Chapitre 7
Elle aimerait pouvoir rester ainsi pour toujours, ne pas avoir à bouger, à se lever pour affronter la dure réalité l'attendant au-dehors. Pourquoi devrait-elle s'exposer à quelque chose d'aussi déplaisant lorsqu'elle peut simplement profiter de la chaleur des bras d'Ochako ? Pourquoi ne peut-elle pas annuler la semaine à venir, ou bien au moins arrêter le temps quelques instants pour retarder le moment fatidique de son départ ? Dans les bras de la fille qu'elle aime, Tsuyu réfléchit à des stratagèmes, tous les plus improbables les uns que les autres, afin de ne pas avoir à retourner chez ses parents en fin d'après-midi. Elle n'y coupera pas, elle en a bien conscience. Elle leur a promis qu'elle serait là, lors de sa semaine de vacances, afin de garder ses deux frères et soeurs pendant leur absence, pendant qu'ils seront partis rendre visite à ses grands-parents maternels qui, il faut le dire, n'habitent pas exactement la porte à côté : dans la préfecture d'Hiroshima, à environ dix heures de voiture d'ici. Et lorsque cela arrive et que Tsuyu ne les y accompagne pas, comme cette fois-là, elle se doit de revêtir son manteau de grande sœur responsable et de s'occuper du reste de la fratrie. Il n'y aura aucun problème de ce côté-là : elle a déjà vécu des semaines similaires et, à chaque fois, tout se passait relativement pour le mieux. Seulement voilà : c'est la première fois, depuis qu'elle a emménagé avec Ochako qu'elles passeront autant de temps éloignées l'une de l'autre. Il leur arrive parfois de ne pas se voir le temps d'un week-end passé chez leurs parents respectifs, mais même dans ce genre de périodes, l'attente avant de se revoir est atrocement longue, presque insupportable. Alors toute une semaine ? Pourtant, Tsuyu aime sa famille. Elle l'aime du fond du cœur. Même si sa mère la couve beaucoup trop, que la cuisine de son père n'est pas franchement la meilleure qu'elle eut goûtée, que le cadet a mauvais caractère et que la benjamine est toujours dans ses pattes. Elle n'a jamais manqué de rien et surtout pas d'affection de leur part. Ils ont même accueilli Ochako à bras ouverts lorsqu'elle leur a présenté, pour la première fois, en tant que sa petite amie. Vraiment, elle ne les échangerait pour rien au monde et, au fond, elle est tout de même heureuse de pouvoir passer quelques jours avec son frère et sa soeur. Mais sans la jolie brune à laquelle elle est actuellement accrochée, bras autour de la nuque, visage enfoui dans son cou, cette tâche lui apparaît presque comme pénible. Émettant un son ressemblant à un grognement mécontent, la jeune femme aux longs cheveux sombres se blottit davantage contre sa partenaire qui, en la voyant ainsi, se met à rire tendrement tout en resserrant sa prise sur elle.
« Allez, c'est qu'une semaine, ça va passer vite ! Et puis, tu pars pas maintenant, de toute façon. »
Elle se demande où Ochako trouve la force pour tenter de la rassurer : après tout, ce n'est pas Tsuyu qui se retrouvera complètement seule au cours de celle-ci. A sa différence, sa petite amie semble bien mieux gérer son absence, trouvant toujours de quoi faire pour se divertir, faire passer le temps. Au cours des vacances, elle cherchera probablement à voir leurs amis, passera peut-être quelques soirées chez certains d'entre eux. Elle commencera un nouveau manga, ou continuera l'un de ceux encore en cours. Elle se plongera un peu dans ses cours afin d'y prendre de l'avance. Et pendant ce temps, elle, sera avec ses frères, ses frères qu'elle aime, comptant néanmoins chaque heure la séparant de leurs retrouvailles.
Peut-être – elle l'espère – que cela se calmera avec le temps. Cela ne fait pas si longtemps qu'elles sont en couple, ou même vivent ensemble. Il doit être normal de ne pas vouloir être loin l'une de l'autre sur une durée trop longue, lorsque l'on commence à peine à se faire à la vie à deux. Mais dans ce cas, pourquoi est-ce que cela n'affecte qu'elle ? Certes, elle n'en est pas au point de se rendre malade, ou de pleurer, loin de là ! Cependant, elle ne peut nier qu'elle envie son amoureuse qui parvient à ne pas s'accrocher à elle telle un rémora. Elle espère ne pas avoir de problème de dépendance affective. Non. Non, sinon, elle aurait moins bien vécu le temps passé pendant lequel elles n'étaient pas encore installées ensemble, pas vrai ?
