Chapitre 15 - We get what we deserve

Mercredi 14 décembre

-Excusez-moi mademoiselle !

J'apostrophe l'hôtesse de l'air pour la cinquième fois en moins de deux minutes. Vu le regard qu'elle me lance, je suis presque sûre que je l'agace au plus haut point mais je ne peux pas faire autrement. C'est un cas de force majeure. Elle s'avance enfin vers moi qui suis toujours plantée debout au milieu de l'allée de la business class et m'offre un sourire de façade tout en me demandant sur un ton des plus professionnels :

-Bonjour Madame, en quoi puis-je vous être utile ?

Je sautille sur place tellement je suis énervée et je lui réponds avec le plus de gentillesse dont je suis capable en cet instant :

-Je voudrais changer de place. Je ne peux pas rester ici, je dois m'assoir ailleurs.

Je pivote pour lui montrer le siège vide que je refuse d'occuper et mon regard se pose sur celui que je méprise de toute mon âme depuis lundi. Mon patron ne quitte pas le hublot du regard mais je peux très clairement voir ses sourcils se relever dans un signe d'agacement évident.

-Je suis désolée Madame mais le vol est complet. Je ne suis pas en mesure de vous affecter un autre siège. Je vous souhaite toute de même un excellent voyage en notre compagnie.

Alors qu'elle fait un pas en arrière pour clore la discussion, je m'empare de son bras dans un geste de pure panique. Je ne peux pas voyager à côté de lui, il faut absolument que je trouve une solution.

-Attendez !

Son regard surpris se pose sur son bras que j'ai agrippé par désespoir et je m'empresse de le relâcher.

-Excusez-moi mais je dois à tout prix changer de siège. Il reste peut-être une place libre en classe éco ? Ou bien je pourrais peut-être m'assoir dans le couloir ? Ou alors dans la cabine de pilotage ? Je vous promets que je saurais me rendre invisible, vous ne remarquerez même pas ma présence !

La jeune femme en face de moi ouvre grand les yeux de surprise mais réenfile vite son masque professionnel imperturbable. Le démon assis à ma gauche pousse quant à lui un long et bruyant soupir pour signifier son exaspération. J'ai déjà envie de le gifler.

-A nouveau, je suis désolée Madame mais le vol est complet, il ne reste plus aucune place de libre. Asseyez-vous à votre place et je viendrai vous chercher si je remarque un siège vide à la fin de l'embarquement.

J'observe l'hôtesse s'éloigner en emportant avec elle tous mes espoirs de profiter d'un vol calme et relaxant. Je me tourne à nouveau vers le siège que je dois occuper et je ne parviens pas à me résoudre à m'assoir à côté de ce monstre. Je fixe du regard la place 6D comme si elle pouvait s'éloigner de la place 6E par la simple force de mon esprit mais rien ne se passe. En revanche, les passagers que je bloque dans l'allée depuis cinq minutes commencent à s'impatienter.

-Bon, vous pouvez libérer l'allée maintenant ? On aimerait s'installer nous aussi.

Je grogne de frustration tout en posant mon postérieur sur le cuir du siège. Je fais extrêmement attention à me tenir le plus loin possible du siège situé à ma droite. L'heure de vol qui m'attend s'annonce rude.

Depuis que je suis allée lui rendre ses immondes billets, Mr Archer ne m'a pas adressé la parole une seule fois. J'ai pris soin de l'éviter au maximum, je n'avais pas envie d'exprimer ma rage devant tous mes collègues. J'ai ruminé ma déception et ma fureur dans mon bureau et je n'ai pas fait une seule heure supplémentaire ces derniers jours. Nous ne nous sommes même pas parlé de l'organisation de ce voyage et j'ai dû appeler Marina pour connaitre les détails de ce déplacement. Apparemment, nous rencontrons les clients Dior et Royal Beauty demain et vendredi. Je n'en sais pas plus.

Moi qui contrôle et organise toujours tout, je déteste cette situation. Je suis obligée de subir sa compagnie pour le reste de la semaine et je vais même être complètement dépendante de lui ces prochains jours. Je déteste littéralement cette idée. Je ne comprends absolument pas pourquoi j'ai été forcée d'accompagner mon boss puisque personne ne m'a tenue informée du déroulement de notre séjour. Je me suis bien gardée d'aller lui demander des explications. Moins je m'approche de lui, mieux je me porte.

