Chapitre 10 - If I warned you that the fire's gonna burn, would you walk in ?

Mercredi 30 novembre

-A demain Candice, ne pars pas trop tard ce soir tu as une mine bien fatiguée... me sermonne Marina en quittant mon bureau.

-Ne t'en fais pas, je termine juste un petit truc et je rentre.

Ma collègue tourne les talons et se dirige vers l'ascenseur. Il est plus de 18h15, l'équipe commerciale a plié bagage depuis une bonne dizaine de minutes et je pense être la seule employée encore à son bureau à cette heure-ci. Je termine ce que je suis en train de faire et clôt mes dossiers tout en m'étirant et en baillant. Je suis vraiment fatiguée ces jours-ci, je crois que je ne me suis toujours pas remise de ma folle soirée de samedi. Je suis rentrée au petit matin, raccompagnée par Gabriel qui s'est comporté en parfait gentleman. Après m'avoir conduit jusqu'à chez moi alors que je dormais sur le siège passager, il m'a réveillée d'une douce caresse sur la joue et m'a simplement enlacée pour me souhaiter bonne nuit. Il n'a pas cherché à entrer dans mon appartement, il n'a pas profité de mon ivresse pour entrer dans mon lit, il a seulement fait preuve de douceur pour entrer dans mon cœur.

Je ne m'attendais vraiment pas à rencontrer mon mystérieux Grand ours brun samedi soir dans ce club mais l'initiative qu'a pris Gabriel en se rendant au Chill Time afin de m'y retrouver a permis de faire avancer les choses entre nous. J'ai passé un bon moment à danser à ses côtés, je me suis sentie à l'aise avec lui et j'ai réellement apprécié le fait qu'il ne tente rien de trop rapide. Nous nous sommes téléphonés dimanche et je me suis rendue compte qu'il avait été déstabilisé par mon comportement. Je peux aisément le comprendre, j'étais tellement saoule que j'ai agi en n'écoutant que mon cerveau embrumé par trop de cocktails et sans penser à ce qu'il pourrait ressentir. Je me suis excusée et nous avons longuement discuté. Il a rapidement retrouvé son instinct taquin et malicieux et j'ai dû rougir au moins dix fois derrière mon téléphone ! Depuis, nous échangeons tous les jours, que ce soit par message ou en s'appelant.

Si je suis totalement honnête envers moi-même, je passe toujours d'excellents moments avec Gabriel mais je ne ressens pas encore cette étincelle qui me ferait tant vibrer. Cassiopée m'a assuré que c'est une bonne chose car cela signifie que nous allons d'abord apprendre à nous connaître sincèrement pour pouvoir ensuite peut-être construire une belle histoire sur des bases saines. Moi... je suis sceptique. J'ai la désagréable impression que lui est déjà plus investi dans notre...petit flirt. Il m'a clairement dit que je l'intéresse beaucoup et qu'il a vraiment envie de passer du temps avec moi. De mon côté, je suis un peu perdue et je n'arrive pas à savoir clairement ce que je ressens. Il me fait rire, sa gentillesse et sa douceur me mettent en confiance et je pense régulièrement à lui. C'est déjà un bon début non ?

Je sors de mes pensées et me décide enfin à rentrer chez moi. Je rêve d'une bonne douche relaxante et d'enfiler ensuite mon sweat favori. Avant de partir, je vais aux toilettes et sur le chemin du retour, je remarque qu'un bureau au fond du couloir est toujours éclairé. Moi qui pensais être seule, je faisais apparemment erreur. Prise d'un élan de curiosité, je me dirige à pas de loup au fond du couloir et je comprends rapidement que le bureau en question n'est autre que celui de Mr Archer. Je me stoppe au milieu du corridor, ne sachant que faire. Mon cerveau brandit une pancarte me rappelant mes trois bonnes résolutions, entourée de gyrophares clignotants en rouge. Ma raison me dicte de faire demi-tour et de rentrer sagement chez moi. Mon cœur, lui, tambourine tellement fort qu'il assourdit mes pensées raisonnables. Tandis que le capharnaüm qui m'habite ne m'a toujours pas apporté de pensées cohérentes, mes jambes prennent l'initiative de poursuivre leur chemin.

