16. La Forgeuse Cordiale (3)

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Des taches sombres dans un océan de lumière.

Ou... des taches lumineuses dans un océan d'obscurité.

            Oui, c'est plutôt ça.

L'océan se trémousse et se balance en vaguelettes. Des lances de cristal, manifestation assurée d'une divinité, les percent en abondance. Une magie rafistole ces blessures au rythme de leurs apparitions, et ce mouvement se répète, et ce ne sont plus des vagues, mais la valse timide d'une centaine de feuilles soufflées par le même vent. Elles suivent les pas de danse de leurs branches infinies, qui parfois s'entremêlent, parfois se fuient.

Le toit d'une forêt, parsemé de rayons solaires réchauffant la terre.

Les herbes, les fleurs et les plantes se retrouvent illuminées à tour de rôle. De temps à autre, ces doux éclairs m'éblouissent. Notre étoile m'envoie ses salutations d'une façon plus délicate que la femme qui, au loin, s'est enfoncée dans la terre, plus profondément encore que ces arbres au tronc titanesque. Elle gronde avec la lourdeur du tonnerre.

Non... Elle me parle.

Ethel.

— Tu fabriques quoi ? Tu comptes me répondre un jour où ta pote t'a pointé un flingue dans l'dos en t'demandant d'rester muette ?

Qu'importe où je lâche mon regard, la végétation s'étend à perte de vue. Nous avons touché le cœur de ces bois. Le soleil s'est levé, mais ne nous surplombe pas, encore trop proche de la ligne d'horizon. Après avoir quitté Oriane, nous nous sommes aventurées dans les pénombres palpables de la nuit, pourtant... j'ai l'impression de m'être téléportée.

— On est là depuis longtemps ?

— Quoi ? Tu m'prends pour qui ? Tu t'décides enfin à parler ?

Mes bottes écrasent des bâtonnets qui camouflent mes balbutiements. Nous sommes parties. Nous avons atterri ici. Entre ces deux étapes, un trou noir aspire mes réminiscences. Ai-je perdu la mémoire pendant plusieurs heures ou jours ?

— T'as l'air dans la lune, juge Ethel. Au moins, tu l'as pas laissée t'monter au cerveau.

— Réponds à ma question. On est parties depuis quand ? Je me souviens de rien.

— Vraiment ?

— Oui.

Elle baragouine, sans doute quelques réflexions qui ne m'atteignent pas.

— Trois ou quatre p'tites heures, à en juger par l'soleil. Comment ça, tu t'souviens de rien ? Tu sais qui j'suis, au moins ?

— Bien sûr. J'aurais du mal à t'oublier. C'est juste... j'ai l'impression que mon âme s'est échappée pendant quelque temps. Comme pendant le désaignement. J'ai déjà fait des crises de panique, mais ça...

L'Absinthe fait voler la mèche verdâtre qui lui obstrue la vue.

— L'cerveau aussi à un joli mécanisme de défense. S'il t'a fait oublier c'qu'il s'est passé cette nuit, c'peut-être mieux comme ça. Tant qu'tu sais qu'on est pourchassées et qu'on vagabonde tranquilles, ça m'suffit.

Trois heures... assez pour atteindre la forêt qui borde la périphérie, passerelle entre la capitale et le reste de pays. Je ne m'y étais pas aventurée depuis des années — papa et mes études m'avaient enchaînée à folie Kavaroise. Ici, pas de bâtiments, de murs, de foule, de caméras, juste... la liberté. Comment n'avais-je pas étouffé, là-bas ? Cet environnement, qui vit au rythme des palpitations de la nature, me souffle un désir. Mes jambes me démangent, elles veulent en profiter. La sœur de M. Naha me distance déjà, alors je trotte, ou bondis près d'elle.

— Où est-ce qu'on va ?

— Pas à un lac, en tout cas.

— Quoi ? Pourquoi ?

— T'es... non, t'as dû oublier c'qu'elle a dit, du coup.

— Qui, Oriane ?

«J'aimerais qu'on se refasse une soirée au lac, comme à l'époque.»

Ethel adopte un ton pédant et une posture de milice au garde à vous. Imite-t-elle les ECOs ainsi ? Mes dents en grincent. Oriane ne ressemble en rien à cette caricature.

