Chapitre 24 - I'm the one at the sail, I'm the master of my sea
Mercredi 25 janvier
Mon téléphone vibre pour la sixième fois depuis ce matin et tout mon corps se raidit instantanément. J'ai beau avoir la tête baissée dans mes dossiers depuis que je suis arrivée, je fais seulement illusion. A part gribouiller sur mon petit carnet de notes, je n'ai absolument rien écrit. Mon esprit est bien trop embrouillé et mon ventre bien trop noué pour ne serait-ce qu'être concentrée cinq minutes sur mon travail. Je décide donc d'ignorer mon smartphone mais les minutes passent comme des heures et mon cerveau reste irrémédiablement obsédé par les messages que je n'ai pas encore lus.
Je pose brutalement mon stylo tout en soufflant et me prends la tête entre les mains, n'arrivant décidément pas à faire abstraction de l'extrême nervosité qui m'habite. Il est presque midi et cela fait déjà presque trois heures qu'un flot ininterrompu de pensées toutes plus angoissantes les unes que les autres m'assaille. Mais je me suis promis que je ne la laisserai plus jamais me détruire, je refuse que de simples messages me gâchent ma journée. Je me redresse brusquement, la mine fermée, bien résolue à faire face à mes problèmes. Pour une fois, je ne vais pas les ignorer ni les minimiser. Je vais les affronter.
Ma semaine à la montagne avec Gabriel m'a permis de comprendre une chose essentielle : je peux continuer à me laisser détruire à petit feu ou alors je peux me montrer plus forte que je ne l'ai jamais été et agir enfin en m'assumant. J'ai choisi cette deuxième option comme mantra et je refuse de me trahir. Forte de mes bonnes résolutions, je prends mon téléphone en main et le déverrouille.
Mon cœur suffoque dans ma poitrine et se prépare au pire. Allez Candice, sois courageuse ! Je souffle bruyamment et clique sur l'icône « Messages ». Sous mes yeux, les six messages non lus de ma mère me narguent sournoisement.
Maman: Samedi, les Bergmann viennent manger à la maison et leur fils sera présent. Nous t'attendrons donc pour 19h.
Maman: Fais un effort vestimentaire pour une fois, j'aimerais que tu lui fasses bonne impression, c'est un excellent parti.
Maman: Après être ridiculement partie comme une voleuse le soir de Noël, tu pourrais au moins répondre à mes messages !
Maman: Tu ne changeras donc jamais, Candice ? Ma pauvre fille, tu devrais avoir honte de toi !
Maman: Ton père et moi sommes assez gentils pour accepter de te donner une nouvelle chance après ton attitude choquante à Noël et toi tu ne trouves rien d'autre à faire que de nous prouver que tu vaux encore moins que ce que nous pensions ? Tu vas définitivement finir par nous faire honte !
Maman: Candice, maintenant ça suffit ! Tu viendras samedi soir que tu le veuilles ou non et je te conseille de te comporter en parfaite future épouse pour charmer le fils Bergmann. J'essaie de convaincre ses parents que tu seras une belle-fille idéale depuis des mois alors ta présence est obligatoire. Je n'ai pas de temps à perdre avec tes gamineries.
J'encaisse chaque mot, chaque syllabe les unes après les autres. Je savais pertinemment que ma mère allait me reprocher ma désertion et je suis même surprise qu'elle ait attendu un mois pour le faire. En revanche, qu'elle veuille me caser avec le fils d'une de ses copines de la paroisse me cloue sur place ! De quel droit se permet-elle encore de vouloir gérer ma vie ? Une vague de colère monte au fur et à mesure que je relis tous ces messages, balayant ainsi l'appréhension qui s'est emparé de moi il y a quelques minutes à peine. Il est grand temps qu'elle comprenne que la Candice docile et effacée a plié bagage.
Moi : Il est hors de question que j'assiste à votre repas. Je gère ma vie comme je l'entends et je n'ai pas besoin de tes conseils. Vous vous amuserez bien mieux sans moi.
