Bien sûr !

Je me dépêche d'enfiler mes sandales et d'attraper mon sac à main avant de sortir retrouver l'air chaud de la capitale anglaise. Aussi surprenant que cela puisse paraître, les températures affichent encore 24 degrés en ce début septembre. Je souris distraitement en sentant les rayons du soleil réchauffer ma peau légèrement dorée et nous nous mettons en route. Depuis que les médecins m'ont autorisée à marcher, je passe mes journées dehors à savourer les plaisirs simples de l'été. Moi qui étais plus blanche qu'un fantôme il y a encore deux mois, je ne suis pas peu fière d'avoir retrouvé une couleur plus... humaine !

L'été touche à sa fin, les voitures ont à nouveau envahi les routes de la capitale et les travailleurs s'activent sur les trottoirs, la mine fermée et le téléphone greffé à l'oreille. Julie a repris ses cours de danse, son travail et ses sorties et moi, j'ai envie d'avancer. Quand je me suis relevée de mon accident, je m'étais promis de profiter intensément de la vie et il temps que je me prenne en main.

-Tu vas faire quoi aujourd'hui ? m'interroge Julie.

-J'en sais rien... J'en ai marre de rester coincée à l'appartement et je crois que ma période « touriste de base » est révolue. Tu vois... toi tu vis à cent à l'heure et tu n'as jamais une minute à toi. Et bien, moi aussi je veux retrouver ce rythme de vie. Je ne veux plus être spectatrice de la vie des autres, je veux tellement user la mienne qu'il n'en restera que des souvenirs heureux.

-Alors il ne tient qu'à toi de faire changer les choses Candice, me répond-t-elle avec un petit sourire décorant les coins de sa bouche.

-Je sais. J'ai envie de trouver un petit boulot. Mes économies fondent à une vitesse inquiétante et je voudrais me sentir active mais je ne sais pas vraiment où chercher.

-Qu'est-ce que tu as envie de faire ?

-N'importe quoi sauf quelque chose qui me rappelle mon ancienne vie parisienne.

Julie hoche la tête sans rien dire, compréhensive. Je veux définitivement oublier tout ce qui pourrait me rappeler mes erreurs passées. Si j'ai fait des études de commerce international, c'est uniquement parce mes parents ont orienté mon choix. Mais le plus triste dans tout cela, c'est que si quelqu'un m'avait demandé à l'époque ce que je voulais faire, je n'aurais pas su lui répondre. Mes parents avaient déjà la main mise sur ma vie et j'étais incapable d'être réellement moi-même. Aujourd'hui, je m'offre donc la possibilité de repartir de zéro, de trouver ma voie et de m'épanouir dans ce qui donnera un but à ma vie. Reste maintenant à découvrir de quoi il s'agit.

-Si tu veux, je peux te filer des adresses de sites internet et le nom des journaux qui diffusent des annonces.

Nous arrivons à hauteur du studio de danse où Julie passe un nombre incalculable d'heures. Je le regarde avec de grands yeux émerveillés, mes jambes me démangeant déjà à la simple idée de fouler à nouveau le parquet. La danse me manque viscéralement. Cette discipline a toujours fait partie de moi et elle m'a aidée à grandir, à me protéger et à avancer malgré les tempêtes. Depuis quelques semaines, je réfléchis sérieusement à recommencer à danser mais j'ai peur que ce soit encore un peu tôt.

-Candice, pourquoi tu ne m'accompagnerais pas à un de mes cours de danse ? me demande Julie en tournant brusquement la tête vers moi.

-Je crois que c'est encore un peu tôt. Le médecin de l'hôpital m'a conseillé d'attendre six mois avant de reprendre le sport.

-Mais tu en as envie ?

-Putain oui !

Ses yeux s'écarquillent avant qu'elle n'éclate de rire.

-Merde Candice, je commence à déteindre sur toi ! Et je vais pas te cacher que ça me plait énormément de te décoincer un peu !

Je lève gentiment les yeux au ciel avant de la pousser en direction de la porte du studio.

-Allez, file au lieu de dire des bêtises. Tu es déjà bien assez en retard !