— Je m'en souviens, en fait, avoué-je.

— Eh bah, tu crois que j'vais m'laisser prendre à son p'tit jeu ? Elle nous a piégées une fois et a déjà prévu de l'refaire. Alors... j'sais pas où on va, mais y'a pas d'lac dans l'programme. On fuit jusqu'à c'que j'trouve une idée qui puisse nous sauver.

Où se situe celui dont Oriane m'a parlé, d'ailleurs ? Nous avions onze, voire treize ans... à l'époque, nos parents nous emmenaient tous les mois dormir à la belle étoile, près d'un lac en forme de chenille. Lorsqu'ils refusaient de le faire, nous bravions les interdits et y allions seules, et nous ricanions, nous racontions des histoires, nous assoupissions main dans la main, et nous nous réveillions courbaturées, couvertes de piqûres d'insectes.

Qu'elle se soit mise en danger pour me retrouver ce soir ne m'étonne pas — elle l'avait déjà fait. Toutefois, la dernière de ces escapades remontait à quatre ou cinq ans, alors pourquoi me rappeler cet endroit ? Nous ne risquions pas d'y revenir.

Qu'importe.

Au maximum, je m'en approcherais. Notre fuite ne relève d'aucun besoin de nostalgie.

Ethel me résume ce que j'ai loupé durant mon « absence ». Une phrase suffit : nous avons quitté Kavaran sans nous faire repérer. Comment ? Allez savoir. Les ECOs nous attendaient au pied du bâtiment. Cependant, je commence à m'y habituer. Elle a dû sortir de son sac un de ces nombreux tours qui nous a permis de les esquiver sans trop de soucis. Égouts, toits, angles morts, cape d'invisibilité...

Il n'y a plus qu'à s'improviser Robin des bois.

— Toi qui décris Kavaran comme ton terrain de jeu... tu sais à quoi t'attendre, maintenant qu'on n'y est plus ?

— T'sais, quand on grandit sans repères, on acquiert certains réflexes et on apprend à s'démerder. Que ce soit pour survivre ou reconnaître le danger. Et ces choses-là, c'comme le vélo. Ça reste jusqu'à la mort.

— T'étais même pas dans une famille d'accueil ?

Ethel ralentit la cadence pour marcher à mes côtés, comme le feraient deux vieilles amies en randonnée. L'éclat de la forêt ravive le sien ; son visage respire autant que celui d'un bébé. Sa double queue de cheval glisse sur ses épaules. Je ne pense pas m'avancer en disant que Vulcain est loin de nous menacer. Cette atmosphère la détend autant que l'océan.

— Plusieurs, répond-elle. J'les ai enchaînées. Même derrière la forêt, tout le monde a pas d'bonnes intentions. Ils voient une Sans-Cœur, ils s'tabassent à la convertir. À leur religion, leur mode de vie. Mais ça marche pas comme ça. Déjà, les cœurtex qu'ils me donnaient restaient pas actifs très longtemps. Ils le mettaient là, mais vu qu'j'ai zappé les puces et tout le toutim, ça avait aucun effet. Ils pensaient que j'avais trois piges, mais j'étais plus maligne qu'eux. J'suis sûre que même aujourd'hui, ils se doutent pas que j'faisais semblant d'pas avoir d'émotions quand j'avais pas d'cœurtex. Et si j'avais été conne, j'aurais pas remarqué qu'ils comptaient m'analyser comme un rat d'labo. J'ai traversé tout Yer'nayin, à sauter d'famille en famille, jusqu'à rester en solo. On peut dire qu'j'ai développé un joli instinct de survie. Alors j'sais pas exactement c'qui nous attend, mais si tu m'écoutes, ça devrait aller.

Tant de légèreté dans des mots narrant un passé si tumultueux... D'où sort-elle cette confiance, ce désir de vivre, cette insouciance maîtrisée ? Dans d'autres circonstances, j'aurais eu du mal à ne pas la considérer comme une amie — dans d'autres circonstances. Heureusement, notre relation ne durera pas. Tant que j'ai besoin de son aide, je dois simuler un attachement.

Au moins, et franchement, ça reste plus facile que le rôle que j'ai endossé pour briser Yohri.

— Tu « faisais semblant » de pas avoir d'émotions ?

— Hé.