Lorsque je suis rentrée chez moi lundi soir, je me sentais extrêmement mal. A dire vrai, je me suis rarement sentie aussi affectée par l'attitude d'un de mes proches, exception faite de mes parents. Je repousse ces sordides pensées et tente de me concentrer sur la haine que je porte à l'homme qui se tient à ma droite. Je ne pourrais jamais lui pardonner son comportement et ma colère est encore très vive. Je me contente alors de l'ignorer et tente de me plonger dans un livre que j'ai emporté avec moi.

Le commandant de bord prend la parole pour nous annoncer que l'avion va prendre place sur la piste de décollage pendant que mon patron entame une conversation téléphonique. Bien sûr, les consignes de sécurité ne concernent pas Monsieur-le-grand-patron-tout-permis ! Son interlocuteur est à priori quelqu'un que nous allons rencontrer cette semaine puisqu'il s'adresse à lui en anglais pour convenir d'un rendez-vous qui aura apparemment lieu jeudi. Je suis obligée de laisser trainer mes oreilles si je veux glaner quelques informations concernant les prochains jours. Une hôtesse de l'air s'approche de nous pour signifier à Mr Archer que les téléphones doivent maintenant être éteints et il abrège son appel.

L'airbus se dirige tranquillement sur la piste de décollage et je redoute le moment où l'appareil va entamer sa montée dans les airs. J'ai pris l'avion des dizaines et des dizaines de fois, j'adore être dans les nuages mais s'il y a bien une sensation qui me retourne l'estomac c'est celle que je ressens lorsque l'avion décolle. Vous savez ce moment où l'appareil pointe son nez dans les airs et où on a l'estomac qui sursaute ? Je ne suis jamais à l'aise jusqu'à ce que l'avion se stabilise dans les nuages. Je feins donc totalement mon apparent bien-être et mes ongles s'enfoncent maintenant dans le cuir de mon siège. Je ferme les yeux et inspire longuement.

Je sens un drôle de frisson me parcourir l'échine, comme si un léger courant électrique s'infiltrait dans mes veines. Je fronce les sourcils et ouvre rapidement mes yeux pour découvrir Mr Archer qui me fixe de son regard impénétrable. Il me scrute en détails quelques infimes secondes puis détourne la tête pour perdre ses yeux à travers le hublot. Mais qu'est-ce qu'il me veut encore celui-ci ? Je m'insurge mentalement contre ce goujat à qui j'interdis formellement de poser son regard sur moi.

Le vol jusqu'à l'aéroport de Londres dure une heure et quart pendant lesquels Mr Archer et moi-même nous ignorons royalement. Nous ne nous accordons aucune parole ni aucun regard. Heureusement, la business class offre de larges sièges qui me permettent d'éloigner mon corps du sien. Depuis que j'ai découvert la vraie nature de cet homme, je ne supporte plus rien venant de lui. Même un simple effleurement me révulse. Finalement, même si j'ai beaucoup souffert ces derniers jours – et je souffre encore aujourd'hui – son attitude ignoble m'a rendue service. J'ai définitivement réussi à rayer cet homme de mes pensées les plus intimes et je l'ai relégué à la case « personnes à ignorer ».

L'avion entame sa descente vers la terre ferme et la désagréable sensation que j'ai ressentie lors du décollage s'infiltre à nouveau en moi. J'applique donc la même routine pour me sentir mieux, je ferme les yeux et essaie de me concentrer sur mes inspirations. Cette fois encore, je sens le regard soucieux de mon voisin se poser sur moi mais je ne lui prête aucune attention. Lorsque l'appareil se pose sur le sol anglais, nous sortons tranquillement de l'Airbus et Mr Archer se dirige vers la station de taxis. Lorsqu'une voiture s'arrête à sa hauteur et qu'il s'y engouffre, je me stoppe net. Je viens déjà de passer plus d'une heure à ses côtés, hors de question de prolonger cette torture !

Quand mon supérieur, déjà installé sur la banquette arrière du véhicule, remarque mon hésitation, il soupire théâtralement et sa voix grave claque dans l'air. Je n'ai pas entendu ce son depuis 48 heures et je dois réprimer un sursaut de désir qui me révulse instantanément.

-Bon, mademoiselle Dumin, je commence à en avoir sérieusement marre de vos gamineries. Nous sommes venus ici pour travailler, pas pour gérer vos petites crises d'ego mal placé. Alors soit vous montez immédiatement dans cette voiture, soit vous pouvez retourner à Paris rassembler vos affaires !