-Oh putain ! J'avais pas vu l'heure ! s'écrie-t-elle en jetant un œil à sa montre. A ce soir ma poulette !

Elle trottine jusqu'au studio mais avant de franchir le seuil, elle s'arrête et fait demi-tour en courant pour me rejoindre.

-File-moi vite un papier et un stylo Candice !

Je m'exécute et la regarde noircir la page blanche. Elle me rend rapidement la feuille avant de reculer tout en me regardant.

-Consulte déjà ces sites. Si tu ne trouves rien, j'appellerais quelques potes pour voir si quelqu'un peut nous trouver un plan.

Sur ces paroles, elle me décoche un clin d'œil et s'empresse de disparaître derrière les portes vitrées du bâtiment qui me fait face. Je baisse les yeux sur la feuille qu'elle m'a fourrée dans les mains quand un sourire nait sur mes lèvres. Ne me demandez pas pourquoi mais je sais déjà que j'adore cette fille. Je me remets en route pour regagner l'appartement afin d'aller chercher mon ordinateur et me lancer dès maintenant dans ma recherche d'emploi. N'ayant pas envie de rester enfermée, je prends l'appareil sous le bras et dévale les escaliers en sens inverse, déjà pressée d'aller prendre en main mon avenir. Quand j'atteins le trottoir qui borde mon nouvel immeuble, je suis sereine et déterminée. Mais tout part en fumée au moment où mon regard se pose de l'autre côté de la rue.

Ethan se tient droit, les mains dans les poches de son jeans, le visage imperturbable. Il me fixe de ses grands yeux noisette qui me font frissonner de la tête aux pieds. Je me fige, totalement déroutée de le voir à nouveau s'immiscer dans ma vie londonienne alors que je fais tout pour le tenir à l'écart de mes pensées. Un mélange déconcertant d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres m'assaille tandis que je le vois s'avancer vers moi. Lorsqu'il remarque que je ne bouge pas, ses lèvres charnues s'étirent en un minuscule sourire.

-S...salut.

Il passe nerveusement la main dans ses cheveux en dansant d'un pied sur l'autre. Si je n'étais pas aveuglée par ses mensonges passés, je trouverais sûrement cela attendrissant.

-Qu'est-ce que tu fais là Ethan ?

-Je me disais que peut-être tu... tu accepterais qu'on se pose dans un café pour discuter.

Sa voix est mal assurée et ses yeux suppliants. Mon cœur s'excite déjà beaucoup trop dans ma cage thoracique et je ne comprends pas vraiment de quoi j'ai le plus peur.

-Je...

-S'il te plait Candice. Ce qu'on a vécu était bien trop important pour qu'on laisse les choses comme ça.

Il lève la main pour la poser sur mon avant-bras mais avant qu'elle n'atteigne sa destination, j'ai déjà reculé d'un pas. Non pas qu'il me dégoûte, bien au contraire. Je ne veux simplement pas me rappeler toutes ces sensations que lui seul sait enflammer.

-Ok mais pas longtemps.

Même si j'ai parfaitement conscience que passer du temps avec lui ne m'aide absolument pas à tirer un trait définitif sur notre histoire, je crois que nous méritons tous les deux de nous expliquer calmement. Nous marchons quelques instants avant d'atteindre le petit pub que j'ai maintenant l'habitude de fréquenter. Quand je pénètre dans l'établissement, le trentenaire taciturne qui gère les lieux m'adresse un petit sourire en hochant la tête avant de figer son geste en apercevant Ethan dans mon dos. Il détourne alors le regard et continue d'essuyer les quelques verres qui sont posés devant lui, le visage fermé.