Elle empoigne l'organe qui flotte devant elle et le secoue comme une boule à neige.

— Ce truc m'sert à rien à part prendre l'identité d'parfaits inconnus. J'ai peut-être des problèmes mentaux, et oui, à l'époque, j'étais pas aussi « développée » émotionnellement qu'les autres, mais j'étais pas non plus une coquille vide. T'peux remercier ma mère. Ah non, elle est morte, glousse-t-elle.

— Arrête. On dirait moi...

— Qu'est-ce tu dis ?

— Quand mon père s'est fait briser le cœurtex, je faisais des blagues de merde pour que les gens croient que ça m'atteignait pas. Je suis tellement habituée à cacher mes émotions.

— Tu...

Mes paroles la laissent bouche bée, et mon cerveau purge mes pensées. Nos situations n'ont rien à voir, mais cette corrélation m'amuse... plus qu'elle ne le devrait. Je devrais veiller à ne pas trop me prendre à son jeu. Elle reste le Papillon de Nuit. Une criminelle. Et elle le sait.

— Donc t'insinues qu'mes blagues sont merdiques. Tu recommences et j'te jure de reconstituer la scène d'mon arrivée à Yer'nayin avec toi dans l'rôle de ma mère.

— Un rôle qui me déplairait pas tant que ça.

— Mmh.

Nous contournons des paysages escarpés — des montagnes érigées par de pharaoniennes explosions datant d'un monde archaïque. La forêt a été construite sur les ruines d'une guerre si ancienne qu'on ne l'enseignait plus. Les arbres ont figé obus et cratères dans l'espace-temps comme la photographie d'une nature luxuriante et insouciante. Nous traversons un puits si grand que pour remonter, nous devons escalader une véritable colline, incapables de voir le cercle parfait que la bombe avait formé. Seuls quelques passages n'ont pas résisté aux siècles.

Au bout d'un moment, ce ne sont plus les arbres qui se déroulent, mais le ciel bleu. Nous atteignons le sommet — une falaise. Les différents niveaux d'élévation me coupent le souffle.

Plusieurs dizaines de mètres plus bas, le vent berce un passage ruisselant de plantes touffues qui donnent l'impression de pouvoir amortir notre chute. Elles-mêmes surplombent un paysage infini : de nouveaux arbres, des rails de trains, des monuments, et plus loin, d'autres villes, des villages qui, malgré leur désavantage, nous dépassent en hauteur.

Devant la seconde paroi rocheuse s'élève un bâtiment en ruines, le plus important vestige de l'ancien monde. Sa pierre moussue caresse le ciel. Quand j'étais petite, il m'émerveillait toujours, et face à ce soleil levant, une pensée me vient. Encore un panorama pour lequel j'aurais tué afin de le photographier. Malheureusement, je ne peux que lui tirer le portrait de mes yeux uniques et le ranger dans ma mémoire. Si seulement j'avais osé quitter ma bourgade plus tôt, qui sait ce que j'aurais pu découvrir, sans la pression d'être constamment suivie et observée ? Cette construction éthérée me projette dans le protagoniste du tableau d'Oriane, celui censé représenter ce Yer'kir...

— Être fugitive n'a pas que des inconvénients, me languis-je.

— Pas faux. T'peux rester avec moi autant qu'tu veux.

— Je parlais plutôt du paysage.

— Cinq points pour la pertinence. Bref, on va s'poser dessus. Il a l'air de t'avoir fait d'l'œil.

— Attends. On n'a pas le droit, si ?

— Si à ce niveau-là, tu t'demandes encore si on a l'droit d'faire quelque chose ou pas pour te décider à l'faire, c'est que j'ai mal fait mon boulot.

— Il est pas surveillé ?

— Nan.

Nous redescendons et contournons le cratère pour franchir la minuscule futaie, ou l'entre-falaise, qui grouille d'insectes. Des fougères me caressent les chevilles et les doigts. Difficile de croire qu'une telle végétation s'épanouit aussi près de la capitale... du moins, sans dômes, châteaux et autres édifices pour tacher l'horizon. Mais là encore, j'oublie : il s'agit de l'œuvre de l'Homme. Le sentier a beau avoir l'air naturel, on a décidé de le placer là. On a sans doute autant forgé les détails de ce dernier que ceux de la ville qu'il borde. L'aspect méticuleux des ECOs y ressort comme une extension de leur esprit, de leur royaume. Ethel le ressent-elle ?