Ses mots m'atteignent un par un, nourrissant ainsi la haine que je voue à cet être infect. Malheureusement, je n'ai pas d'autre choix que de grimper dans le véhicule et de passer de très longues minutes coincée dans cet espace réduit avec lui. A l'entendre, on dirait que ma colère est injustifiée. Dois-je lui rappeler qu'il m'a manqué de respect de la plus ignoble des manières ?   

Même si mon cerveau m'ordonne de l'ignorer, je ne peux m'empêcher de remarquer son comportement pendant le trajet. Il reste les doigts soudés à son smartphone flambant neuf, tapant frénétiquement quelques textos de temps à autre et attendant fébrilement une réponse le reste du temps. Il semble stressé, ses traits tendus et ses lèvres pincées me laissent penser que quelque chose le contrarie fortement. Je ne devrais pas, mais je meurs d'envie de savoir ce qui le tracasse à ce point. Notre attitude l'un envers l'autre ainsi que son inquiétude et ses incessants soupirs créent une atmosphère anxiogène.

Quand le taxi se gare devant notre hôtel, je m'empresse de sortir de cet espace rempli de tension. Mr Archer m'emboite le pas puis me dépasse pour se diriger vers la réception. Alors qu'il est en train de récupérer nos cartes magnétiques, mon téléphone sonne. Je consulte l'écran et découvre avec surprise le nom de ma responsable commerciale s'afficher.

-Mme Saint-Martin ? je demande avec étonnement.

-Bonjour Candice, je m'excuse de vous déranger mais la comptabilité vient de me prévenir d'un problème qui a eu lieu en début de semaine.

Je fronce les sourcils en l'écoutant, ne comprenant pas un traitre mot de ce qu'elle me dit, tandis que mon boss se dirige maintenant vers les ascenseurs. Je le suis en répondant à mon interlocutrice.

-D'accord...

Elle poursuit, aucunement troublée par mon incompréhension.

-J'ai donc demandé à ce qu'un virement soit effectué sur votre compte. Je pense que c'est le plus simple puisque l'enveloppe que j'avais laissé à votre attention ne vous est apparemment jamais parvenue.

Je reste coite un long moment, estomaquée par ce que je crois comprendre. Non... c'est impossible...

-Excusez-moi mais je ne comprends pas de quoi vous parlez...

Ma voix mal assurée tremble en attendant sa réponse. L'ascenseur ouvre ses portes et je m'engouffre machinalement dedans, suivie de mon patron. Ma responsable explicite alors ses paroles.

-Suite à votre présentation plus que réussie de lundi et vu l'implication et la motivation dont vous avez fait preuve sur ce dossier, j'ai demandé à ce qu'une prime de 500€ vous soit accordée. La comptable a donc déposé une enveloppe contenant cet argent sur votre clavier mais mardi matin, elle a découvert les billets sur son bureau. Quelqu'un d'honnête à du trouver ces billets avant vous et les a restitués. Quoiqu'il en soit, vous méritez largement cette prime et elle vous sera versée directement sur votre compte.

Au fur et à mesure que Mme Saint-Martin m'explique la situation, mes yeux s'écarquillent. Oh mon dieu ! Je me suis totalement fourvoyée ! J'ai tellement paniqué après notre moment de plaisir que j'ai préféré croire qu'Ethan était le pire des salaud au lieu de penser que notre symbiose était réellement partagée. A aucun moment je n'ai pensé que cet argent pouvait provenir de quelqu'un d'autre que lui. Les images de notre altercation me reviennent en mémoire tandis que je pose mes yeux sur l'homme en face de moi. Je lui ai arraché son téléphone des mains, j'ai brisé l'appareil, je lui ai hurlé dessus, je l'ai insulté... j'ai presque envie de rire quand je réalise qu'il n'a absolument rien du comprendre à mon attitude et qu'il a du me prendre pour une folle mais sa mine fermée et son expression courroucée me ramènent immédiatement sur terre.

-Candice ? Vous m'entendez ?

Totalement perdue dans mes pensées, j'ai oublié de répondre à ma responsable.

-Euh... oui, oui je vous entends. Je ne sais pas quoi vous dire à part merci. Je suis très... touchée par votre geste. Merci...