Je choisis délibérément de ne pas m'asseoir à la table que j'occupe habituellement dans le coin de la pièce. Je n'ai pas envie de partager mes nouvelles habitudes avec Ethan. Mes mains tremblent comme des folles quand je tire une chaise et que je m'installe en face de lui. Nos genoux se frôlent mais c'est déjà beaucoup trop. Je me décale pour ne pas avoir à supporter le déchirement que cela provoque en moi. C'est à ce moment que le gérant s'approche de nous pour prendre notre commande sans décrocher le moindre mot. Ethan attend que j'énonce ce que j'ai envie de boire mais je n'arrive pas à lâcher le barman des yeux. Je ne saurais dire ce qui me trouble autant aujourd'hui mais ses prunelles paraissent bien plus abattues que d'habitude. Après quelques secondes de silence, mon ex-compagnon se racle bruyamment la gorge, ce qui me fait légèrement sursauter. Le visage d'Ethan s'est rembruni et il est maintenant impossible de lire à travers l'orage qui s'est formé dans ses iris assombris.

-Un thé noir s'il vous plait.

-Une bière, grommelle-t-il.

Le barman s'éloigne rapidement, nous laissant seuls et totalement mal à l'aise. Nous n'avons jamais connu ce genre de moment simple, à prendre le temps de se parler tranquillement dans un lieu public. Nous n'avons connu que des moments passionnés dans un lieu confiné qui était le gardien de nos secrets les plus sincères. C'est sûrement pour cette raison que j'ai la sensation que ce que nous sommes en train de faire ne nous ressemble absolument pas.

-Tu voulais me parler ?  

Je tente de briser la glace qui s'est cristallisée entre nous et à ma grande surprise, Ethan ne me laisse pas me dépêtrer toute seule. Il relève la tête pour retrouver mon regard et semble se nourrir de ce qu'il y trouve puisqu'il finit par laisser sa main se promener sur son visage fatigué. Malgré moi, je ne peux pas empêcher mes yeux de contempler sa peau rugueuse ainsi que les petits plis qui ornent ses doigts ; ces mêmes petits plis que j'avais l'habitude de caresser lorsque je sentais qu'il m'échappait.

-Je voudrais te demander pardon Candice. Je sais que j'ai enchaîné les mauvaises décisions et que je t'ai fait souffrir et ça me déglingue. J'ai abimé ce qui avait le plus de valeur à mes yeux et putain, je le regrette amèrement. Si je pouvais revenir en arrière, je ferais tout complètement différemment. Tu es précieuse Candice et je t'ai fait du mal. Je m'en voudrais toute ma vie mais je crois que la seule chose que je peux faire aujourd'hui, c'est de m'excuser, encore et encore. Et te dire que je t'aime, encore et encore.  

Ma poitrine se serre tellement que je peine à dompter mes respirations. Un nœud gigantesque s'est formé dans ma gorge et il m'empêche de lui répondre. Pourtant, il est en train de me donner ce que j'attendais depuis des mois.

-Quand tu m'as choisi, j'ai été un putain d'égoïste. J'étais heureux de t'avoir avec moi mais il y avait toujours cette culpabilité qui me bouffait de l'intérieur. Je savais que j'étais en train de merder mais j'ai fait l'autruche. Plus les semaines passaient, plus je savais que j'étais foutu. Parce que j'étais fou amoureux de toi et que je savais que je ne te méritais pas. Tu me demandais de nous sauver de cette impasse et je... sur le coup, je pensais que je faisais ce qu'il fallait en préparant ma sortie avec mes avocats mais en réalité, j'ai été lâche. J'avais une énorme trouille de me retrouver à nouveau à la rue mais il a fallu que je te perde pour que je réalise que rien n'est plus important que la femme de ma vie. Je m'en fous des thunes, de la bagnole et de la baraque. Si je ne t'ai plus, je n'ai plus rien.

Le regard sincère d'Ethan n'a jamais quitté le mien depuis qu'il a pris la parole. Il m'a ouvert son cœur sans heurt ni cri. Il s'est simplement assis devant cette petite table bancale et m'a déballé tout ce qui pesait trop lourd dans sa poitrine. Mes doigts caressent machinalement le bois sombre légèrement collant tandis que ses paroles s'infiltrent doucement en moi. Je ferme les yeux quelques secondes, totalement décontenancée par tout ce qu'il vient de me dévoiler. Il me semble qu'il vient de nous lancer dans une chute vertigineuse des plus terrifiantes mais même si ça me fait un bien fou d'entendre toutes ces excuses, je ne suis pas prête à le laisser décider de mon sort à nouveau. Alors je préfère déclencher mon parachute et m'envoler haut dans le ciel tandis que je le regarde tomber, tomber, tomber.