J'espère pas. Je ne veux pas la démoraliser avec un air de : « partout où nous irons, les ECOs nous suivront. » Alors, je reste silencieuse jusqu'au pied du monument.

Un fossé le sépare de la falaise pour dissuader les randonneurs lambdas de s'y aventurer. Comme si elle n'avait jamais quitté son appartement, Ethel l'enjambe avec une aise déconcertante. Je l'imite, mais mon talon glisse à l'arrivée. La tour chavire. Mon cœur remonte.

Un lasso, des doigts, me sanglent le poignet. Le monde se fige — Ethel m'a rattrapée de justesse. Ses yeux m'invitent dans une terre déserte. Ses mèches, aussi courtes soient-elles, effleurent ma joue. Mes pieds retrouvent un équilibre.

— Merci, susurré-je.

Le toit de l'édifice menace de s'écrouler à chaque pas. Mes chausses dégagent des draps de poussière ; grincements et craquements s'échappent du carrelage bruni. J'ai l'impression de marcher sur un château de sable géant. Véritable gruyère, il résiste à l'érosion grâce à sa seule chance. Une œillade sous nos pieds me permet de distinguer les étages inférieurs. À quelques rares occasions, des racines s'enroulent autour des ouvertures ; de l'herbe pousse timidement dans les interstices. Seulement, on l'avait plaquée et étouffée sous les couches de poussière. Ce marbre doit avoir des fans.

— T'es déjà venue ici ?

— Ouais. Les rares fois où j'sors de Kavaran, c'un peu ma piaule. Y'a quelques lits d'fortune plus bas pour les chiens errants comme moi qui veulent taper une sieste.

— Dans un endroit si... sacré ?

— Faut croire qu'c'est si sacré qu'même les ECOs osent pas y entrer. C'pas une blague, c'qu'on dit dessus. C'bâtiment est sans doute plus vieux qu'le pays entier.

Ethel s'installe au pied d'un mur. La majorité des briques s'en sont effondrées, signe que jadis, l'édifice s'élevait plus haut encore. Je m'assois à ses côtés. Le soleil se retrouve au cœur d'un trou béant formant l'un des cadres les plus saisissants que j'ai pu admirer. Le pays s'épanouit en arrière-plan.

Comment décrire cette sensation ? Ethel a beau m'accompagner, ce bâtiment abandonné exhume une solitude qui déteint sur moi. Se dire qu'il a vu passer des siècles d'histoire, que sa connaissance excède celle de tous ; imaginer les âmes égarées défiler entre ces murets décrépis ; profiter des fougères et des oliviers derrière, du dégradé par-dessus... du silence. Et ce parfum de victoire, comme si nous nous étions échappées, que personne ne nous retrouvera ici. L'on m'accorde un moment pour respirer, pour rêver, alors autant me laisser aller. Cette bulle dans l'espace-temps éclatera bien assez tôt.

L'un des oliviers, justement, plonge ses racines dans les ruines qui nous supportent. Il me faut quelques minutes pour remarquer que son tronc, encore frêle, montre des traces de taillades, trop calculées pour être naturelles. Des lettres ont été sculptées dans l'écorce...

«Comment est-ce arrivé?»

Si le papillon est le symbole de pays, l'olivier est celui de la capitale. On a planté ces arbres avec fierté — ils représentent l'espérance, nos victoires aux guerres qui ont ravagé le territoire, et plus récemment, l'immortalité du peuple yerna, son abondance.

... enfin, pas abondance de cœurtex, visiblement.

— Tu regardes quoi ? m'interrompt Ethel, qui suit mon doigt. Attends, c'quoi, ça ? C'est... un signe de quelqu'un d'autre ?

— Un message.

— J'reconnais pas de qui ça peut venir.

— T'as l'air choquée de l'ignorer.

— J'suis déjà venue plusieurs fois. D'ailleurs, qu'ce soit ici ou ailleurs à Yer'nayin ou Kavaran, les gens du marché noir s'laissent souvent des messages pour parler d'choses qu'on peut pas dire à l'oral, même si on est seuls. Genre, ça... j'sais pas s'il parle des vestiges d'la guerre, du bâtiment, de la forestation, des ECOs, j'sais pas. J'ai jamais vu d'message sur un tronc comme ça.