Je clique sur « Envoyer » en retenant ma respiration. Une monstrueuse boule d'angoisse s'est installée en moi, parcourant chaque parcelle de mon être décidé à ne plus subir les foudres injustifiées de mes parents. Je repose mon téléphone et réprime la nausée qui m'envahit. Au fond de moi, je sais que j'ai fait ce qu'il fallait, que je ne dois plus accepter de me laisser traiter de la sorte mais une petite voix me rappelle qu'il s'agit de mes parents, de ceux qui m'ont donné la vie et que je suis en train de renier ma propre famille. Cette simple idée me tord les entrailles et j'ai l'impression de me trahir quelque part.
Le bruit de mes collègues quittant leur poste pour se diriger vers le réfectoire me sort de mes pensées. Je laisse mon inextricable sac de nœuds de côté et essaie de penser à autre chose. Depuis plusieurs jours, plus personne ne prend la peine de me convaincre de les rejoindre pour manger avec eux. Ils en ont surement marre de mes incessants refus et de mon moral dans les chaussettes. Je les observe donc passer un à un devant mon bureau sans me porter la moindre attention.
Je me replonge dans mes dossiers et continue d'essayer de travailler. Le silence enveloppe maintenant le second étage et seul le murmure de mon stylo glissant sur mes feuilles vibre autour de moi. Je reste ainsi plusieurs minutes jusqu'à ce qu'un bruit de roulettes brise cette quiétude. Je relève machinalement la tête et mes prunelles vertes sont immédiatement attirées par l'homme torturé qui se tient à l'entrée de mon bureau.
Ethan porte un jeans brut et une chemise gris qui met délicieusement son torse sculpté en valeur. Ses grandes mains agrippent son manteau gris ainsi qu'une valise de la même couleur et je remarque immédiatement que la morosité que dégage sa tenue fait profondément écho à son humeur. Mes yeux quittent avec regret son torse pour remonter sur son visage. Ses petits yeux et ses grands cernes m'interpellent, son teint gris me serre le cœur et ses cheveux bruns complètement ébouriffés ainsi que sa fine barbe qui repousse m'indiquent que sa nuit a été courte et éprouvante. Son regard me transperce et je comprends immédiatement qu'il est en train de lire en moi comme moi, je lis en lui. La détresse qui émane de lui me fissure le cœur et j'ai soudain envie – non, besoin – de me lever et de m'approcher de lui pour lui ôter cette souffrance qui déforme son si beau visage. Ma raison me rappelle que je dois me tenir éloignée de lui mais mon cœur ne peut ignorer sa douleur. Alors que je me débats toujours avec une équation sentimentale impossible à résoudre, Ethan coupe court à mes tergiversations en tournant brusquement les talons. Je l'entends se diriger vers son bureau et une immense vague de déception me submerge. Je lâche mon stylo et soupire désespérément. Mais quelle idiote tu fais ma pauvre Candice ! Tu sais parfaitement que tu dois rester de marbre devant lui et tu flanches au premier regard blessé qu'il te lance ! J'ai envie de me gifler d'être si faible et de lui donner constamment l'occasion de me blesser. Occasion qu'il ne manque jamais, soit dit en passant.
Je ne suis plus qu'anxiété et déception. Je m'en veux, je lui en veux, je leur en veux. J'essaie du mieux que je le peux de réprimer la profonde désillusion qui s'empare progressivement de moi mais rien n'y fait. Alors que je suis en train de me maudire silencieusement de tomber systématiquement dans le panneau, mon téléphone vibre et je commets l'erreur de lire le message qui s'affiche.
Maman: Tu n'es qu'une pauvre fille ingrate ! Que tu le veuilles ou non, ton père viendra te chercher samedi soir.
Je jette mon téléphone sur mon bureau quand un mélange de rage et de douleur m'engloutit violemment. Quelques larmes commencent à se former au coin de mes yeux mais je les refoule. Je refuse de lui offrir ce privilège ! Au moment où je commence à toucher le fond, ma porte s'ouvre en grand pour laisser apparaître Ethan, emmitouflé dans son grand manteau d'hiver.