Je baragouine de pauvres remerciements, je n'arrive pas à me concentrer sur notre discussion, je suis totalement obnubilée par ma méprise. Heureusement pour moi, Mme Saint-Martin ne s'éternise pas et nous raccrochons quelques secondes plus tard.

L'ascenseur a maintenant achevé son ascension et nous sommes arrivés au cinquième étage. L'hôtel est très chic et les couloirs très silencieux. Mon patron sort en premier de la cabine et s'avance d'un pas déterminé dans le corridor. Je suis affreusement gênée par mon erreur que je dois à présent réparer. Je ne sais pas vraiment comment m'y prendre et quand je m'apprête à ouvrir la bouche, il s'arrête devant une porte qu'il déverrouille rapidement puis s'engouffre dans sa chambre avant de claquer précipitamment la porte derrière lui.

Je reste stoïque dans le couloir, ne sachant pas du tout comment lui présenter mes excuses. J'ai déjà eu un aperçu de ses réactions colériques et tout ce que je sais, c'est que nos discussions finissent toujours mal dans ces cas là. Néanmoins, je suis en tort et même s'il va se montrer sans doute blessant, je dois assumer mon erreur.

J'inspire fortement pour me donner un semblant de courage et toque à sa porte. Quelques instants plus tard, il ouvre brusquement cette dernière et lève les yeux au ciel. Son regard m'envoie des éclairs et il ne prononce aucun mot.

À toi de jouer Candice!

-Mr Archer... je voulais... vous présenter mes excuses.

Je n'ose pas le regarder en face et je danse nerveusement d'un pied sur l'autre. Je me force à poursuivre.

-J'ai fait une grosse erreur, j'ai cru que vous aviez eu un geste irrespectueux envers moi et je me suis emportée. Je vous présente mes plus sincères excuses pour mon comportement de lundi.

Un lourd silence s'installe entre nous. Ethan me fixe toujours de ses yeux noirs de colère et tient la poignée de la porte fermement dans ses doigts. Ses phalanges blanchies m'informent que mes excuses ne suffisent pas à le calmer. Moi, je n'ose pas bouger. Je ne sais absolument pas quoi faire pour mettre fin à cette situation gênante. Mes yeux s'aventurent dans les siens et ce que j'y lis ne me rassure pas.

-Ecoutez-moi bien mademoiselle Dumin, commence-t-il dans un long souffle, je n'ai absolument aucun temps à perdre avec vos crises d'hystéries et vos excuses minables. Alors merci de vous contenter de faire correctement votre travail et laissez moi tranquille.

Dans un geste brusque qui me fait sursauter, Ethan me claque la porte au nez. J'ai à peine eu le temps de reculer d'un pas pour éviter que mon nez se brise contre le bois. Je reste complètement abasourdie par sa réaction. Je sais que je me suis mal comportée mais je ne pensais pas l'avoir vexé à ce point. Je rassemble à nouveau tout mon courage et toque une nouvelle fois à sa porte.

Toujours sur le seuil, je l'entends grogner avant même de l'avoir en face de moi.

-Quoi encore ??!

Il a prononcé ces mots avec une telle fureur que je sursaute de peur. Quand il remarque ma réaction, il s'assagit instantanément. J'en profite pour reprendre la parole.

-Je veux réellement m'excuser Monsieur Archer. Je ne suis pas tout du genre à réagir sur le coup de la colère et j'ai fais preuve d'une terrible erreur de jugement. Je suis désolée.

Mon interlocuteur passe nerveusement la main dans ses cheveux et je m'attarde sur son visage. Il arbore toujours son expression contrariée et ses traits sont tirés. Je peux y lire beaucoup de colère mais également quelque chose qui me semble être de l'inquiétude ou du stress, je ne sais pas très bien. Il ouvre la bouche pour me répondre quand son téléphone sonne.

Il accourt en direction de son smartphone et décroche avec empressement. J'ai l'impression qu'il attendait cet appel désespérément. La personne au bout du fil parle quelques secondes et il lui répond en anglais.

-Ok, j'arrive, merci.

Il prononce ces mots dans un souffle de soulagement et ses épaules s'affaissent. Je ne sais pas ce qui le contrarie à ce point mais j'aimerais lui apporter mon soutien... Sauf qu'il est toujours énervé contre moi et qu'il est en train de prendre sa veste et de se diriger vers la porte.

-Vous partez ? je lui demande incrédule.

-Cela ne vous regarde absolument pas !

