Chapitre 7 - Survol
« Bonne chance, petite fée. »
Ces mots résonnaient dans la mémoire de Mabaïka. Était-ce encore un coup de cette envoûtante voix, ou voulait-elle garder en tête un peu de bonne fortune dans son voyage ?
Cela faisait déjà une dizaine de minutes qu'elle avait quitté la grande ville portuaire, et elle survolait déjà des hectares entiers de cultures diverses; des vignobles, des céréales, des citrouilles en tout genre, tout étant gardé sous l'œil avisé d'épouvantails immobiles disséminés au cœur de leurs terres.
Un peu plus loin, une vaste forêt d'arbres morts s'étendait encore, entourant un bois aux feuilles vert sombre couvrant la vue de la fée.
Au dessus d'elle brillait encore et toujours l'amas de roches vermeilles incrustée dans le ciel de nuit éternelle, seul astre nitescent de ces terres obscures.
Même si l'ambiance au sol, entre les murs étroits de la ville portuaire, était oppressante et ténébreuse, il n'en n'était rien avec de la hauteur.
Depuis son point de vue, Mabaïka profitait d'un paysage calme et nocturne, où les bruits inquiétants d'ombres rampant dans la nuit laissaient place aux hululements des chouettes et au crissements de quelques insectes.
Même les forêts avaient plus de charme, ici: celles de l'île centrale étaient merveilleuses, mais incommensurablement niaises: des jolies fleurs, de gentils papillons colorés, de nobles cerfs bondissants...
Ici, les bois avaient quelque chose. Une fine brume bleutée serpentait entre les écorces noires, les rares fleurs écloses étaient protégées des cueillettes par une cage de ronces, et la faune n'avait confiance en rien et fuyait dans le noir au moindre bruit suspect.
Cette ambiance-là lui plaisait plus, étrangement. Elle avait quelque chose de plus réel, de moins... "conte de fées", pensait-elle.
Elle-même était une fée, pourquoi ne se plaisait-elle pas parmi les autres de son espèce ? Pourquoi ne se contentait-elle pas simplement de rosée du matin, de voler avec des papillons et d'être gentille avec tout le monde ?
Pourquoi fallait-il qu'elle soit si différente ?
Et pourquoi s'entêter dans sa quête absurde ? Le Monde des Ombres, ou comment s'échapper des vraies ombres du vrai monde, des vrais problèmes qu'elle ne voulait pas voir !
Elle continua de planer sans un bruit, sans un mot, mais quelques larmes cristallines chutèrent de ses joues.
Une heure passa, survolant silencieusement les landes bleues des collines. La montagne du centre de l'île s'approchait assez rapidement, et un doute grandissait à la même vitesse dans le cœur de la fée.
Le peuple qu'elle s'apprêtait à rencontrer, et qui détenait le pouvoir de traverser les univers, connaissait également un lourd passé.
Si les légendes -et le barde- disaient vrai, alors chaque membre de cette race aurait été dans le passé un de la race des géants, exterminée par les tueuses de Salem il y a des siècles de cela.
Les Hexes avaient appris à craindre ce peuple rongé par la vengeance, et à juste raison. Le barde les avait décrit en combat comme "un agreste déferlement d'os et de fureur, qui emporta ab irato innocents et enfants en pleurs", si sa mémoire était exacte.
Comment ce peuple pourrait-il accepter de la guider au Monde des Ombres ? Pourquoi le feraient-ils ?
Qu'est-ce qu'une race aussi meurtrière et cruelle gagnerait dans l'envoi d'une fée dans un autre Monde ? Rien du tout ! Et elle n'avait pas de quoi payer une quelconque contrepartie...
Pouvait-elle vraiment compter uniquement sur la générosité d'un peuple déchu ?
Plus elle y pensait, et plus son entreprise semblait vouée à l'échec...
De plus, elle commençait un peu à fatiguer de son long vol, et allait bientôt devoir atterrir pour se reposer. Atterrir en plein cœur d'une forêt sombre, où vivaient probablement des monstres plus féroces les uns que les autres...
Ça aussi, c'était une mauvaise idée.
Elle pensait à ça, et son esprit rejoignit un peu sa tête pour constater sa situation.
Elle s'était un peu perdue dans son esprit, et maintenant elle avait l'impression de ne plus du tout être sur la même île.
En lieu et place de forêts à moitié mortes et menaçantes, un grand bois au feuillage bleu sombre dans lequel des nuages entiers semblaient être capturés s'étendait sur quelques hectares, mais elle ne pouvait pas vraiment distinguer plus loin, à cause d'un épais mur de brouillard.
La sorte d'astre orangé qui servait de lune comme de soleil miniature avait perdu l'éclat vespéral d'un crépuscule angoissant pour adopter une lueur bleue claire plus douce et sereine. Était-ce normal en ces lieux ? Elle ne savait pas vraiment comment fonctionnait le ciel et les horaires, ici. Était-ce la nuit ? Est-ce que la notion de nuit avait encore un sens, ici ?
Ou alors elle était dans un mini-monde, à l'intérieur du monde à part entière qu'était l'île noire ?
Et est-ce que...
Elle n'eût pas le temps de formuler cette question supplémentaire dans son esprit, car un trait lumineux, pareil à une flèche, fila à une dizaine de centimètres de son visage.
Elle se redressa, voletant pour rester au même point, tout en agitant sa tête dans tous les sens pour espérer trouver d'où était venu le projectile.
Elle le vit. Elle n'eût cependant pas le temps de le détailler, puisqu'une de ses ailes de gauche se fit transpercer par un nouveau trait lumineux.
Ses ailes se débattirent dans le vent, alors que Mabaïka chutait vers la forêt.
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