Chapitre 8
La crème chantilly d'une couleur rosée, douce et légère, ravit aussi bien son estomac que son esprit tandis qu'il observe d'un oeil discret Tamaki se délecter de son propre en-cas, davantage chocolaté que le sien qu'il a préféré choisir fruité. Tandis que morceaux de fraise, framboises et confiture de fruits rouges parsèment sa crêpe, celle du garçon face à lui se constitue de mini-marshmallows, petits dragées, ainsi que de coulis au chocolat noir. Pour l'avoir goûtée, sur proposition de son propriétaire, Shouto peut dire que son goût n'est pas mauvais mais que la sienne n'a tout de même rien à lui envier. Il faut dire que le chocolat ne rentre pas dans le top de ses sucreries préférées : il le trouve trop lourd, s'en lasse rapidement, bien qu'il n'ait rien contre de temps en temps. Quant au plus grand, lorsqu'il l'a invité à goûter la sienne en échange, celui-ci n'a fait qu'esquisser un petit sourire en rétorquant qu'il la trouvait pas mal, opinant lentement en dégustant le morceau présent dans sa bouche, avant de revenir à son propre goûter.
D'ordinaire, lorsqu'il se rend au sein de cet établissement, l'étudiant au visage abîmé est en compagnie d'Izuku et Katsuki - et parfois, d'autres de leurs amis les accompagnent. Il n'a jamais vraiment pris l'initiative de visiter le Crêpe Shop en leur absence. D'ailleurs, c'est également la première fois qu'il y prend quelque chose d'aussi peu...garni. Il a davantage l'habitude de leurs grosses Bubble Waffles dans lesquelles l'on peut mettre bien plus de choses. Seulement, à l'heure qu'il est, prendre l'une de celles-ci signifierait probablement ne pas manger ce soir, ou bien à une heure assez tardive, au vu de la façon qu'elles ont de tenir à l'estomac, de complètement couper même le plus tenace des appétits. A sa connaissance, seule Mina est capable d'avaler l'un de ces monstres et de se plaindre, une heure plus tard, d'avoir de nouveau faim. Tout le contraire de Shouto qui finit généralement très rapidement repu et qui ne ressent le besoin de remplir de nouveau son estomac que plusieurs heures plus tard. Il n'est pas très ami avec la nourriture. Pas au point d'en avoir des troubles du comportement alimentaire. Mais au cours ces années passées à devoir prendre ses repas dans la même pièce que son géniteur, il a appris à vite ingurgiter le contenu de son assiette afin de ne pas avoir à supporter la tension et la crainte inspirée par son imposante présence. Il sait que ce dernier peut s'emporter au moindre mot, au moindre geste déplaisant. Alors il faisait tout pour ne pas avoir à rester dans son périmètre plus que nécessaire. Et c'est certainement la raison pour laquelle l'heure du repas est toujours assez pénible pour lui, même encore aujourd'hui, alors qu'il est finalement libéré de son emprise.
Ugh, pourquoi cet élément perturbateur de son passé lui revient-il en mémoire ? Il secoue la tête, espérant chasser ces souvenirs au fin fond de son esprit et décide de plutôt se concentrer sur Tamaki. Ce dernier a reporté son attention sur sa crêpe, mangeant celle-ci lentement, morceau par morceau. Chaque fois qu'il porte la cuillère à ses lèvres, il décale légèrement, à l'aide de sa main libre, l'une des mèches de cheveux noires tombant négligemment sur les côté de son visage, afin de lui éviter de se retrouver engluée de chocolat. Il aime bien cette coupe désordonnée qu'il n'a pas eu le loisir de contempler la veille. Elle donne des tons délicats, presque 'efféminés' à son visage et renforce cette impression de douceur émanant de lui.
C'est seulement lorsque le plus grand relève les yeux vers lui pour les baisser de nouveau immédiatement en piquant un fard que Shouto prend conscience que cela fait plusieurs minutes qu'il le scrute sans un mot. Il se racle alors la gorge et décide de finalement s'attaquer pour de bon à son en-cas.
« Du coup, tu es aussi à la fac de Lettres, ou tu fais autre chose ? finit-il par demander afin de briser le silence régnant entre eux.
- Mhm, je suis en troisième année de licence, en Anglais. Je pense que je vais continuer sur un master pour devenir traducteur. Je pensais à professeur d'Anglais, de base, mais... Je suis pas assez à l'aise avec les autres pour gérer devant toute une classe... rit-il avec embarras.
- Je comprends. J'ai une amie dans la même licence, en deuxième année. Mais elle réfléchit à arrêter, si j'ai bien suivi.
- Il y en a pas mal qui s'en vont, en première et deuxième année, oui... C'est assez facile de tomber dans le piège et de se dire que ça va être facile si on si connaît un tant soit peu en anglais. Faut s'accrocher, entre la phonétique, la méthodologie, la littérature et tout ce qui va avec. Hum... Et... Et toi, tu fais quoi ?
- Oh, je suis en deuxième année de sociologie. Mais je ne sais pas encore quoi faire, après... » soupire Shouto en se frottant la nuque.