Son ton est sec et cassant et j'ai à peine le temps de récupérer la clé de ma chambre que l'ascenseur l'emporte déjà loin de moi.

Je regagne ma chambre le cœur serré. Je déteste être fâchée avec quelqu'un, surtout lorsque je suis en tort. J'ai fait mon maximum pour lui présenter des excuses sincères et il n'a pas voulu les entendre. Peut-être devrais-je lui laisser un peu de temps ? De toute façon, je n'ai pas le choix, il est déjà parti !

Je passe la fin d'après midi à travailler seule dans ma chambre d'hôtel. Son absence et sa colère me pèsent et j'ai beaucoup de mal à me concentrer. Pour me changer les idées, je décide d'appeler Gabriel. Nous devions dîner ensemble ce soir mais ce voyage a bousculé nos plans.

-Bonsoir jolie Candice !

-Bonsoir Gabriel, je lui réponds en souriant. Je ne te dérange pas ?

-Non, je viens juste de rentrer chez moi. Tout va bien ?

-Oui oui... enfin... j'ai passé l'après-midi seule dans ma chambre d'hôtel et j'en ai un peu marre. Ces prochain jours s'annoncent... moroses !

-Oh mais pourquoi ? Je croyais que tu partais accompagner ton patron pour des rendez-vous importants.

-Et bien, pour l'instant nous n'avons fait aucun rendez-vous et il s'est absenté dès notre arrivée...

Je me garde bien de lui dire que nous sommes en froid et m'empresse de changer de sujet en lui demandant ce qu'il va faire ce soir.

-Et bien... étant donné qu'une sublime jeune femme m'a posé un lapin, je n'ai pas d'autre choix que de manger en tête a tête avec ma télé !

Je m'excuse une nouvelle fois pour ce faux-bond et nous discutons pendant près d'une heure. Lorsque je raccroche, je me sens légèrement mieux. Gabriel m'a changé les idées et j'ai pu m'évader de cette chambre l'espace d'une heure.

N'ayant pas envie de passer la soirée seule, je pense une seconde à aller proposer à Ethan d'enterrer la hache de guerre autour d'un bon repas. Cette idée trotte dans ma tête un long moment avant que je ne trouve le courage de traverser le couloir. Je suis maintenant postée sur le seuil de sa porte et j'hésite à toquer. C'est juste un dîner, cela ne signifie rien de plus. 

Je souffle machinalement et mes phalanges rencontrent le bois en face de moi. Je toque une fois. Pas de réponse. J'attends puis toque une nouvelle fois. Toujours pas de réponse. Je ne perçois aucun bruit. Je tente ma chance une dernière fois, en vain.

Déçue, je me résous à retrouver ma chambre pour y passer la soirée sans aucune compagnie. L'idée d'aller visiter Londres seule ne me rassure pas. Je sais que je suis dans le très prisé quartier de la City et j'aperçois de ma chambre le majestueux Tower Bridge qui trône fièrement au dessus de la Tamise. Cette ville regorge d'endroits et de monuments extraordinaires à visiter mais ce soir, je n'ai pas l'âme d'une touriste. Je suis un peu déprimée et je me contente donc d'appeler le room service pour passer une soirée ennuyeuse et démoralisante.

Le lendemain matin, je me réveille à l'aube. Je ne sais toujours pas à quelle heure ont lieu nos rendez-vous, ni avec qui alors je guète le moindre signe de vie de l'autre côté du couloir. Au bout de très longues dizaines de minutes, j'entends une porte claquer et je me précipite dans le couloir pour découvrir mon patron apprêté de la plus délicieuse des manières. Il porte une chemise noire cintrée et un pantalon gris ajusté qui le met en valeur. Ces muscles sont saillants et sa carrure sublimement dévoilée par cet ensemble. Son regard mêlant irritabilité et fatigue ainsi que ses traits tendus et sa courte barbe savamment entretenue le rende...  affreusement sexy !

Il me donne enfin les détails de la journée et nous repartons chacun dans une direction opposée. L'ambiance est toujours extrêmement tendue et je regrette le calme et la tranquillité de mon petit bureau parisien.