« Si seulement tu pouvais venir avec moi... soupire Tsuyu en redressant enfin le visage, laissant ses iris rencontrer celles de son amoureuse.
- Rien ne m'en empêche, au fond, rétorque celle-ci tandis que ses phalanges viennent délicatement caresser les longues mèches de la fille se trouvant actuellement sur ses genoux. Si ce n'est le fait que, vu que tu ne me l'as pas demandé, j'osais pas vraiment proposer au risque de paraître envahissante.
- Envahissante ? T'es sûrement la moins envahissante de nous deux !
- T'es en train d'insinuer que tu l'es ? » demande Ochako en roulant des yeux.
Aucune réponse ne franchit ses lèvres, elle se contente de détourner le regard quelques instants. Oui, elle l'est. Mais le déclarer à haute voix risque de les amener sur une discussion qu'elle ne souhaite pas avoir. Pas pour le moment, en tout cas. Elle ne se sent pas prête à parler de ces insécurités étant apparues en elle sans qu'elle ne s'en rende compte, de ces questions assaillant parfois son esprit quant à ce besoin d'affection constant de la part de la brune. Elle sait qu'elle n'y coupera pas. Qu'elle devra lui en faire part avant que ce poison ne devienne trop corrosif, au point d'en affecter leur relation. Mais maintenant n'est pas le bon moment.
« Tu sais, ça me ferait plaisir de passer la semaine avec toi, et de revoir Samidare et Satsuki.
- Tu te sens vraiment d'attaque pour passer une semaine entière avec eux ?
- Pourquoi pas ? Ils sont tous les deux adorables ! Bon, pas autant que leur grande sœur, il est vrai. » déclare la brune dans un large sourire.
Un nouveau grognement échappe à Tsuyu, cette fois plus embarrassé. Elle revient camoufler son visage dans l'épaule de sa petite amie, marmonnant d'incompréhensibles protestations, avant de revenir au sujet sur lequel les deux débattent actuellement.
« Mh... Et le boulot ? Ca risque pas de poser problème ?
- Je bosse en fin d'après-midi, c'est tout. Après ça, j'ai une semaine tranquille. Vu qu'ils ont moins de clients en période de vacances universitaires, ils ont pas besoin de moi. Du coup, si tu veux, quand j'ai fini, je rentre et on peut prendre le bus toutes les deux pour aller chez tes parents ? »
Une pointe d'hésitation fait son apparition dans les yeux de sa petite amie. L'idée est assurément tentante mais... Passer sa semaine de congés à garder son frère et sa soeur avec elle ? Ils ont beau – généralement – se montrer adorables et adorer Ochako, il faut bien avouer que s'occuper d'eux ne relève pas de l'activité la plus reposante qui soit. Se mordillant la lèvre, elle baisse un instant le regard. Mais si sa partenaire dit se sentir d'attaque quant à cette tâche, et que cela ne la dérange pas... Elle ne possède pas vraiment de raison de refuser. Au contraire, la perspective de ne finalement pas se retrouver séparées insuffle en Tsuyu un certain soulagement, un soudain sentiment de bien-être. Esquissant un fin sourire, elle finit alors par opiner et fait glisser ses mains jusqu'aux joues rebondies de son amoureuse, laissant ses pouces se mettre à caresser celles-ci dans un mouvement circulaire.
« Il faut juste que je prévienne mes parents, alors. Et que tu prépares ton sac.
- Mhm ! Je vais m'en occuper de suite ! »
Malgré ces dires, les deux filles ne bougent pas. Elles restent ainsi, face à face, se scrutant amoureusement. Les phalanges de celle se trouvant au-dessus poursuivent ainsi leur ronde, jusqu'à ce qu'elle ne décide de se pencher un peu plus vers celle qui lui est si chère afin de déposer sur ses lèvres un doux baiser lui étant tout de suite rendu. Elle aime cette jolie brune aux formes arrondies, au visage exprimant toujours un certain optimisme, aux iris légèrement plus claires que les siennes. Elle aime sa joie de vivre, son entrain, son calme olympien, cette douce voix qu'elle ressent toujours comme une caresse. La seule chose qu'elle n'apprécie que peu, c'est cette façon de toujours vouloir se tuer à la tâche, porter l'entièreté des responsabilités du monde sur ses épaules, quitte à oublier son propre bien-être. Tsuyu est même plutôt étonné qu'elle n'ait pas à aller travailler pendant leur semaine de congés. Non pas qu'elle s'en plaigne.
