Chapitre 4 - L'île Noire
La Brume Noire était exactement comme les légendes la décrivaient. Une gigantesque, colossale masse de nues noire et menaçante, tourbillonnant lentement sur elle-même en crachant par moment des éclairs bleutés.
Le ciel était masqué par de grands nuages gris, s'assombrissant au fur et à mesure qu'ils étaient aspirés par le cyclone de ténèbres.
Mabaïka était la seule à rester sur le pont, mains sur la barrière, pour observer le funeste spectacle légendaire qui se dressait au dessus des sombres flots.
Le navire s'y engouffra.
~
Le bateau avait finit par passer la lourde brume noire qui entourait l'île comme une grande cloche, un dôme de nuages qui ne laissait aucune lumière extérieure pénétrer.
Les ports vers lequel le bateau se dirigeait étaient construits dans un bois noir qui semblait fragile, sous un ciel sans étoile constitué de la Brume : seule brillait un ersatz de lune à l'éclat orangé, qui plongeait l'entièreté de l'île dans une ambiance de fin de crépuscule, malgré les rares éclairages à la bougie dont disposaient les quais.
Le vaisseau accosta dans un long grincement de bois, et la fée descendit avec ses bagages.
Le ciel noir de nuit l'empêchait d'avoir une quelconque notion de temps.
Les rares personnes à occuper les rues étaient des épouvantails mobiles, très différents en apparence de ceux de l'île centrale: ils étaient faits d'une tête de citrouille taillée, de très longs membres, et chacun équipé, ou alors armé, d'une faux, d'une fourche, parfois même d'un étrange outil hybride qui réunissait les deux à la fois. Ces effrayants hommes de paille toisaient de leur grande taille les passagers qui descendaient du navire en les fixant de leurs pupilles de flammes.
D'autres races habitaient ce quartier portuaire, comme des polichinelles de métal aux gestes désarticulés ou des sorcières habillées en robe ouverte noire, ou leur équivalent masculin en long manteau bordeaux ou rouge aux multiples glyphes scintillants. Ces terres n'étaient apparemment pas très accueillantes, mais Mabaïka ne perdit aucunement sa volonté.
Il lui fallait des informations sur le monde des Ombres, il fallait qu'elle sache comment se rendre là-bas. Aucun livre n'indiquait la démarche à suivre, ni même quel peuple maîtrisait la magie qui permettait le trajet vers les Ombres.
Quoique si, elle savait qu'Antaka était une sorcière. Même si elle pouvait n'être qu'une légende, ça partait forcément d'un fond de vérité.
La petite fée, sur ses frêles et tremblantes jambes de pierres, s'approcha donc timidement d'une sorcière, adossée avec une lance contre un mur de bois noir, qui passait le temps en faisant jongler une médaille rouillée entre ses doigts. Portant un grand chapeau noir et tordu, comme dans les contes, une robe rafistolée de plusieurs tissus laissait ses épaules libres et tombait jusqu'au sol. Elle était bien plus grande que Mabaïka, qui avait l'air d'une enfant à son côté.
« E... excusez-moi..., s'introduit-elle timidement.
La sorcière baissa son regard et empoigna sa médaille. Sa peau n'était pas verte et pleine de pustules comme racontaient les contes, mais pâle et lisse, presque soyeuse au regard. Son regard était même quelque peu envoûtant, comme s'il contenait des étoiles dans l'iris bleu sombre d'une nuit d'été.
- Oui ?, finit par relancer la femme en robe noire, en relançant sa médaille.
- Je...
La fée n'osa pas dire plus, terrorisée par la fatale beauté de la sorcière. Était-ce un enchantement, ou un charme magique ?
- Je vais pas te manger, tu sais. Bienvenue sur l'île noire, au fait. Tu es perdue ? Tu cherches quelqu'un ?
Même sa voix était douce et hypnotisante. La petite fée grise se reprit.
- Je cherche un moyen d'aller dans le Royaume des Ombres. S'il-vous-plaît. Madame.
La médaille de fer s'arrêta net entre les doigts de la sorcière. Son regard s'était assombri, et ses traits étaient devenus sévères.
- J'espère pour toi que tu ne sais pas ce que tu dis.
Voyant le visage terrorisé de la petite, elle reprit plus calmement.
- Si tu veux y aller, il faudra demander à d'autres. N'aborde jamais ce sujet avec une Hexe, ça ne t'attirera que des ennuis.
- Une Hexe ?, répéta Mabaïka, curieuse.
- Oui, une Hexe. Une sorcière, si tu veux. Enfin, pas vraiment; il y a les sorcières, comme moi, les sorciers, comme, heu... lui, (elle pointa un sorcier qui se baladait plus loin sur la place. Il portait une grande cape rouge remontant en haut col, et des bijoux d'or et d'argent), et en troisième les cadrans. Mais eux vivent bien plus à l'Est, dans les bois des Réels.
Tout ça pour dire qu'on ne doit pas parler du Monde des Ombres aux sorcières, c'est tabou.
Si tu veux apprendre dessus, il faudra que tu trouves quelqu'un d'autre. Tiens, au bout de la rue, là-bas, tu as une taverne tenue par un barde ; "au Geflügelte", ça s'appelle. Dis que tu viens de la part d'Alcane. Il pourra t'en dire plus.
- Merci, lâcha Mabaïka à la sorcière, qui reprenait déjà le roulement de sa médaille entre ses habiles doigts blancs.
- Je t'en prie. Bonne chance sur l'île noire. »
La fée grise se mit donc en chemin.
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