Il n'a qu'une seule certitude : il veut aider les autres. Aider les autres comme il aurait voulu qu'on l'aide, avant que les choses ne dérapent. Mais il ignore dans quoi s'orienter pour y parvenir. A chaque fois qu'il y réfléchit, il a l'impression de faire du surplace et cela se termine généralement en mal de tête insupportable.
« Tu finiras par trouver. Enfin, je l'espère, en tout cas, rétorque l'autre garçon en lui offrant un sourire encourageant.
- Et toi, j'espère que tu réussiras à atteindre ton but. »
Il le remercie d'un hochement de tête avant de retourner à son goûter déjà à moitié dévoré. Shouto décide d'en faire de même, relevant tout de même parfois les iris vers l'autre garçon. Comme il a décidé d'y aller plus lentement que d'ordinaire, il a du mal à savoir comment bien doser la discussion, comment ne pas trop brusquer Tamaki tout en parvenant à flirter avec lui. C'est une première pour lui, et il doit bien avouer que cela lui donne un léger tournis. Peut-être aurait-il dû demander conseil à Touya, ou Izuku. Après tout, avant de se mettre avec Katsuki, ce dernier a passé un certain moment à lui tourner autour... Même si leur situation s'est révélée plus complexe que celle à laquelle il doit faire face actuellement.
« Tu fais quoi, pendant ces vacances ? l'interroge-t-il finalement.
- Je rentre chez mes parents. Je viens pas du coin, alors je suis en résidence étudiante la semaine et, pendant les week-ends et les vacances, je rentre chez moi, à une heure trente de train d'ici.
- Tu veux dire qu'on n'aura pas l'occasion de se voir pendant une semaine ? Oh, que cela risque d'être long...
- Je suis sûr que tu survivras, ma présence n'est pas si géniale que ça ! rit Tamaki, une petite teinte rosée apparaissant au niveau des joues.
- Si elle ne l'était pas, je ne t'aurais pas contacté pour que l'on se voit. »
Se raclant la gorge, l'autre garçon dévie rapidement le regard tandis que la couleur de son visage se fait légèrement plus foncée. Cette vue ne manque pas d'étirer un sourire en coin à Shouto. Il a l'impression de plutôt bien s'en sortir, finalement.
« H-hum, e-et toi, tu as prévu quelque chose ?
- Pas vraiment. Je vais sûrement aider un peu mon frère dans sa boutique, et passer du temps avec mes amis. Peut-être voir ma soeur, aussi.
- Oh. Bah tu vois, tu t'ennuieras pas, m-même si je suis pas là !
- Je n'ai pas dit que j'allais m'ennuyer. Seulement, j'attendrais la fin des vacances avec plus d'impatience que d'ordinaire. »
Sa remarque touche vraisemblablement Tamaki une nouvelle fois puisque celui-ci secoue vivement la tête avant de baisser cette dernière, se mettant à fixer son dernier morceau de crêpe comme s'il s'agissait soudainement de la chose la plus intéressante au monde. Sa timidité le rend d'autant plus adorable que Shouto ne le trouvait déjà. Un rire attendri lui échappe, secouant lentement son buste dans lequel son coeur bat de manière plaisamment rapide. Cela fait longtemps qu'il n'a pas ressenti quelque chose d'aussi agréable pour quelqu'un. Bien que la finalité demeure la même, il sent qu'elle n'est pas la seule à l'animer. Et ce n'est pas pour lui déplaire. S'il peut se retrouver à ressentir ce désir inconnu en plus de véritablement tomber amoureux... Il s'en retrouverait doublement gagnant.
« Toi, par contre, tu ne risques pas de t'ennuyer, seul, chez tes parents ? reprend-il après une petite minute pendant laquelle aucun d'eux ne pipe mot.
- Ah, non, ça ira. Je veux dire, j'ai mes cours à bosser et puis, mon amie Nejire habite dans le même coin. On part ensemble, ce soir. »
Leur rendez-vous se termine après une petite heure passée ensemble. Shouto n'aurait pas été contre rester un peu plus longtemps en compagnie de l'autre garçon, seulement, ce dernier a dû retourner à sa résidence afin de préparer ses affaires pour être à l'heure pour le train. Bien que celle-ci se trouve en direction opposée de là où il vit, et que la froideur humide de fin d'après-midi rend le simple fait de se trouver dehors des plus désagréables, il l'y a bien sûr raccompagné. Ils ont pas mal parlé, au final. De leurs préférences en matière de livres, films, nourriture - d'ailleurs, leurs goûts ne concordent que peu ; tandis que le plus jeune affectionne les histoires tristes, dramatiques, les films d'horreur et les plats salés, Tamaki est davantage attiré par les récits à l'eau de rose et les comédies musicales ainsi que par ce qui est sucré -, de leur enfance où il a appris que celui-ci n'a jamais été du genre à aimer se retrouver beaucoup entouré malgré son amitié de longue date avec Nejire qui, elle, possédait l'objectif de bien s'entendre avec tous leurs camarades au fil des années. Elle serait certainement bonne amie avec Mina. Elles se ressemblent trop pour que tel ne soit pas le cas. Shouto a fait en sorte, en parlant de lui, d'éluder ce qui touche à son géniteur, se contentant de révéler qu'il ne s'entend pas avec celui-ci. Il a dû rassurer le plus grand qui s'est excusé à profusion sans qu'il ne comprenne trop pourquoi lorsqu'il lui a apprit que sa mère n'était plus de ce monde, omettant volontairement les raisons de sa disparition, lui expliquant qu'il se sent bien désormais, depuis qu'il vit sous le même toit que son frère aîné qui se soucie beaucoup de son bien-être, plus qu'il ne le mérite selon lui. Il sait également désormais que Tamaki est aussi bien attiré par les filles, les garçons, ainsi que par les personnes n'étant ni l'un ni l'autre, mais qu'il possède tout de même une petite préférence pour les individus de la gente masculine. Signifiant qu'il a bel et bien sa chance avec lui. Si jamais tel n'avait pas été le cas, eh bien, tant pis, son amitié lui suffit amplement : du peu qu'il l'a pour l'instant fréquenté, ils s'entendent déjà plutôt bien. Si les choses continuent sur cette lancée, peut-être son attirance naissante finira-t-elle par se changer en sentiments purement amoureux.
