Chapitre 4
La musique est forte. Les personnes présentes autour de lui sont bruyantes, obligées de hausser la voix pour se faire entendre par-dessus les basses mal-réglées sortant des hauts parleurs. Cela lui en donnerait presque mal au crâne. Il n'a aucun mal à comprendre pourquoi son petit ami n'aime pas ce genre d'ambiance et regrette presque de ne pas être resté avec lui, en cette soirée. Katsuki va certainement se hâter de finir son verre puis de rentrer chez lui pour y retrouver le calme, au creux des bras d'Izuku. Ce n'est même pas comme s'il avait quelqu'un à qui parler : ses amis sont éparpillés dans les quatre coins de la salle, occupés à boire, discuter et danser tandis que lui est assis au niveau du comptoir, pas vraiment enclin à aller socialiser avec des inconnus, ni à se faire bousculer sur la petite piste de danse. Venir le dernier jeudi avant les vacances d'hiver n'était peut-être pas une si bonne idée, puisque tout le monde semble déterminé à vivre une dernière fête étudiante avant cette interminable pause d'une semaine. Il porte son verre à ses lèvres et laisse le breuvage alcoolisé couler le long de sa langue, de son œsophage, réchauffant l'intérieur de son corps comme s'il faisait s'allumer une petite traînée enflammée sur son passage. C'est une sensation agréable, surtout dans une période aussi fraîche que celle-ci. Pour autant, il n'aime pas l'effet désinhibant que peuvent avoir ces boissons sur son cerveau, ni l'après-coup que l'on peut ressentir après en avoir abusé. C'est pourquoi il s'en tient généralement à un verre ou deux, sauf occasions exceptionnel où il s'autorise de petits débordements.
D'une légère poussée, il fait tourner le tabouret sur lequel il se trouve pour chercher ses compagnons du regard. Shouto est en train de converser avec un autre garçon qu'il n'a jamais vu auparavant. Ce dernier est adossé contre un mur et ne semble pas des plus à l'aise avec l'ambiance environnante malgré l'expression apaisante du meilleur ami d'Izuku. Cet air peu assuré lui rappelle celui qu'arborait son amoureux la première et dernière fois qu'il l'a accompagné dans ce genre de soirée.
Mina et Ochako, de leur côté, se trouvent sur la piste de danse bondée, bougeant au rythme de la musique sans se soucier du reste. Elles ne s'éloignent pas l'une de l'autre et s'amusent même parfois à se faire tournoyer à la manière d'une valse. Cela finit par attirer l'attention d'une autre fille qui décide d'attraper la main de la colocataire d'Eijirou lorsque celle-ci la tend à son amie brunette, tournant alors à sa place et se joignant ainsi à elles de la manière la plus naturelle du monde, sans qu'elles n'y trouvent quoi que ce soit à protester. Au contraire, cela a l'air de les ravir bien plus qu'autre chose. Denki, le troisième colocataire au sein de l'appartement habité par Mina et Eijirou, ne se trouve pas bien loin d'elles, dansant lui aussi mais avec bien moins de grâce que ses amies.
Finalement, Tsuyu et Eijirou sont un peu plus loin, attablés tous deux, discutant apparemment avec du mal à cause du volume de la musique, chacun un verre à la main. La première jette parfois de petits coups d'œil à la piste, probablement pour s'assurer que tout se passe bien pour sa petite amie. Chaque fois que leurs regards se croisent, une expression tendre lui traverse d'ailleurs le visage, témoignant de l'affection qu'elle peut lui porter. Le second, lui, dos à Katsuki, fait de même, tournant généralement la tête en même temps que Tsuyu. Il semble hésiter à aller rejoindre Mina, mais ne s'exécute cependant pas, demeurant en compagnie de son interlocutrice, certainement pour ne pas la laisser seule. Celle-ci finit d'ailleurs par remarquer Katsuki et se met à faire de petits gestes en sa direction comme pour l'inciter à les rejoindre. Les lèvres du blond se pincent et il ne peut s'empêcher d'esquisser une grimace tandis qu'il se lève pour obtempérer. C'est certainement mieux que de rester dans son coin, mais il n'a pas envie que le fait de se mêler à leur discussion le pousse à s'éterniser ici. Cela ne devrait pas arriver ; s'il veut partir, il partira. Mais sait-on jamais. Il prend donc place sur un fauteuil libre autour de la table occupée par ses deux amis et pose sa boisson vide de moitié sur celle-ci.
« Fallait pas te forcer à venir, si tu voulais pas... lui fait remarquer Eijirou en voyant son air renfrogné.
- Bah, c'est sûr que rester dans son coin, dans ce genre d'ambiance, c'est pas ce qu'il y a de mieux... réplique Tsuyu.
- Pff, j'ai hésité en plus... grogne le blondin. J'sais pas pourquoi j'ai fini par me dire que ce serait peut-être pas une mauvaise idée : c'en était clairement une.