C'est ainsi que je me retrouve dans la pénombre du couloir, à hauteur du bureau de mon patron, légèrement décalée sur la droite. La porte est entrouverte et le son qui résonne entre ces quatre murs me provoque immédiatement des frissons dans tout le corps. Mr Archer est probablement au téléphone et il s'adresse à son interlocuteur dans la langue de Shakespeare. Je ne le vois pas, j'entends seulement le son exquis qui sort de sa bouche. Son accent et la fluidité de ses paroles ne laisse aucun doute au fait que l'anglais est sa langue maternelle. Telle une incorrigible commère, je tends l'oreille et j'écoute cette douce mélodie.

-Je ne veux rien savoir, vos problèmes d'organisation ne me concernent pas. Je veux un rendez-vous avec le docteur Stear la semaine prochaine. Débrouillez-vous comme vous le voulez mais j'attends... Oui je suis conscient qu'il s'agit du spécialiste le plus renommé du pays et qu'il doit être surement très occupé mais si vous voulez tout savoir, je n'en ai rien à foutre ! ... J'attends mon rendez-vous.

Un long silence commence à s'installer puis sa voix grave résonne à nouveau.

-Ecoutez-moi bien mademoiselle, je me contrefous des conséquences pour votre place, tout ce que je veux c'est mon putain de rendez-vous avec ce putain de spécialiste. Ne m'obligez pas à jouer de mes relations parce que je ne donnerai pas cher de votre peau.

La rage se mêle à un mélange de peine et de tristesse que je distingue dans le ton qu'il utilise. Je ne comprends absolument pas la scène qui est en train de se jouer à quelques mètres de moi. Je ne ressens qu'une immense douleur qui semble émaner de mon boss. J'en frémis instantanément.

-Jeudi 8, à 13h15. C'est noté.

Sans faire preuve de plus de politesse que d'habitude, il raccroche et pose lourdement son téléphone sur son bureau. Un nouveau silence pèse dans l'atmosphère et je me décale légèrement afin de pouvoir apercevoir Mr Archer. La vision qui s'offre à mes iris beaucoup trop curieux me retourne l'estomac.

Mr Archer est assis face à son bureau, les coudes posés sur le bois et sa tête est baissée, seulement maintenue par ses grandes mains. Il semble abattu, complètement désarmé. Il reste ainsi un long moment avant de redresser la tête dans une grande lenteur et de fixer un point invisible en face de lui. Ses yeux perdus dans le vague me paraissent légèrement rougis. Ses traits sont très tendus et il passe négligemment sa main dans ses cheveux indisciplinés. A le voir comme ça, on pourrait croire qu'il n'a pas dormi depuis plusieurs jours. Il semble comme rongé de l'intérieur. Mon cœur se serre en le voyant dans un tel état et je ne réalise qu'à cet instant la portée de sa conversation téléphonique. Il a insisté pour obtenir un rendez-vous médical, avec un spécialiste qui plus est. Qu'est ce qui peut justifier une telle exigence si ce n'est un grave problème ? Aurait-il des soucis de santé ? Son regard abattu me cause encore plus de peine et je n'ai qu'une envie, c'est de le prendre dans mes bras pour le réconforter. Ce qui ne serait pas raisonnable. Ce que je ne fais donc pas, bien évidemment.

Je réalise que je suis ridicule, cachée dans la pénombre du couloir en train d'espionner mon patron que je m'étais promis d'éviter au maximum. Je rebranche mon cerveau qui m'intime l'ordre de regagner mon bureau, de rassembler mes affaires, de mettre mon manteau, de prendre mon sac à main et de sortir du bâtiment. Il me dicte de démarrer ma voiture telle une automate, anéantissant par la même occasion toutes mes pensées déplacées qui migrent à chaque fois vers mon supérieur. Mon cerveau tente de m'imposer des décisions sages et raisonnées et j'aurais probablement dû l'écouter.

A la place, je fais connaissance avec la Candice fougueuse et imprudente qui sommeillait silencieusement en moi jusqu'à maintenant. Elle prend les commandes de mon corps et ignore les ordres que mes méninges ont désespérément essayé de m'envoyer. Toutes mes résolutions sensées et réfléchies volent en éclat et je prends la direction opposée à celle que je devrais raisonnablement suivre. Je devrais sûrement partir mais sans savoir réellement pourquoi ni comment, mes pieds font un pas en avant et ma paume se plaque contre la porte, exerçant une légère pression. Je me poste sur le seuil, hésitante.