Lentement, elles finissent par laisser leurs lèvres se séparer, s'étirer dans un petit sourire. Leurs nez se frôlent, leurs fronts viennent à la rencontre l'un de l'autre et leurs souffles tièdes s'entremêlent.
« Je t'aime, susurre Ochako en venant replacer l'une des mèches de sa petite amie derrière son oreille.
- Je t'aime aussi. » répond l'intéressée, fermant les paupières, désirant rester ainsi encore un instant.
Elle doit bien l'avouer, même si leur éloignement de plusieurs jours n'est probablement plus d'actualité, peut-être qu'arrêter temporairement le temps ne serait pas une si mauvaise chose, si cela lui permet de demeurer autant qu'elle le souhaite bien au chaud dans les bras de son aimée.
En échangeant son numéro avec un garçon rencontré en soirée dans l'optique de rester en contact, il ne s'attendait tout de même pas à recevoir une invitation de celui-ci le lendemain même. Lorsqu'il a lu ce message l'attendant au réveil, Tamaki s'est subitement redressé du canapé-lit dans lequel il s'était endormi, perturbant au passage le sommeil de sa meilleure amie ne parvenant alors plus à s'accrocher à lui. Il s'est immobilisé tandis qu'elle gargouillait, se retournant afin de retrouver une position confortable, puis a soufflé de soulagement en constatant que cela ne l'avait pas réveillée. Après cela, il ne lui a pas fallu bien longtemps avant d'accepter de revoir ce garçon : il ne possédait pas vraiment de raison de refuser, et puis il n'était pas forcément contre le fait de le revoir. Sa compagnie de la veille avait été agréable, après tout. De ce fait, après avoir emprunté la douche de Nejire et être rapidement retourné dans la chambre de sa résidence universitaire pour se changer, il a finalement répondu au message, faisant part à Shouto de son enthousiasme quant au fait de passer la fin d'après-midi avec lui, malgré la nervosité pointant le bout de son nez à cette perspective. Tamaki n'est pas doué avec les gens. Il est même étonné que le courant soit, semble-t-il, bien passé avec son interlocuteur. Lui qui se place généralement à l'écart, n'incitant pas la moindre personne à tenter de lui adresser la parole, il est surprenant de constater que c'est cette introversion qui a attiré l'autre jeune homme à lui. Il espère simplement qu'elle ne finira pas par l'éloigner, le faire se désintéresser. Certes, il lui a, lui aussi, fait part de son propre amour pour le calme et la solitude. Seulement, celui-ci n'atteint probablement pas les mêmes niveaux que le sien, couplé au fait qu'il a, dans tous les cas, beaucoup de mal à s'intégrer aux autres.
Actuellement devant le portail principal de l'université où il se sont donnés rendez-vous, l'étudiant attend patiemment que le garçon de la veille fasse son apparition. Traits tendus, mâchoire serrée, il appréhende son arrivée. Et si cela ne se passait pas aussi bien qu'il ne l'espère ? Et s'il le trouvait habillé bizarrement ? Et s'il finissait même par ne pas venir, que cette invitation s'avérait n'être qu'une blague, un piège tendu à Tamaki pour le punir de sa naïveté ?
Il inspire longuement. Expire. Si Nejire le voyait ainsi, elle lui tirerait certainement les joues, lui dirait de ne pas perdre le peu de confiance qu'il a réussi à péniblement assembler en lui au cours des années. Car si, maintenant, il se sent quelque peu angoissé, quelques années plus tôt, il n'aurait même pas trouvé le courage d'envoyer un message à Shouto avant de s'endormir. Bien que la fatigue l'y ait certainement aidé. Il doit continuer à combattre ce manque d'estime de soi. Vaincre sa timidité, sa crainte des autres. Cela ne signifie bien sûr pas que son objectif est de devenir aussi extraverti que sa meilleure amie. Non, il aimerait simplement ne pas avoir à paniquer, par exemple, en l'attente de son...date ?