Nous nous retrouvons à 9h dans le hall de la réception et lorsque je m'approche de lui, je sens son regard noir me scruter en détails. Il passe en revue ma robe cintrée et ses pupilles descendent sur mes jambes puis remontent pour s'attarder brièvement sur mes seins et mon cou. Je me délecte de cette sensation si enivrante de sentir la chaleur de ses yeux sur mon corps quand il me tourne le dos brusquement et se dirige vers la sortie. Apparement, mon boss est toujours furieux et les cernes qui obstruent son délicieux regard m'informent que sa nuit n'a pas été très reposante.

Dans le taxi, je me surprends à penser que son attitude froide et distante me rend finalement service. Je n'ai pas à lutter contre une quelconque attraction entre nous. Je me sens simplement mal à l'aise d'avoir commis une importante méprise et je sais que je dois encore m'excuser mais ma conversation téléphonique avec Gabriel hier soir m'a permis de me recentrer sur lui. Avant d'embarquer dans l'avion j'étais pleine de colère et de stress mais aujourd'hui, je peux aisément mettre Gabriel au premier plan de mes pensées. Il faut juste que je me force à penser à lui plus souvent.

Les rares informations qu'Ethan m'a données m'ont appris que nous avons successivement rendez-vous avec nos clients Dior puis Royal Beauty ce matin. J'ai bien fait de travailler hier après-midi !

Quand nous concluons la dernière entrevue de la matinée à l'heure du déjeuner, je suis confuse. Ces deux rendez-vous se sont extrêmement bien passés et Mr Archer a été très agréable avec moi. Il m'a énormément mise en valeur auprès de nos clients, vantant tour à tour mes compétences professionnelles et mes qualités humaines. Il s'est montré attentif et prévenant tandis qu'il avait activé son "mode patron". Il a fait preuve d'un charisme hors pair, dirigeant la discussion et abattant ses arguments avec une attitude assurée légèrement arrogante mais tellement irrésistible ! Il déambulait dans la pièce avec un regard déterminé qui m'a totalement troublée.

Cet homme est mon fantasme incarné. Il peut se montrer tour à tour sûr de lui, impertinent, condescendant mais également très charmant et charismatique. Lorsqu'il est présent, je ne vois que lui. Je croyais avoir refoulé tous ces sentiments mais ils remontent tel un tsunami prêt à me dévaster. Je panique légèrement.

En revanche, lorsque nous quittons nos interlocuteurs, l'ambiance détestable entre nous reprend ses droits et je dois à nouveau faire face à un mur froid et cassant. Nous nous dirigeons en direction de notre hôtel et j'en profite pour essayer de désamorcer la situation.

-Ces deux rendez-vous se sont plutôt bien passés, non ?

-Mmmmhmm...

Ok, je vais ramer !

-Vous pensez que nous pourrons signer les contrats dans les prochains jours ?

Cette fois-ci pas de réponse. Je m'apprête à reprendre la parole pour jouer cartes sur table une bonne fois pour toutes quand son téléphone nous interrompt. Il s'éloigne pour répondre et quand il me rejoint, il m'informe simplement qu'il doit partir et qu'il me retrouvera directement sur notre prochain lieu de rendez-vous. Avant que je n'ai pu noter l'adresse, il a déjà disparu dans un taxi. Mais où peut-il bien disparaître sans arrêt ?

Une nouvelle fois, je me retrouve seule dans cette grande ville. Aujourd'hui, je décide ne pas me laisser abattre et je laisse mes pas me guider à travers cette merveilleuse capital. Très vite, je rejoins le quartier de Westminster et j'admire la beauté de ce lieu. Je me prends au jeu et finis par visiter le parlement, Hyde Park et ses alentours tout en grignotant un morceau. La brume londonienne m'accompagne dans mon périple et rajoute une touche typique à ma journée.

En milieu d'après midi, je rejoins mon boss pour notre dernier rendez-vous de la journée. Quand j'arrive à sa hauteur, il est encore au téléphone et je capte des bribes de sa conversation.

-Ok... merci de vous être libéré si vite tout à l'heure... tenez moi au courant... à bientôt Dr Stear...

Mon cœur se serre instantanément à l'entente de ces derniers mots mais Ethan ne me laisse pas le temps de réfléchir puisqu'il s'est déjà retourné et que ses yeux se sont verrouillés aux miens. Je peux lire dans ses iris fatigués beaucoup d'abattement mais quand ils commencent à scruter mon visage et mon corps, une lueur de désir mêlée à ce que je pense être de la colère fait son apparition.