-Ethan, je... je ne peux pas oublier ce que tu as fait. Tu...

-Je ne te demande pas d'oublier mais d'essayer de comprendre et peut-être de me pardonner un jour.

-J'ai eu un accident.

Mon cœur bat si fort dans mes tempes que je ne saisis pas vraiment pourquoi je lui avoue cela aussi abruptement.

-Quoi ? Comment ça ? s'écrie-t-il en tentant d'agripper ma main qui se soustrait à son approche instinctive.

-Le jour où j'ai quitté la soierie. Je voulais... partir pour tout oublier alors j'ai pris ma voiture et j'ai roulé. J'avais trop mal Ethan, je ne pouvais pas supporter ta trahison. Et j'ai tellement pleuré que je n'ai pas vu ce camion se déporter à ma droite. Je suis restée une semaine à l'hôpital, j'ai subi plusieurs opérations, notamment une un peu périlleuse de la hanche et je suis restée trois mois sans pouvoir marcher.

Un silence de plomb alourdit l'atmosphère, nous enfermant dans un étau étouffant qui nous colle désormais à la peau.

-Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout cela. Probablement parce que je ne veux plus te mentir. Je veux que tu saches que personne ne m'a jamais autant fait de mal que toi. Et tu sais pourquoi ? Parce que je n'ai jamais aimé quelqu'un aussi fort que toi. Mais je crois que ça ne suffit plus. Je veux juste me reconstruire Ethan.

Soudain, sa main fonce sur la mienne comme un fauve impitoyable sur sa proie, m'empêchant instantanément de me dérober. La sensation de sa paume contre la mienne me fait tressaillir. De peur. De douceur. De rancœur. De chaleur. Je ne sais plus vraiment.

-J'ai merdé Candice. Mais je ne ferai plus les mêmes erreurs. Je sais que tu ne me fais plus confiance mais je vais te prouver qu'on peut y arriver de nouveau, ensemble. Je vais t'attendre, peu importe le temps que ça prendra. Et je ne te mentirai plus jamais. Alors, il faut que tu me pardonnes d'avance pour tout ce qui va sortir de ma bouche parce que toi et moi, on sait tous les deux que je vais encore dire des conneries mais tant pis. Désormais, je vais me battre pour ce qui compte réellement pour moi.

Son pouce caresse tendrement le dos de ma main qu'il tient aussi précieusement qu'un écrin. Je me rappelle de tout le désir, la passion, l'amour et la complicité qui nous liait. Et sans crier gare, mon cœur s'emballe. Il ne sait plus s'il s'agite comme un forcené parce qu'il a mal ou qu'il fond, parce qu'il le veut ou qu'il me prévient du danger, parce qu'il suffoque ou qu'il retrouve enfin son oxygène.

-Arrête Ethan. Je... je ne sais pas si...

-Je te demande seulement de me laisser t'approcher de temps en temps. Rien de plus.

Je soupire sans savoir quoi dire. Je suis tellement tiraillée entre l'amour intarissable que je ressens pour lui depuis bien trop longtemps et cette rancœur que je traine depuis cinq mois que je ne parviens pas à raisonner correctement. Les doigts d'Ethan s'accrochent toujours plus intensément aux miens tandis que les secondes s'égrainent dans un silence éloquent. Mais je ne peux pas baisser ma garde aussi facilement. Alors brusquement, je retire ma main et je la laisse s'échouer sur ma cuisse. Je me fiche d'avoir froid loin de sa peau. Ou peut-être que je fais semblant de m'en ficher mais c'est mieux ainsi.

-Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? me demande-t-il après un long silence, d'une voix éraillée par la déception.

-Comment ça ?

-Tu comptes t'installer ici ou ce n'est que temporaire ?

-Je crois que j'ai envie de rester un moment dans cette ville, je m'y sens bien. Une chose est sûre, je ne retournerai pas à Paris.

