Chapitre 10
Une odeur de poisson embaume la cuisine, faisant gronder pour la quatrième fois le ventre de Tsuyu qui, esquissant une grimace, verse les petits bâtonnets de chacun dans leurs assiettes respectives avant de faire de même avec le riz qui vient de finir de cuir. Celles-ci sont alors prises en charge par sa petite amie qui les dispose tout autour de la table de la cuisine, puis qui lève le nez en direction de l'une des fenêtre tout en s'emparant de la carafe dans l'optique de la remplir d'eau.
« Ils en mettent du temps, non ? »
Voilà une bonne demi-heure que le frère et la soeur de son amoureuse sont partis en ayant pour mission de ramener du pain. Ce n'est pourtant pas la première fois depuis le début de la semaine qu'une telle tâche leur est incombée et, généralement, ils ne mettent pas plus de vingt minutes à revenir. Et pourtant, aujourd'hui, ils se font attendre.
« Il y avait peut-être du monde à la boulangerie ? suggère Tsuyu.
- Sûrement. J'espère qu'ils seront là avant que ça ne commence à refroidir... soupire Ochako.
- Ca ira, ils devraient pas tarder. »
Et si jamais, d'ici cinq minutes, ils n'ont toujours pas franchi la porte d'entrée, leur grande soeur partira à son tour en direction de là où se trouve la boulangerie pour voir ce qu'il en est, et espérer les croiser. Peut-être ont-ils été distraits par quelque chose ou ont-ils croisé l'un de leurs copains. Si Satsuki, la plus petite, se montre des plus diligentes dans les missions lui étant données, Samidare, lui, est parfois plus indolent et ne possède aucun problème à prendre son temps lorsqu'il le peut.
Tout de même, les choses seraient plus pratiques si ses parents acceptaient d'offrir un téléphone portable au cadet : ainsi dans des situations comme celles-ci, Tsuyu pourrait l'appeler et voir où ils en sont. Mais non, il est 'trop jeune', disent-ils, malgré ses douze ans et son entrée au collège. Certes, l'aînée n'a eu droit à son premier cellulaire qu'à l'âge de quinze ans mais avec le temps passant et la place prise par l'électronique dans la vie de tous les jours, elle estime qu'il n'y a rien d'étrange à recevoir ce genre de chose un peu plus tôt. Dans la classe de Samidare, la majorité possède certainement déjà l'un de ces petits appareils, et lui permettre d'en acquérir un l'aiderait sûrement à s'intégrer, à socialiser plus facilement avec les autres puisqu'il pourrait demeurer en contact avec eux pendant les week-end ou les vacances. De plus, il serait alors plus facile de le contacter en cas de pépin. Mais elle sait qu'il serait inutile d'en discuter davantage avec ses géniteurs : ces deux-là ont toujours été des plus strictes à ce niveau. Et son père même davantage que sa mère. Au moins peut-il se servir de l'ordinateur familial ; une heure par jour en semaine, et deux durant week-end et vacances.
Soupirant, s'apprêtant à se diriger vers l'entrée afin d'enfiler ses chaussures, Tsuyu entend finalement la porte s'ouvrir. Puis, elle voit le plus grand entrer dans la cuisine, pain sous le bras, chaussures aux pieds, laissant derrière lui de multiples traces de pas.
« Sami' ! s'écrie la grande soeur. Tes chaussures ! C'est pas parce que Papa et Maman sont pas là que tu peux faire n'importe quoi !
- Il faut que tu viennes ! répond-il en ignorant sa remarque et en attrapant son poignet. Vite ! »
Le ton pressé de son frère fait se glacer son sang en même temps que son corps. Est-il arrivé quelque chose ? A Satsuki ? Un accident ? Est-ce pour cela qu'ils ont mit autant de temps ? Mince, mince, mince ! Non, cela ne peut pas être ça. Pas vrai ? Mais si jamais...? Elle aurait dû les accompagner, ou demander à Ochako. Cette dernière se lève en trombe de la chaise sur laquelle elle s'est assise après avoir déposé la carafe sur la table, et accompagne Tsuyu et Samidare hors de la cuisine aussi rapidement que possible. Puis, une fois dans le couloir... Les deux filles s'arrêtent à nouveau. La benjamine est là, dans l'entrée, saine et sauve, si ce n'est qu'elle se tient le ventre de manière assez ferme. Elles poussent un soupir de soulagement à l'unisson avant que l'aînée ne s'approche pour s'accroupir à son niveau, scrutant son visage en s'efforçant d'arborer un air rassurant - la voir paniquer risquerait de la faire s'affoler à son tour.