Mon patron ne semble pas réagir à ma discrète intrusion puisqu'il ne bouge pas d'un millimètre. Son regard est toujours perdu dans le vide et une drôle de sensation me parcourt l'échine alors que je l'observe maintenant en détails, sans aucune retenue. Je ne le reconnais pas. Bien sûr, je sais que c'est bien lui qui est assis silencieusement à son bureau, mais c'est comme si son esprit s'était envolé. L'enveloppe est bien là mais son contenu si complexe et envoûtant ne partage pas cette pièce. Cette constatation me fait froid dans le dos. Pour la première fois, je découvre Ethan Archer désemparé, anéanti et même prostré. Il est... vide. Oui voilà, il est vide. Et personne ne devrait jamais subir un tel état, patron dédaigneux ou pas.

A cet instant, je suis incapable de rester sans rien faire. Cette vision me tord l'estomac et je suis toujours figée sur le seuil de l'entrée de son bureau, à le fixer intensément sans qu'il ne me remarque. La Candice rebelle qui a pris possession de mon esprit me guide à l'intérieur du bureau, que je redécouvre ce soir. Avec ses murs blancs éclatants, la pièce est grande et bien agencée et un imposant bureau trône au fond, asseyant encore plus l'autorité de son occupant. Devant moi, légèrement sur ma droite, une belle table en métal brillant trône, invitant ainsi les visiteurs à s'attabler pour discuter. Enfin... discuter est un bien grand mot lorsqu'il s'agit de Mr Archer. Il ordonne et nous obéissons. Une immense baie vitrée orne deux pans de mur, ce qui doit sûrement offrir une luminosité exceptionnelle en plein jour. Mais ce soir, la nuit noire est déjà tombée et elle nous plonge dans une atmosphère plus intimiste, presqu'étriquée. Je suis plutôt surprise par les quelques plantes vertes qui apportent un peu de couleur à ce tableau monochrome que j'ai sous les yeux. Les piles de dossiers désordonnées qui surplombent son bureau sont les seules traces de désordre dans ce sanctuaire de la maniaquerie. J'ai l'impression de découvrir l'intimité de mon patron et cela... me plait. Beaucoup trop.

Mr Archer n'a toujours pas réagi malgré mon intrusion plus poussée. Il n'a pas bougé et arbore toujours ce visage éreinté de peine. Je ne peux supporter une telle détresse sur ce faciès d'habitude si envoûtant, même si cela lui confère une pointe d'humanité nouvelle. Je me décide à briser le silence. Je suis entrée, je me tiens droite, debout devant lui, je dois maintenant aller au bout de ma démarche. Le seul problème c'est que tu ne sais absolument pas où celle-ci va te mener... J'élude le cynique avertissement que mon cerveau tente en vain de m'envoyer. A la place, je me racle légèrement la gorge afin d'éclaircir ma voix et de signifier ma présence par la même occasion.

-M..m-monsieur... Archer ? V-v-vous allez... bien ?

Aucune réaction.

J'attends un moment puis me décide à réduire doucement la distance entre nous. Alors que je m'approche de son bureau à la vitesse d'un escargot au repos, l'objet de mes pensées souffle longuement et ses épaules s'affaissent. Ce mouvement a pour conséquence d'amplifier ostensiblement la sensation de détresse qui émane de lui. Cependant, il ne m'offre toujours aucun regard, je pense sincèrement que son esprit vagabonde ailleurs que dans cette pièce seulement éclairée par une petite lampe de bureau. Il n'est pas ici, avec moi. Moi, en revanche, je suis bien ancrée dans la réalité.

Mon corps m'offre une symphonie de sensations toutes plus troublantes les unes que les autres. Les battements de mon cœur ont repris leur course folle, celle qu'ils ont maintenant l'habitude de subir à chaque fois que mes yeux se posent sur l'homme assis face à moi. Ils sont vite rejoints par ma respiration rapide et saccadée et mes tremblements qui envahissent mes mains et mes jambes. Peut-être est-ce la seule manière que mon corps a trouvé pour me dire 'tu ne devrais pas être là mais tu ne peux pas être ailleurs' ?

Je décide de reprendre la parole afin de le faire revenir parmi nous. Enfin, parmi moi. Avec moi. Seulement moi.

