Chapitre 12
Cinq minutes. Cela fait cinq longues minutes que les prunelles vairons de Shouto sont fixées sur l'écran de son téléphone, survolant encore et encore sa dernière conversation par messages avec le garçon vivant depuis maintenant une bonne semaine dans ses pensées. Il ne le connaît pas plus que cela, l'a vu deux fois, n'échange jamais très longtemps avec lui... Pourtant, il ne peut s'empêcher de penser à lui, de se demander à quelle occasion il pourra le revoir. Il ne se souvient pas avoir déjà possédé des sentiments aussi compliqués à l'égard de qui que ce soit, malgré ses nombreuses 'conquêtes'. Est-ce parce qu'il ne s'est pas précipité dans ses bras, comme il le ferait d'ordinaire et que, par conséquent, il ne ressent pas encore ce dégoût lui prendre aux tripes ? Est-ce que, s'il venait à s'offrir à Tamaki, il cesserait de penser à lui de manière aussi...expectative ? Quelles expectations, au juste ? Doit-il continuer de nourrir cette attente ? Est-ce la clé pour se débarrasser de la nausée le gagnant à chaque union charnelle ?
C'est insupportable. Ces incessantes réflexions sont insupportables. Pourquoi les autres ne semblent-ils pas en proie à de similaires problématiques ? Est-il le seul à se sentir de la sorte ? Il secoue la tête, tentant de chasser ces interrogations de son esprit, avant de verrouiller son téléphone et de le poser sur le comptoir face à lui, le retournant pour ne pas se retrouver tenté de vérifier toutes les cinq minutes si l'autre garçon a cherché ou non à le contacter. Ils sont en vacances et Tamaki est retourné, pour cette occasion, dans sa ville natale. Il serait normal qu'il ne soit pas en train de penser à Shouto comme ce dernier est en train de le faire. Il doit être occupé, avoir des choses à faire, contrairement à lui. Le bicolore se penche en arrière, laissant son dos rencontrer le dossier de la chaise haute sur laquelle il est assis. Son ouïe se concentre sur le bourdonnement résonnant dans la pièce derrière lui, provenant de l'aiguille qu'utilise son frère afin d'encrer la peau de sa cliente actuelle. Il perçoit leur voix, étouffée par le son de l'instrument, mais ne saisit pas ce qu'ils peuvent se raconter. Non pas que cela l'intéresse particulièrement. Seulement, pour le moment, il s'ennuie ferme. S'il est ici, c'est pour renseigner les clients et prendre les rendez-vous pendant que Touya travaille. D'ordinaire, il s'en charge lui-même mais le plus jeune lui a proposé son aide le temps des vacances, puisqu'il n'a rien de mieux à faire. L'aîné a rapidement accepté, disant qu'il serait, en effet, plus pratique pour lui de pouvoir se concentrer sur ses dessins sans avoir à s'arrêter dès que quelqu'un franchirait la porte. Il a cependant annoncé à Shouto qu'il n'aurait pas à venir tous les jours, qu'il pouvait tout de même se débrouiller puisque c'est ce qu'il fait depuis qu'il est parvenu à ouvrir sa boutique. Et le benjamin comprend, en se trouvant ici, que le plus vieux n'aurait certainement même pas eu besoin de lui : ce n'est pas comme si les clients affluaient. Certes, la salle arrière est toujours occupée, mais le nombre de personnes ne venant que pour des renseignements ou un rendez-vous ne dépasse jamais les quatre ou cinq de l'heure. Touya a simplement dû accepter pour ne pas laisser son jeune frère seul à l'appartement. Il sait que dans ce cas-là, à moins de voir ses amis, Shouto serait resté dans sa chambre toute la journée, à ruminer chaque pensée lui traversant le crâne. Il a beau ne pas être au courant quant aux préoccupations du bicolore, il semble au moins avoir deviné que quelque chose le travaille.
La porte d'entrée de la boutique finit par s'ouvrir, laissant rentrer un petit courant d'air ne manquant pas de faire frémir le secrétaire temporaire. Il lève les yeux vers celle-ci...et ne peut retenir un petit sourire lorsqu'il voit les personnes pénétrer dans l'enceinte de celle-ci. Rien à voir avec un sourire commercial que l'on offrirait à n'importe quel client : non, il est véritablement heureux d'avoir la visite d'Izuku et Katsuki, bien qu'il se demande ce qu'ils peuvent faire ici, en cette fin d'après-midi. Ni l'un, ni l'autre ne l'a prévenu, celle-ci est donc plutôt inattendue.
« Bienvenue, les accueille-t-il.
- Salut, Shouto !
- Je ne m'attendais pas à vous voir ici. Vous passiez dans le coin ?
