Maladresse - Partie 1 : Langue rebelle
Lapsus.
Un si petit mot qui pouvait cacher de grandes conséquences. Enfin, c'était l'avis d'Eren Jaeger, dix-neuf ans, qui voyait son être se faire mitrailler par les yeux de Monsieur Siegler.
Si un regard pouvait transpercer la matière, il ressemblerait à une passoire.
Pourtant, ce n'était pas volontaire – aucun lapsus n'était jamais volontaire, bordel – et il était sûr que son visage aussi surpris et horrifié que celui de l'homme aurait suffi à montrer à quel point ce n'était pas volontaire.
Mais non, Monsieur Siegler et les personnes qui l'avaient entendu proférer cette énorme maladresse s'acharnaient à le percer de leurs yeux flambants de colère sans prendre en compte sa culpabilité.
Et l'autre qui se gaussait discrètement à côté de lui ne l'aidait absolument pas ! Enfin, Levi avait toujours son air neutre plaqué sur son visage mais Eren savait – savait ! – qu'il se foutait intérieurement de sa gueule. Il le connaissait trop pour ne pas en être sûr.
– Comment osez-vous ?! cracha l'homme d'une voix chevrotante de colère mal contenue.
– Excusez-moi, Monsieur Siegler, ce n'était pas volontaire...
Piètre défense, mais il ne savait pas quoi dire à part que ce n'était pas volontaire, merde.
Ouais c'était moche, ouais c'était extrêmement dérangeant et ouais c'était fichtrement horrible de sortir une aussi grosse bourde à un endroit pareil et en des circonstances pareilles mais ce n'était pas volontaire ! Et oui, il n'avait que cette excuse mais c'était la seule et stricte – et aussi triste d'ailleurs – vérité véritable !
Et puis non, ce n'était pas sa seule excuse : il était un éternel gaffeur et Levi le savait parfaitement, ce bâtard congénital. Il avait peut-être tort de s'en prendre à lui mais il n'allait tout de même pas retourner son irritation envers Monsieur Siegler !
S'il avait été fair-play, il s'en serait pris uniquement à lui-même puisque c'était lui qui avait sorti cette connerie avec un naturel assez déconcertant mais Levi l'avait forcé à venir.
Et de toute façon, tous les lapsus sortaient d'un naturel assez déconcertant.
Donc, oui, c'était de la faute de Levi et uniquement de la sienne – peut-être de sa bouche à lui aussi mais ce n'était qu'un détail superflu.
Devant le regard de l'homme qui semblait vouloir l'éviscérer suite à cette réponse – pourquoi tant de haine ? –, Eren ouvrit la bouche pour affirmer encore une fois que ce n'était pas volontaire. Mais Levi ne lui laissa pas le temps de se répéter et lui cloua la bec avant même qu'il ne l'ait ouvert.
– Pardonnez cet abruti, il n'a pas voulu dire ça.
Eren le regarda, offusqué. Non mais quel connard ! Soit, il avait raison, il était une triple andouille mais ce n'était pas la peine de le sortir de cette façon, comme si c'était une évidence !
Abruti lui-même, tiens !
– Je ne suis pas curé, je ne pardonne pas, riposta Monsieur Siegler, sa colère alimentant vraisemblablement sa mauvaise foi et son idiotie – si vous vouliez l'avis d'Eren.
Pourtant, il ne le connaissait ni d'Adam ni d'Eve, ce Monsieur Siegler ! Et Levi non plus, d'ailleurs ! Celui-ci avait par contre connu le fils de l'homme. Il le connaissait toujours mais en parler au passé paraissait approprié parce que Monsieur Siegler Junior était mort. Oui, mort et enfermé entre quatre planches depuis peu – quelques minutes, pour être précis.