Ses yeux bruns ténébreux me scrutent un instant et son regard est si intense que j'ai tout bonnement l'impression qu'il met mon âme à nu. Je ne parviens pas à faire semblant devant lui alors je le laisse lire tout ce que je ne dis à personne. Quand ses yeux se vrillent brusquement aux miens, ma respiration se coupe. Je crois que les oiseaux arrêtent de chanter, que la terre arrête de tourner et que le vent arrête de souffler. Il n'y a plus que nous. Et pour la première fois de la journée, je me sens enfin bien. De ses longues jambes musclées, Ethan brise la distance nous séparant et enveloppe ma main droite de la sienne. Sa paume est chaude, protectrice et réconfortante. Quand il pose son autre main sur ma joue, ses lèvres s'entrouvrent pour susurrer:
-Prends tes affaires et viens avec moi.
Il me faut quelques secondes pour comprendre ce qu'il me dit. Mes yeux se remettent à cligner, mes poumons recommencent à se nourrir d'oxygène et je m'exécute sans réfléchir. Quand nous passons la porte de mon bureau, je le vois vérifier que le couloir est vide et nous nous engouffrons précipitamment dans l'ascenseur, sa main n'ayant jamais quitté la mienne.
Je voudrais que toute ma vie soit semblable à cet instant coupé du monde. Il n'y a que nous, nos respirations résonnent doucement contre les parois métalliques qui nous entourent et les battement de nos cœurs se cherchent, se taquinent et s'entrechoquent. Nos regards fusionnent, nos paumes appartiennent l'une à l'autre et la faible distance séparant nos deux corps permet à nos visages de se frôler.
Ce moment hors du temps prend fin quand les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le rez-de-chaussée où plusieurs de mes collègues vont et viennent. A contrecœur, Ethan lâche ma main et nous guide tous les deux dehors. Nous pénétrons dans sa voiture et je le laisse me mener où bon lui semblera.
Nous roulons depuis seulement dix minutes lorsqu'il ralentit et que je comprends où il m'a amenée. Je me retourne vivement vers lui, le regard totalement interloqué. Malgré sa mine fatiguée et vaincue, Ethan arbore son discret mais si efficace petit rictus. J'ai l'impression qu'il est fier de son coup alors que je tente du mieux que je le peux de cacher la pointe de déception qui m'habite. Il défait rapidement sa ceinture et sort du véhicule pour se rapprocher de l'entrée du petit fast-food qui se tient devant nous. Mon regard accompagne Ethan mais je n'ai toujours pas bougé de mon siège. Je ne sais pas vraiment pourquoi je réagis de la sorte, peut-être suis-je simplement surprise qu'il m'ait conduit ici. A première vue, ce lieu ne lui correspond pas du tout mais lorsque je le rejoins au comptoir, je réalise qu'Ethan n'a pas fini de me surprendre.
Il commence à commander sans me demander ce que je veux manger et même si l'idée qu'il choisisse pour moi ne me plait toujours pas, il me rend finalement service. Je n'ai jamais mangé ce type de nourriture, je ne comprends rien à la carte qui clignote sur les murs lumineux face à moi et par-dessus tout, la simple idée d'avaler ne serait-ce qu'une bouchée me révulse. Quelques instants plus tard, Ethan nous conduit vers un petit box au fond du restaurant. La salle est pleine d'étudiants, de couples ou de groupes d'amis et mon cœur se gonfle lorsque je commence à penser que, vu de l'extérieur, nous passons pour un couple. Cependant, je ne sais pas réellement ce que nous sommes. Nous sommes tout sauf un couple mais je suis plus qu'une simple assistante pour lui. Nous sommes une espèce d'entre-deux incompréhensible mais tellement vital pour chacun d'entre nous que ça en devient inquiétant.
-Mange.
Ethan me regard de ses prunelles déterminées et mon cœur se met instantanément à battre plus vite, comme si tous ces battements supplémentaires lui appartenaient. Je n'ai aucune envie de briser la magie de ce moment totalement surréaliste dans lequel mon patron est en train de croquer dans un énorme hamburger en ayant de la sauce qui dégouline doucement sur le bord de sa lèvre. Machinalement, il sort sa langue pour récupérer la sauce de la manière la plus sexy qui soit. Je dois m'accrocher à ma chaise pour ne pas lui sauter dessus sur le champ ! Pour calmer mes ardeurs totalement déplacées, il me suffit de baisser les yeux sur son cou et de me rappeler ce qui orne sa chaine...
-Mange ! m'ordonne-t-il à nouveau.
