Maledicti Amantes
Obiit.
C'est le nom de la petite ville pittoresque dans laquelle je viens de m'installer, moi, Alya.
Petit bout de femme de 25 ans, une chevelure ondulée aussi noire que l'ébène, des yeux chocolat en amandes bordés de longs cils et un visage paradoxalement constellé de tâches de rousseurs.
Voilà déjà deux mois que j'ai quitté la capitale pour venir m'installer ici.
Pourquoi me direz-vous ?
Eh bien ... Parce que rien ni personne ne m'y retenait. Orpheline et célibataire endurcie, voilà ma vie résumée en seulement deux mots. Triste n'est-ce pas ?
Mais lors d'une soirée de Septembre, tout cela a changé. En me perdant sur internet, j'ai découvert les photos d'un magnifique château en ruine dans une petite ville nommée Obiit. Presque instantanément, je suis tombée sous le charme et ai ressenti ce besoin, comme viscéral, de m'y installer. Coup du destin ou fruit du hasard, un poste de graphiste venait tout juste de se libérer dans une petite entreprise locale. Cette attirance, presque obsessionnelle et inexpliquée, m'a poussée à déménager dès le lendemain.
Un mois s'est écoulé depuis et début Octobre, au détour d'une pause-café, j'ai rencontré pour la première fois Lazare.
Je m'en rappelle encore. Il était tard et les bureaux presque vides. J'avais décidé d'aller prendre un café pour lutter contre le sommeil et il était là, planté devant la machine.
Lorsque mes yeux ont croisé les siens, le sol s'est dérobé sous mes pieds et le monde s'est arrêté ... L'espace de quelques éphémères secondes.
Ils étaient vert émeraude et remplis d'une intrigante tristesse teintée d'une pointe de culpabilité.
Comment je le sais ?
Un don ou appelez cela comme vous voulez, j'ai toujours su déchiffrer le regard des gens. Tout le monde le sait, les yeux sont le miroir de l'âme. Nous n'avons échangé que quelques paroles mais cela a étrangement suffi à faire chavirer mon cœur pour la première fois en 25 ans d'existence.
Nos brefs échanges nocturnes sont devenus comme rituels et je ressens, depuis, comme une chaleur familière au fond de ma poitrine dès que je l'aperçois.
Ses cheveux bouclés cendrés ne quittent désormais plus mon esprit et je me suis même mise à rêver de lui. Nous sommes toujours vêtus de vêtements d'époque somptueux et nous dansons lors de bals au son de la mélodie de la seconde nocturne de Chopin .
Dans ces rêves, j'ai cette inexplicable et fâcheuse tendance à l'appeler Azrael. J'ai cherché à comprendre pourquoi et j'ai trouvé sur internet que notre subconscient pouvait déformer la réalité pour la rendre plus acceptable à nos yeux.
Azrael étant une anagramme de Lazare, cela m'a paru tout à fait logique. Je n'acceptais tout simplement pas le fait d'être attirée par un collègue ...
Je ne dirais pas qu'il est beau comme un dieu ni taillé dans le marbre mais il est parfait ... Parfait pour ma main dans la sienne, parfait pour mon visage dans le creux de son cou.
Je suis éperdument amoureuse de lui sans même le connaître et je n'arrive pas à me l'expliquer.
Aujourd'hui nous sommes le 30 Octobre et j'ai encore rêvé de lui.
Nous étions dans un magnifique jardin rempli de fleurs de mille et une couleurs, tous les deux allongés sur une nappe brodée. Main dans la main, solennellement, nous nous sommes regardés et avons échangés des vers en latins :
- « Ad vitam, ad mortem. » M'a-t-il dit tendrement.
- "Ad vitam aeternam." Lui ai-je répondu amoureusement.
Comme je ne parle pas latin, je me suis donc mise à chercher, dès mon réveil, la signification de ces mots. « À la vie, à la mort » et « Pour toujours, indéfiniment », comment ai-je bien pu imaginer cela sans en connaître le sens ... Et pourquoi tout cela paraissait-il si réel ?
Je n'ai pas le temps de me questionner davantage. En effet, nous sommes la veille d'Halloween et c'est l'effervescence au bureau. Aussi, je dois me concentrer !