Mon ventre se contracte sous son regard et je me gifle mentalement de ne pas savoir contrôler mes émotions. Je me force à rejeter tout désir en m'approchant de lui. Mais bon sang que c'est compliqué lorsqu'il se tient face à moi, beau comme un dieu !

Quand j'arrive à sa hauteur, il se met en marche en direction du bâtiment qui n'attend que notre visite tout en me donnant des détails sur le rendez-vous imminent.

-Nous allons rencontrer Mr Jameson. Il s'agit d'un prospect que j'ai ciblé depuis un bon moment et notre présence ici va nous permettre d'entamer les discussions. Il est à la tête de Jameson & Co. Ltd., un luxueuse société d'ameublement à la recherche de tissus nobles pour leurs nouvelles créations. Le marché qui peut s'ouvrir à nous est potentiellement énorme et nous devons absolument faire une excellente impression aujourd'hui.

J'enregistre toutes les informations que mon patron veut bien me donner tout en hochant la tête. A aucun moment Ethan n'a posé les yeux sur moi, il a continué de marcher et de parler en gardant ses pupilles noires rivées droit devant lui. Ses grandes enjambées me forcent à trottiner à côté de lui et je n'ose pas lui demander de ralentir son rythme, je m'estime déjà chanceuse qu'il ait mis de côté sa rancune pour partager ces quelques mots avec moi.

Nous arrivons maintenant dans le très chic hall d'accueil de Jameson & Co. Ltd et une secrétaire nous conduit jusqu'au dernier étage. Je suis très excitée par cette nouvelle opportunité de voir à l'œuvre le plus sexy des patrons quand un homme d'une cinquantaine d'années s'approche de nous. Je suis postée derrière mon boss si bien que notre futur client ne me remarque pas tout de suite. Moi, en revanche, je le distingue très nettement.

Mr Jameson est un homme bedonnant et à la carrure imposante. Son regard dépeint toute l'assurance et la confiance qui l'habite. Il se tient droit, son costume hors de prix nous montre bien sa réussite financière. Ses grands gestes de mains et ses enjambées me donnent l'impression qu'il a le monde à ses pied. En un mot, cet homme très riche est habitué à la réussite.

Cependant, son visage ridé et son corps un tantinet flasque font de lui un homme tout sauf attrayant. Quand Ethan se décale pour me présenter, ses yeux se posent partout sur moi comme s'il était en train de choisir un morceau de viande. Je ne me sens pas du tout à l'aise et me force à sourire et à lui répondre chaleureusement. Il nous précède pour nous conduire jusqu'à son bureau qui regorge de photos de lui dans différentes circonstances: Mr Jameson dans un hélicoptère, Mr Jameson jouant au golf, Mr Jameson posant avec des célébrités... Une chose est maintenant sûre, cet homme a un égo surdimensionné !

Notre entrevue dure presque deux heures pendant lesquelles Ethan m'impressionne à nouveau par son charisme et son audace qui rayonne dans toute la pièce. Mr Jameson se montre à l'écoute mais ne manque pas d'essayer de nous impressionner avec son argent et ses relations. Il représente tout ce que je déteste: une personne qui croit que tout lui est dû juste parce qu'elle a de l'argent. Au cours de cet entretien, mon boss me met souvent au premier plan et notre interlocuteur ne manque jamais de me faire des compliments. Enfin, il s'agit plutôt de remarques légèrement grivoises qui me mettent très mal à l'aise. Dès qu'Ethan a le dos tourné, il en profite pour se rapprocher de moi et sa proximité me donne la nausée. Ces yeux salaces me dévorent et je n'ai qu'une envie, sortir de cette pièce.

Deux heures plus tard, nous mettons fin à ce rendez-vous prometteur. Mr Jameson promet à mon supérieur de le rappeler rapidement et les deux hommes se serrent la main. Ethan s'engage dans le couloir pendant que le cinquantenaire s'approche de moi avec des yeux brillants. Un frisson d'angoisse me parcourt des pieds à la tête. Il pose sa grande main sur ma chute de rein et je me raidis instantanément. J'ai immédiatement envie de lui hurler d'enlever sa main mais je me retiens pour ne pas gâcher tous les efforts d'Ethan. L'immonde personnage en face de moi se penche vers mon oreille et me susurre:

-À très bientôt Mlle Dumin...

J'ai envie de vomir.