-Je n'ai pas très faim... et j'ai déjà mangé à mon bureau, je lui réponds doucement.
-Grignoter un minuscule bout de pain, ce n'est pas ce que j'appelle manger. Maintenant, dépêche-toi d'engloutir un hamburger, des frites ou tout ce que tu voudras avant que je ne te nourrisse de force.
Je reste complètement abasourdie. Comment sait-il que je ne mange que des bouts de pain en ce moment ?
-Tu crois que je ne te vois pas, prostrée dans ton bureau à enchainer les heures et à gober des miettes de pain. Tu joues à quoi Candice ? Tu veux te rendre malade ? Tu as vu à quoi tu ressembles ? Putain, on dirait un minuscule petit oiseau tout frêle ! Tu as du perdre au moins cinq kilos depuis le mois dernier. Alors je ne le redirai pas une troisième fois. Soit tu manges, soit je te fais manger.
Son ton est calme, posé mais sans appel. Je prends doucement conscience qu'Ethan n'a jamais cessé de garder un œil sur moi. Cette simple pensée fait autant vibrer mon cœur qu'elle m'effraie tant les sensations qu'elle fait naitre en moi sont dangereuses. N'ayant pas envie que cette sortie improvisée se transforme en affrontement, je prends sur moi et tends le bras pour attraper une frite. Je la regarde fixement, comme si elle pouvait disparaître sous mes supplications silencieuses puis je soupire et ferme les yeux avant de la porter à ma bouche. Je la mâchouille quelques minutes et me surprends à apprécier ce goût gras mais tellement réconfortant. Tiens, prends ça dans les dents Maman !
Ethan me fixe intensément tout en souriant en coin. Je tends timidement la main vers les frites et en avale doucement une seconde. Soudain, il me tend son hamburger pour que je le goûte. Je n'ai pas réellement envie de toute cette nourriture dans mon ventre mais sentir le goût de ses lèvres dans ma bouche me convainc d'avancer légèrement et d'entrouvrir les lèvres. Je croque une petite bouchée et mordille lentement les aliments tandis qu'Ethan brise le silence.
-J'ai mangé de la junk food toute mon enfance. Quand tu m'as dit que tu n'avais jamais goûté un hamburger, j'étais tellement surpris ! Je veux dire, mon père m'en servait pratiquement tous les deux jours. Il ne savait pas cuisiner alors il se débrouillait avec des fast-foods à emporter, de la jelly et des nouilles instantanées. J'aurais à coup sur fini obèse si je n'avais pas pratiqué tout ce sport...
Son regard est totalement perdu dans ses souvenirs et la nostalgie qui l'habite lui confère immédiatement un air triste et abattu. Mais malgré la douleur qui l'assaille, il continue de se confier, comme s'il en avait réellement besoin.
-Je suivais mes copains partout où ils allaient. Tant que ça pouvait me faire sortir de notre maison froide et silencieuse, ça m'allait. Heureusement pour moi, ils étaient très branchés sport. On a tout pratiqué ensemble : foot, rugby, hockey, boxe... On n'arrêtait jamais. Le soir, je rentrais toujours avec de nouveaux trous sur mes vêtements ou mes chaussures. Quand mon père me découvrait dans cet état, la gueule amochée et les vêtements déchiquetés, il... il... enfin bon...
Je comprends immédiatement que ses heures de détente suivaient toujours des heures sombres marquées par les coups non justifiés qu'un père ne devrait jamais infliger à son enfant. Une lueur douloureuse traverse les beaux iris d'Ethan et je ne peux plus rester immobile. J'attrape brusquement sa paume de mes mains et je l'enveloppe de toute la douceur dont je suis capable en cet instant. L'homme qui se tient devant moi est peut-être celui qui a anéanti mon cœur mais je suis incapable de rester impassible face à lui. J'aimerais arracher chaque étincelle de souffrance qui émane de lui et les détruire une à une pour le libérer définitivement. Ethan me laisse cajoler sa main et ses doigts s'entremêlent nonchalamment aux miens. Une légère décharge électrique parcourt mon corps tout entier quand ses yeux se lient aux miens, chassant ainsi tous ses mauvais souvenirs. Nous restons un long moment à nous regarder sans prononcer la moindre parole.