Il me semble distinguerun éclair de soulagement dans son regard vulnérable mais je ne m'y attarde pas. Ses beaux yeux ont toujours été bien trop dangereux face à mes résolutions.

-T'es tellement belle Candice. Ici t'es différente, comme si t'étais plus libre et ça te rend encore plus... putain tu me fais perdre la tête !

Mon cœur rate un battement. Ou deux. Mes joues, quant à elles, virent au cramoisi en l'espace d'une microseconde. Je déteste l'effet qu'il a encore sur moi.

-Ne joue pas à ça Ethan ou je m'en vais sur le champ.

Il pose ses deux coudes sur la table avant d'avancer son buste pour réduire la distance qui nous sépare. A travers les quelques millimètres qui désunissent nos visages, je ne sens plus que son souffle indécent se mêler au mien.

-Je ne joue pas Candice. Je t'ai promis d'être honnête et ça commence maintenant. T'es superbe et tu me rends fou. Même si tu as cette douleur qui danse encore parfois dans tes beaux yeux verts, moi je ne vois que la liberté et la détermination qui t'habitent. J'ai l'impression que tu m'échappes toujours un peu plus mais putain, je ne pourrai jamais te reprocher d'être enfin toi-même.

Le monde s'estompe autour de nous, comme si nous étions les pièces centrales d'un tableau qui n'a besoin d'aucun arrière-plan. Il est le maestro et moi le modèle qui peine à se laisser amadouer.

-T'es à la fois mon plus beau rêve et mon pire cauchemar. Je pourrais mourir de soulagement maintenant que je t'ai retrouvée mais merde, c'est sacrément difficile de garder mes mains sous la table. J'ai envie de te toucher Candice, tout le temps, partout. J'ai besoin de retrouver ce qui faisait de nous ce couple passionné, ce désir crépitant dans mes veines et cet amour dingue qui me faisait atteindre le septième ciel rien qu'en te regardant.

Le feu qui prend vie dans mon ventre ne présage rien de bon. Alors je me lève d'un bond et je m'éloigne de la table, brisant ainsi la bulle sucrée dans laquelle il m'avait emprisonnée. Je me dirige d'un pas sûr vers la sortie quand je sens mon cœur galoper dans ma poitrine comme un rituel immuable en sa présence.

-Attend Candice, excuse-moi je suis allé trop loin.

Il attrape mon bras gauche et me force à me retourner avec la plus grande douceur. Derrière lui, je vois le barman nous observer du coin de l'œil, les sourcils froncés.

-Tu crois qu'il te suffit de quelques belles paroles pour me faire tomber de nouveau ? Tu penses que je ne ressens rien quand tu me dis tout ça ? Chacun de tes mots me fait autant de mal que de bien. Je n'ai jamais cessé de t'aimer Ethan alors tu peux user de tous tes pièges à fille, je suis déjà foutue. Sauf qu'aujourd'hui, je n'ai plus confiance en toi et j'ai même peur de ce que tu pourrais encore faire de moi.

La douceur qui s'accroche lentement à chacun de ses traits me désarçonne instantanément. Je n'ai pas l'habitude que cet homme me laisse lire en lui comme dans un livre ouvert, pourtant c'est ce qu'il fait depuis qu'il est revenu. Il m'a laissée voir qu'il était malheureux, brisé, désespéré, amoureux et plein d'espoir. Aujourd'hui, il me montre qu'il me comprend et me respecte. Sa main lâche délicatement mon bras pour rejoindre lentement la mienne qui tremble sous ses doigts apaisants. Innocemment, il laisse son sur sillage une armée de frissons qui adoucit déjà quelques-unes de ses erreurs.

-Laisse-nous le temps de nous retrouver Candice.

Sans me laisser le temps de réagir, Ethan tire doucement ma main pour nous entrainer en dehors du pub. Les rayons du soleil brillent franchement au-dessus de nos têtes malgré la brume qui obscurcit toujours un peu mes pensées.       

-Je vais te laisser maintenant. A moins que tu préfères que je reste un peu avec toi ?