Bien sûr, la bienséance avait voulu que Levi vienne à l'enterrement de Siegler Junior vu qu'il avait été un collègue de travail du défunt. Cependant, l'Ackerman n'avait absolument pas voulu y aller car il ne portait pas dans son cœur ce « clebs débile profond » – Siegler Junior ressemblait apparemment à un caniche mal en point, avec ses dents fines et tordues, ses yeux noirs en forme de bille et ses cheveux bouclés et graisseux – mais Madame Siegler l'avait appelé – ni Eren ni Levi ne savaient comment elle avait obtenu le numéro de celui-ci – et l'avait supplié de venir à l'enterrement de son fils chéri, arguant qu'il avait toujours considéré Levi comme un bon ami. L'Ackermen avait rit jaune : lui, ami avec ce caniche estropié ? Quelle bonne blague !
Mais l'insistance de la femme avait fait craquer Levi qui avait senti ses nerfs se tendre dangereusement. Il était peut-être grossier, froid et tout ce qu'il voulait mais il avait assez d'humanité pour ne pas cracher les quatre vérités – et surtout sa mauvaise humeur – à la bonne femme qui venait de perdre son fils unique.
Sauf que Levi n'avait pas voulu aller à cette cérémonie barbante tout seul alors il avait demandé – « ordonné » serait plutôt le mot – à son petit ami Eren de l'accompagner et celui-ci, dans son immense bonté, avait accepté – la menace que représentait la colère de Levi n'était pas du tout ce qui l'avait décidé.
Les voilà donc tous les deux plantés devant Monsieur Siegler et quelques membres de la famille, Madame Siegler ayant dû aller s'asseoir sur un des bancs à l'extérieur du cimetière puisque l'évanouissement la guettait.
Pourtant, au début tout c'était bien passé, enfin autant que cela se pouvait lors d'un enterrement, bien entendu. Le cercueil avait été amené à l'église, le prêtre avait parlé – Eren n'avait rien écouté, trop absorbé par la contemplation morbide du cercueil –, la famille était allée dire un dernier au revoir au macchabée et Levi avait été invité à en faire de même, Eren s'étant retenu de ricaner en voyant la grimace qui avait déformé une seconde le faciès de son amant. Cependant, il avait bien vite déchanté lorsqu'il avait été appelé à son tour pour rencontrer le mort... Ensuite, ils s'étaient tous dirigés vers le cimetière et l'inhumation avait commencé. Mais ce fut lors des fameuses présentations des condoléances à la famille proche du défunt, où les serrages de mains étaient de rigueur, que tout avait merdé et ce de façon magistrale.
Parce qu'Eren pensait à autre chose, il ne présenta aucunement toutes ses condoléances mais ses félicitations. Oui, ses félicitations et bien qu'il s'entendit dire cette énormité, il ne s'excusa pas tout de suite après, essayant de se rattraper maladroitement en balbutiant comme tout être humain normalement constitué l'aurait fait. Non, lui était resté muet et apparemment, Monsieur Siegler avait pris son silence pour une confirmation de ces mots malheureux.
Comme si Eren était du genre à dire « Toutes mes félicitations ! » à des inconnus qui venaient de perdre leur seul enfant ! Malheureusement, en ce lieu, seuls lui et Levi étaient au courant de ce fait et l'Ackerman ne semblait pas pressé de le défendre plus que ça.
– C'est inadmissible ! Un tel comportement-
Monsieur Siegler devenait de plus en plus rouge au fur et à mesure qu'il s'énervait – tout seul, en plus – mais Levi le coupa avant qu'il ne parte dans une tirade interminable.
– Eh bien, vous n'êtes pas curé et vous me faites chier. Il s'est excusé, non ? Alors pourquoi vous continuez à gueuler comme un porc ?
Eren retira mentalement le dernier commentaire qu'il avait fait sur son petit ami mais se dit quand même qu'il aurait dû avoir plus de tact. Et il appuya cette idée en voyant le visage de Siegler père qui vira au rouge vif tandis que sa colère semblait arriver à son paroxysme.
Franchement, ils avaient le don de se mettre dans de ces galères...
Le jeune Jaeger décida de mettre fin à cet échange qui commençait vraiment à mal tourner et attrapa le bras de son amant puis se dirigea en de grandes enjambées hors du cimetière, dévalant la petite pente qui y menait. Ils s'adossèrent contre le mur, cachés des personnes venues se recueillir sur les tombes d'êtres perdus.