— Et on saura sans doute jamais qui l'a écrit.

J'abandonne l'arbre. Je n'ai pas la tête à réfléchir aux réponses. Jusqu'au brisement de papa, Yer'nayin et les Enfants au Cœur d'Or ne m'ont jamais causé de tort. Comment pourrais-je me prêter aussi facilement aux théories du complot et autres interrogations invraisemblables ? J'ai beau ne pas savoir d'où vient ce bâtiment, si l'Art-Terre ne voulait pas que l'on se pose la question, ils l'auraient détruit...

Comme elle nous a détruits.

Cette fois, mon soupir est lourd, plus froid que le vent.

            Papa... où es-tu? Je n'ai à peine eu le temps de me le demander, que...

      Que...

Quelle fille indigne, bordel.

Ethel a raison sur ce point aussi. Au bout du compte, j'ai préféré me sauver plutôt que le sauver, bien que je fusse convaincue du contraire. Comment cette fille a-t-elle pu déceler autant d'indices en ne me connaissant que depuis quelques jours ? Les gens d'Yer'kir ont-ils un talent pour analyser la personne et son cœurtex ? J'espère pas.

En tout cas, ce don ne l'empêche pas de grogner comme un animal.

— Ça me désespère, moi, d'pas savoir. Alors j'suis bien tombée, dans un pays qui a enterré la quasi-totalité d'l'Histoire de l'humanité !

— La quasi-totalité ? T'abuses. On en sait bien assez. Si c'est pour nous apprendre toujours plus de façons dont on s'est entre-tué, moi, j'ai pas envie de savoir. Qui plus est, ils peuvent cacher ce qu'ils veulent, maintenant, les gens sont... heureux. Enfin, en dehors de la crise.

— T'étais heureuse, toi, avant ?

Je...

          J'étais...

— Oui.

Mes études, Oriane, papa, ma liberté... je n'avais pas de quoi me plaindre, en tout cas.

— Ah. Laisse tomber, crache-t-elle.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Rien. J'essaie d'garder une bonne image de toi, on sait jamais, donc on va pas parler d'trucs qui divisent.

Ego oblige, lorsqu'une occasion de lui offrir une séance de psychanalyse me nargue, je la saisis. La roue doit bien tourner.

— Ça se voit que t'essaies de garder la tête haute, mais en vrai, t'es abattue.

Son regard de côté, tranchant, me donne froid dans le dos. Toutefois, il se rabat rapidement.

— Tu m'énerves.

— Pourquoi ? Parce que... tu penses que c'est à cause de moi, hein ? Tu m'en veux parce que t'as perdu ton frère et ta maison ?

— Faut bien blâmer quelqu'un, non ? Cette fois, c'est clairement pas Vulcain.

Je divague dans le paysage, et me laisse porter, les cheveux au vent. Le ciel s'est dévêtu de son dégradé crépusculaire et arbore des nuages épars.

— J'ai jamais demandé quoi que ce soit.

Le corps d'Ethel se balance autour des arbres qui nous côtoient.

— J'suis au courant. Mais maintenant, j'sais juste pas où aller. Vraiment. J'en sais rien. On s'pose ici, mais... Putain.

— Tu penses qu'on est foutues ?

Un oui ou un non aurait le mérite d'éclaircir mon esprit. Au lieu de ça, elle reste muette, et ses bottes se rapprochent des miennes.

— Au moins, même si elle est pourrie de l'intérieur, on a une belle vue. Limite romantique. Trouves pas ?

Son regard se pare de la même vulnérabilité dévoilée hier soir, face à la mer.

— Je suppose. C'est beau, c'est sûr, mais... j'ai jamais été très « romantique ».

— Et je suis une Absinthe. Une sans-cœur, apparemment. On n'est pas si différentes.

— Si tu le dis...

Ses lèvres craquelées s'élargissent dans un ricanement innocent qui n'en a que l'air. Elle me caresse le crâne, en approche le sien ; sa poigne m'agrippe le cuir chevelu et ses doigts me paralysent. Son visage, entre ange et démon, remplit mon champ de vision et me plonge dans l'obscurité. Ses lèvres m'effleurent, rugueuses, car sèches, et...

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