Je boucle un nombre incalculable de projets en cours mais suis, malgré tout, toujours en retard. La faute à mes rêveries éveillées car, ne travaillant pas dans le même département que Lazare, je me demande constamment si nous allons nous voir le soir venu.
Comme lors de notre première rencontre, les gens commencent un à un à ranger leurs affaires et rentrent chez eux. Au bout de quelques heures, me voilà parfaitement seule à mon étage. Vidée de toute énergie, je me dirige vers la salle de pause en souhaitant qu'il s'y trouve ce soir.
J'ouvre doucement la porte et ai l'agréable surprise de le découvrir, tourné vers la porte, presque comme s'il m'attendait. Il me sourit mais je peux toujours lire cette profonde tristesse dans ses yeux dès qu'ils se posent sur moi.
Je ne comprends pas. Est-ce que je le rends triste ?
- « Bonsoir Lazare, tu n'as toujours pas fini toi non plus ? »
- « A vrai dire si ... Mais j'avais envie d'un café. Et toi ? Tu n'as pas encore fini à cette heure ? »
- « Il me reste un gros projet à boucler avant ce soir minuit. J'ai pris, je ne sais comment, du retard ces derniers temps. »
Je ne vais quand même pas lui dire que c'est parce que je pense trop à lui. J'en mourrais de honte.
- « Est-ce que je peux t'aider d'une quelconque manière ? Plus tôt cela sera fini, plus tôt tu pourras rentrer te reposer car tu as l'air épuisée. »
Alors là, je reste bouche bée. Nos échanges ont toujours été très brefs, jamais rien de très personnel et il propose de m'aider ? Depuis que je le connais, j'ai l'impression qu'il s'interdit de trop se rapprocher de moi. Ses yeux se teintent d'un mélange de désir et de culpabilité à chaque fois que j'essaye de percer sa carapace.
Je n'y réfléchis pas plus que nécessaire et accepte volontiers son aide. Après tout, si je peux passer ne serait-ce que quelques minutes de plus en sa compagnie cela me remplira d'un bonheur inexplicablement familier.
Une fois nos cafés engloutis, nous nous dirigeons ensemble vers mon bureau. Il fait sombre mais l'atmosphère n'est pas pesante ni effrayante. Lazare a ce don de m'apaiser dès la seconde où je suis avec lui. Quel homme étrange.
Il répond à certains de mes mails puis classe et range les dossiers qui trainent sur mon bureau pendant que je m'active sur ma tablette. Les minutes puis les heures glissent, et je termine enfin mon projet. Minuit sonne alors dans les rues. Nous sommes officiellement le 31 Octobre !
- « Joyeux Halloween ! » Je lance alors à Lazare.
Contre toute attente, il ne me retourne pas la politesse et ses yeux se teintent d'une tristesse encore plus grande. Ses sourcils se froncent.
C'est indéniable, il souffre.
- « Pardon, est-ce que j'ai dit quelque chose qui t'a offensé ? » Je lui demande alors, pleine d'angoisse.
- « Oh non non, tu n'y es pour rien ... C'est juste que je n'aime pas vraiment cette date. » Me répond-il en plongeant ses yeux dans les miens.
À cet instant, mon cœur tambourine dans ma poitrine et je ne peux plus penser à rien d'autre qu'à ses yeux émeraude. Mon regard voyage le long de ses longs cils noirs, puis suit l'arête de son nez pour atterrir sur ses lèvres.
Ses lèvres.
Elles sont inconnues aux miennes et j'ai pourtant l'impression de les avoir goûtées déjà mille fois.
- « Alya ? »
L'appel de mon prénom me sort de ma transe et je secoue légèrement la tête pour reprendre mes esprits au plus vite.
- « Merci beaucoup pour l'aide Lazare. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans toi. Il est tard et je m'en veux déjà de t'avoir retenu aussi longtemps. »
- « Ne t'en veux pas c'était avec plaisir. »
Sa voix, toujours aussi calme, refait battre mon cœur pour la énième fois. Nous ramassons nos affaires et prenons la direction de la sortie. Comme à son habitude, il n'est pas très bavard mais ce silence me convient. Nous passons la porte d'entrée et la brise automnale nous chatouille le visage.