- Après, c'est pas l'endroit qu'on fréquente d'habitude. Je sais pas pourquoi Mina a absolument tenu à venir ici, ce soir.
- Paraît que c'est Denki qui lui a proposé. Tu parles d'une arnaque. Ok, les boissons sont un peu moins chères, mais ils pourraient au moins apprendre à régler leurs amplis. En plus, c'est bondé, c'est insupportable. » rétorque Katsuki.
Son meilleur ami ne peut s'empêcher un petit sourire en coin, amusé par ces plaintes constantes, même s'il se doit bien d'avouer qu'il n'a pas tort sur certains points, notamment celui de la musique mal gérée. Et sur le fait qu'il y a peut-être, effectivement, un peu trop de monde présent. Cependant, si l'on fait abstraction de cela, l'atmosphère n'est pas si mauvaise. Cela dépend de ce que l'on attend d'un endroit comme celui-ci, certainement. Pour quelqu'un comme lui, aimant se déhancher avec du son plein les oreilles et être entouré au point de s'en retrouver collé-serré, c'est assez plaisant, même s'il n'a pas encore tenté de se rendre sur la piste. En tout cas, Mina et Denki semblent dans leur élément. Ce dernier est le plus fêtard de leur groupe d'amis. Il s'empare toujours de la moindre occasion pour s'amuser, au détriment même de ses études. Tout le monde est d'accord pour affirmer qu'il représente la personnification même de l'expression « On ne vit qu'une fois » : spontané, vivant au jour le jour sans forcément se préoccuper de quoi demain sera fait et peut-être même parfois quelque peu irréfléchi. Parfois un peu agaçant, il s'entend pourtant plutôt bien avec les autres membres de leur groupe d'amis, à l'exception de Shouto, qui garde quelques distances par rapport à lui : non pas qu'il ne l'apprécie pas mais leurs centres d'intérêts sont bien trop éloignés pour qu'une véritable amitié voit le jour entre eux. Il n'existe qu'une seule chose qu'ils aient en commun : la façon que tous deux ont d'enchaîner les conquêtes.
« Bon. »
Le claquement d'un verre vide retentit sur la table alors que Katsuki reprend la parole, étirant longuement ses bras au-dessus de lui.
« Je pense que je vais y aller moi, hein.
- Déjà ? Ca fait même pas une heure qu'on est là ! déclare la fille aux cheveux sombres.
- Et c'est déjà trop. Et puis au moins, comme ça, je ressemblerai pas à un mort-vivant demain matin, en cours.
- Mmh, d'accord... J'espère que ce sera mieux la prochaine fois, alors, acquiesce-t-elle. Dis bonjour à Izuku pour moi.
- Et pour moi aussi, ajoute Eijirou.
- Vous vous êtes vus tout à l'heure, réplique le blond dans un roulement d'yeux. Mais ok, ok, j'lui dirai. »
Sur ces mots, Katsuki fait volte-face en adressant à ses amis un signe de la main. Puis, avant de se diriger vers la sortie, il va rapidement signifier son départ à Shouto qui acquiesce et le salue, le regardant s'éloigner et disparaître derrière un petit groupe de personnes se chamaillant gentiment. De toute façon, avec l'atmosphère présente au sein de ce bar-discothèque, il s'est douté que Katsuki ne resterait pas. Lui-même n'en est pas très fan, à vrai dire. Il est plutôt du genre à aimer se poser et discuter, lorsqu'il sort avec ses amis, n'étant pas très à l'aise sur une piste regroupant autant de monde. En arrivant, lui aussi pensait ne pas s'éterniser. Et puis, lorsque ses yeux se sont posés sur cet inconnu adossé seul à un mur, visiblement loin de son élément, il s'est dit qu'aller parler un peu avec lui pourrait s'avérer plaisant. Il faut dire que quelque chose en lui l'a attiré, sans qu'il ne puisse trop décrire quoi exactement. Peut-être son air quelque peu perdu, couplé à la finesse des traits de son visage ? La douceur présente au sein de ses yeux d'obsidienne, ou le petit sourire timide ayant étiré ses lèvres lorsqu'il l'a abordé ? Malgré sa taille qui doit avoisiner le mètre quatre-vingt-dix, il ne semble pas en mesure de faire le moindre mal à une mouche. Apparemment, il accompagne une amie qui ne désirait pas sortir seule. Il n'est généralement pas le type à participer à ce genre de soirées – un peu comme Izuku, finalement – mais a décidé de prendre sur lui pour aujourd'hui. Et, pour être honnête, Shouto voit très bien son meilleur ami faire le même genre de concession, si Ochako venait à lui demander. Pourtant, le garçon face à lui a l'air bien plus renfermé que le tacheté. Avant qu'il ne vienne vers lui, c'était comme s'il se trouvait à l'intérieur d'une petite bulle, priant pour que personne ne le remarque, comme s'il espérait devenir invisible. C'est pourquoi il s'est approché avec précaution, attendant un signe de sa part lui disant qu'il pouvait entamer une conversation. S'il l'avait vu se recroqueviller davantage, il l'aurait bien entendu laissé tranquille.