Je me défais de cette emprise répugnante et m'empresse de rejoindre le seul homme que j'ai envie de voir en cet instant. Nous sortons tous les deux du bâtiment dans un silence de plomb et je comprends qu'il s'est à nouveau enfermé dans sa colère et sa rancoeur.

Je ne peux plus supporter cette situation et je laisse mon coeur prendre les commandes. Ma main droite agrippe soudainement son bras, le forçant ainsi à stopper son avancée. Nous sommes sur un trottoir en plein coeur de Londres, un froid polaire s'abat sur nous et quelques flocons tombent du ciel. Nous sommes tous les deux emmitouflés dans nos manteaux, écharpes et gants mais j'ai pourtant l'impression de retrouver la chaleur de son corps sous mes doigts. Mon ventre fait des tourbillons qu'il ne devrait pas faire et je profite qu'il me scrute de ses grands yeux pour prendre la parole. Si je ne l'avais pas fait, je lui aurai sauté dessus !

-Mr Archer, s'il vous plaît, écoutez-moi.

Il soupire théâtralement mais je continue. Je plante mes yeux verts dans ses pupilles si envoûtantes mais si fatiguées ces jours-ci.

-Je suis sincèrement désolée pour mon comportement de lundi. J'ai commis... une erreur, j'ai cru que vous m'aviez traité comme une... prostituée et j'ai laissé ma rage s'emparer de mon bon sens. En réalité, je pense... que j'ai paniqué. Je... je ne sais absolument pas comment... gérer ce qu'il s'est passé entre nous et... je vous présente une dernière fois mes excuses.

Je prends une longue inspiration tandis que je sens son corps se détendre imperceptiblement sous ma paume. Je n'ai plus de raison de maintenir son bras, je sais qu'il ne va pas partir mais je n'ai aucune envie de le lâcher. Alors, je raffermis ma prise, je tente de maîtriser les crépitements de mon ventre et je termine mon monologue.

-Je ne veux plus de toute cette animosité entre nous, je veux que nous retrouvions une relation paisible et... agréable... alors s'il vous plaît, veuillez accepter mes excuses.

Je le regarde intensément tandis que son visage si impassible jusqu'à maintenant commence à esquisser un petit rictus. J'ai gagné.

Il soupire, se frotte le visage de sa main libre pour me répond:

-Très bien, on oublie.

Ethan me lance un sourire furtif puis reprend sa marche. Je lâche son bras pendant que mon coeur fait des looping dans ma poitrine mais mon patron s'arrête brusquement et se retourne vers moi.

-Par contre Candice, je vous trouve très prétentieuse.

J'écarquille les yeux de surprise et d'incompréhension pendant que son visage s'habille d'arrogance et de malice.

-Vous avez vraiment cru que votre prestation dans ce local ménager valait 500€ ? Attendez de voir la suite...

Je rougis de la tête aux pieds en une seconde à peine et j'ai envie de disparaître sous terre tandis qu'il se met à ricaner  avant de héler un taxi. Ses yeux me lancent un "c'est ma petite vengeance" et j'hésite à en rire. Mon cerveau, lui, est resté bloqué sur "attendez de voir la suite".

De retour à l'hôtel, une vague de courage me traverse et me permet de proposer à Ethan que nous dînions ensemble. Il semble hésitant, comme tiraillé et je prie intérieurement pour qu'il accepte. Je n'ai pas du tout envie de passer la soirée seule. J'ai surtout beaucoup trop envie de la passer avec lui. Il consulte son téléphone, s'éloigne en me faisait un signe puis revient quelques minutes plus tard.

-Je dois m'absenter deux heures mais à mon retour, je vous emmène manger dans le meilleur restaurant de Londres.

La Candice fougueuse et sous le charme de cet homme entame une danse de la joie dans ma tête tandis que mon coeur enchaîne les saltos et que mon ventre se tord délicieusement.

-Et faites-moi plaisir Candice, enlevez-moi cette sublime robe et enfilez une tenue décontractée.

Ethan conclut sa demande d'un clin d'œil dévastateur pendant que mon téléphone se met à vibrer. Je consulte furtivement l'écran et lorsque je repère le nom de Gabriel, je rejette l'appel alors qu'une immense culpabilité s'abat sur moi tel un ras-de-marée.

Détends-toi Candice, il s'agit juste d'un dîner professionnel, rien d'autre.

Alors que j'essaie en vain de me bercer d'illusions, ma conscience me rappelle que j'agis de la plus ignoble des façons.

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