Après s'être dit au revoir, nous partons chacun de nôtre côté.
Cependant, ce soir, j'ai envie de prendre mon courage à deux mains et de lui demander son numéro. Je sais qu'il est aussi attiré que je le suis à son égard mais c'est comme si quelque chose le retenait. Mais, après tout, nous sommes au 21ème siècle et une femme peut bien faire le premier pas.
Déterminée, je me retourne et ... Personne. Personne, si ce n'est les feuilles mortes virevoltant au doux rythme de la nuit. C'est une ligne droite et Lazare a tout simplement disparu. Bienvenue dans les mystères de Lazare numéro ... numéro ... Je ne compte même plus.
N'ayant plus la moindre once d'énergie, je décide de passer outre ce nouveau mystère et de rentrer dormir au plus vite.
La journée d'halloween se passe dans le même chaos que la veille mais notre patron nous autorise à terminer plus tôt pour que l'on puisse retrouver nos êtres chers et faire la fête.
N'ayant pas pu obtenir le numéro de Lazare hier, je suis bien décidée à le faire maintenant. Je me dirige alors vers son département, situé deux étages au-dessus du mien. Je le cherche du regard mais ne parviens pas à le trouver dans cette fourmilière. Je demande alors à la première personne qui me tombe sous la main :
- « Excusez-moi, est-ce que vous auriez vu Lazare ? J'aimerais lui parler. »
- « Lazare ? Lui parler ? Est-ce que c'est une mauvaise blague ? »
Devant mon regard plus qu'étonné, l'homme se radoucit et continue :
- « Écoutez, je ne sais pas si quelqu'un vous a joué un mauvais tour mais Lazare nous a quitté il y a de cela 2 ans. Regardez, c'est sa photo au mur. »
Déjà abasourdie par la nouvelle, je me décompose littéralement lorsque je regarde ladite photographie. Cette personne ... est ... décédée ... Et n'est, pour couronner le tout, absolument pas le Lazare que je connais.
Mes jambes ne me portent plus et je m'effondre sous mon propre poids. Si Lazare est mort et ... n'est pas Lazare ... alors qui est-il ? Est-ce de l'usurpation d'identité ? Est-il un psychopathe qui en a après ma vie ?
Je refuse tout simplement d'y croire. Son regard, sa douceur, ce sentiment que je ressens en sa compagnie ... C'est impossible.
Non sans difficulté, je finis par me relever et déambule dans les rues sans aucune destination précise. Je suis chamboulée, terrifiée et en même temps rongée par la curiosité. Je suis tirée de mes pensées par une musique provenant d'une foule amassée dans le cimetière de la ville.
En temps normal, j'aurais continué mon chemin mais cette musique ... C'est la seconde nocturne de Chopin.
Comme attirée, je finis par me rapprocher de plus en plus jusqu'à faire partie de la foule. Intriguée, je demande alors à la jeune femme se trouvant à côté de moi :
- « Est-ce pour Halloween qu'est donné ce concert ? »
- « On peut dire ça comme ça oui ! Cette année est la fête du premier centenaire de la mort des amants maudits. »
- « Les amants maudits ? »
- « Vous ne devez pas être d'ici, mais sachez que notre petite ville d'Obiit est connue pour cette tragique histoire ! »
- « Je sais que vous devez avoir autre chose à faire mais pourriez-vous m'en dire un peu plus sur cette tragédie ? »
- « Mais bien sûr ! Je suis toujours heureuse de partager un petit bout de notre histoire ! Il y a de cela plus d'un siècle, le château était habité par la famille royale des Dabria. Ils avaient deux fils, l'aîné Caïn Dabria un cruel tyran et le second fils, Azrael Dabria. »
- « Azrael ... »
- « Une jeune noble à la beauté sans pareille résidait également dans la ville. Les deux frères s'en sont épris mais son cœur ne battait que pour Azrael. Aussi se fréquentaient-ils en secret. Caïn, prince héritier, la convoitait plus que tout et décida de l'obliger à devenir son épouse. Azrael, ne supportant pas l'idée que sa bien-aimée puisse souffrir entre les mains de son cruel frère se mit à échafauder un plan. Il donna rendez-vous à son frère en haut de la plus haute tour du château en prévoyant de l'y pousser. Malheureusement , Caïn, ayant compris le plan de son cadet, décida de transmettre l'invitation à la jeune femme. Pour ce faire, il lui envoya une lettre en se faisant passer pour Azrael. Il lui commanda de s'y rendre vêtue d'une cape pour ne pas être reconnue des gardes. Comme vous pouvez l'imaginer, le plan machiavélique de Caïn se déroula comme prévu et Azrael mit fin aux jours de sa bien-aimée de ses propres mains. Pris de désespoir, il sauta alors à son tour dans le vide. Aujourd'hui, cela fait cent ans jour pour jour que ces jeunes amoureux sont décédés. On dit même qu'Azrael n'ayant jamais trouvé le repos suite à son acte hanterait encore les rues de la ville. »
Une fois son histoire contée, la jeune femme retourne à ses occupations, le concert prend fin et la foule se disperse. Il ne reste plus que moi, figée sur place comme si la foudre m'avait clouée au sol.