-Monsieur... Archer, je susurre d'une voix douce et chaleureuse. Monsieur Archer ? Vous m'entendez ?

Cette fois mes paroles semblent atteindre leur cible et ses yeux autrefois figés commencent à remuer légèrement. Son esprit abrège son évasion et revient doucement dans cette pièce. Je ne le brusque pas, je le laisse suivre son propre rythme. J'observe ses beaux yeux papillonner, sa tête se redresser, ses sublimes mains rugueuses frotter sa nuque et sa respiration s'accélérer lentement. Soudain, il tourne légèrement la tête dans ma direction et ses yeux se posent sur moi. Ses iris marrons sont toujours voilés de douleur ou de tristesse, je ne sais pas. J'ai l'impression qu'il ne prend conscience de ma présence qu'à cet instant. Son regard m'enveloppe d'un je-ne-sais-quoi, je suis incapable de le définir. Tout ce que je sais, c'est que je reconnais petit à petit sa manière de me regarder, il revient à lui.

Une vague de frisson me parcourt le corps lorsque je me retrouve exposée sous son regard mais celle-ci est vite rejointe par une pointe de contentement. Les sentiments négatifs qui habitaient le corps et l'esprit de mon boss semblent relégués au second plan. Ils ont été remplacés à la seconde où il m'a réellement vue. J'attends toujours face à lui que quelque chose se passe mais il ne semble pas pressé de briser le silence. A la place, il se lève lentement et mon cœur sursaute. Il se tient debout et son imposante carrure semble remplir chaque centimètre carré de son immense bureau. Il aspire tout l'oxygène de la pièce et le remplace par son odeur, par son aura. Moi, je n'ai qu'une envie c'est de fermer les yeux et de savourer ce bien être qui commence à m'entourer. Ses yeux ne me quittent pas, ils se font tour à tour interrogateurs et dominants. Un déferlement de chaleur nait dans mes veines et s'infiltre dans chaque parcelle de mon corps. Oui, je suis à deux doigts de me liquéfier sur place tant la tension qui m'habite désormais est insoutenable.    

Mon patron se plante en face de moi et me demande, de sa voix si envoûtante:

-Que faites-vous là ?

Son ton est neutre et maîtrisé, j'ai l'impression que sa méchanceté est au placard pour ce soir et c'est tant mieux. Je lui réponds, avec une voix plus douce que je ne le voulais.

-Je suis passée devant votre bureau et je vous ai aperçu immobile. Vous sembliez... mal alors je vous ai demandé si vous alliez bien.

Ses sourcils se froncent, peut-être a-t-il peur que sa conversation téléphonique ne s'ébruite ou peut-être est-il gêné d'avoir été surpris dans un moment si vulnérable. Je ne sais pas ce qui lui passe par la tête mais le tsunami de frissons et d'excitation qui déferle en moi à cet instant manque de me faire défaillir. Sa main a effleuré la mienne d'une divine caresse, aussi fugace qu'intense. Mr Archer se tient toujours debout face à moi, son corps à seulement quelques centimètres du mien et je ne sais pas si l'effleurement que j'ai ressenti aussi intensément était volontaire de sa part. Je ne bouge donc pas. De toute façon, je serais incapable de faire quoi que ce soit. A la place, je retiens malgré moi ma respiration et tente de contrôler la fébrilité qui s'est emparé de moi. C'est fou comme le contraste entre mon corps et mon esprit est saisissant : mon organisme m'envoit tous les signes avant-coureurs du danger imminent qui va bientôt s'abattre sur moi mais ma tête est plongée dans un état d'excitation exquis qui neutralise tous ces avertissements pour me noyer dans une tornade de désir qui détruit tout sur son passage. J'ai l'impression d'être coincée dans une maison en feu et de me délecter des brûlures qui approchent dangereusement.

Mr Archer me dévisage encore un instant puis son regard descend sur ma main qui flotte toujours près de la sienne. Un léger rictus se dessine sur son visage et je comprends ainsi que son geste était bien volontaire. Son assurance et son air joueur sont de retour. Apparemment il s'est vite ressaisi et a réenfilé le masque qu'il porte quotidiennement. Une fois de plus, je ne suis capable que d'attendre et de le laisser me porter là où il voudra bien m'emmener. Finalement, je ne sais pas ce que je préfère...