J'ai beau ne rien laisser transparaitre, à l'intérieur de moi c'est un sacré foutoir ! Ma raison essaie tant bien que mal de se faire entendre mais les battements de mon cœur se font de plus en plus puissants.
-Tu vois Candice, même si j'ai pas eu une enfance toute rose... je... aujourd'hui, j'ai compris qu'elle fait partie de moi. J'ai longtemps détesté mon père pour cette vie de merde qu'il m'a offert. Tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai rêvé de me tirer de la maison, de le laisser dans ses emmerdes et de partir sans jamais me retourner. Mais... je n'ai jamais pu... Ouais je suis parti mais... c'était pour lui. C'était uniquement pour lui si je me suis embourbé dans cette merde. Et aujourd'hui, j'en paye le prix. Mais tu sais, je lui en veux autant que je... J'y arrive plus...
Il se prend tout à coup la tête entre les mains et mes paumes à présent vides frissonnent tant sa peau rugueuse me manque déjà. Ses yeux rougis m'appellent à l'aide quand ils retrouvent les miens. J'ai terriblement envie de me lever et de le prendre dans mes bras, de le serrer si fort que ses tourments exploseront et le libéreront mais je ne fais rien. Je me hais à l'instant même où je prends la décision de me protéger au lieu de le réconforter.
-Ethan... S'il y a bien une leçon que j'ai appris à mes dépens, c'est qu'on ne peut pas changer le passé. On a beau essayer de faire de son mieux, de vivre en fonction des autres, il y aura toujours un jour où tout explosera. Alors... même si je ne sais pas ce qui te ronge et que je ne peux rien faire pour t'aider, je veux juste que tu entendes cela : ta vie t'appartient. A toi et uniquement à toi.
Son genou vient immédiatement se loger entre les miens et je le serre le plus fort possible. Je veux qu'il comprenne que je suis là pour lui et en même temps, je ne sais pas combien de temps je pourrai tenir ainsi, à me laisser consumer par cet attachement sans fin qui nous lie. L'émotion qui nous submerge tous les deux est si palpable que seuls nos cœurs communiquent désormais. Ils battent au même rythme, essayant chacun à leur tour de soutenir l'autre et de l'aider à avancer. Au bout d'un long moment, Ethan me ramène à la soierie et pendant tout le trajet, sa main reste plantée dans la chair de ma cuisse comme elle s'accrocherait à une bouée de sauvetage. Quand nous arrivons sur le parking, je prends une profonde inspiration avant de lui annoncer :
-Marina étant revenue, je vais pouvoir lui rendre le dossier Dior.
-Non ! Ne fais pas ça ! me répond-t-il du tac au tac en haussant légèrement la voix, dans un signe évident de panique. S'il te plait... continue-t-il en susurrant, je veux qu'on termine ensemble. Laisse-nous au moins aller jusqu'au bout...
Mon cœur s'emballe et mon ventre se tortille dans tous les sens pendant que je me force à réfréner tous les papillons qui tentent de prendre leur envol malgré moi. Il veut garder ce dernier lien, ce dernier prétexte pour que nous puissions passer encore un peu de temps ensemble. Alors que ma raison me hurle de refuser, mes lèvres répondent « d'accord » avant même que je ne leur en donne l'autorisation.
L'après-midi n'est qu'un enchainement de pensées assourdissantes qui tourbillonnent autour de moi et m'empêchent de prendre du recul. Ce moment passé avec Ethan à midi m'a complètement retournée. Malgré toutes mes bonnes résolutions, je n'arrive pas à rester impassible et à ignorer sa douleur. Mon cœur fond de plus en plus pour cet homme abimé mais ma raison me hurle de me protéger. Au fond, je sais que je suis terrifiée à la simple idée qu'il pourrait encore jouer avec moi. Je ne le supporterai pas. Cependant, il semblait tellement sincère... Quand son regard se perd au loin dans ses souvenirs, je sais au plus profond de mon cœur qu'il ne joue pas. Mais... et s'il utilisait ses faiblesses pour m'amadouer ? Je ne sais plus.