- On peut dire ça. »
Ils arrivent à la hauteur du comptoir tandis que le bicolore se penche cette fois-ci en avant, croisant ses bras sur la table face à lui et offrant toute son attention à ses amis.
« En fait, on revenait de chez ma mère et Kacchan a exprimé l'envie de venir.
- Katsuki ? demande Shouto dans un haussement de sourcil, jetant un oeil à l'intéressé. Je suis touché que tu aies eu soudainement envie de me voir.
- Nan, c'est pas pour ta tronche qu'on est là, désolé, nie le blond dans un sourire amusé.
- Vraiment ? Oh. Je peux sentir mon coeur se déchirer en lambeaux, rétorque-t-il d'un ton des plus neutres avant de rire avec légèreté. L'un de vous veut se faire tatouer ?
- Yep ! » acquiesce Izuku en se tournant vers son petit ami.
C'est assez étonnant. Bien sûr, Katsuki a totalement la tête de quelqu'un qui finirait un jour ou l'autre avec un tatouage. C'est pile le genre de stéréotype qu'il renvoit. Mais il se demande bien quel genre de projet le blond peut avoir en tête. Un logo ? Une phrase ? Quelque chose de plus abstrait ?
« En fait, j'y réfléchissais y'a quelques mois. Mais comme j'arrivais pas vraiment à me décider, je me suis dit que j'y reviendrais plus tard, explique-t-il. Et au final, j'pense que j'aimerais me faire tatouer Memento Mori sur le bras. Avec, genre, un sablier qui s'écoule entre Memento et Mori.
- Mmh... »
Memento Mori.
Autrement dit ; Souviens-toi que tu vas mourir.
Tandis qu'il explique son idée, Shouto la note sur un mémo. C'est le mieux qu'il puisse faire : il n'est après tout pas habilité à lui faire un croquis, là, maintenant. Il ne possède pas les compétences requises et le résultat serait décevant par rapport à ce que peut produire son frère.
« Memento Mori, hein... marmonne-t-il. C'est...sombre. Je m'attendais pas à ça. La psycho t'est finalement montée à la tête ?
- Ouais et mon prochain projet, c'est de me faire tatouer un portrait de Freud. »
Cette déclaration, bien que dégoulinant de sarcasme, le fait s'arrêter un instant. Il relève la tête vers son ami aux cheveux cendrés, sourcils haussés, et croise son regard moqueur. A ses côtés, Izuku glousse discrètement, une main devant la bouche.
« Le jour où tu te décides à faire ça, s'il te plaît, préviens-moi que je puisse prétendre ne jamais avoir eu vent de ton existence, déclare Shouto.
- Compréhensible. Nan, en vrai, je suis un genre de...série sur YouTube en ce moment. Et son thème c'est, entre autre, d'accepter que notre temps est limité et en profiter pour faire les choses qu'on a envie de faire avant qu'il soit trop tard. Et le...le slogan ? de cette série, c'est justement Memento Mori. Et comme elle m'accroche pas mal, j'ai envie de me le graver quelque part. »
Une série sur YouTube, hein. Il n'a jamais entendu parlé d'un concept se reposant sur le temps nous étant accordé sur la plateforme regroupant centaine de millions de vidéos, mais il suppose que tout est possible. Dire que Katsuki le qualifiait d'emo au lycée, et maintenant il regarde des choses pareilles... Il aurait presque envie de lui demander si tout va bien et s'il veut en parler. Mais Izuku veille certainement au grain, de ce côté-là. Inutile de s'en faire.
« D'accord. C'est noté, en tout cas. J'en parlerai à mon frère et il t'enverra certainement un croquis sur Facebook d'ici quelques temps. S'il te convient, tu pourras prendre rendez-vous. Ca te va ?
- Ouais, c'est nickel.
- Dommage, le temps que ça se fasse, on aura repris les cours et je ne serai plus autant à la boutique. Moi qui me demandais à quoi tu ressemblerais, grimaçant de douleur avec l'aiguille te charcutant la peau.
- Ca...ça fait si mal que ça ? s'enquit Izuku.
- Mais nan, 'paraît que ça picote juste, rien d'intenable, rétorque Katsuki.
- Ca dépend de l'endroit où ça se fait, et de ta tolérance à la douleur. », explique Shouto dans un haussement d'épaule.
Connaissant le blond, même si la sienne s'avérait faible, il s'efforcerait de ne rien laisser transparaître. Son petit ami, bien qu'il ne soit pas celui demandant à se faire encrer la peau, déglutit et réprime un petit frisson. Lui aussi voudrait se faire tatouer un jour. Pas maintenant, cela dit. Il veut attendre de s'être fait retirer la poitrine. Il a alors dans l'idée de recouvrir les cicatrices de l'opération à l'aide de lianes en fleur, ou quelque chose dans ce style. Cependant, contrairement à Katsuki, il supporte mal la douleur et peut se mettre à pleurer très facilement si celle-ci se montre trop intense à son goût. Alors, imaginer une aiguille courir le long de sa peau cicatrisée... Cela ne doit pas être une sensation des plus agréables.