Je fais face à la tombe de ces amants maudits. Surplombant leur dépouille se trouve une magnifique statue à leur effigie. Pour la seconde fois de la journée, je me retrouve les genoux à terre. Mes yeux sont rivés sur les dites statues et des larmes se mettent à perler lorsque je reconnais leurs visages.
Celui de Lazare ou plutôt d'Azrael et le mien.
- « Azrael ... » Je souffle dans un sanglot.
Son prénom ayant à peine dansé au bord de mes lèvres, je suis prise d'une violente migraine. Je me tiens la tête pour vainement l'empêcher d'exploser . De soudains tremblements finissent par me faire chuter lourdement sur le sol.
Des flashs viennent troubler ma vision et des images défilent devant mes yeux, tels un film.
Notre première rencontre lors d'un bal où des centaines de lustres brillaient tels des astres au milieu de la plus sombre des nuits. Notre première danse, où ses yeux avaient capturé mon cœur à jamais. Notre premier baiser dans ce magnifique jardin. Notre promesse de s'aimer, toujours.
Tous ces rêves qui n'en étaient pas, ce sont des souvenirs ... Nos souvenirs.
Nous avions toute la vie devant nous, nous avions tout l'amour devant nous. Et Caïn nous les a volés. Mais une infinité de vies ne saurait nous séparer.
Je l'aime, je l'aime !
Je reprends doucement le contrôle de mon corps et me relève maladroitement. Mes jambes courent toutes seules pour me mener au seul endroit où je dois être en ce moment.
La tour.
J'ai le souffle court et le cœur sur le point d'exploser quand j'arrive finalement en haut de cette dernière. Presque ironiquement, c'est la seule partie du château qui n'est pas en ruine. Mes pieds frôlant le vide, je sens la brise caresser mon cou.
Je n'ai pas besoin de me retourner pour le savoir, il est là, à côté de moi.
Des larmes se remettent à inonder mes joues rosies par le froid et ma course effrénée. Je tourne la tête et le voit se tenir avec moi sur le rebord ... Azrael.
- « Mon aimé. Ne t'accable plus du passé, je te pardonne. Rien de tout cela n'est de ta faute. »
C'est alors que je peux enfin la voir dans ses yeux ... La paix.
- « Puissions-nous nous retrouver dans notre prochaine vie et dans toutes celles à venir. » Je lui chuchote tendrement.
Il me sourit.
- « Ad vitam, ad mortem. » Dit-il dans un souffle qui pourrait se confondre avec la brise.
- « Ad vitam aeternam. » Je lui réponds en fermant les yeux.
FIN
Et voilà pour ma participation à l'HalloweenVault 2021 !
J'espère que ce oneshot vous a plus, n'hésitez pas à me laisser votre avis en commentaire ainsi qu'une petite étoile !
Par curiosité allez chercher la traduction d'Obiit sur google vous ne serez pas déçu haha !
J'ai passé une heure et demie à chercher un nom en anagramme et qui ait une signification pour Azrael j'espère que vous avez aimé !
Merci pour votre lecture et on se retrouvera j'espère pour une de mes autres œuvres !
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