« Vous m'avez fait peur, souffle-t-elle. Qu'est-ce qu'il se passe, Satsuki ? Ton ventre te fait mal ? »
Sans un mot, elle secoue vigoureusement la tête. Gardant une main au niveau de son estomac, elle relève l'autre afin de défaire la fermeture éclaire de son manteau, révélant une forme rebondie semblant se situer sous son pull-over jaune. Qu'est-ce que...? Fronçant légèrement les sourcils, Tsuyu attrape précautionneusement le bas de celui-ci afin de le relever...et de découvrir, en dessous, un chaton complètement recroquevillé, visiblement mouillé, et dont le petit corps blanc, tacheté çà et là de taches rousses et noires, est secoué de tremblements. Et elle ne sait pas vraiment comment réagir face à cette scène. Elle ne s'attendait pas vraiment à une chose pareille. Où ont-ils trouvé ce bébé chat ? Pourquoi est-il dans un tel état ?
Elle ouvre la bouche. La referme. Puis avance une main afin de délicatement effleurer les poils humides de la créature, comme pour s'assurer que celle-ci se trouve bien là, qu'elle n'est pas en train de rêver. La pauvre est transit de froid.
« Oh mon Dieu... » murmure Ochako, brisant le silence.
Que faire ? Elle ne peut décemment pas dire aux petits de le ramener là où ils l'ont trouvé, ou de le laisser dehors. Le pauvre finirait par mourir, très rapidement. De plus, le vétérinaire le plus proche est situé à une bonne demi-heure de marche. Anxieuse, elle se décide à prendre le chaton avec elle, le serrant à son tour contre son corps. Elle doit le réchauffer, et vite.
« Ochako, va me chercher des serviettes propres dans la salle de bain. Sami', Satsuki, enlevez vos chaussures et allez me mettre un peu d'eau dans une assiette. »
Sitôt dit, alors que chacun s'affaire à sa tâche, Tsuyu part pour le salon où crépite, dans le fourneau, un feu allumé plus tôt dans la matinée par ses soins. Elle s'en approche, faisant tout de même attention à ne pas se tenir trop près afin de ne pas soumettre l'animal à un changement trop brusque de température et se met à le frotter délicatement d'une main, dans l'espoir que les frictions ne l'aide à se réchauffer et à se sécher un minimum. Un faible miaulement lui échappe, faisant rater un battement au coeur de la jeune fille.
« Ca va aller, on s'occupe de toi. Tout va bien. » susurre-t-elle tandis que son amoureuse ne pénètre au sein de la pièce, les serviettes en main.
En la voyant, elle esquisse un petit sourire et s'affaire, avec elle, à emmitoufler la petite créature, ne laissant que sa tête dépasser. Ainsi, son corps sera moins directement exposé à la chaleur du fourneau. Elle confie ensuite l'animal à Ochako, lui demandant de continuer à le frotter doucement puis elle sort son téléphone de sa poche et ouvre son navigateur Internet pour taper dans la barre de recherche 'S'occuper d'un chaton abandonné'. Peut-être trouvera-t-elle des choses utiles. Dans tous les cas, une fois qu'il se trouvera hors de danger, il faudra l'emmener chez le vétérinaire. Mais pour le moment, il s'agit de la seule chose qu'elle puisse faire.
Son frère et sa soeur entrent à leur tour et déposent la coupelle au sol alors qu'elle lit instructions après instructions, faisant bien attention à chacune d'entre elle, les mémorisant dans un coin de sa tête. Apparemment, la chaleur est l'une des choses les plus importantes si le chaton a moins de quatre semaines car, avant d'atteindre un mois, ceux-ci sont incapables de réguler leur température seuls. Elle lève les yeux vers lui. A-t-il moins de quatre semaines ? Elle ne parvient pas à le déterminer.
« ... A ton avis, il a quel âge ?
- Euh, difficile à dire... hésite Ochako. Certainement moins de trois mois ? »
Ce n'est pas assez précis... Tsuyu replonge dans l'article qu'elle a trouvé et, constate, quelques lignes plus loin, que celui-ci a dressé une petite liste des caractéristiques permettant de déterminer à peu près l'âge d'un chaton. Parfait. Ce ne sera pas des plus certains, mais c'est sûrement déjà mieux que rien. Elle décide de les énumérer à voix haute, son regard faisant la navette entre son écran et la petite boule de poil.
« Voyons... Ses yeux... Ses yeux sont fermés, mais c'est peut-être à cause de son état. Mmh... Ses oreilles...sont dressées. Ses dents... Ochako, tu peux essayer de soulever un peu ses babines, que je vois ses dents ? Voilà, comme ça. Donc, ses dents semblent avoir déjà bien poussé. Il a de petites canines. Pour ce qui est de sa démarche et de son autonomie, je pense pas qu'on puisse voir ça tout de suite...
- ... Il va s'en sortir, le petit chat ? » demande Satsuki d'une petite voix, coupant la jeune fille dans son analyse.