Ils étaient peut-être cachés d'elles mais pas de Madame Siegler, qu'ils avaient complètement oubliée, et ils la virent s'approcher à leur plus grand désespoir.
– Vous partez déjà ? demanda-t-elle en regardant Levi, semblant s'adresser uniquement à lui.
La femme avait une voix fluette mais rendue plus rauque par les larmes qui embuaient encore ses yeux. Elle était curieusement belle, tout comme son mari et Eren se demanda furtivement si Siegler Junior n'avait pas été adopté vu qu'il avait eu le temps de détailler sa laideur alors qu'il était penchait sur son corps froid et raide pour lui souffler un au revoir – d'ailleurs, il s'était retenu de rire en voyant un porte-clés qui lui rappelait le sien posé sur la poitrine du cadavre et de vomir puisqu'il était justement face à un cadavre.
Levi n'avait peut-être pas été tendre en lui décrivant le physique de l'homme mais Eren devait avouer qu'il n'avait pas tort de le traiter de caniche déformé. Eren lui trouvait également un air de sharpei... Pauvre Monsieur Siegler Junior.
Levi se contenta d'un sec hochement de tête pour répondre à sa question.
– Merci d'être venu, alors. Mon fils vous avait en haute estime, Monsieur Ackerman. Il disait que votre travail était aussi fourni et recherché que votre vocabulaire et il vous admirait beaucoup pour cela.
Eren lâcha un petit raclement de gorge qui s'apparentait à un rire étouffé et Levi lui donna un coup de coude dans les côtes. Il fronça son nez sous la douleur soudaine mais son amusement ne disparut aucunement. Pour sûr que le vocabulaire de Levi était fourni et recherché mais peut-être pas dans le même sens que semblait le voir Madame Siegler. Et puis, il trouvait Siegler Junior assez bizarre pour admirer Levi à cause de son vocabulaire fleuri. Certes, lui-même était tombé sous le charme de l'homme grossier mais quand même, quand il l'insultait, il ne le regardait pas avec des étoiles dans les yeux. Parce qu'Eren savait que Levi avait au moins une fois insulté Siegler Junior – il insultait tout le monde.
Elle tourna la tête vers le jeune Jaeger et lui offrit un petit sourire tremblant.
– Et vous êtes ?
– Eren Jaeger, Madame Siegler, un ami de Levi. Enchanté.
Il ne souhaitait pas s'afficher alors qu'elle semblait très pieuse, comme son mari – une petite croix pendait à leur cou. Monsieur Siegler Junior aurait peut-être tenté de remettre Levi sur le « droit chemin » ou il l'aurait fui comme la peste s'il avait su qu'il était gay. Eren réprima un sourire en imaginant la réaction de Levi face à un mec brandissant sa croix sous son nez en hurlant « Vade retro, Satanas ! ».
– Enchantée. Je vous remercie également d'être venu à l'enterrement de mon fils alors que vous ne le connaissez pas.
– Ce fut un plaisir.
Cette fois-ci, ses côtes furent méchamment pincées.
– Enfin, pas vraiment un plaisir parce que ce n'est jamais plaisant de voir un cadavr-
Autre pincement.
– De voir quelqu'un se faire enterrer, je veux dire.
La dame le regarda en fronçant un instant les sourcils mais se détendit quelques secondes après, semblant tout de même un peu perplexe.
– C'est triste.
« C'est triste », sérieusement... ?
Levi leva les yeux au ciel en entendant ces mots. Heureusement qu'Eren semblait avoir fini le massacre après cette pathétique conclusion...
Madame Siegler acquiesça, paraissant ne pas savoir quoi dire et Levi la comprenait.
– Eh bien, ce fut un plaisir de vous rencontrer Messieurs, même si j'aurais aimé que cela se passe en d'autres circonstances, dit-elle finalement en cassant le petit silence inconfortable qui s'était installé suite à la tirade du jeune Jaeger.
Levi hocha sa tête et attrapa le bras d'Eren pour l'entraîner à leur voiture, souhaitant limiter les dégâts qui commençaient sérieusement à se faire nombreux.