Totalement empotée, je ne parviens pas à me détacher de son regard aimant qui me contemple sans retenue. Il me semble que mon cœur bat toujours trop vite et que je ne devrais pas ressentir tous ces papillons qui virevoltent dans mon estomac mais je ne maitrise plus rien. Remarquant que je ne quitte pas ses yeux noisette, Ethan laisse de nouveau son pouce se promener sur le dos de ma main pendant qu'un petit sourire nait sur ses lèvres pour prendre vie dans ses prunelles maintenant étincelantes.

-Je... je dois chercher un... un petit boulot.

Pathétique. Je suis lamentablement pathétique. J'ordonne à ma main de reprendre son indépendance mais je crois que mon bon sens a déserté ma raison. C'est bien ma veine, tiens !

-Ah ouais ? Tu cherches dans quoi ? m'interroge-t-il de sa voix rauque.

-J'en sais rien encore. Et ce soir, je sors !

Je n'ai absolument aucune idée de ce qui me prend de dire ça mais cette idée m'apparaît immédiatement être parfaite. Je sais d'avance que Julie validera mon programme avec un grand sourire machiavélique.

-Ok...

-J'ai envie de m'amuser, de profiter et de ne plus penser à rien.

-Ok...

Toutes les craintes qui s'infiltrent dans son esprit tourmentent maintenant ses certitudes et son corps se tend lentement sous mes doigts.

-Je préfère ne pas en savoir plus Candice. Mais sache que je te fais confiance. Je nous fais confiance.

Pour la énième fois aujourd'hui, il me laisse sans voix. Il dépose un léger baiser sur ma tempe avant de disparaître dans la foule londonienne qui donne vie aux rues de mon quartier. Et moi, je reste abasourdie encore quelques instants par la scène qui vient d'envoyer aux oubliettes tous les mantras que je me suis inlassablement répétés pendant des mois.

***

-Hééé Julie, viens prendre une photo avec moi !

Je suis obligée de crier pour couvrir le bruit de la musique qui résonne dans ce club branché de la capitale. Ma colocataire s'avance en se dandinant au rythme du tout nouveau hit de David Guetta avant d'enrouler son bras autour de mes épaules. Nous levons notre verre devant l'objectif et affichons notre plus beau sourire. Je m'empresse d'envoyer ce cliché à Gabriel et Aurore qui ne cessent de me taquiner avec des images de leur super soirée.

Pendant que je suis en train de pianoter un petit message à leur attention, je remarque Julie du coin de l'œil qui s'accoude à la petite table que nous avons réussi à conquérir. Je range mon téléphone dans ma petite pochette et je me poste à ses côtés pour trinquer. Une seconde plus tard, je vois une fille brune s'approcher de nous en nous regardant avec insistance et je mets un moment avant de réaliser qu'elle fait partie du groupe d'amis de ma coloc. Ou du moins c'est ce que je croyais.

-Ohh putain, voilà la relou ! grommelle Julie à côté de moi.

-C'est qui ?

-Une des copines de Liz, ma pote. Elle sort de temps en temps avec nous mais je ne peux pas la blairer.

Je pouffe derrière mon verre.

-Pourquoi ?

-Ah parce que maintenant il faut une raison pour ne pas aimer les gens ? Je ne l'aime pas, c'est tout !

Je m'esclaffe sans retenue tout en me déhanchant en suivant le tempo de cette musique assourdissante quand la fameuse copine nous interpelle.

-Ça va les filles ?

-Pfff elle me saoule déjà, marmonne Julie de manière à ce que je sois la seule à pouvoir l'entendre.

-Oui et toi ? dis-je en envoyant un petit coup de coude à ma coloc.

-Pas trop... mon mec m'a quittée.

A peine a-t-elle terminé sa phrase que ses joues se parent de larmes de crocodile. Je me sens rapidement désemparée face à cette fille que je ne connais absolument pas.

-Oh la la et voilà maintenant qu'elle pleurniche... Ça arrangerait tout le monde si elle pouvait se noyer dans ses larmes la prochaine fois qu'elle chiale ! lance Julie d'une voix forte.