Tandis que son amoureux ainsi que son meilleur ami discutent entre eux, entre autre de la série évoquée plus tôt, la porte derrière Shouto s'ouvre, laissant sortir de la salle de l'arrière-boutique le frère de ce dernier accompagné d'une jeune femme. Touya les salue en les voyant et s'occupe d'encaisser sa cliente avant qu'elle ne le remercie pour son travail et qu'elle ne quitte les lieux, visiblement satisfaite. Le plus vieux s'empare alors de ce qui ressemble à un agenda et s'applique à y noter quelque chose avant de se tourner vers les deux amis de son frère.
« Alors, vous venez sauter le pas ?
- Seulement Katsuki, répond Shouto.
- Ah ouais ? T'as une idée de ce que tu veux faire ? »
Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir discuté de son projet, parlé des tarifs, et avoir échangé quelques mots de plus, le blond est reparti emportant Izuku avec lui, par la main. Touya se prépare à fermer boutique pour aujourd'hui puisque l'après-midi touche à sa fin, cédant peu à peu sa place à une sombre et fraîche soirée. Alors qu'il nettoie ses instruments, son petit frère se charge d'éteindre l'ordinateur se trouvant sur le bureau face à lui et y met un peu d'ordre. Il en profite pour reprendre son téléphone, qui n'a pas bougé depuis tout à l'heure, et vérifie ses notifications...pour constater qu'un message non lu l'attend.
Un message de Tamaki.
Son rythme cardiaque accélère soudainement.
Comme s'il s'apprêtait à briser un interdit, Shouto tourne la tête en direction de la salle derrière lui pour s'assurer que le tatoueur est toujours occupé et que personne ne risque de lire par-dessus son épaule avant de revenir à l'écran de son téléphone où l'attend toujours la notification, bien réelle.
Tamaki lui a écrit.
Il a pensé à lui et lui a écrit.
『 Salut !
J'espère que tes vacances se passent bien et que je ne te dérange pas. Excuse-moi si tel est le cas...
Je reviens de chez moi après-demain soir. Le train me dépose à la gare vers 20h. Si ce n'est pas trop tard, peut-être qu'on pourrait se rejoindre sur le quai et marcher ensemble jusqu'à chez moi ? 』
Après-demain soir. Autrement dit, Dimanche.
Et il propose à Shouto de se voir à ce moment-là. Dimanche. Après-demain.
Ce n'est rien d'extraordinaire, en soi. Pour autant, le coeur du jeune homme bat d'une force incroyable dans sa poitrine. Une image pénètre alors son crâne. Celle de Tamaki et lui marchant côte à côte, main dans la main, comme il a vu Izuku et Katsuki le faire, plus tôt, lorsqu'ils ont quitté les lieux. Est-ce qu'eux deux aussi, un jour...? Cette pensée, la chaleur qu'elle engendre dans les joues de Shouto, signifient-elles qu'il se trouve sur la bonne voie ? Dans ce cas, il doit continuer d'emprunter celle-ci, la suivre jusqu'au bout. Avec un peu de chance, son attraction grandissante est réciproque.
Il s'apprête à répondre à son interlocuteur lorsqu'il entend la porte de la salle du fond se refermer, le faisant légèrement sursauter sur le moment. Il se hâte de ranger son téléphone avant de se tourner vers son frère qui tend son bras en direction du porte manteau situé non-loin de la porte pour se saisir de sa longue veste noire et l'enfiler.
« On peut y aller ? » demande-t-il dans un étirement.
Se contentant d'opiner, Shouto attrape son manteau à son tour pour quitter les lieux en compagnie de Touya qui lui lance de petites œillades sans pour autant ajouter quoi que ce soit. Le plus jeune fait de son mieux pour ignorer celles-ci, faire comme s'il ne les remarquait pas. C'est plus simple que d'essayer d'engager la conversation avec lui. Car il sait ce qu'il se produira s'il s'y risque : son frère va l'interroger sur ses problèmes. Il l'a sans doute vu ranger son cellulaire comme si celui-ci risquait d'exploser d'un moment à l'autre. Ce n'est pas la première fois qu'il réagit aux comportements étranges du bicolore.
Peut-être que ce dernier pourrait essayer de lui parler. Lui faire part de ses interrogations, de ses doutes. De ses craintes.
Il lui parlera. Mais avant cela, il veut tenter une dernière fois.
Si les choses ne fonctionnent pas avec Tamaki... Là, alors, il s'ouvrira. Pour le moment, il préfère se dire que la solution lui est enfin à portée de main.
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