« Je vois que je ne suis pas le seul à être pressé de partir... a-t-il rit de manière presque maussade lorsque Katsuki est venu prévenir de son départ.
- Ton amie n'avait personne d'autre pour l'accompagner ?
- Je sais pas... D'un côté, elle sait que je préfère mille fois rester chez moi plutôt que de me mêler à autant de gens... Mais de l'autre, elle me pousse toujours à 'socialiser'. Elle est assez...extravertie et elle ne comprend pas qu'on puisse ne pas vouloir voir de monde... Je sais qu'elle ne pense pas à mal, mais... C'est compliqué, parfois.
- Mhm, je comprends. Je suis assez introverti moi-même, même si je n'ai rien contre le fait de sortir de temps en temps.
- Moi non plus, mais... Elle peut pas s'empêcher de s'inquiéter pour moi, même quand il n'y a pas de raison. Elle a du mal à comprendre que quand on veut de la compagnie, on vient en chercher. Après, par exemple, ça ne me dérange pas qu'on vienne me parler, surtout si mon interlocuteur est un ami. Mais j'ai quand même besoin de ma solitude. C'est avec elle que je me recharge. Au contraire, la présence des autres a tendance à me fatiguer rapidement... Voire à m'angoisser.
- J'ai une amie qui est un peu pareille. Elle cherche toujours à embarquer le plus de monde possible dans ses sorties, et elle sait se montrer...plutôt insistante en cas de refus. Personnellement, ce n'est pas tant que j'angoisse, c'est juste... De la fatigue, comme tu dis.
- Enfin quelqu'un qui me comprend dans ce monde d'extravertis ! » glousse gentiment l'inconnu.
Il ne pensait pas avoir droit à une telle discussion dans un endroit pareil. Cela l'amuse, dans un sens. Mais la voix calme et posée de son interlocuteur fait qu'il se fiche pas mal du sujet abordé, il a la sensation que ce sera toujours un plaisir de l'écouter. D'ailleurs, maintenant qu'il y fait attention, lui et cette autre personne sont très proches, physiquement, pour s'éviter de crier. Raison pour laquelle il arrive à peu près à le comprendre malgré la douceur de son timbre. L'inconnu est penché vers lui, son corps frôlant presque le sien et en réalisant ce fait, le garçon au visage abîmé ne peut s'empêcher de déglutir. Pour tout dire, il a l'impression que cette personne rencontrée une vingtaine de minutes plus tôt ne le rend pas indifférent. Sa peau semblable à celle d'une poupée de porcelaine, la gentillesse émanant de lui, la profondeur de ses iris...
Pourquoi ressent-il une telle chose à l'égard de quelqu'un qu'il ne connaît même pas ? Certes, il ne le nie pas, son intention était bel et bien de flirter avec lui s'il s'y montrait ouvert... Mais il avoue qu'il s'agit de quelque chose de totalement nouveau, pour lui, de ressentir une telle chaleur, un tel sentiment de tendresse envers un potentiel flirt. Ceux-ci ne le laissent jamais indifférent. Cependant, cette fois-ci, la sensation n'est pas la même. Il est, bien sûr, trop tôt pour parler d'amour, surtout qu'il pourrait simplement se retrouver subjugué par l'atmosphère de ce lieu. De plus, il n'est même pas sûr de le revoir un jour. Mais s'ils gardaient contact et que ses émotions évoluaient en ce sens ? Et s'il finissait enfin par ressentir une attirance sexuelle envers quelqu'un – en l'occurrence ce garçon ?
Il est trop tôt pour y penser. Bien trop tôt. Il ne sait même pas comment il s'appelle, inutile de s'affoler à cause d'une simple attirance. Cela arrive, pas vrai ?
Mais, et si jamais... ?
Lui qui est plutôt du genre à se précipiter afin de rapidement finir dans le lit de ceux captant son regard pour pouvoir passer à autre chose en cas de nouvel échec, cette fois-ci, il a envie de prendre son temps. De cultiver cette sensation, voir où elle le mènera.
« Tiens, j'y pense, reprend Shouto. Je ne t'ai même pas encore demandé ton nom.
- Ah, effectivement. C'est Tamaki. Et toi ?
- Shouto. Ca te dit qu'on échange nos numéros ? Je te trouve pas mal sympathique alors... On pourrait rester en contact, si ça ne te dérange pas.
- Oh, euh... Ma foi, pourquoi pas, oui. »
Un nouveau sourire de sa part et le bicolore doit se retenir de ne pas afficher un air béat face à combien il le trouve adorable tandis qu'il plonge la main dans la poche de son pantalon pour en sortir son téléphone, prêt à enregistrer Tamaki dans son répertoire.
Il espère le revoir. Passer du temps avec lui.
Et confirmer la teneur de cette attirance nouvelle.
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