-Pardon ?

-Je disais, ce qu'il t'arrive, ce n'est pas génial.

Je manque de recracher l'alcool que je venais de porter à ma bouche tellement l'aplomb de mon amie me sidère !

-Ouais, je sais. Et après quatre mois de relation, il s'est contenté de m'envoyer un texto.

-Tu m'étonnes, il en avait marre de voir ta face...

-Quoi ?

-Je disais, ce n'est vraiment pas très classe !

-Ah ça non ! Et maintenant, il ne répond même plus quand je l'appelle.

-Ça, c'est parce qu'il a envie de dégueuler quand il voit ta photo s'afficher !

-Hein ?

-Je disais, c'est peut-être qu'il est trop accablé pour te parler ?

Ne pouvant plus me contenir, j'explose de rire en agrippant le bras de ma copine pour la tirer sur la piste de danse.

-Tu es infernale Julie !

-Avoue que c'est hilarant de se foutre de sa gueule !

-T'es pas sympa, elle avait l'air vraiment mal.

-Elle est toujours mal. Un jour c'est ses parents qui la saoulent, le lendemain c'est son mec, demain ce sera son chien. Elle cherche constamment se faire plaindre.

Je tourne la tête en direction de cette fille pour remarquer qu'elle a déjà jeté son dévolu sur une autre copine de Julie qui semble la regarder avec désolation.

-Tu vois, elle est en train de faire son numéro à Abby. Te prends pas la tête pour elle Candice, elle passe son temps à faire pleurer dans les chaumières.

Je hoche la tête en portant à nouveau mon verre à mes lèvres mais il est vide. Julie me fait un petit signe de connivence et nous trottinons jusqu'au bar. En attendant que le barman nous remarque, ma colocataire se tourne vers moi pour me demander :

-Au fait, t'en es où avec ton bel étalon ?

Mon ventre se noue quand mes pensées s'envolent à nouveau vers Ethan.

-Il est passé me voir tout à l'heure, il m'a longuement présenté ses excuses et il m'a dit qu'il voulait qu'on reparte à zéro.

-Petite cachotière ! Et t'en penses quoi ?

-Je ne sais pas quoi te dire. Je suis perdue...

-Tu ne me demandes pas mon avis mais je vais te le donner quand même. Tu as la chance d'avoir le mec le plus canon de la terre qui est venu ramper à tes pieds pour te demander pardon et te faire la plus belle déclaration d'amour qui soit. J'étais là Candice, j'ai entendu tout ce qu'il t'a dit jeudi et je ne comprends pas comment tu arrives à rester de marbre ! Il a fait des conneries ok, mais là tu t'entêtes à le repousser alors que tu crèves d'amour pour lui. Franchement, sur ce coup je ne te comprends pas.

-J'ai peur Julie. J'ai tellement peur qu'il me fasse à nouveau souffrir. Je n'ai plus confiance en lui. Quand il est en face de moi, je pourrais tout oublier en un battement de cil mais il suffit que je me laisse aller pour que tout ce qu'il m'a fait me revienne en mémoire.

-Je ne te dis pas de te jeter dans ses bras si tu ne t'en sens pas encore capable. Mais tu pourrais peut-être essayer de passer du temps avec lui et voir si les sentiments que tu ressens sont plus forts que ta rancœur. Ne laisse pas tes peurs te bouffer la vie Candice, tu es en train de te faire toi-même du mal.

Les mots de Julie s'impriment un à un à côté de ceux qui flottent déjà dans mon esprit alors que je n'ai encore jamais osé les formuler à voix haute. Le barman arrive et nous commandons nos cocktails avant de regagner la piste de danse. Les amies de ma colocataire s'entassent autour de nous et les heures s'éparpillent avec légèreté. Nous nous déhanchons, nous rions, nous sourions, nous crions, nous buvons, nous vivons. Je me sens bien. Je me sens libre. Je me sens enfin moi-même. Seul mon cœur accidenté boitille encore mais je me promets de tout faire pour le remettre à flot.

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