Lorsque ses yeux se plantent à nouveau dans les miens, son visage impassible me met mal à l'aise. Je ne sais pas si ma venue le dérange où s'il en joue pour me déstabiliser plus qu'il ne le fait déjà. Après m'avoir lancé un nouveau regard appuyé, mon boss se retourne et sa bouche s'entrouvre. Je suis pendue à ses lèvres, attendant de savoir ce qu'il va faire de moi quand il me lance, l'air de rien:

-Vous pouvez partir maintenant.

Ok. Il me congédie. Bon, au moins, ça a le mérite d'être clair. Il n'a aucune intention de me parler, de répondre à ma question où même de me remercier pour ma sollicitude. D'un côté, cette réaction ne me surprend pas. Je n'attendais aucun remerciement de sa part en entrant dans cette pièce. Je ne sais même pas ce que je suis venue chercher dans ce bureau. Je tourne à mon tour les talons, légèrement déçue que cet aparté ne s'achève déjà lorsque je sens une légère pression sur mon avant-bras. Je me retourne vivement, trop envieuse de savourer la sensation de sa paume sur ma peau. Toutes mes terminaisons nerveuses se donnent rendez-vous à l'endroit même où mon bras brûle sous son toucher lorsque sa voix résonne dans le silence de la pièce.

-Je vais avoir besoin de vous dans les jours à venir.

Il marque une pause, ancre ses yeux dans les miens et conserve son rictus absolument craquant mais tellement déstabilisant !

-Nous devons... approfondir le dossier Royal Beauty. Bon... Vous me rejoindrez dans mon bureau en fin d'après-midi à partir de 17h. Et ce, jusqu'à nouvel ordre.

En même temps qu'il m'ordonne de me rendre disponible en fin de journée, ses doigts entament une langoureuse torture sur mon avant-bras. Sa paume le maintient fermement tandis que ses phalanges poursuivent un délicieux mouvement de va et vient. Mon ventre se contracte, mon souffle devient subtilement haletant et je n'ai qu'une envie, celle de ressentir cette extase se propager dans tout mon corps. Je ne sais pas pourquoi ni comment mais je veux qu'il continue à me toucher.

Mon cerveau enivré de désir et embrumé de pensées contradictoires parvient bizarrement à refaire surface l'espace de quelques secondes. Je réalise que demain soir, nous sommes jeudi.

-T-très bien... mais demain, je dois partir à 18h. J'ai un rendez-vous.

Je n'ai pas envie de lui raconter que je ne raterais mon cours de danse sous aucun prétexte. Ma réponse ne semble pas lui plaire, vu l'air contrarié que son visage arbore désormais. Son rictus et son air joueur ont disparu pour laisser place à un regard courroucé. Ses traits qui s'étaient détendus ces dernières minutes, dessinent maintenant une expression hargneuse qui déforme sa figure. Il relâche vivement mon bras, comme si ce dernier lui brulait soudainement les doigts. Et moi, je ressens instantanément un manque incommensurable.

-Dans ce cas, je n'aurai pas besoin de vous. Si vous n'êtes pas capable de vous rendre disponible quand cela est nécessaire, je me demande ce que vous faites encore ici.

Son ton est blessant et sa remarque vraiment de mauvaise foi. Depuis que j'ai été embauchée, j'ai enchainé les heures supplémentaires et j'ai travaillé comme une acharnée sans rien demander en retour. Mais maintenant que je lui annonce que je ne pourrai exceptionnellement pas rester tard demain, il me traite comme si je passais mon temps à me tourner les pouces ? C'est totalement injuste. Cependant, si je laisse éclater ma colère, je sais pertinemment que toute tentative de discussion sera avortée. J'inspire pour me calmer et décide une autre approche.

-Je suis disponible tous les soirs sauf le jeudi. Si vous le souhaitez, nous pouvons même commencer maintenant. Dites-moi ce qui vous arrange et je m'adapterai.

-C'est trop tard. Merci de quitter ce bureau.