Rapidement, mon esprit entame un voyage vers tout ce qui s'est passé ces dernières semaines. Je me souviens parfaitement du regard meurtri et désolé d'Ethan quand j'ai découvert son alliance. Il semblait réellement anéanti de refermer la porte derrière moi ce jour là. Ensuite, son regard assassin me percute quand je me remémore la petite scène qui s'est jouée entre Gabriel, Ethan et moi la semaine dernière. Ses avertissements étaient flagrants et sa rancœur mémorable. Pour la première fois, je découvrais un Ethan jaloux et possessif qui ne voulait pas que je lui échappe alors qu'il est le seul responsable de notre éloignement. Et aujourd'hui, il me somme de continuer à travailler avec lui sur le dossier Dior alors que Marina est revenue et qu'elle plus compétente que moi pour gérer ce type d'affaire...
C'est trop. Trop d'interrogations, trop de sous-entendus, trop de non-dits, trop de sentiments refoulés, trop de risques que mon cœur se brise à nouveau et ne s'en remette jamais. Cette situation doit stopper. Ma décision est prise.
Ce soir, soit Ethan m'explique tout, soit je m'en vais. Définitivement.
Alors que mes collègues terminent paisiblement leur journée de travail, je me débats avec l'effroyable anxiété qui s'est emparée de moi. Je suis tellement stressée que j'ai failli courir aux toilettes vider le contenu de mon estomac au moins trente fois ! J'ai griffonné sur au moins dix feuilles avant de parvenir à écrire correctement ma lettre et je ne même pas certaine qu'elle soit compréhensible. Si vous saviez comme l'issue de cette confrontation me terrorise ! Mais je n'ai plus le choix, je dois savoir pour avancer.
Lorsqu'un profond silence s'installe enfin au second étage, je me lève fébrilement de ma chaise et me dirige vers mon destin. Mon cœur tambourine si fort qu'il me déchire la poitrine, je n'entends plus que lui qui résonne violemment dans mes oreilles. Je fixe l'enveloppe blanche que je tiens entre mes doigts tremblotants comme si elle seule pouvait décider de mon destin ce soir. Mon ventre se tord si fort que j'en oublie de respirer et au moment où j'abaisse la poignée de la porte, je comprends que je ne peux plus revenir en arrière. C'est ce soir ou jamais.
Quand j'entre fébrilement dans le bureau d'Ethan, il relève la tête de son écran, surpris de me voir ici. La nuit est tombée et elle engloutit cette grande pièce où seule sa petite lampe de bureau nous éclaire. La faible luminosité fait ressortir les beaux yeux noisette de mon patron mais surtout ses tourments et sa détresse. Je suffoque presque, complètement ensevelie sous le stress que je ressens au plus profond de mon être mais il me suffit de repenser à la douleur déchirante qui m'a mise à terre ces dernières semaines pour trouver le courage d'avancer. Mes pas me guident à hauteur du bureau d'Ethan et je me plante debout, face à lui qui est toujours assis sur sa chaise. Il entrouvre la bouche mais je ne le laisse pas parler. Ce soir, c'est moi qui mène la danse.
-Ethan, cette situation ne peut plus continuer.
Un lourd silence s'abat sur nous et je l'observe froncer les sourcils et se renfermer instantanément.
-Je refuse de jouer à ton petit jeu. Je refuse que tu m'utilises ou que tu joues sur deux tableaux. J'ai besoin de connaître la vérité. Ce soir.
Il reste imperturbable, ignorant totalement mes réclamations.
-Comment tu m'expliques que tu ne me laisses pas partir alors que tu es marié ? Pourquoi veux-tu continuer à travailler avec moi sur le dossier Dior ? De quel droit t'es-tu permis cette crise de jalousie complètement déplacée lorsque Gabriel m'a embrassée ? Pourquoi m'as-tu amenée manger avec toi à midi ? Pourquoi m'as-tu choisie pour te confier ? Pourquoi me retiens-tu toujours alors que tu m'as clairement dit que tu ne quitteras pas ta femme ?
Je vois son regard virer au noir et ses poings se fermer si fort qu'ils en deviennent blancs. Sa mâchoire crispée à l'extrême lui dessine un visage si carré que j'ai l'impression qu'il s'apprête à monter sur un ring de boxe.
-Alors c'est simple, soit tu m'expliques tout ce soir, soit c'est la dernière fois qu'on se voit.