Passant la porte de l'appartement de son frère, il se fait accueillir par la vue de celui-ci accompagné d'une jeune femme aux cheveux blonds rassemblés en deux buns de chaque côté de sa tête qu'il a déjà vu mais dont le nom lui échappe, ainsi que de Hitoshi, un membre bénévole de l'association LGBTI+ PRISME dont Touya fait également partie. Les deux invités se trouvent sur le canapé du salon sur lequel son frère dort habituellement tandis que ce dernier est face à eux, sur une chaise ramenée de la cuisine, visiblement en pleine réflexion sur un jeu de carte lui étant présenté, côté verso.
« Salut, Shouto ! le hèle la jeune femme en se tournant vers lui, un petit sourire aux lèvres.
- Yo ! le salue à son tour Hitoshi en ne lui lançant qu'un regard et sourire en coin avant de revenir à Touya qui finit par piocher.
- Rha, encore perdu ! s'exclame celui-ci en laissant sa main tomber sur la table basse.
- Salut. » déclare sobrement le plus jeune en étirant ses lèvres à son tour.
Il ne savait pas qu'ils auraient des invités, ce soir. Non pas que cela lui déplaise : il a beau ne pas se rappeler du nom de la fille aux cheveux blonds, elle ne lui évoque pas de souvenir particulièrement déplaisant. De plus, Hitoshi est quelqu'un qu'il apprécie bien, très ouvert d'esprit et à l'écoute. Mais, il doit bien l'avouer : il est davantage d'humeur à rester seul à rêvasser à son petit rencard avec Tamaki plutôt que de passer du temps en compagnie d'autres personnes. Retirant sa veste et déposant son sac, il tente de partir en direction de sa chambre lorsqu'il se fait interpeller par le garçon aux cheveux violacés.
« Ca fait un moment que je t'ai pas vu à l'assoc'.
- Hum... Je n'ai pas trop le temps, ni la tête à ça. J'essayerai de passer à un moment, pendant les vacances.
- Ah ? Tout va bien ? » l'interroge-t-il en haussant un sourcil, probablement soucieux.
A cette question, il voit Touya lever lentement les yeux vers lui comme s'il attendait, lui aussi, une réponse. Comment s'il se posait la même question à son sujet. C'est compréhensible : avec ses préoccupations, son comportement n'est probablement plus tout à fait le même, sans pour autant se montrer suffisamment différent pour éveiller de véritables inquiétudes chez son frère. Il pourrait leur en parler. Le partager à quelqu'un. Mais il n'ose pas. Ignore comment l'amener.
'En fait, j'ai un peu peur que quelque chose n'aille pas avec moi parce que je ressens l'envie de baiser avec personne, peu importe combien j'essaye et que si je m'y risque quand même, ça me rend malade.'
Non, jamais il ne pourrait le dire aussi facilement. Même s'il existe peu de risques qu'ils en viennent à se moquer de lui, il se sentirait bien trop embarrassé, ne parviendrait plus à croiser leurs regards. Il n'a sûrement pas rencontré la bonne personne. C'est sans doute la raison pour laquelle il n'y arrive pas.Il se contente de secouer la tête, la main posée contre la poignée de sa porte.
« Rien de grave, ne t'en fais pas.
- Sûr ?
- Oui.
- Bon... Si tu as besoin, tu sais que tu peux me parler.
- Je sais. Merci, Hitoshi. »
Puis, alors qu'il ouvre la porte de sa chambre, c'est la voix de son frère qui, cette fois-ci, s'adresse à lui.
« Comme Hitoshi et Himiko sont là, je pensais à commander des sushis. Ca te va ? »
Cette nouvelle-ci lui arrache un nouveau sourire, repousse quelque peu ses inquiétudes ayant refait surface pour lui accorder un petit instant de joie tandis qu'il se tourne vers Touya pour acquiescer fermement.
« Absolument ! »
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