Ses mots claquent dans l'air telle une épée tranchante qui anéanti ma confiance et mes espoirs. Je prends conscience qu'il ne servirait à rien d'insister alors je lui souhaite une bonne soirée à demi-mot et sors de la pièce. Je me sens profondément mal suite à cet entrevue, Mr Archer a délibérément dénigré mon travail et mon implication uniquement parce que j'ai "osé" lui dire non. Devrais-je lui rappeler que je n'ai aucune obligation de faire des heures supplémentaires ? Je fulmine en regagnant mon bureau et en rassemblant mes affaires. Je prends le dossier bleu et décide de le lui apporter, étant donné qu'il voulait l'étudier à nouveau.

J'avance d'un pas déterminé vers mon patron, ma fierté ayant très envie de se rebeller. Je lui tends le dossier en le fixant dans les yeux. Il reste impassible de très longues secondes et pour la première fois depuis notre rencontre, je ne baisse pas les yeux. Je ne laisserai pas cet homme m'écraser, aussi sexy et envoûtant soit-il. Lorsqu'il prend la chemise cartonnée dans ses mains, je garde la tête haute et me dirige vers la sortie de son antre. Arrivée sur le seuil, je l'entends grommeler un "ok... pour cette fois" entre ses lèvres pincées. Je ne saisis pas tout de suite ce que cette réponse signifie jusqu'à ce que je le voie se diriger vers la table métallique. Il me fait un bref signe de tête pour m'indiquer de prendre place et je soupire silencieusement. Je suis à la fois soulagée et inquiète par la tournure qu'est en train de prendre cette soirée.

Lorsque Mr Archer s'assoit à côté de moi, son parfum emplit mes narines et mon cerveau retrouve son état de dysfonctionnement caractéristique de sa présence. Quand je le sens se rapprocher imperceptiblement de moi, je me fais violence pour rester concentrée. Au moment où son genou se colle au mien, je dois retenir un petit gémissement de plaisir. Mais à l'instant où son bras gauche se pose négligemment sur le dossier de ma chaise, je me laisse emporter dans la bulle qu'il est en train de créer autour de nous. Il emplit mon espace vital. Il remplace mon oxygène par son odeur suave. Il me fait prisonnière de son emprise invisible, comme pendant notre moment suspendu dans l'ascenseur. Et moi, je ne peux m'empêcher de me délecter de ses sensations interdites qui me transportent.

Notre séance de travail improvisée devient rapidement un test pour mon self-control. Je dois contenir mes envies, contrôler les réactions de mon corps qui me trahit un peu plus à chaque minute qui passe et forcer mon esprit à me concentrer sur les mots qui sortent de ses belles lèvres charnues. Mon dieu, que j'ai envie de gouter à ces lèvres ! Je les vois tour à tour s'étirer, prendre la forme de jolis « O » puis se plisser de nouveau et cette torture visuelle devient vite insoutenable. Je suis à deux doigts de lui sauter au cou et de le déguster. Peut-être que si tu franchis cette barrière, ton obsession déplacée cessera ? Stop Candice !

Au moment où je me dispute mentalement avec mes pulsions inconvenantes, je remarque que sa sublime bouche ne bouge plus. Elle m'offre simplement un sourire arrogant. Je pique immédiatement un fard en réalisant que mon patron m'a surprise en flagrant-délit de reluquage et que mon regard rivé sur ses lèvres m'a tout simplement démasqué. La vague de désir qui commençait à me submerger semble peu à peu prendre ses distances et est rapidement remplacée par du stress. Beaucoup de stress. Sans m'en rendre compte, ma lèvre inférieure se coince sous mes dents et je me mordille nerveusement tout en baissant les yeux sur les documents étalés autour de nous. Je dois absolument prendre la parole et dissiper ce malaise. Nous étions en train de parler de notre client, il faut que j'enchaîne. Vite Candice, trouve quelque chose !

Avant que je ne puisse prononcer quoi que ce soit, Mr Archer use de sa voix rauque si ensorcelante pour m'achever.

-Comme je vous le disais avant que vous ne vous perdiez dans vos pensées, je sais d'expérience qu'il ne faut pas l'attaquer frontalement. Il faut d'abord susciter l'intérêt, ne pas brusquer l'approche, laisser l'attrait s'amplifier de lui-même. Et c'est lorsque le désir est à son apogée qu'il est temps de passer à l'offensive.

Il marque une pause, vrille son regard brulant au mien puis rajoute :

-Ne soyez pas trop pressée Candice. La patience est une vertu qui ouvre toutes les portes. Plus longue est la négociation, plus savoureuse sera la victoire.  

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