Je dépose sur son bureau l'enveloppe blanche que je tenais fermement entre mes doigts et je vois ses yeux passer rapidement de l'enveloppe à mon visage. Il comprend immédiatement ce qu'elle contient et je jurerai apercevoir un éclair de panique traverser ses beaux yeux. Mais il ne bouge toujours pas et ne prononce aucun mot. Mon cœur tambourine si fort dans ma poitrine que j'en ai mal mais je continue, coûte que coûte.
-Ethan, je ne plaisante pas. C'est ta dernière chance. Si tu veux vraiment que je reste avec toi, alors tu dois tout me dire. Maintenant. Sinon, tu peux faire passer ma lettre de démission aux ressources humaines dès ce soir.
Son regard brûlant se vrille au mien et il se décide enfin à bouger. Doucement, il se lève de sa chaise et s'approche de moi, tel un prédateur affamé. La faible lueur de sa petite lampe fait ressortir tous ses muscles et mes yeux se perdent un instant sur ses bras dans lesquels j'ai envie de fondre. Mon regard ne lâche plus son torse, ses mains puis son cou et ses prunelles ardentes m'avertissent qu'il va bientôt me dévorer. Je tremble sous l'intensité de son approche et mon cerveau m'intime l'ordre de partir en courant mais mes pieds restent cloués au sol. D'un geste brusque, Ethan attrape mon manteau ainsi que mon sac-à-main et les envoie valser à travers la pièce. Mon cœur manque de défaillir à multiples reprises quand Ethan pose possessivement sa grande main sur ma joue. Ma peau crépite instantanément, mon cœur vacille, mes jambes menacent de me lâcher et ma détermination fond comme neige au soleil. Il me surplombe de toute sa splendeur et je dois lever la tête pour pouvoir continuer à le regarder dans les yeux. Son imposante carrure m'enveloppe et je ne respire plus que son parfum envoûtant qui fait disjoncter ma conscience. Quand sa deuxième main se loge dans mon cou en déposant une trainée de frisson sur son passage, je comprends que je ne pourrai pas l'arrêter.
Dans une lenteur insoutenable, Ethan baisse la tête et nos lèvres se frôlent tandis que nos regards ne se quittent plus. Ils se jaugent, se défient et se menacent. Nous restons ainsi une éternité jusqu'à ce que sa langue commence à humecter lentement ses lèvres. Son geste se répercute immédiatement entre mes cuisses où un désir animal se met à pulser fiévreusement. Soudain, ses lèvres rejoignent brutalement les miennes et je lâche un gémissement incontrôlé de désir. Il traverse la barrière de ses lèvres pour se loger en lui, nourrissant ainsi la bête hors de contrôle qui me fait face.
Ethan agrippe fiévreusement mon cou de ses deux mains et sa langue entre brutalement dans ma bouche pour s'enrouler rapidement à la mienne. Son baiser est brusque, presque violent et son corps se colle au mien pour me faire sentir son désir grandissant. Ses lèvres d'habitude si envoûtantes ne taquinent pas les miennes, elles m'engloutissent. Elles ne me laissent pas respirer, elles ne cherchent pas à me donner du plaisir, elles prennent seulement tout ce qu'elles veulent. Ethan grogne et mon cœur sursaute. Malgré sa fougue et sa brutalité, même si je ne le reconnais pas dans ce baiser, sentir enfin la chaleur de son corps sur le mien me réveille. J'oublie tout pour mieux revenir à la vie. Je sens mon corps s'exciter, renaitre de ses cendres et s'embraser. Je comprends alors que je ne veux plus vivre une relation paisible et platonique. Je ne veux que ce feu, cette passion et j'oublie tous les avertissements que mon cerveau complètement dépassé tente de m'envoyer.
La main droite d'Ethan descend le long de mon dos pour se poser crûment sur mes fesses. Il malaxe violemment ma chair et enfonce ses doigts dans mes hanches, comme s'il voulait me marquer à tout jamais. Sa langue ne me laisse aucun répit, elle continue de me faire perdre la tête. Contre ma cuisse, je sens son impressionnante érection et mon cerveau décroche. Je ne l'entends plus, je ne ressens que ce désir foudroyant qui me fait me cambrer entre les mains puissantes de mon bourreau.