– Passez une bonne journée, Madame ! fit Eren en passant à côté de la mère endeuillée.
Levi accéléra le pas et elle se retourna, ses yeux écarquillés suivant le couple.
L'Ackerman entra dans la voiture côté conducteur et regarda son compagnon s'installer à côté de lui.
Eren avait les joues rouges et les yeux baissés. Il ne voulait absolument pas jeter un coup d'œil à son homme.
– « Passez une bonne journée » ? T'es sérieux, gamin ?
La voix de Levi paraissait vraiment ahurie et cela suffit au jeune Jaeger pour lui faire tourner ses yeux sur son conjoint.
– Elle enterre son fils et toi tu lui souhaites une putain de bonne journée... Franchement, apprends à réfléchir avec le grain de sable qui te sert de cervelle avant de parler.
– Ce n'était pas volontaire.
Levi le regarda dans les yeux un petit moment avant de lui offrir une douloureuse taloche à l'arrière de son crâne. Eren gémit et se frotta l'endroit endolori, ouvrant sa bouche pour protester.
– Ferme-la, dugland, ça t'évitera de dire des conneries plus grosses que toi.
Le jeune Jaeger fit la moue et se détourna de son homme qui démarra la voiture.
Puisque c'était comme ça, il ne parlerait plus. Il tata les poches intérieures puis extérieures de son costume avant d'écarquiller ses yeux.
– Levi...
– Je t'ai pas dit de la fermer ? dit le susnommé en grommelant.
– J'ai plus la clé de la maison.
L'Ackerman tourna brusquement sa tête vers son compagnon qui le regardait avec panique. Il reporta ses yeux sur l'asphalte puis prit le temps de se garer sur le bord de la route et de mettre les warnings avant de tourner une nouvelle fois son visage vers le jeune Jaeger.
– Je l'avait mise dans une des poches à l'intérieur de ma veste mais elle n'y est pas !
Il fouilla une nouvelle fois toutes ses poches mais il ne mit la main que sur du vide. Il regarda Levi qui avait les yeux fermés et qui se frottait du pouce et de l'index la base de son nez, essayant visiblement de garder son calme.
Puis le tilt se fit et Eren plaqua son poing contre sa bouche et passa son autre main dans sa crinière brune, étouffant un « oh mon dieu ! » horrifié.
– Quoi ? grogna Levi en soulevant ses paupières.
– Je crois que je sais où elle est.
– Alors ?
– Ça ne va pas te plaire du tout..., répondit le jeune Jaeger en grimaçant.
– Je m'en branle, accouche, merde !
– Elle est avec Monsieur Siegler.
Levi haussa juste un sourcil même s'il se retenait visiblement de grincer des dents.
– Putain, tu fais chier. Tu crois qu'il va nous remettre gentiment la clé comme un toutou à sa mémère après ce qu'on lui a dit ? Et puis, comment ça se fait qu'il possède notre clé, d'abord ?
Eren resta muet un moment, lançant des petites œillades à son compagnon avant de fixer ses prunelles sur ses genoux.
– Ce n'est pas de ce Monsieur Siegler dont je te parle, Levi...
Celui-ci resta un moment interdit avant que ses yeux ne s'écarquillent de stupéfaction.
– Tu veux dire...
– Oui.
– Oh putain de merde...
L'Ackerman glissa une main dans ses cheveux puis darda des yeux accusateurs sur son amant.
– Tu te rends compte que notre clé est six pieds sous terre et qu'elle tient compagnie à un putain de macchabée ?!
Eren se mordilla la lèvre inférieure, les mots que venaient de débiter son conjoint rendant la situation plus réelle.
Le porte-clés qui reposait sur le torse de Siegler Junior pouvait bien ressembler au sien vu que c'était le sien ! Il aurait dû se douter que c'était assez incongru de voir un tel objet aux côtés d'un mort...
– T'en rates vraiment pas une.
Il grimaça mais ne put qu'être d'accord avec les paroles de Levi.
Il était un cas désespéré...
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