Celle-ci détourne son attention de son téléphone pour poser ses iris sur sa jeune soeur. Elle a l'air affreusement inquiète, au même titre que Samidare. Et c'est compréhensible. A tour de rôle, elle leur ébouriffe tendrement les cheveux en esquissant un sourire à leur égard. Elle se doit de demeurer calme, face à eux. Les rassurer et, au passage, se rassurer. Bien qu'elle ait peur pour la vie du chaton. De toute façon, si elle cède à ses angoisses, elle ne parviendra à rien de bien.
« On va faire en sorte qu'il aille bien, je vous le promets. Allez manger, d'accord ? On s'en occupe. Tout est prêt, dans la cuisine. »
Les deux plus petits échangent un regard avant d'acquiescer et de tourner les talons, se retournant cependant plusieurs fois comme pour s'assurer que tout se passe bien avant de disparaître au détour de la pièce. Ses frères hors de vue, Tsuyu s'autorise une longue inspiration. Calmement. Elle doit y aller calmement. Elle revient à Ochako qui s'est accroupie près de la source de chaleur, l'animal tout contre elle. Il semble ne plus trop trembler. C'est déjà ça. Elle tend une main afin de lui tapoter le crâne tout en s'installant aux côtés de sa petite amie, reprenant son cellulaire.
« Selon ce que j'ai pu lire, il doit avoir entre quatre et six semaines.
- Qu'est-ce qu'un petit bout comme lui faisait, tout seul dehors ?
- Va savoir... Il a dû être séparé de sa mère. Heureusement que les enfants l'ont trouvé.
- Heureusement, oui.
- Normalement, quand il sera remis, il sera capable de réguler sa température seul. Ce qui est un bon point. Par contre, il va falloir lui trouver à manger. Et l'emmener à la clinique. »
Peut-être pourra-t-elle essayer de demander à la voisine si elle peut l'y emmener en voiture. Elle et ses parents s'entendent plutôt bien, donc elle acceptera sûrement. Tsuyu se sentirait mal de marcher jusque là-bas en soumettant de nouveau le chaton au froid de l'extérieur durant trente longues minutes. Elle n'a même pas de quoi le transporter, qui plus est.
Ochako l'observe d'un air des plus affectueux. Comme une mère regardant son propre enfant. Et cette vue fait fondre le coeur de l'autre jeune fille. La brunette est déjà si mignonne, à la base. Mais avec ce bébé chat dans les bras ? Adorable. Absolument adorable.
C'est lorsqu'un gargouillis retentit bruyamment qu'elle cesse de rêvasser. Elle en avait oublié sa précédente faim. Mais maintenant que son estomac la rappelle à l'ordre, elle ne peut que pousser un gémissement plaintif et se recroqueviller, posant la tête contre l'épaule de sa petite amie. Cette dernière, en la voyant ainsi, laisse échapper un gloussement et se penche légèrement pour déposer un baiser contre son crâne.
« Va manger, toi aussi, Tsu'.
- Mais et toi ?
- J'irai quand tu auras fini. En attendant, je vais veiller sur lui.
- Tu es sûre ?
- Certaine. »
Il ne devrait pas y avoir de quoi s'en faire. Et puis, elle lui fait confiance : si quoi que ce soit arrive, elle l'appellera. Elle acquiesce, embrasse brièvement les lèvres d'Ochako et se redresse gauchement.
« L'article disait qu'il faut le réchauffer pendant une à trois heures. Selon comment son état évolue, on verra quand l'emmener.
- D'accord. »
Là-bas, ils sauront prendre soin de lui. Vérifier que tout va bien. Il sera entre de bonnes mains.
Plus jeune, Tsuyu a eut un chien. Un cocker du nom de Hiki, au pelage entièrement noir. Et, dans son souvenir, jusqu'au bout la dame de la clinique vétérinaire a-t-elle été douce et bienveillante avec lui. Elle aime les animaux. Beaucoup. Cela se ressent.
Ce souvenir l'enfouit sous une vague nostalgique au goût doux-amer. Elle a tellement pleuré, le jour où il a fallu emmener Hiki et qu'il n'est pas revenu. C'était la seule chose à faire, lui a expliqué sa mère. Et effectivement, ils n'auraient de toute façon rien pu accomplir d'autre. Le pauvre animal peinait à marcher, à se nourrir. Il ne parvenait plus à se contenir, faisait ses besoins partout dans la maison. Les derniers jours, il couinait sans cesse et toute la famille percevait la douleur dans ces plaintes déchirantes.
Il lui manque, aujourd'hui encore.
Secouant la tête, elle s'efforce de chasser ce souvenir. Tout ira bien. Ce chaton ne mourra pas. Ils ont réagit suffisamment rapidement. Il possède encore tant d'années à vivre, son aventure ne fait que commencer !
Elle fait volte-face, s'apprête à quitter le salon...lorsque la voix hésitante d'Ochako la fait s'arrêter net, pose une interrogation en elle, une question à laquelle elle n'avait pas pensé, à laquelle elle ne sait que répondre.
« Tsu', dis... Tu crois... Tu crois qu'on pourra le garder...? »
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