Habilement, Ethan nous guide contre la grande table qui se trouve à notre droite sans jamais libérer ma bouche. Plus les secondes passent, plus son baiser se fait vorace et éreintant. Il ne m'offre aucune accalmie, mes mains logées dans ses cheveux ébouriffés commencent à tirailler de fines mèches et Ethan grogne de plus belle. Sa prise est plus marquée que les fois précédentes et malgré mon désir, je ne suis pas à l'aise. Il se met à mordre durement ma lèvre inférieure et je crois sentir des gouttes de sang dans ma bouche. Il me fait presque mal. Quand il m'allonge sévèrement contre le métal froid de la table, je prends violemment conscience de la situation. Alors que sa main cherche à passer la barrière de mon jeans, je le repousse de toutes mes forces et tourne la tête pour lui échapper. Pas vraiment surpris par mon rejet, Ethan me laisse le chasser sans dire un mot.
Son regard est affolé et perdu, ses pupilles bougent frénétiquement dans tous les sens comme si elles cherchaient de l'aide. Je vois son torse monter et descendre rapidement tandis que ses mains agrippent violemment ses cheveux. Je sens encore le goût de ses lèvres sur ma bouche mais aujourd'hui, cette saveur m'écœure. La façon dont Ethan m'a traitée ce soir me fait froid dans le dos. Je ne ressens plus aucune excitation, juste un profond... dégoût. Alors c'est ça ? Je ne suis bonne qu'à l'aider à assouvir ses envies, rien de plus ? Du revers de la main, je m'essuie rageusement la bouche tout en me redressant. Je descends de la table et passe devant lui pour rassembler rapidement mes affaires. Dans mon dos, je sens Ethan faire les cents pas et marmonner des jurons en anglais.
Des larmes commencent à se former dans mes yeux et je n'arrive pas à les retenir. J'ai honte, je me sens humiliée d'avoir été traitée de la sorte alors que je lui demandais de m'ouvrir son cœur. Et en même temps tout me paraissait tellement évident il n'y a encore que quelques minutes. Quand mon corps a retrouvé le sien, toutes mes terminaisons nerveuses se sont reconnectées. Ethan a réussi à redonner vie à mon corps tout en anéantissant mon cœur.
Quand ses lèvres se sont scellées aux miennes, j'ai enfin eu l'impression de respirer. De respirer profondément après toutes ces semaines d'apnées. Mais maintenant que mon esprit sort peu à peu du brouillard toxique dans lequel seul lui peut me plonger, je me rends compte que ce n'était pas de l'oxygène. C'était du poison. Un poison qui m'est vital. Et je n'ai pas encore trouvé l'antidote.
Alors qu'Ethan me supplie de rester, je sors en courant de son bureau et ne me retourne pas. Je n'entends plus ses cris, je ne vois plus ses prunelles implorantes, je ne perçois que le martèlement de mon cœur déchiquetant vicieusement ma poitrine. Je cours à travers le couloir et plus je m'éloigne d'Ethan, plus je prends conscience que tout va recommencer. La douleur, la souffrance, le déni, la déception. Quand mon téléphone vibre et que le prénom de Gabriel s'affiche sur mon écran, je ne trouve pas la force d'appuyer sur le bouton vert. Ma culpabilité ne fait qu'augmenter à la vitesse de la lumière et je suis incapable d'entendre sa voix en cet précis. Je réalise alors que je ne vais pas être la seule à souffrir et ma douleur augmente instantanément. Il ne mérite pas ça.
J'ai replongé. Et c'est la pire chose que je pouvais faire.
Des larmes torrentielles ravagent mon visage quand je comprends que je vais devoir parler à Gabriel. Je ne peux plus faire semblant. J'ai honte. Je me dégoûte. Je ne peux plus rester ici une seconde de plus. Tout va recommencer et je ne le supporterai pas.
J'atteins rapidement le rez-de-chaussée désert plongé dans la pénombre de ce mois de Janvier et je ne m'arrête pas. Je cours jusqu'à la sortie mais avant de pouvoir abaisser la poignée, je sens une poigne ferme agripper mon bras gauche et me tirer en arrière, me blottissant ainsi tout contre son torse.
-Lâche-moi ! Dégage ! je hurle, en vain.
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