Est-ce que c'est un date ?
Il secoue la tête. Avoir ce genre d'interrogation ne fera qu'augmenter son appréhension. Il va passer un peu de temps en compagnie d'une personne qu'il a rencontré la veille, possiblement dans la perspective de mieux la connaître et inversement. Ni plus, ni moins.
Est-ce que j'aimerais que ce soit un date ?
La question se heurte à lui sans qu'il ne s'y attende. Certes, de ce qu'il a pu constater la veille, dans l'espace mal éclairé dans lequel il se sont rencontrés, Shouto est plutôt joli garçon. Et puis, il a été si...gentil, compréhensif avec lui, quant à sa non-volonté de se mêler aux autres...
Il inspire et expire de nouveau et s'apprête vérifier l'heure – est-il arrivé trop tôt ? Trop tard ? – lorsque quelqu'un finit par attirer son attention en le saluant, s'approchant de lui, sa main faisant de petits gestes à son égard.
« Tamaki ! Désolé, je suis un peu en retard !
- Mhm, pas de souci. » se contente-t-il de répondre.
Ils arrivent à la hauteur l'un de l'autre... Et le plus grand ne peut empêcher ses iris de balayer le visage de Shouto - aussi beau qu'il s'en souvienne, soit dit en passant - sur lequel s'étend une grosse cicatrice, couvrant un bon quart de celui-ci. Dans la pénombre du bar-discothèque, il avait remarqué qu'une parcelle de sa peau semblait plus sombre que les autres mais, mettant celui sur le compte de l'obscurité ainsi que des lumières colorées dansant autour d'eux, ne s'y était pas forcément attardé. Maintenant qu'ils baignent tous deux dans la lumière du jour, il peut voir les alentours abîmés de son œil se colorant d'un rose-bruni, vraisemblablement le résultat d'une grave brûlure passée.
« ... Pas très joli, hein ? se met à rire nerveusement le propriétaire de cette cicatrice, tournant la tête de sorte à ce que seul son profil épargné ne soit visible à l'œil de Tamaki.
- Je... Désolé ! J'y ai pas vraiment fait attention hier, donc ça m'a un peu surpris, c'est tout !
- C'est rien, ne t'excuse pas. J'ai l'habitude qu'on la fixe. » répond-il en esquissant un sourire dénué de joie.
Cela fait à peine deux minutes qu'ils sont ensemble et il a déjà réussi à mettre l'autre garçon mal à l'aise. Coupable, il se mordille la lèvre, espérant que ce n'est pas l'entièreté de leur sortie qui s'en retrouvera perturbé et qu'il parviendra à se faire pardonner son toisage. Une désagréable sensation se répand contre ses joues et une soudaine bouffée de chaleur s'empare de lui. Les conséquences de son embarras. Que doit-il dire dans une telle situation ? Que doit-il faire ? S'excuser de nouveau ? Changer de sujet, comme si de rien n'était ? Il l'ignore. Cette cicatrice ne change absolument pas le fait qu'il trouve le garçon face à lui très agréable à regarder. Mais jamais il ne trouvera le courage de déclarer une chose pareille, surtout considérant le fait qu'il ne s'agit que de la deuxième fois qu'ils se voient.
Heureusement, avant qu'un silence gênant ne s'installe entre eux, Shouto secoue la tête avant de lui refaire face, semblant retrouver, en un éclair, une expression enjouée.
« Bon, où est-ce qu'on va ? Je t'avouerai qu'avec la température actuelle, je ne serais pas contre le fait d'aller se poser quelque part.
- Hum... On peut... On peut aller dans le quartier de la gare, au Crêpe Shop ? propose timidement Tamaki.
- Le Crêpe Shop... Pourquoi pas, oui. C'est vrai que ça fait un moment que je n'y suis plus allé. »
Acquiesçant, le plus petit fait volte-face avant de lancer par-dessus son épaule un regard empli de douceur et de gentillesse à l'autre étudiant dont le précédent embarras se change, suite à cela, en quelque chose qu'il ne parvient pas à bien identifier.
Quelque chose qui, malgré tout, se fait ressentir de manière bien plus agréable.
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