Chapitre 8 - Pheynãh

Tout tournait autour d'elle. Elle n'avait pas perdu connaissance, parce qu'elle savait qu'elle ne pouvait pas se le permettre maintenant.

Quelque chose (parce qu'elle n'était pas vraiment sûre qu'elle pouvait le dénommer par "quelqu'un") lui voulait du mal, et pouvait revenir à tout moment pour l'emmener, l'achever, ou pire encore.

Elle ne voulait pas savoir ce que son imagination entendait par "pire encore".

L'œil embrumé, elle essaya de se relever, pour être prête à courir si le besoin se faisait sentir, ce qui risquait fort bien de se produire.
Ses efforts furent vains, jusqu'à ce qu'elle comprenne que ses grossières jambes de pierres s'étaient encore brisées et éparpillées dans le sous-bois. Il allait lui falloir dix bonnes minutes et de la concentration pour les reformer, et elle manquait un petit peu des deux. Ne pas paniquer. Ne pas paniquer.
Ces jambes étaient vraiment une malédiction.

Elle observa le décor autour d'elle. Le bois était spacieux, plongé dans la lumière glacée de l'ersatz de lune bleu. Les arbres était tous semblables, et peu communs: du sol partait un tronc, qui se scindait en deux vers un mètre de haut pour former deux branche, qui elles-mêmes se scindaient en deux pour déployer deux autres branches chacune, et chaque branche continuait ainsi, jusqu'à ce que ce ne soient plus que de faibles brindilles laissant pendre à la manière d'un saule ses feuilles indigos.

Autre chose attira son attention. Chaque mouvement, si minime soit-il, était toujours accompagné d'une traînée fantomatique, comme une sorte de ombre-brume (d'ombrume, pensa-t-elle) qui s'efforçait à suivre son porteur avec un petit délai de retard.
Elle s'amusa à fermer et ouvrir sa main pour voir ses doigts rattrapés par l'ombrume, avant de se rappeler qu'elle était en danger de mort imminente.

Un craquement se fit entendre derrière elle. Ou plutôt une sorte de claquement de tonnerre, mais provenant du sol. Elle se retourna tant bien que mal en rampant sur l'humus (sa robe blanche était morte, maintenant), priant de tous les dieux envers lesquels elle n'avait jamais cru pour que ce ne soit pas son prédateur.
Les dieux firent la sourde oreille.

Cependant, le chasseur n'était pas seul, et semblait en être venu aux armes avec un autre de sa race. Lui se battait avec sa sorte d'arc étrange, probablement à l'origine du rayon de lumière, tandis que son congénère portait une sorte de masse d'arme en trois bâtons reliés par des boules noires. La dernière boule était bardée de piques.

Ce fut l'adversaire du chasseur qui s'élança en premier, poursuivi dans sa course par une ombrume bien moins vague que celle de Mabaïka: le fantôme qui le suivait au mouvement près était incroyablement détaillé.
Pendant le bond, la fée remarqua que le porteur de la masse d'arme avait lancé une piécette en l'air, toujours suivie par une traînée d'ombrume, qu'il rattrapa en pleine course.

Et il se dédoubla. Au lieu d'un adversaire, celui qui avait descendu Mabaïka se trouvait face à deux combattants identiques, entourant leur proie en agitant leurs masses. Les bâtons s'agitaient dans tous les sens, créant dans leur portée une masse d'ombrume stagnant autour du manche.

Celui qui avait attaqué Mabaïka, et qui restait donc seul, recula face au surnombre. Il hurla à son... à ses adversaires :
« Pheynãh, je t'ai déjà vaincu mille fois et tué mille fois !

Les deux clones répondirent d'une même voix.
= N'y a-t-il donc aucun pheynãh dans lequel tu n'es pas un couard, Kylis ?

- Y a-t-il un pheynãh où vous comprenez notre mission ?, lui répondit le dénommé Kylis.
Notre combat est juste ! Vous ne comprendrez jamais rien... »
Sur ces mots, il déploya d'étranges ailes aux plumes fines et prit son envol dans une traînée d'ombrume.

Les deux combattants identiques se re-confondirent en un seul, qui attacha sa masse calmée dans son dos. Il cria dans la forêt :
« Où es-tu, monstrueux papillon ? Que viens-tu troubler ici ? »

Mabaïka mit un certain temps à comprendre que ce guerrier ne s'adressait pas à celui qui s'était enfui, mais à elle.
Était-elle vraiment un monstrueux papillon ? Vu d'en bas, c'est ce à quoi elle pouvait ressembler, à cause de sa taille...
Elle hésita à dévoiler sa présence, ignorant les possibles volontés du combattant. D'un autre côté, il lui avait sauvé la vie...

Paralysée par la peur, elle ne répondit rien aux nombreux autres appels du guerrier, qui se mit alors à chercher dans les sous-bois baignés dans la brume.
Elle n'avait pas beaucoup de temps avant qu'il ne lui tombe dessus : elle agita ses doigts en récitant ses formules dans la hâte, ratant des mots et bégayant sur d'autres. Les petites pierres noires et bleues roulèrent sous sa robe, s'amoncelèrent difficilement pour créer deux jambes plus effritables et fragiles qu'elles ne l'étaient déjà à l'accoutumée.
Elles s'effondrèrent alors qu'elle ne leur avait ordonné que de se plier, et une forme lui masqua la lumière glaciale de la lune.

« Qu'est-ce que tu es censé être, exactement ?, demanda le combattant, qui de toutes évidences avait retrouvé la petite fée. Il braqua une lance d'acier blanc sur elle, sa lame menaçant grandement la gorge de Mabaïka.
- Répond, papillon ! Qu'es-tu ?

- Pitié ! J'ai rien fait, j'vous jure ! Ne me tuez pas !
La fée rampait difficilement en arrière, à cause des ailes qu'elle avait oublié de faire disparaître, le visage figé par la terreur. Ses yeux ne quittaient pas le reflet spectral de la pointe de la lame.

- Qu'es-tu, papillon ?!

La panique répondit à sa place.
- Une Alphée ! Je suis une alphée ! Je voulais aller vers les montagnes, et je suis passée par votre forêt, je suis désolée ! Je vous en supplie, ne me tuez pas... »
Elle ne put retenir ses pleurs, en crispant ses doigts sur les gravats cristallins qui lui servaient de genoux.

Il releva lentement la pointe de son arme, le regard strict et à l'affût du moindre mouvement suspect de la part de sa proie. Sans la moindre once de pitié.
« Est-ce commun chez les... Alphées, de posséder de pareilles ailes ?

Elle tourna ses yeux embués de larmes sur ses gigantesques ailes de papillon grises, salies et abîmées pour trop avoir été traînées au sol.
- Oui. C'est... normal.

- Pourquoi voulais-tu aller aux monts ?, demanda-t-il, toujours aussi impitoyable.

- Pour... »
Elle réfléchit un moment. Elle ne pouvait pas dire que c'était pour aller au Royaume des Ombres, au cas où. Mais dire que c'était pour rencontrer le peuple squelette, une race aussi haïe que crainte, c'était tout aussi risqué.
Et, une lame étant juchée à quelques dizaines de centimètres de sa gorge, elle hésitait grandement à lui mentir.

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